Loxias

Où diable avais-je bien pu foutre ma veste en croco ? Hum oui parfaitement, en croco, et alors ? Tant que je ne croisais pas Tweedy, je pouvais peut-être rester en vie jusqu'à ce soir. Oui mais justement cette veste avait mystérieusement évaporée tout à l'heure, aux alentours de midi. Je l'ai posée sur une chaise, et puis cinq minutes plus tard pffou, disparue quoi. Un truc de fou. Oh mais j'y pense, peut-être que Tweedy était mêlée à tout ça ! Peut-être l'avait-elle vue, s'était étouffée avec son panini, avait versé quelques larmes pour le pauvre croco et l'avait foutue dans les chiottes. La veste hein, pas le croco. L'est mort de toute manière. Hm, c'était une hypothèse à ne pas écarter. Ou alors... quelqu'un s'en était saisie et l'avait rangée dans mon armoire. Ça aussi c'était possible. De toute manière ce genre de vestes, j'étais vraiment le seul à pouvoir en porter ici. Certes ça faisait très légèrement m'as-tu-vu mais bon, c'était aussi mon style. Je me rendis donc dans le dressing, me mis à fouiller dans mon armoire et oh, miracle, la veste était là, pendue à un cintre. Et bien l'affaire était résolue. Je m'apprêtai ainsi à quitter la pièce quand je tombai sur Loxias. Ce qui me fit penser que j'avais un truc à lui demander, au grand gaillard. « Oh, tu tombes bien toi ! Dis-moi, quelle est la façon la plus sure de commettre un meurtre en bonne et due forme, un truc propre et tout ? » Heu attendez, j'étais assez clair là quand je m'exprimais ? Bah, dans le doute, j'allais quand même reformuler mes propos hein. Ouais, vaut mieux car pour peu qu'il ne pige pas un mot de ce que je venais de lui dire... « En gros comment tu t'y prendrais toi pour tuer quelqu'un ? » Loxias faisait probablement les choses proprement et correctement, alors puisque je recherchais une manière de commettre un meurtre sans saloper tout le truc et laisser mes empreintes à tout va, je lui avais posé la question à lui. Remarquez j'aurais pu la poser au grand black, les meurtres c'était probablement son rayon, mais il aurait probablement changé de sujet pour me parler de foot. Non le grand bonhomme ferait parfaitement l'affaire. Ce que je prévoyais ? Rien. Rien dans ce château en tout cas.

Petit détour par la salle de bain, à la fraîche comme chaque matin depuis six semaines, simplement parce que je suis incapable de me lever à l’aube juste pour un peu d’eau chaude. C’est pas comme si c’était très important, l’eau chaude, j’en ai pas toujours eu au cours de mon existence, et ici, au moins, elle ne sent pas le fer et le croupi. Ça ressert les pores, parait-il, en plus. Ça n’apporte pas grand-chose à ma superficialité inexistante, mais il s’agit d’un argument comme un autre, après tout. Cette fois, j’ai pensé à prendre un jean, ce qui m’offrira le luxe de ne pas avoir à courir à moitié à poil jusqu’au dressing. Sauf que, en m’emparant de ma serviette, mon tee-shirt, en boule, à l’intérieur, atterrit sur le sol. Et si ce n’était pas dans une large flaque d’eau, ma journée ne serait pas parfaitement rayonnante et comblée, n’est-ce pas ? C’est donc après avoir étendu mon tee-shirt entre deux coins de placard, et enfilé un jean, que je me rends, à nouveau, dans le dressing. C’est pas que j’aime pas cette pièce, c’est juste que ça commence à me courir de devoir toujours m’y rendre dans l’urgence et à moitié à poil. Et comme d’habitude, je déboule torse nu, les cheveux trempés gouttant sur mes épaules, et la serviette qui se balade sur ma peau pour intercepter les dernières trainées d’eau savonneuses. Sauf qu’en poussant la porte, au lieu de tomber sur une catho hystérique qui balancera de l’eau bénite sur mon torse en hurlant pour le salut de ses yeux, je manque percuter mon teuton en veste croco. « Oh, tu tombes bien toi ! Dis-moi, quelle est la façon la plus sure de commettre un meurtre en bonne et due forme, un truc propre et tout ? » Heu deux secondes, monsieur… Elle est en croco ta veste ?! Wahhaaaa. Ma main s’avance pour en caresser la douce rugosité. « En gros comment tu t'y prendrais toi pour tuer quelqu'un ? » Bonne question, que je n’entends que d’une oreille distraite. « Le poison. Propre et pas forcément détectable si tu prends soin de faire ça bien. Dans le tabac d’une cigarette, par exemple, ou dans sa crème hydratante pour une femme… » Je réponds, machinalement, ma main caressant toujours son bras recouvert de reptile crevé. « Sinon y a l’option ‘attentat’, pas mal de dommages collatéraux, mais puisque personne ne peut trouver qui était la victime d’origine, pas de mobile, pas de suspect. Et pour peu qu’un groupe terroriste revendique l’attentat, t’es tranquille. » Je ne sais pas ce qui est le pire, la question de mon teuton ? ma réponse ? ou bien le simple fait que je formule une réponse ? « Tu veux tuer qui, Crocodile Dundee ? Florent Pagny ? » J’sais pas, des fois qu’ils aient un contentieux vestimentaire…

Spoiler:

Peut-être que j'avais des problèmes d'ordre psychologique en fin de compte. Bah je sais pas, ne venais-je pas juste de demander à Loxias comment commettre le meurtre parfait ? Mais il m'arrivait quoi à moi, pour que je demande une chose pareille au type qui avait sauvé mon doigt ? C'était même pas le fait de le demander à Loxias qui était choquant, c'était surtout le fait de le demander tout court, à lui ou à un autre. Non vraiment, j'allais très sérieusement penser à consulter au plus vite. Si le grand bonhomme portait un intérêt certain à ma veste en croco qui semblait réellement le fasciner, il prit tout de même la peine de me répondre et de me donner ainsi son avis personnel sur la question. « Le poison. Propre et pas forcément détectable si tu prends soin de faire ça bien. Dans le tabac d’une cigarette, par exemple, ou dans sa crème hydratante pour une femme… » Ah c'était pas mal ça, l'idée du poison. « Pas con ! Je vais tâcher de m'en souvenir. » Il n'y avait en effet pas moins détectable, surtout si comme moi on était vraiment perfectionniste et déterminé à ne laisser aucune trace, et puis c'était pas si difficile à trouver... en tout cas moi je pouvais aisément en dénicher. « Sinon y a l’option ‘attentat’, pas mal de dommages collatéraux, mais puisque personne ne peut trouver qui était la victime d’origine, pas de mobile, pas de suspect. Et pour peu qu’un groupe terroriste revendique l’attentat, t’es tranquille. » Ouarf ! J'étais pas Ben Laden moi, quand même. De plus je ne voulais pas tuer plusieurs personnes, juste une seule. Et puis j'avais aucune raison de mettre la vie de pauvres innocents en danger. Je pouvais me montrer parfaitement cruel parfois, mais là fallait pas pousser. « Dans le genre discret, quand même... » On pouvait carrément faire mieux. En gros si tu voulais te la péter et attirer l'attention du monde entier, y'avait pas mieux qu'un attentat. Sinon le poison, c'était peut-être la meilleure solution. « Tu veux tuer qui, Crocodile Dundee ? Florent Pagny ? » Alors heu, le premier ça ne risquait pas. Quand au deuxième, heu... je ne voyais absolument pas de qui il pouvait bien s'agir. C'était quoi, un président irlandais ? un bête de mode ? un célèbre criminel ? Non, vraiment, le nom de ce monsieur - car c'était un homme n'est-ce pas ? -, ne me disait absolument rien. C'était pourtant pas faute de chercher... « Florent quoi ? C'est qui ce mec ? Et surtout qu'est ce qui justifie le fait que tu le connaisses, et pas moi ? » Ouais je me posais de ces questions parfois. Si il le connaissait, bah c'était probablement parce qu'il n'était pas allemand lui. J'avais une excuse moi, eh ouais. Je pouvais me permettre de ne pas connaitre ces gens que tout le monde ici connaissait. Mais eux connaissaient-ils Nina Hagen, Sarah Connor et Joachim Witt, par exemple ? Non, bah voilà. Chacun son ignorance alors.

Mon idée d’homicide prémédité par poison semble lui convenir, puisqu’il s’exclame que ce n’est pas con -merci, mais ça, je le savais déjà- et qu’il va tâcher de s’en souvenir -c’est pas vraiment ce qu’il y a de plus difficile à retenir.- Bon, après, il existe plusieurs sortes de poison, et si je pouvais lui fournir une liste non exhaustive, j’aurais plutôt tendance à le diriger vers Nora ou Valentina pour ce genre de renseignements, elles seraient certainement plus informée des dernières avancées pharmaceutiques en matière de petits meurtres entre amis. Par contre, ma proposition d’attentat ne semble pas vraiment lui convenir, puisqu’il remet en question la discrétion de l’opération. Attendez, il n’a jamais été question de discrétion dans sa demande, simplement de crime parfait, et l’homicide camouflé en attentat en est un. Après, qu’il décide de tuer une ou dix personnes, l’acte est tout autant condamnable à mes yeux. Mais tant que ça reste dans le domaine de l’hypothétique, ça me convient. Et puis, brusquement, je prends conscience du caractère de sa question, alors que jusqu’à présent je n’ai fait qu’y répondre de manière automatique, mécanique, habituelle... Qui veut-il tuer, en fait ? A-t-il vraiment l’intention de tuer quelqu’un ? Viens-je de me porter complice d’un meurtre prémédité ? Je l’interroge sur la question en fournissant quelques victimes possibles, et non sans rapport avec la lourde veste qui squatte son buste. « Florent quoi ? C'est qui ce mec ? Et surtout qu'est ce qui justifie le fait que tu le connaisses, et pas moi ? » Ha bah oui... Parfois j’oublie que mon teuton est teuton, et que mes références tombent à plat en sa compagnie. « T’es teuton. » Je l’informe en haussant les épaules, histoire qu’il comprenne que puisque lui l’est et pas moi, y a des références que j’ai et pas lui... La réciproque est vraie, naturellement, mais peut être un peu moins sachant le temps que j’ai passé à Berlin, Dusseldorf, ou même Vienne. « C’est un chanteur français, mi-homme, mi-croco... » j’accède finalement à sa requête, sans trop savoir comment lui décrire Florent Pagny sans me mettre à chantonner une de ses merdes pseudo-pas commerciales mais définitivement commerciales. « Tu veux tuer qui, Buddy ? » J’insiste sans cesser de caresser son bras. Ouai, ok, ça peut porter à confusion, mais tout le monde aura compris que c’est le croco qui me fascine et non son bras en lui-même. « Parce que déjà que Tweedy a voulu m’entrainer dans le meurtre de Nateur, son amant, je commence sérieusement à me demander pourquoi moi ? Pourquoi vous n’allez pas voir Kirikou pour les questions de ce type ? » J’ai une gueule de tueur sanguinaire, ou quoi ? Ils n’ont toujours pas compris que j’étais l’exact opposé d’un tueur, tellement à l’opposé, en fait, que ça en devient un signe distinctif.

Ça parlait meurtre, poison, attentat et... Florent Pagny. Devais-je comprendre là que ce type avait donné dans le meurtre lui aussi ? Ah mais non c'était pas possible ça, puisqu'il avait également évoqué Crocodile Dundee et, de vous à moi, ce dernier n'avait rien d'un tueur en série. Ce film avait beau être sorti l'année de ma naissance, je l'avais vu et revu. C'est un peu comme Titanic, les plus jeunes ne l'ont pas vu au cinéma mais le dévorent encore et encore en DVD. Bah voilà, c'était pareil. Bref, quel rapport avec Florent Pagny et, surtout, qui était ce type ? « T’es teuton. » fit-il alors. Bah ouais, jusqu'à preuve du contraire je l'étais, ouais. Ah et donc c'était pour cela que je ne connaissais pas ce mec ? Voilà qui était rassurant. Ou pas. Mais bordel, il allait me dire de qui il s'agissait ? Oui oui, maintenant qu'il avait lâché le nom de ce type, je voulais en savoir plus moi. « C’est un chanteur français, mi-homme, mi-croco... » Okay, je venais de piger. D'où sa main posée sur mon bras et caressant ma veste en croco, sans doute. Mais alors là il m'épatait le Loxias. Comment il pouvait connaitre un type comme lui ? Il était pas français, quand même ! Oh et puis au pire, on s'en foutait. « Ah d'accord. Et donc, pour répondre à ta question, j'ai pas prévu de tuer Florent Pagny, non. » Déjà pour avoir envie de le tuer, il fallait le connaitre, et ça n'était le cas que depuis environ quinze secondes. Donc à priori j'avais rien contre ce type. Même si il semblait certain qu'il me faisait de la concurrence... nous donnions tous deux dans le croco, visiblement. Je pense que j'allais tout de même me renseigner sur le dénommé Pagny. « Tu veux tuer qui, Buddy ? » rétorqua-t-il ensuite, sa main toujours posée sur mon bras. Le temps de baisser un instant les yeux au sol, il reprit de plus belle. « Parce que déjà que Tweedy a voulu m’entrainer dans le meurtre de Nateur, son amant, je commence sérieusement à me demander pourquoi moi ? Pourquoi vous n’allez pas voir Kirikou pour les questions de ce type ? » Non, sans blague, Tweedy avait un amant au nom franchement dégueu. Je sais même pas pourquoi je lui en avais parlé à lui en plus. Il s'était juste trouvé au bon endroit et au bon moment. Voilà tout. « Pourquoi toi ? Bah, j'ai envie de te dire, pourquoi pas toi ? » Okay, ça voulait juste rien dire mais vous ne voyiez donc pas que j'essayais d'esquiver sa précédente question là ? Non sérieux, il m'avait demandé qui je comptais tuer mais je n'avais pas la moindre envie de balancer l'info comme ça, dans ce dressing tandis que les objectifs de vingtaines de caméras se voulaient braqués sur nous. Ce quelqu'un ne ratait probablement rien de mon aventure ici, alors j'allais peut-être me montrer prudent quand même. Faudrait pas qu'il se sente menacé non plus, sinon mon plan basé sur la discrétion du meurtre tombait juste à l'eau. Mais j'étais pas crédule non plus, hein, Loxias allait forcément revenir à la charge. Enfin, je supposais. Non, c'était quasi-certain en fait.

« Ah d'accord. Et donc, pour répondre à ta question, j'ai pas prévu de tuer Florent Pagny, non. » Voilà, il semble avoir compris de quoi je lui parlais, malgré ma description foireuse. Enfin, il ne visualise pas Florent Pagny puisqu’il ne le connaît pas, mais il décrète, à juste titre, qu’il s’en balance complètement. Et juge même nécessaire de préciser qu’il n’avait pas l’intention de le tuer. Non ? Sans déconner ? On ne pouvait pas envisager le meurtre d’une personne dont on n’apprenait l’existence qu’après avoir fomenté les derniers détails ? Limite, j’suis déçu, là. Ce qui m’entraine inexorablement vers une autre question, ou plutôt la même question que je répète inlassablement en boucle : qui veut-il tuer ? Sauf que, comme un con, j’enchaine avec une autre, qui lui laisse tout le loisir de ne pas répondre à la première. Je lui demande, ou plutôt JE me demande, pourquoi c’est toujours vers moi qu’on se tourne dès qu’il est question de meurtre, assassinat ou tout autre synonyme d’homicide, dans cette baraque. Déjà Tweedy, puis lui... Ezequiel ne serait pas plus indiqué dans ce genre de démarche ? A bien y réfléchir, pas vraiment. Je suppose qu’il aurait proposé la mort par suffocation, ce qui n’a rien de discret ni de parfait niveau crime. Avec des empreintes digitales tout autour du cou de la victime, on se fait rapidement coffrer, en fait. « Pourquoi toi ? Bah, j'ai envie de te dire, pourquoi pas toi ? » Sa réponse est moisie, mais je ne rate pas le rapide coup d’oeil qu’il jette en direction de la caméra. Il est sérieux, là ? « Heu... Parce que j’estime que d’ôter la vie d’une tiers personne est une décision qui ne devrait pas nous revenir, ni à toi, ni à moi, ni à aucun être de notre espèce... » Je rétorque en fourrant les mains dans mes poches de jean après avoir cessé de lui caresser le bras. « Donc je suis un peu contrindiqué pour ce genre de questions. » je conclue en contournant mon interlocuteur pour me diriger vers mon casier, là où j’étais censé me rendre avant tout ça. « Et, pour info, maintenant que tu viens de t’enthousiasmer pour mon idée de poison devant l’Irlande, la France et quelques autres pays limitrophes... » comme l’Allemagne, par exemple. « Je ne saurais trop de conseiller de tenir tes proches éloignés de tout empoisonnement accidentel, on aurait tôt fait de te rejeter la faute dessus, image à l’appui... » T’as compris mon Buddy ? Si quelqu’un de ta connaissance vient à crever par poison, ou même si quelqu’un de ta connaissance vient à crever tout court, c’est toi qui finira en garde-à-vue, à cause de cette jolie caméra que tu reluques en cet instant même... Tu lis dans mes pensées, là, Buddy ? Je lui jette un regard appuyé. « Alors, tu veux tuer qui, Buddy ? » Réponds n’importe quoi, ton lapin, Mickey Mouse, ta voisine bruyante, Tweedy la meurtrière de Nateur... N’importe quoi de suffisamment peu crédible pour faire passer tout ça pour une blague. Compris ?

L'affaire Florent Pagny était désormais classée. À présent, Loxias souhaitait connaitre l'identité de la personne que je prévoyais de tuer. Oui mais voilà, je n'eus le temps de la lui révéler - tant mieux d'ailleurs - car bientôt monsieur me questionna sur le fait que je lui eus demandé conseil à lui. Pourquoi lui et non un autre ? Et bien, pourquoi pas lui d'abord ? « Heu... Parce que j’estime que d’ôter la vie d’une tiers personne est une décision qui ne devrait pas nous revenir, ni à toi, ni à moi, ni à aucun être de notre espèce... » C'était quand même pas faux. J'avais peut-être pas le droit de tuer comme ça, par sang froid en fin de compte. Même si bon, néanmoins, le besoin s'en faisait grandement ressentir. « Donc je suis un peu contrindiqué pour ce genre de questions. » Ouais, quelque part je pouvais comprendre qu'il en vienne à décréter que ça n'était pas à lui que j'avais à demander des conseils de ce genre. Il se dirigea vers son casier, tandis que je restais muet quelques instants, avant de ne rétorquer « Et, pour info, maintenant que tu viens de t’enthousiasmer pour mon idée de poison devant l’Irlande, la France et quelques autres pays limitrophes... » Et là, j'eus comme une révélation. En fait j'étais con. Bah oui, clairement, car prévoir un meurtre en direct, devant des millions de téléspectateurs en oubliant carrément que tout ceci était enregistré n'était vraiment pas bien malin de ma part. « Gloups. » Là je réalisais seulement que ça ne rimait à rien cette histoire, et surtout qu'il me valait mieux éviter de parler de telles choses à la télévision. « Je ne saurais trop de conseiller de tenir tes proches éloignés de tout empoisonnement accidentel, on aurait tôt fait de te rejeter la faute dessus, image à l’appui... » Ces images... elles pourraient en effet causer ma perte si je venais à mettre mon plan à exécution . Ce que je devais faire, là maintenant, c'était éviter que cette histoire soit prise au sérieux, non ? « Alors, tu veux tuer qui, Buddy ? » fit-il tout en me lançant un regard insistant. Okay, donc là c'était le moment de détruire tout ça avec un truc pas plausible du coup. Bon, bah dans ce cas... « Zora l'explorateuse, c'est elle ma cible. Parce qu'elle nous prend pour des cons et parce qu'elle croit tout savoir, la p'tite catin. » Et son accent anglais était aussi pourri que le mien, alors voilà, j'avais comme de la concurrence. Okay, le message était passé ? T'es en danger Zora, ou Dora je m'en fous, mais t'es en danger fillette. Avouez qu'avec ça, on pourrait difficilement prendre mes précédents propos au sérieux. C'était aussi l'effet recherché, hein.

« Gloups. » Ha bah voilà, il a compris mon copain. De toute manière, je suis parvenu à suivre sa réflexion sur son visage. D’abord l’incompréhension «de quoi il me parle ce malade ?», puis la perplexité «mais attends, serait-ce possible que...?», brusquement, la compréhension «ach mein Gott !!!!! Z’est pas pozzibleuh !» suivie de près par la conclusion «je suis con, je suis con, putain je suis con !». Bon, moi je n’irais pas jusque là, puisqu’il est de connaissance publique qu’on fini par totalement occulter les caméras au bout d’un certain temps. Au contraire, ma conclusion à moi est sensiblement différente. A la lumière de ses différentes réactions, de la surprise à la consternation en réalisant son erreur, je comprends que tout ceci n’a rien d’hypothétique, qu’il est sérieux lorsqu’il me parle de tuer quelqu’un, tout autant qu’il l’est en constatant qu’il vient de se griller devant les caméras. Je l’aime bien, mon teuton, et j’ai du mal à accepter l’idée de m’être trompé à son sujet, au point de ne pas voir qu’il était de ceux qui ôte une vie humaine sans le moindre scrupule. Dans le doute, et parce que -comme je viens de le dire- je l’aime bien mon teuton, je décide de l’aider à sauver ses jolies miches en lui offrant une porte de sortie. Je lui demande à nouveau qu’il compte buter, en espérant qu’il comprendra que sa réponse se doit d’être ridicule à souhait afin de noyer le poisson. « Zora l'explorateuse, c'est elle ma cible. Parce qu'elle nous prend pour des cons et parce qu'elle croit tout savoir, la p'tite catin. » il répond dans la seconde, preuve qu’il n’est pas aussi con que les autres voudraient le laisser croire. « Zora...? » J’connais pas de Zora, à part Zora la rousse, mais elle n’a rien de... « Haaaaaa... Dora !! » je tilte finalement, avant d’éclater d’un rire franc, comme il est rare d’en entendre chez moi. Je la connais bien, elle. Lorsque je vivotais sur Paris, et que je commençais à travailler à l’aube, elle me tenait compagnie au petit déjeuner, et me pourrissait, de ce fait, tout le reste de ma journée. « Je suis d’accord avec toi ! Faut la buter ! Mais genre la buter d’une manière tellement cruelle que notre humeur en sera embellie à vie... Oublie le crime parfait, faut du sanglant ! » je l’informe en mettant, enfin, la main sur un tee-shirt potable, que j’inspecte pour m’assurer qu’il ne comporte aucun trou -comme c’est souvent le cas avec mes fringues-. « J’pense qu’on devrait inoculer la rage à un rat, et coincé le rat dans un seau qu’on attache au buste de Dora. Tu vois, genre le seau perpendiculaire à sa peau, de manière à ce que la seule sortie pour le rongeur, ce soit de gratter la peau du ventre de cette connasse. Et une fois que tout est bien hermétique, on fout le feu au seau... Le rat panique, il bouffe Dora par le bide. Et si elle crève pas de douleur, elle crèvera de la rage. » Tout en mettant mon crime au point, j’enfile le tee-shirt dont ma tête ressort passablement décoiffée. « Et pour son pote Diego, j’propose qu’on inocule la rage au putain de singe qui parle, et qu’on les fait avoir des relations sexuelles entre eux. Et Zou ! » Oui, en fait, j’ai pas l’air comme ça, mais j’suis cruel... Il me reste quelques reliquats, disons.

Fallait que je me démerde pour que les téléspectateurs ne prennent pas cette histoire de meurtre discret et efficace au sérieux. Comment ? Bah, tout simplement en sortant, je pense, un nom de victime improbable, pas crédible pour un franc. La seule idée que me vint à l'esprit fut Zora l'explorateuse. Qu'on ne présente plus, bien évidemment. « Zora...? » Bah oui, Zora quoi. Non, ne me dites quand même pas qu'il ne la connaissait pas, la petite Zora ! De gros yeux noisette, un carré brun tout moche, un t-shirt rose, un short orange, des chaussettes jaunes et des godasses blanches, sans oublier un sac à dos violet... elle était mythique la petite, enfin ! Rien que son style vestimentaire suffisait à sa célébrité, tant il était à chier. Avec Zora, c'est bien simple, on avait droit à un arc en ciel de couleurs. Cette petite ne savait pas s'habiller, voilà tout. Mais là, ça m'étonnait que Loxias ne reconnaisse pas la référence. « Haaaaaa... Dora !! » s'exclama-t-il enfin, avant de n'éclater de rire. Hein ? Do... ra ? Oups, la bourde venait de moi je crois bien. Oh le con, Zora... Dora... Mouais non, c'était pas franchement la même chose. Et de vous à moi, j'avais comme un petit doute quant au terme "explorateuse". C'était bien de notre langue ? Bah au pire je pouvais prétendre que toutes ces erreurs étaient dues à mes origines germaniques, hein. Ni vu ni connu. « Je suis d’accord avec toi ! Faut la buter ! Mais genre la buter d’une manière tellement cruelle que notre humeur en sera embellie à vie... Oublie le crime parfait, faut du sanglant ! » rétorqua-t-il tout en fouillant dans ses fringues. Un meurtre sanglant, ah mais j'étais carrément pour. Au diable la discrétion. « J’pense qu’on devrait inoculer la rage à un rat, et coincé le rat dans un seau qu’on attache au buste de Dora. Tu vois, genre le seau perpendiculaire à sa peau, de manière à ce que la seule sortie pour le rongeur, ce soit de gratter la peau du ventre de cette connasse. Et une fois que tout est bien hermétique, on fout le feu au seau... Le rat panique, il bouffe Dora par le bide. Et si elle crève pas de douleur, elle crèvera de la rage. » Oh mon dieu, qu'on enferme ce type. Son idée était... diaboliquement parfaite. Mais franchement, c'était quand même assez cruel pour la petite Dora. Oh et puis merde, elle l'avait bien mérité cette gourdasse. « Et pour son pote Diego, j’propose qu’on inocule la rage au putain de singe qui parle, et qu’on les fait avoir des relations sexuelles entre eux. Et Zou ! » Wow. Alors là, je ne m'attendais pas à ça venant de Loxias. Il m'étonnait le mec, sérieusement, avec ses idées de malade. N'empêche, elle allait morfler la petite Dora, moi je vous le dis. « Donc Tiago et Claquette auraient des relations sexuelles forcées... ah il me tarde de voir ça ! » Bah quoi ? Le singe il avait bien un nom de chaussure je crois, non ? Quand à Tiago, heu, j'avais peut-être mal entendu l'instant d'avant en fait. Pour moi ça avait toujours été Zora, son pote Tiago et son singe Claquette, donc bon. « T'habite où ? Parce qu'il va falloir organiser tout ça à notre sortie d'ici, hein. » Comme il semblait évident qu'un tel crime n'aurait jamais lieu - rappelez-vous, c'était une blague -, j'en profitais pour en apprendre un peu plus le concernant. Le mec il connaissait Florent Pagny, je voulais savoir d'où il venait !

« Donc Tiago et Claquette auraient des relations sexuelles forcées... ah il me tarde de voir ça ! » Hein ? De quoi il parle, là ? Je le contemple avec mon air bête, celui qui dit clairement “j’ai rien compris à ce que tu viens de dire et je le montre à la Terre entière avec cette gueule d’autiste subissant une paralysie faciale spontanée”. Tiago ?! Claquette ?! J’viens de lui parler de Diego et de... Oh !! Non, sans déconner ? Il est à ce point ? « Diego et... Babouche ?! » Non, mais je préfère vérifier, hein, parce que j’ai jamais rencontré quelqu’un qui oublie si rapidement un prénom qui vient tout juste d’être cité. Il paraît que je lui le roi dans ce domaine, mais si tel est le cas, alors Andreas vient de s’autoproclamer empereur ! Le Napoléon de l’amnésie ! La grande classe, quoi, comme toujours ! Du coup, j’en oublie de passer mes bras dans les manches de mon tee-shirt, et me retrouve, comme un gosse, avec mon vêtement en guise d’écharpe, tatouages apparents. « T'habite où ? Parce qu'il va falloir organiser tout ça à notre sortie d'ici, hein. » Loin de s'inquiéter de son état et de sa mémoire vive, il poursuit, sur sa lancée, tout tranquille. Je secoue la tête pour me remettre en état de marche, puis daigne enfin passer les bras dans mes manches, l’un après l’autre. « J’habite ici pour l’instant, et après... On verra. » je lui réponds, comme s’il n’y avait rien de plus normal. Il faut dire que j’ai l’impression que tout le monde sait, maintenant, que je suis SDF. Enfin, SDF au sens chic du terme, un genre de nomade qui vagabonde de ville en ville, de pays en pays. Du coup, j’ai pas de maison pour l’instant, pas d’autre “chez moi” que le nid où je me trouve en ce moment même. « Mais faut déjà la trouver, la Dora... Parce que c’est pas bien clair niveau géo-localisation de sa baraque, quand même... Faudra demander à Nora, elle est super balèze en géo-localisation, j’crois qu’elle a google earth dans sa tête... Et puis... Nora, Dora... Pour peu qu’elles soient frangines les deux, là... » Ouai, j’suis partit loin, là, très loin, mais finalement, et contre toute attente, ça se tient non ? Mon fil de pensées ma conduit à la certitude que Nora est la soeur de Dora... Et là, révélation : « Ca se buzz, ça, tu crois ? »