Les volutes flottent au-dessus de sa tête blonde, formant une auréole brumeuse. Ils virevoltent au gré du vent dans une danse voluptueuse. La nicotine lui brûle la paroi de sa gorge, éventre ses poumons. La fumée s'échappe de sa bouche. Du haut des remparts, un spectacle époustouflant s'offre à lui. Il griffonne quelques mots sur son journal intime. Un carnet où il emprisonne toutes ses pensées et ses obsessions les plus secrètes. Souvent les plus sombres. Il exerce ainsi une sorte de catharsis quotidien. Une purification de son âme esseulée. Ce carnet fait en cuir - dont les pages donnent un effet vieilli - y renferme des bouts de vers, des élans de verve et des paroles insidieuses. Les pages sont cornées de part et d'autre. Certaines ont été arrachées. Celles qui contiennent les souvenirs d'un temps altéré. Ses écrits sont souvent accompagnés d'esquisses inachevés. Il tire une dernière bouffée de sa cigarette. Le filtre se consume, le vent se lève. Il jette un regard distrait sur sa montre. L'heure du thé est dépassée. Vient le moment de rentrer. Il écrase son mégot sur le gravier. Sa canne à la main, il rentre au château. Les candidats, les "gens" déambulent et dissimulent une plaie béante sous leurs airs impassibles. Une cacophonie atroce règne dans le salon. Qui l'empêche de lire. Ses pas le mènent à la salle informatique où sa partenaire se trouve également. Un sourire amical s'étire sur son faciès tandis qu'il s'avance vers elle, son exemplaire de Tales and Poems, de John Keats. Il vient s'asseoir à côté de Laoise, qui semble absorbée par un jeu. A regarder de le plus près, on dirait un Démineur. - Qu'es-tu donc venu faire ici ? Il lâche un petit rire et montre son livre. - Lire, pardi ! C'est trop bruyant dans le salon. Il entoure ses épaules de son bras et lui demande en murmurant : - Et toi, tu as l'air de bien t'amuser avec ton jeu.

Un démineur. Le jeune homme n'a jamais joué à ce genre de jeu, plutôt habitué à l'éternelle partie d'échecs avec un collègue couturier dans les coulisses d'un défilé. Quant au démineur, il a vu l’icône s'afficher à maintes reprises dans le panneau d'affichage, sans jamais vraiment prêter attention. Elle lui répond en affichant un petit sourire : - Oui, je m'entraine pour le concours du plus grand nombre de parties perdues. Pour le moment, j'me débrouille pas trop mal. Il acquiesce en silence, en observant l'écran de l'ordinateur de sa partenaire. Une fenêtre est affichée, un grand carré rempli de petites cases. A chaque fois qu'elle clique sur une des cases, apparaît alors un chiffre ou plusieurs. Mais certaines cases cachent une sorte de bombe. Il faut éviter de les ouvrir sinon c'est la fin de la partie. Apparemment, elle n'est pas très douée à ce jeu qui semble être un véritable casse-tête. - Tu veux que je te laisse ? Que tu puisses lire en paix. Il lui prend le poignet pour l'empêcher de partir. Depuis quelques jours, le comportement de la jeune femme est étrange. Elle semble distante. Cela a commencé Dimanche dernier, au prime. Ce soir-là, elle n'a pas voulu le rejoindre pour discuter avec quelques candidates du jeu. Suite à cette soirée, elle est devenue moins loquace que d'habitude. Parfois, elle l'évite. Est-elle en colère contre lui ? Il fronce des sourcils. Sa main vient caresser la sienne. - Qu'est-ce qui t'arrive en ce moment ? Je te sens un peu distante. Ai-je fais quelque chose de mal ? Sa voix laisse transparaître une légère inquiétude.

La main de sa partenaire serre la sienne dans un geste de tendresse. Elle le rassure en disant : - Non. Non, tu n'as rien fait de mal, Malo. Le jeune homme n'est pas tout à fait rassuré. Il sent qu'elle ne lui dit pas tout, il n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Un sentiment étrange l'irradie, un léger pincement au cœur. - Je suis juste, hm... Attentif, il l'observe en silence en attendant son explication à propos de son comportement de ces derniers temps. - J'ai beaucoup de défauts, tu sais. Et on peut dire que je suis un peu du genre possessive. La possessivité est bel et bien un défaut. Un des défauts que le jeune homme ne peut supporte, hélas. Il fronce des sourcils. Il se sent un peu mal à l'aise. Le couturier est quelqu'un de très tactile. Il a un besoin irrépressible de toucher l'autre pour sentir sa présence. Son métier est de toucher le corps des autres. La plupart celui d'inconnues. Il a une manière particulière de toucher les gens. Que ce soit hommes ou femmes. Chacun de ses caresses, de ses embrassades ont des significations différentes pour lui. Il ne touche pas tout le monde de la même manière. Le toucher est un contact primordial pour lui. Il avoue que ses mains peuvent brusquer certaines personnes. Il ne le fait pas exprès. Ce sont des gestes naturels pour lui. Il caresse la main de la jeune fille et murmure en esquissant un sourire amusé : - Tout est clair maintenant. Il rit, puis continua en la taquinant : - Et quel genre de possessive es-tu ? Parce que j'avoue ne pas très bien comprendre. Je suis tactile, c'est dans ma nature. Il ne faut pas oublier que je touche des femmes tous les jours, à mon travail. Pour moi, c'est normal de toucher les autres. Mais je comprends. J'avoue que je n'arrive pas à me contrôler. C'est plus fort que moi. Elle doit comprendre que ce n'est en rien intentionnel. La façon dont il effleure, touche sa camarade est différente. Ce n'est que pure affection qu'il exprime à travers son toucher.

De nature patiente, le jeune homme n'est pas du genre à dénigrer les défauts de l'autre. Au contraire, il tente de s'adapter et finit par les accepter car si on aime vraiment une personne, on doit l'accepter tel qu'il est. Lui-même a des défauts plus au moins voyants. Parfois cachés. Des démons, des obsessions le hantent sans cesse. Torturé par des désirs inassouvis, il sait tout de même se contrôler. Être complètement maître de lui-même est un travail colossal. Il lui arrive de flancher et de commettre ses erreurs. Il se remet ainsi souvent en question. Pour Laoise, il sait qu'il ne peut rien y faire. Cette possessivité est sans doute lié à un élément biographie. Ou, peut-être un traumatisme ou une peur de la solitude. - Je suis désolée. Il ne faut pas faire attention à moi dans un cas comme ça, je t'assure. J'essaye vraiment d'être moins possessive, mais je n'y peux rien, je n'aime pas voir mes amis avec d'autres personnes que moi. Je sais, c'est bête... Elle n'a pas être désolée. Vraiment. Il ne lui en veux même pas. Il découvre qu'elle tient tout de même à lui. Désormais, il fait apparemment parti de l'un de ses amis. - Je fais en sorte de m'arranger, vraiment. Donc, le mieux, j'te jure que c'est de m'ignorer. Ou à la rigueur de me crier dessus pour que j'arrête de faire la tronche parce qu'on ne me colle pas aux basques pendant trente secondes. Il entoure les épaules de l'irlandaise de son bras et dépose ses lèvres sur son front. Il répond d'une voix douce : - Si te plaît, ne change rien. Je t'interdis de changer. Je t'apprécie tel que tu es. Tu es merveilleuse, n'oublie jamais cela. Ses mains viennent encadrer le visage de la belle. Il poursuit en caressant ses cheveux : - Ecoute, Laoise. Moi aussi, j'ai des défauts que tu découvriras tôt ou tard. Il faut t'attendre à être déçue. Ainsi, va la vie. Je préfère que tu accepte ce que je suis réellement que l'image que je projette à l'extérieur. J'ai l'air d'être quelqu'un d'attentionné et de gentil. Mais je pourrais te blesser sans m'en rendre compte. Dans mon cœur, j'ai un côté sombre dont tu ignore. Une noirceur que je ne préfère pas réveiller. Les traits se durcissent et prennent un air grave pour montrer à quel point il est sérieux.