Anabel au confessionnal !

Swann, quel secret penses-tu avoir découvert ?

Si tôt ? Pourquoi organiser une confrontation si tôt après le prime, sérieusement. Cupidon n’est-il pas au courant que j’ai passé trois heures dans la salle des indices avant d’errer dans les couloirs comme une âme en peine, m’échouant près du pont avant de m’endormir lamentablement sur un canapé il y a à peine deux heures de ça ? Sadique, cet angelot n’est qu’un sadique qui désire m’éviter d’avoir les idées claires pour percer la demoiselle à jour. Je me lève en grognant, toujours vêtue de ma robe jaune canari si bien que l’on aurait pu imaginer que j’ai découché, traînant mes pieds nus jusqu’à la cabane en bois, mon traversin-bonhomme à la main. Un coussin sur lequel j’ai dessiné deux yeux et une bouche lors de ma première semaine ici, histoire d’offrir un ami à câliner à mon partenaire et d’éviter qu’il me pelote par la même occasion. Je me suis blottie contre lui dans le salon, refusant de dormir dans ce grand lit vide. Il me semble l’avoir évoqué devant Anabel lors de notre dernier échange, je pourrais donc faire les présentations même si je doute que rencontrer un traversin avec quelques marques de Velléda lui fasse beaucoup d’effet. Je me laisse retomber sur le fauteuil qui m’attend dans la pièce, fermant les paupières pour me reposer en attendant que la demoiselle fasse son entrée.

Je n’ai pas réussi à fermer l’œil de la nuit, si bien que lorsque Cupidon m’appelle, il y a déjà un bon moment que je suis habillée, coiffée, prête, à vrai dire. Comme si je m’y attendais. Ceci dit, c’était peut-être le cas : avec l’indice donnée au prime hier soir, peut-être que certains ont eu cette inspiration divine à mon sujet. Je quitte ma chambre, puis l’étage, et finalement le château, simplement vêtu d’une paire de jean foncé et d’un t-shirt jaune, et l’air frais du petit matin me fouette le visage, mais vous n’avez pas idée comme cela me fait un bien fou. Je m’enfonce dans le parc jusqu’à la cabane en bois, et ouvre la porte sur une Swann visiblement tout aussi fatiguée que moi, puisqu’elle sommeille sur le fauteuil. Je tousse discrètement pour la réveiller, alors que je m’installe en tailleur sur le sofa qui lui fait face, étouffant moi-même un bâillement. Franchement, je n’ai pas vraiment envie d’être là, mais puisque c’est elle, je vais quand même faire un effort. Je lui offris même un léger sourire, quand je constatais qu’elle avait retrouvée ces esprits. « Je t'écoute. »

Je sursaute légèrement lorsque la jeune femme fait son entrée, relevant ma tête hirsute en me frottant les yeux, esquissant un petit sourire d’excuse pour répondre au sien. Visiblement le prime a été éprouvant pour d’autres candidats, comme en témoigne son bâillement à peine voilé. Je m’empare alors de mon traversin maquillé pour le tendre devant moi, question de politesse de débuter de cette façon. « Je te présente Carotte. » Je continue de sourire avant de le ramener vers moi, l’enlaçant comme si je m’apprêtais à me rendormir. Mais à la place, je l’observe d’un œil soudain très vif, perçant. « Chère Anabel, je me demande si par hasard tu ne te serais pas retrouvée en prison à un moment de ta vie, ou en tout cas tu n'aurais pas été l'objet d'une condamnation. » Je commence cash, même si ce n’est pas l’intitulé exact du secret que je souhaite utiliser. Mais il faut bien le prendre par un bout, et mon idée implique peut-être une détention.

Elle semble désolée, lorsqu’elle me sourit, mais il n’y a rien de mal à ce qu’elle sommeille en attendant. Tant qu’à perdre de précieuses minutes, je préfère encore qu’elle en profite pour faire une petite sieste, jusqu’à ce que je vienne la rejoindre ici. En plus, difficile de résister à ses sofas, ils sont si confortables… Je me calle d’ailleurs dans le mien, lorsqu’elle me présente Carotte, le traversin maquillé dont elle m’avait mentionnée l’existence, lors de notre dernière rencontre. Le copain de Daphnis. Qui, je vous le rappelle, a quitté le château pas plus tard qu’hier. Je me demande si elle ne le traine pas avec elle en hommage à sa mémoire… ou tout simplement parce qu’elle s’ennuie. Ce n’est pas moi qui ferais ça si Andreas venait à sortir. Limite, je crois que je ferais une petite danse de la joie, tant j’en serai heureuse. Mais bref, là n’est pas le sujet de ma présence ici. J’écoute Swann alors qu’elle débute son interrogatoire – à voir le regard qu’elle me lance, c’est franchement l’impression que ça me donne. Je reste néanmoins calme, en entendant ce qu’elle avance, au contraire ce que j’avais visualisé, lors du prime. « J’ai déjà fait de la prison, oui. » lui affirmais-je, un léger sourire en coin. « Avec mes parents, après certaines manifestations qui ont mal tournés. Des nuits entières, coincés dans ces cellules bondées. Un calvaire. » Dès que j’avais eu seize ans, ils avaient commencés à me traîner avec eux, alors qu’ils allaient se joindre à des mouvements de protestations plus variés les uns que les autres. J'avais connu ma meilleure là-bas, d'ailleurs. Il faut croire que ça ne m'avait pas apporter que du mal. « Par contre, mon casier judiciaire est vierge, du moins, je n'ai aucune condamnation. J'ai bien quelques accusations, peut-être, et des amendes salés par moment, mais c’est tout. Et tout ça, gracieuseté de mes charmants parents. » J'esquissais un léger rire. Il y avait tout de même un moment que j'avais arrêtée d'aller dans les rues pour me faire entendre avec des centaines d'autres, et ces dettes étaient depuis longtemps effacés. Disons que mon entrée à l'université, à vingt-ans, avait ralenti mes ardeurs.

Je souris légèrement en écoutant son récit, resserrant mes bras autour de Monsieur Carotte. Je l’imagine parfaitement lancer des regards réprobateurs à ses parents pour l’avoir traînée avec eux, atterrissant dans une cellule réservée aux plus réticents. « Ah oui ? Quelle sorte de manifestations ? » Je demande curieuse en m’avançant vers elle, oubliant totalement que je suis en pleine confrontation. Cela dit je me reprends bien vite en me redressant, comme pour prendre l’avantage, réfléchissant à ce qu’elle vient de me dire. Un casier vierge, c’est dans mon idée aussi, par conséquent cette précision qu’elle a pris soin de faire me semble indiquer que je suis peut-être sur la bonne voie. Car je lui ai demandé si elle avait été déjà condamnée, pas si son casier est vierge actuellement, n’est-ce pas ? Ce sont deux choses tout à fait différentes lorsque l’on évite les associations trop faciles. « Tu n’en a plus, certes, mais en as-tu déjà eu une, exécutoire, qui aurait été effacée par la suite ? » Parce qu’il ne fait aucun doute qu’elle essaie de m’embrouiller là, ne répondant pas tout à fait à mes questions, les évitant par quelques habiles cabrioles.

Bien sûr, elle cherche à en savoir plus sur ces manifestations. Je ne peux que comprendre sa curiosité, ils le sont tous quand j’en parle. « Hum, souvent, c’est pour soutenir des organismes qui défendent les droits et libertés… la communauté LGBT, certains syndicats, la cause étudiante il y a quelques années, et au printemps… il y avait aussi Occupy Montreal et Wall Street, l’année dernière. » Des trucs pacifiques, d’ordinaire, mais rien ne pouvait prévoir les débordements. Une foule, ça restait imprévisible en toute circonstance. Je n’avais pas participée à toutes ces manifestations. « Je n’ai pas participé à tout ça, je t’assure… mais ça te donne une bonne idée de ce pourquoi on proteste. » Mon travail occupait beaucoup trop mon temps pour que je me le permette, de toute façon. Elle oriente alors le sujet sur vers d’autres informations que j’ai pu lui offrir, de par ses interrogations. Sa question me fait arquer un sourcil, je ne comprends pas vraiment où elle veut en venir. Je penche un moment la tête sur le côté, songeuse. J’essaie de me souvenir, mais franchement, je ne vois pas. Mon casier judiciaire a toujours été vierge, à mon souvenir. « Non, pas que je sache. » Je lui souris, presque désolé.

Des associations, voilà aux côtés de qui elle a milité pour mériter ses passages en cellule au commissariat. « Oh, c’est bien, vraiment. Tu as raison de faire entendre ta voix pour des choses aussi essentielles. » Les doits et les libertés, c’était des valeurs indispensables dans une vie. Des beaux concepts malheureusement non respectés dans de nombreux pays, souvent étouffés par des régimes totalitaires, des guerres. Et pourtant, ils devraient être inhérents à l’homme dès sa naissance, sans que l’on ne puisse y toucher. Les défendre, c’est courageux, et je la respecte pour ça. Je hoche la tête en écoutant la suite, légèrement déçue par sa dernière affirmation. En même temps, elle ne va pas me dire ‘oui oui’, ce n’est pas dans son intérêt. Je tente alors de lui expliquer plus précisément où je veux en venir, histoire qu’elle cerne mieux mon idée. « En fait j’ai pensé que tu pouvais avoir été la victime d’une erreur judiciaire. » Son indice ‘justice’ m’a mis la puce à l’oreille après avoir retenu le costume du bagnard attaché à son boulet. J’ignore si c’est celui qui correspond, mais pourquoi pas. On a déjà fait le candidat qui va en prison, il me semble donc que ce serait plus probable une personne qui soit passée derrière les barreaux sans le mériter, d’autant plus si c’est une femme.

Je ne m’attendais pas à ce qu’elle approuve mes actions, mais je suis contente de voir que certaines personnes respectent mes choix, mes actions, et les causes pour lesquels je me bas. C’est un peu ma fierté personnelle, d’agir de la sorte pour le bien des autres, pour offrir une meilleure qualité de vie aux générations futures, à mes futurs enfants, aussi. Mes parents m’ont inculqué cette valeur à peine était-je plus haute que trois pommes, et je compte faire de même avec les miens, les éduquer à se battre pour leurs idéaux et à défendre ce qu’ils croient être juste, car c’est important à mes yeux. « En fait j’ai pensé que tu pouvais avoir été la victime d’une erreur judiciaire. » « Une erreur judiciaire ? » De l'incompréhension se lisait sur mon visage. « Pourquoi ça? »

J’ignore si l’incompréhension sur son visage signifie ‘bravo ma petite, mais comment t’as deviné ?’ ou bien ‘oula quelle gourde, mais pourquoi cette idée ?’, et ça m’angoisse passablement. Mais après tout, c’est assez près de son indice du prime, aussi j’estime qu’être étonnée semble une réaction étrange. Oui c’est sûr, elle essaie de m’embrouiller ! Je fronce les sourcils, interrogeant brièvement monsieur Carotte pour sonder ses pensées, et il est indubitablement du même avis que moi. Bon sang, il faudrait que j’aille me coucher moi . . . « ‘Justice’ » Je répète machinalement. « A été directement associé au costume du bagnard dans mon esprit. Quelqu’un a sans doute fait de la prison, mais il fallait quelque chose d’original. » Je marque une pause, mes prunelles fixées dans les siennes pour capter toute réaction face à mes paroles, tout mouvement, tout frétillement de narine. « Aussi je me suis dit qu’une femme ça changerait. » J’ignorais à la base qu’il s’agissait d’Anabel bien entendu, mais avec cet indice lâché au prime, je m’étais lancée telle une fusée, peut-être sous le coup de l’émotion et des vapeurs de champagne, d’ailleurs. « Avec cet indice je me suis dit que ce devait être ça, que ça s’emboîtait plutôt bien. » C’était quelque peu logique quand on y pensait, non ? Après je ne saurais pas dire quand, combien de temps son calvaire avait duré, comment, mais peu importe. On ne m'en demandait pas autant, n'est-ce pas ?

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