D'ordinaire je ne passais que très peu de temps dans le cellier, tout simplement parce que celui-ci regorgeait de tentations en tous genres. Sucreries, gâteaux, j'en passe et des meilleurs. Mais ma venue dans l'exiguë pièce ne concernait cette fois-ci pas une quelconque petite fringale de l'après-midi, non du tout. Je ne m'y rendais que dans l'unique but de rapporter en cuisine un pot de farine. Ouais ouais, rien que ça. Le parcours du combattant, hein, n'est-ce pas ? Oui mais voilà, tandis que je pénétrai dans la petite pièce, je surpris à l'intérieur de celle-ci Laoise, en possession d'une boite de gâteaux. Oh, de toute évidence je venais de la prendre en flagrant délit. Il fallait voir son regard, sa gestuelle... Elle avait honte ou bien ? « Bon, Andreas. » Aoutch, devais-je m'attendre ici à une révélation surprenante ? Vous savez, avec Laoise comme avec n'importe qui ici, je m'attendais absolument à tout. Bah, peut-être avait-elle décidé de me gifler maintenant, dans ce cellier, après avoir décrété que je ne méritais que ça. J'espérais quand même qu'il s'agissait d'autre chose, mais on était jamais sur de rien. Je l'écoutais alors avec attention, tandis qu'elle poursuivit bientôt. « Il faut que tu m'empêches de manger. » Quoi ? C'est tout ? Heu, je veux dire... pourquoi ? « Mais... t'es foutue comme une déesse ! » En d'autres termes elle n'avait aucune raison de se priver de quoi que ce soit. Comme de ces cookies qu'elle avait dans les mains, sur le moment. Non, je n'allais quand même pas... bah, d'un autre côté, elle me l'avait demandé comme un service à lui rendre. « Bien, tu l'auras voulu... » Je fis un pas ou deux en sa direction avant de ne me saisir de cette boite de gâteaux qu'il me fallait à tout prix l'empêcher d'entamer. Je gardai désormais celle-ci précieusement contre ma poitrine. Comprenez-moi, j'aurais été incapable de dire non à Laoise. C'était juste pas possible. « Et maintenant ? Je suis censé les manger un par un devant toi ? » Puisqu'elle semblait disposée à se torturer cet après-midi. Bah elle se privait de gâteaux alors qu'elle pouvait carrément se le permettre. Si c'était pas de la torture, franchement. Et que ce soit bien clair, s'il me fallait les grignoter, même devant elle, je le ferais. Ah vous pouviez compter sur moi.

Je voyais pas trop pourquoi Laoise se préoccupait à ce point de sa ligne - parce que c'était bien pour ça qu'elle se privait de ces gâteaux, non ? Hm, à croire qu'elle s'interdisait de prendre le moindre gramme. Elle voulait conserver une taille de guêpe pour plaire à quelqu'un, ou ?... Oh et puis merde, ça n'était pas mes oignons ça. Maintenant que je m'étais saisi de cette boite de cochonneries, je pouvais peut-être les manger une à une devant elle. C'était une idée qui lui parlait, ça ? « Non ! » Aoutch. J'avais dit quelque chose qui n'allait pas ? Ah... d'accord. Je venais de comprendre. En fait elle voulait que je lui dérobe ces cookies mais aucunement que j'en fasse mon quatre heures. Pourtant j'avais faim, je vous jure. Mais d'un autre côté, elle ne me le pardonnerait certainement jamais. Ce serait lui planter un couteau dans le dos, limite. « C'est justement pour éviter la torture que je compte sur toi pour m'empêcher de manger, alors je ne vais pas te regarder dévorer un par un ces délicieux cookies, ça serait de la folie. » Oui bon, c'était qu'une idée comme une autre, hein. Si vraiment elle ne désirait pas me voir les manger comme un goinfre devant elle, je n'en ferais rien. Mais la boite, oulala, elle était pas prête de la récupérer je peux vous le dire. « La folie, ma belle, c'est de t'en priver. Mais soit. » S'interdire quelques cookies avec le corps qu'elle avait, voilà ce que j’appelais de la torture. « Qu'est-ce que tu es venu faire dans le coin, toi, de toute façon ? » Ah, elle essayait de changer de sujet là. En fait elle voulait m'empêcher de dévorer ces fameux cookies devant elle, et figurez-vous que ça fonctionnait. Car je n'y pensais déjà plus, en l'occurrence, à ces gâteaux. « C'est quoi, un interrogatoire ? » rétorquais-je assez sèchement. Puis j'esquissais un fin sourire, comme pour lui faire comprendre que bien sur, je la taquinais. « Je plaisante. » Oh allez, avouez que vous étiez morts de rire ! Quoi non ? Pourtant j'étais vachement marrant comme type. Mais si, j'étais même hilarant. Un vrai comique. Ce que je faisais ici, donc ? Bah c'était tout con à vrai dire. « Je venais chercher un... pot de farine. En gros j'étais en mission, genre, secrète. C'est drôle quand on y pense... à chaque fois que t'es dans la parages, je me surprends à rendre service aux autres. » La dernière fois c'était dans la cuisine, et elle m'avait convaincu de l'aider à nettoyer celle-ci. Maintenant j'allais chercher de la farine jusque dans le cellier alors que celle-ci ne me servirait pas à moi mais aux quelques candidats actuellement en train de cuisiner dans la pièce d'à côté. D'où la constatation suivante. « Tu dois avoir une bonne influence sur moi. » Je sais pas si ça lui ferait plaisir d'entendre ça, mais bon au moins c'était dit. Peut-être qu'un changement était possible en fait. Allez savoir.

Priver Laoise de ces délicieux gâteaux était tout bonnement insensé à mes yeux, tout simplement parce que ça ne seraient pas quelques cookies qui lui feraient perdre sa taille de guêpe. Tout cela relevait de la folie à mon humble avis. « Tu diras moins ça quand j'aurais pris dix kilos par dessus les deux kilos que j'ai déjà pris. Là, après, tu me regarderas de haut en disant « ma grosse, t'avais qu'à arrêter de bouffer » donc... » Mais enfin, pour qui me prenait-elle ? Genre j'allais lui dire qu'elle était grosse, qu'elle n'avait qu'à arrêter de s'empiffrer... même si je n'étais pas d'un tact légendaire, fallait quand même pas pousser. De là à me faire passer pour un monstre, hein, on en était quand même pas loin. « Quoi ?! T'as pris deux kilos ? Mais tu les as foutus où ? Non parce que je t'assure qu'ils ne se voient pas. » Franchement elle était toujours aussi mince et élancée - pas le moindre petit bourrelet même infime à l'horizon. Elle pouvait vraiment se lâcher sur les cookies, non mais sans rire. Suite à ça je supposai qu'en fin de compte Laoise devait avoir une bonne influence sur moi. Sa réaction ne se fit, suite à ça, pas attendre. « Ah non. Non, non, non. » Non à quoi ? Difficile à dire sur l'instant, mais elle semblait catégorique. « Je ne veux pas avoir ce poids sur les épaules, je ne fais rien du tout. » Quel poids sur les épaules ? Non mais là, limite, j'avais l'impression d'être un fardeau. Heureusement qu'elle poursuivit très vite, hein. « T'imagines, tes fans vont me détester si elles savent que j'ai une bonne influence, je suis sûre qu'elles te préfèrent toutes en bad boy. Donc, non, j'y suis pour rien. C'est quelqu'un d'autre qui a une bonne influence, pas moi. J'ai une influence horrible, absolument affreuse, je fais ressortir ton mauvais côté, tu n'as jamais été aussi méchant que depuis que tu me connais, tout ça... » Heu elle en faisait pas un peu trop là ? Bah, on allait mettre ça sur le compte d'un humour bien à elle. « Si tu n'as de bonne influence sur moi alors... c'est que je dois avoir un cœur. » rétorquais-je en faisant ainsi écho à notre toute première conversation, dans la cuisine, au tout début de l'aventure. Sans doute que cela lui rappellerait certains souvenirs...

Comme si j'allais regarder Laoise de haut, genre médisant, pour la traiter de grosse vache ou de je ne sais quoi d'autre. De la grosse vache elle n'avait pour le moment rien. Et ça n'était pas prêt de changer si vous voulez mon avis. Car elle avait beau affirmer qu'elle avait pris deux kilos, moi je n'en voyais pas la couleur. Y'avait même aucun changement avec la Laoise du tout début, longiligne, filiforme, athlétique. « C'est que tu n'as pas l'œil pour bien regarder, alors. Parce que je t'assure que je commence un peu à enfler, au niveau du ventre. Et ça ne m'étonnerait pas que j'en ai pris un peu au niveau de fesses. » Attendez, elle n'était quand même pas sérieuse ? Avec ses cannes de serin, qu'est ce qu'elle craignait franchement ? « Tu sais que je vais finir par croire que t'es une ancienne anorexique, hein. Y'a qu'elles pour se préoccuper à se point de leur poids, du moindre gramme qu'elles pourraient prendre. Ou alors t'as fait de la danse classique... » Qu'elle ouvre un peu les yeux bordel, elle était sublime de la tête aux pieds. Chez Laoise c'est bien simple, il n'y avait rien à jeter. Elle était même probablement l'une des mieux foutues de tout le château. Et c'était pas chose facile car y'avait quelques canons en ces lieux. Pas des masses, mais de tout même. Mais face aux autres candidates, Laoise faisait véritablement office de bombe atomique. D'ailleurs rien qu'à la regarder, j'en avais des crampes sous la ceinture. Ouais je sais, c'était pas joli à dire, mais c'était si vrai... « Enfin, bref, j'ai grossi, c'est inévitable donc, je dois arrêter de manger des gâteaux. Ou alors, je vais devoir faire du sport... C'est ce que je devrais faire, en fait, ça occuperait mes journées. » Mouais, au pire pour se muscler un peu, mais certainement pas pour bruler de la graisse, car chez elle il n'y en avait pas un pet. « On en fera ensemble si tu veux. » C'était une proposition comme une autre, hein. Car après tout le sport c'était un peu mon passe-temps favori quoi. Parallèlement à ça nous parlions de cette bonne influence que, de toute évidence, Laoise n'exerçait pas sur moi. Elle se refusait à approuver mes propos, prétextant ne pas vouloir un tel poids sur ses épaules. Et bien il fallait croire que, contre toute attente, j'avais un cœur alors. « Tu en doutais encore ? » Hum, disons surtout que les propos de certains ne m’encourageaient pas à le croire. Pour beaucoup ici j'étais une sorte de monstre sans cœur. « Tu sais, Andreas, ton narcissisme est déjà une sorte d'amour. Certes, c'est un amour peu banal puisque l'amour est plus couramment un sentiment partagé entre deux personnes mais peu importe, le fait est que pour t'aimer toi-même, tu as besoin d'un cœur. » Ouais, c'est ce que j'avais fini par me dire suite à notre discussion dans la cuisine, la deuxième semaine. Seulement difficile de l'admettre réellement. Tout de suite ça passait mieux car venant de Laoise. Elle était la voix de la sagesse à mes yeux. Si j'étais potentiellement en train de changer, c'était grâce à elle, même si elle se refusait de jouer quelque rôle que ce soit dans ce changement. « Vu comme ça c'est sur, j'ai un cœur. » Mais nous parlions trop de moi là. J'esquissais un sourire, avant de poursuivre. « Y'a un sujet qu'on a jamais abordés, toi et moi. Tu... recherches quel type d'homme ? » Je trouvais logique de le lui demander, car Tweedy avait elle aussi eu droit à cette question il y a peu. Étant donné qu'elles étaient de loin celles qui comptaient le plus à mes yeux ici, je m'intéressais à leurs préférences, à leurs espérances et à leurs exigences... Car ôtez-moi d'un doute, Laoise n'était pas seulement là pour défendre son secret, si ? Non, tout de même pas. Elle cherchait bien l'amour, comme nous... heu... eux tous, hein ?

Soi-disant qu'elle avait déjà pris deux kilos. Ouais bah qu'on me les montre, hein, car pour le moment je n'en voyais pas la couleur, moi. De là à ce que Laoise ait donné dans l'anorexie ou ait été ballerine autrefois, on en était pas loin tout de même. Il fallait la voir s'offusquer pour le moindre bourrelet que ces cookies pourraient lui faire prendre. « Ou bien, j'ai juste eu des parents qui m'ont toujours poussée à montrer le meilleur de moi-même. Les apparences, par chez moi, c'est important. » Ouais, je voyais le genre de famille vachement relou qui mettait la pression pour que tout soit parfait, tout le temps. Ah je la plaignais. Heureusement que je ne connaissais pas ça, moi. D'un autre côté ça ne risquait pas, vu que mes parents n'avaient jamais considéré mon existence. Ou juste pour me demander d'aller chercher du pain ou de sortir la poubelle. Bref. Avec tout ça, Laoise évoqua le fait de faire un peu de sport, et je me proposai alors d'en faire avec elle. « Espèce de bourreau. Avoue que tu proposes ça juste pour avoir le plaisir de me torturer. » Je soupirai. Alors là, elle avait vraiment tout faux pour le coup. Loin de moi l'envie de la soumettre à quelque torture que ce soit - si ça avait été le cas, je l'aurais laissé manger ses cookies histoire qu'elle prenne trois tonnes, et hop, on en parlait plus. « Non. C'était pour passer un moment rien qu'avec toi, en toute complicité. Mais c'est pas grave, oublie. » Moi, déçu ? Non non du tout. J'en avais juste un peu ras-le-bol que Laoise ne voit pas que je faisais tout pour recoller les morceaux entre nous. Ou alors c'était une fois encore une certaine forme d'humour, et alors dans ce cas je ne l'avais pas saisie. Le sport, donc, c'était mort. Bon et bien elle n'avait qu'à me parler de son type d'homme, tenez. Ça aussi ça m'intéressait, d'une certaine manière. « Je ne sais pas. Je ne suis pas à la recherche d'un homme si ça signifie des mensonges, des petits jeux à la con, si ça signifie rien, si ce n'est que pour les apparences alors, je préfère encore être seule. Oui, mieux vaut que je reste seule, je n'ai pas envie d'une nouvelle relation basée sur le mensonge. » Eh bah... fallait croire qu'elle avait gravement morflé en amour, la demoiselle. Sans doute que quelques hommes l'avaient déçue, sans doute aujourd'hui préférait-elle être seule que mal accompagnée. Mais quelque chose me fit soudainement tilter. Elle disait ne pas vouloir d'un homme si c'était pour que cela ne signifie rien. De quoi me faire instantanément axer le sujet sur un point qu'il me fallait comme... éclaircir. « Dis, t'es pas du genre à vouloir un homme pour la vie toi ? » Avec qui elle se marierait, aurait des gosses et resterait jusqu'à la fin de ses jours. Ouais je la voyais bien espérer ce genre de choses, un peu comme la Tweedy. Elles étaient aussi naïves l'une que l'autre de toute manière. Le plus désolant chez Laoise, c'est que la princesse se refusait de s'amuser, ici comme dehors visiblement. Pourtant à son âge, c'était ce qu'elle devait faire histoire d'en profiter un maximum. Et par là elle n'avait pas forcément besoin de faire la fille facile et de coucher à droite à gauche. Y'avait une marge entre les deux. Pour moi, sa vie était d'un ennui mortel. J'aurais pas pu vivre comme elle sans terminer par me tailler les veines.