WITHOUT MUSIC,
LIFE WOULD BE A MISTAKE
W/ SANTIAGO, 6 JUIN (19H17)

La salle de musique. Cette pièce m’a toujours fascinée, j’ignore pourquoi. Peut-être parce qu’elle recèle d’instruments sur lesquels je n’ai aucune maîtrise. Je connais à peine quelques mélodies de base au piano – et quand je dis de base, je suis sérieuse, limite Frère Jacques, c’est mon succès le plus connu. Mais j’ai toujours aimé la musique, elle m’inspire, me charme, ma fait rêver. J’adore me réfugier derrière les oreillettes de mon iPod, et oublier l’univers qui m’entoure. C’est d’ailleurs ce que je suis venu faire, ce soir. Étendue sur le divan qui meuble la salle, mes pieds accotés contre le rebord surélevé de celui-ci, ils battent le rythme de la pièce d’Alfa Rococo qui joue dans mes oreilles, ce groupe québécois que j’adore. Je suis tellement obnubilé par la mélodie que j’en oublie même où je me trouve, et quelques mots, tout bas, filtre de ma bouche. Je chantonne doucement, lentement, suivant le fil de la chanson. En français, les amis. « Rendors-toi, c’n’est pas encore la fin monde. Pas encore la dernière seconde. Ce jour de pluie bientôt cessera. Rendors-toi. » La fatigue que je ressens depuis quelques jours semble se dissiper tant cette activité me repose. Je me sens bien, calme, détendue, ce qui n’a pas été le cas depuis un bon moment. Et franchement, je me suis loin de me douter que je ne suis plus seule. Je devrais peut-être m’en inquiéter, en fait. Mais je n’ai pas la tête à ça.

Je me sens libre. Et ce, depuis la fin du prime. Primo, je suis libéré de mon secret qui était plus que pesant à la longue, secondo, j’ai été sauvé par les téléspectateurs et je continue donc l’aventure avec ma véritable personnalité et tercio, je suis libéré de London. Un vrai soulagement. Une semaine attachée à elle a été une torture. J’ai conscience que cela aurait pu être pire mais vers la fin de la semaine je pensais réellement à l’enfermer dans le cachot. Mais ce n’est pas mon genre. Celui de l’ancien Santiago je dis pas mais moi non. Quoi qu’il en soit je suis de bonne humeur et j’ai envie d’en connaître encore d’avantage sur les candidats et sur le château. Par exemple : profiter des pièces où je n’ai jamais été. Genre la salle de musique. Je suis pas musicien mais j’aime la musique. La musique c’est la vie. Oh si, je sais jouer du ukulélé. Enfin un petit peu. Je suis pas non plus un ukuléliste réputé. D’ailleurs, je sais pas si la salle possède cet instrument. Ça serait vachement cool. En attendant, je perçois Anabel affalée sur le canapé. Elle semble avoir un coup de barre. Ah non, elle plane avec sa musique. Je me faufile alors discretos derrière le divan pour m’emparer délicatement de l’écouteur droit de la demoiselle et le mettre à mes oreilles. J’ai fait peur à la madame. Oups. Je ne reconnais même pas la musique. Tant pis. Je lui rends l’objet. « Désolé, je voulais pas te faire peur. T’écoutes quoi ? » La jeune femme va s’attraper un torticolis à force de pencher sa tête vers moi. Je préfère donc m’installer sur le rebord du canapé pas loin d’elle. Ça sera quand même plus pratique pour se parler. « On s’est jamais vraiment parlé. Qui est donc Anabel ? » Je crois qu’il est temps de faire la connaissance de la brune. Franchement, au bout de quatre semaines j’ai limite honte. Remarque, je ne connais pas tant que ça la vie des candidats au final.

Je suis tranquillement dans mon monde, avec la musique à fond les oreilles, lorsque tout à coup, je sens qu’on m’enlève l’un de mes écouteurs. Le droit, plus spécifiquement. Je détourne aussitôt la tête, surprise, dans cette direction et tombe face à face avec Santiago. Son oreille est branchée à mon iPod, et pendant un court instant, il se montre attentif à la piste musicale qui se fait entendre, mais il finit par me rendre ce qui m’est dû. « Désolé, je voulais pas te faire peur. T’écoutes quoi ? » Mon souffle s’est fait court, effectivement, le temps d’un court instant. Seulement, en découvrant l’identité du voleur, je me suis instantanément calmé, puisqu’à mes yeux, Santiago représente tout sauf une menace pour moi. « Tu m’as surprise, c’est tout. » lui dis-je, posant sur mes lèvres un sourire. « C’est un groupe québécois, Alfa Rococo. Un petit morceau de chez moi que je garde bien au chaud dans mon iPod. » Mon lecteur de musique recelait de plusieurs morceaux de mon Québec natal, ce qui était naturel puisque j’y avais passé presque toute ma vie, sauf ces deux derniers mois. Trois en fait, maintenant que j’y pensais, puisque nous étions rendus à la quatrième semaine de l’aventure. Alors qu’il contourne le sofa pour venir s’installer à l’une de ces extrémités, j’en profite pour me relever, ou du moins, pour adopter une position plus appropriée. Je m’accoude à l’autre rebord du divan, puis replie mes genoux près de moi. « On s’est jamais vraiment parlé. Qui est donc Anabel ? » Je souris. Tout de même ironique que ce soit lui qui me pose cette question. « Tu sais que je pourrais te retourner la question? Et encore plus aujourd’hui. » me contentais-je de lui répondre. « Faisons un marché. Une question chacun, à tour de rôle. Ça te dit? Tu commences. » C’était un moyen comme un autre de faire connaissance.

Mon intrusion dans le moment de tranquillité d’Anabel semble l’avoir perturbée. Elle a sursautée puis m’a dévisagé un instant avant de souffler un bon coup, surement rassurée. Je trouve ça étrange. Elle ne semble visiblement pas sereine au sein du jeu. Avec des tarés tel qu’Ezequiel, je comprends pourquoi. Je m’excuse aussitôt de lui avoir fait peur puis lui demande ce qu’elle est entrain d’écouter. Une musique d’un groupe Québécois qui m’ait inconnu. « Je connais pas mais ça a l’air pas mal. » Le groupe ne semble visiblement pas connu autre part qu’au Québec. Ou alors, j’en ai jamais entendu parler. En tout cas, j’ai tendance à apprécier les musiques locales et traditionnelles d’un pays. Je ne saurai expliquer pourquoi mais par exemple, j’adore les musiques typiques espagnoles. Je pourrai en écouter en boucle. Peut-être car ça me rappelle d’où je viens. De bons souvenirs en somme. Ça doit être pareil pour la québécoise j’imagine. D’ailleurs, je viens tout juste de capter son origine. J’avais remarqué son accent mais je n’y avais pas pour autant prêter attention. Je me dis donc qu’il serait temps de connaître la jeune femme, qui elle, semble vouloir en découvrir un peu plus sur moi également. Elle me propose un deal. Une question chacun son tour. « Entendu. » Je baisse la tête et prends un air sérieux pour réfléchir. Que lui demander. J’ai trop de choses à lui demander en fait. Peut-être qu’il vaudrait mieux commencer par des questions basiques. « T’exerces quoi comme profession ? » Je verrais bien la jeune femme en entreprise, genre secrétaire ou comptable. Mais j’imagine que la réalité est toute autre.

« Je connais pas mai ça a l’air pas mal. » Je souris. Sans avoir des goûts musicaux exceptionnels, je considère quand même avoir une certaine qualité quand vient le moment de sélectionner mes pistes favorites. « Si tu veux, je te ferai d’autres chansons d’eux. » Qu’il se fasse une bonne idée du groupe, qui est des plus qu’inconnus en territoire Européen. Et en parlant d’inconnu, d’ailleurs… si je croyais moindrement connaître le jeune homme qui me fait face, comme tous les autres en fait, voilà que je me retrouve désormais devant un homme dont je ne connais rien de plus que le prénom. Ce rôle qu’il a joué nous a embrouillé, et maintenant, il n’est pas évident de démêler le vrai du faux. C’est pour cette raison que je lui propose une solution toute simple. Histoire de faire plus ample connaissance. « Entendu. » Je souris, en entendant qu’il accepte de se prêter au jeu. « T’exerces quoi comme profession ? » Première question, relativement facile. Je n’ai aucun mal à parler de mon métier, qui est aussi l’une de mes plus grandes passions. « Je suis assistante sociale, de formation. Mais ce que je fais pour gagner ma vie ne se résume pas en ces deux mots. Quand j’étais adolescente, mes parents ont tout abandonné pour ouvrir un centre de répit, où ils accueillaient les déficients intellectuels, l’espace d’une journée ou deux, pour offrir un peu de liberté à leurs parents. Ils m’ont donnés envie d’aider les autres, et c’est là que j’ai eu la piqure du métier. » Je me souviens encore de ces beaux moments passés avec eux, et avec nos protégés. Ce sont parmi les plus beaux souvenirs que je retiens de cette époque. Le genre d’expérience formatrice qui change votre vie à jamais. « J’ai fais mes études dans le domaine, puis en faisant un stage, j’ai découvert un tout autre milieu de vie, celui des immigrants, des nouveaux arrivants au pays. J’ai décroché un boulot dans un organisme communautaire aidant à leur intégration, et la seule raison m’ayant fait quitter mon emploi – que j’adorais - est le fait que j’ai décidé de venir rejoindre ma cousine en Europe. » Il faut faire, dans les vies, des sacrifices quand on désire avancer, passer à autre chose. Je ne regrettais pas d’être venu m’installer en Europe, même si je pouvais passer difficilement à côté que mon pays, ma province, ma ville, ma famille me manquait. À mon tour, maintenant, de le questionner. « Lors de ta révélation, tu as parler d’une association pour les enfants malades. Qu’est-ce qui t’a pousser à t’impliquer auprès d’eux, pourquoi est-ce si important à tes yeux de gagner de l’argent pour eux ? » Ce côté humain du Santiago que j’avais sous les yeux m’intéressait plus que tout le reste, plus que sa carrière d’acteur ou du ressenti qu’il avait pu avoir à agir délibérément à l’inverse de ce qu’il était vraiment.