La routine ça me saoule, vous n'avez pas idée, l'ennui mortel aussi ça m'emmerde. J'sais pas pourquoi mais ce jour est particulièrement long, nul et long. Je l'ai déjà dit et alors ? J'sais pas trop quoi faire, tout le monde semble occupé en plus, à croire que j'suis le seul à m'emmerder comme un rat mort. Du coup j'ai décidé d'un truc, j'ai envie de m'occuper, de faire de la photo, une vraie séance s'entend. Je n'ai aucun matériel, hormis mon appareil à vrai dire, mais ce n'est pas ça qui va m'arrêter. On est pro où on ne l'est pas, et en l'occurrence moi je le suis. Alors, tout d'abord, j'attrape un morceau de carton dans lequel on avait reçu les accessoires pour la soirée et j'y griffonne quelques mots. J'ai bien l'intention de prendre possession du dressing et je n'ai aucune envie qu'on me dérange pendant que je détourne cette pièce. J'vais accrocher ma pancarte fermée pour cause de grand ménage, zone radioactive, grand danger. J'espère juste ne pas attiré les grand maniaque, bref. J'referme la porte parce que mine de rien, j'ai du boulot. La pièce n'étant pas nickel, j'dois ramasser tout ce qui traîne habituellement là dedans. Je mets tout ça dans un coin, parallèlement, j'ai récupéré un drap dans l'un des lits inoccupé et que j'ai étendu comme je peux devant les placards des candidats. J'ai déplacé la méridienne et le paravent pour créer une certaine ambiance. J'ai ensuite déplacé des lampes desquelles je n'ai pas hésité à retirer les abats-jours afin de les poser à même le sol de sorte à envoyer la lumière contre le draps. Après plus d'une heure de préparation, j'pense que tout est enfin prêt. En plus, personne n'est venu me faire chier, l'idéal. J'espère juste que ça va durer. Il me manque plus que mon appareil, grand dieu, il est dans ma table de chevet, à l'abris. Alors j'vais le chercher, mais le plus important, c'est le modèle. J'ai bien une idée derrière la tête, mais pas sûre que la personne ne question soit décidée. On verra bien. J'sors, et là, miracle, ma cible passe dans le couloir. « Hé Irène ! » Je l'interpelle, tandis que j'ai mon appareil photo dans la main, j'referme la porte du dressing le temps qu'elle ne daigne se retourner. « Tu veux bien être ma muse ? » Sourire colgate, elle ne va pas pouvoir refuser n'est-ce pas ?

Aujourd’hui était un jour particulier. Enfin non, enfin si, enfin… c’était mon premier jour en tant que transsexuelle dévoilée et assumée quoi. N’en déplaise à un Andreas, ou à un je-ne-sais-qui, ou à encore un téléspectateur anonyme : j’étais fière de ce que je suis, point à la ligne. Cette révélation ne m’a nullement changé. Je restais fidèle à moi-même tant au niveau caractère, que comportemental, et sur le plan habillement. Quoique, niveau comportemental, je tendais à moins faire ma salope, sans pour autant devenir une bonne sœur tout en discrétion. Enfin, je tendais à montrer à certaines personnes, la personne intelligente que je suis réellement. Je crois aisément qu’ils ont tous compris que cette blonde écervelée n’est qu’un jeu, mais qui partit de moi et dont j’ai du mal à me séparer parfois. Cette après-midi, j’arpentais les couloirs du château, dans le but de rejoindre la salle de musique. J’avais entendu dire qu’elle était libre et donc par conséquent, qu’elle ne le serait plus pour longtemps : je comptais m’y enfermer toute la journée. Sauf que, lorsque j’eus presque atteint la moitié du couloir, une voix masculine m’interpela. «Hé Irène ! » Je m’arrêtais de marcher, tournant en même temps ma tête vers le propriétaire de cette voix, à savoir Slavin. J’arquais un sourcil, dans le genre d’un ‘qu’est-ce que tu me veux ?’ silencieux. C’est vrai, qu’est-ce qu’il me voulait celui-là ? Il n’était du genre à m’adresser la parole normalement… « Tu veux bien être ma muse ? » Mes yeux s’arrondirent, pour finir dans une expression… d’incompréhension ? Je vis l’appareil photo dans ses mains et tout devint nettement plus clair. Ah ça, pour être plus clair. Je plissais les yeux quelques secondes, avant qu’un rictus ne s’installe sur mon visage. « Tu te fous de ma gueule ? » Lui lâchais-je, catégorique. Non parce que s’était tout de même géant quoi. Un coup il refuse de faire de simples photos en me demandant d’aller me faire foutre et comme par hasard, au lendemain de la révélation de mon secret, il me demande d’être carrément sa ‘muse’. Je supposais bien que ça avait un lien tout de même. « Pourquoi tu veux bien de moi maintenant ? » Lui demandais-je tout aussi catégoriquement. J’en voulais avoir le cœur net.

Pourquoi j'sens que je la fais chier quand j'appelle Irène ? Sans doute parce que j'suis pas du genre à l'appeler, que tout le monde lui en fout plein la gueule en ce moment ? Ouais sûrement. Quoi qu'il en soit, elle s'arrête. C'est déjà ça, ouais, elle aurait pu se tirer et tourner les talons. Et au pire, moi j'aurais trouvé un autre modèle, moins frivole et plus silencieux à vrai dire, m'enfin. J'aime bien les défis, alors il faut croire que j'ai envie qu'elle réponde par la positive. Bon avant, elle me demande si je me fous de sa tronche, c'est légitime vu la manière dont j'étais parti la première fois qu'elle m'avait demandé de la photographier. Ouais sauf que là, c'est moi qui décide et ça aide on va dire. « J'en ai fait trop avec le mot muse peut être ? » Ouais sans doute, faut pas exagérer, modèle exceptionnel d'accord, muse, faut pas abuser. Elle demande pourquoi j'ai changé, d'avis, bah oui tiens pourquoi ? Non, mais elle ne croit tout de même pas que j'vais lui dire la vérité si ? « Parce que je m'ennuyais et que tu voulais des photos. » Ouais, c'est pas totalement un mensonge en plus, alors faut pas qu'elle se plaigne non ? Je la détaille légèrement afin d'observer ses vêtements, ses cheveux, mouais, j'ai déjà vu mieux, mais j'ai tellement vu pire que... Bref. « Bon tu rentres ? J'vais pas pouvoir réquisitionner le dressing pendant un mois. » Je lance légèrement impatient, ouais, j'ai envie de tâter du déclencheur moi, ça me démange, j'ai les doigts en ébullition, alors dépêche toi. Bon d'ailleurs j'espère que si elle refuse, elle pourra toujours se brosser non ? Mais alors carrément, parce que j'suis pas du genre à aller faire du démarchage. J'ai toujours de quoi faire, enfin là c'est vrai que c'est restreint, mais bon, j'pourrais toujours trouver, alors si elle ne veut pas, tant pis pour elle vraiment. Faut pas se sentir obligé.

Qu’est-ce qui était plus insupportable que de voir des gens retourner leur veste ? Une excellente question, auquel je n’avais sûrement pas réponse, puisque cela m’énervait au plus au point. Voir certains candidats m’admirer : j’en retenais une certaine satisfaction, alors que ça m’énervait au plus haut point. Slavin faisait partie de ces personnes à mes yeux. En me demandant d’être sa muse, il me montrait très explicitement ce changement de vision qu’on eut les gens avec l’annonce de mon secret ; changement exécrable. « J'en ai fait trop avec le mot muse peut être ? » Un sourire hypocrite tendit mes lèvres. Non, sérieusement ? Dans un sens, je préférais même qu’il me demande d’aller me faire foutre que de devenir sa muse, comme il le disait si bien. Je fis une grimace, en secouant vivement ma tête de haut en bas. « Peut-être, ouai ! » Exactement, mais qu’il me le demande ainsi ou d’une autre manière, le résultat aurait été pareil : sur le moment, je ne souhaitais plus poser pour lui. Ouai parce que d’ailleurs, aurait-il le cran de me dire que cela avait rapport avec mon changement de sexe ? « Parce que je m'ennuyais et que tu voulais des photos. » C’est marrant comme j’avais l’impression qu’il se foutait de nouveau de ma gueule. Non, mais, sérieusement, hein, quoi. Il croyait que sauterais en l’air, toute guillerette et, toute heureuse aussi qu’il m’ait choisi comme muse. Ou plutôt qu’il daignait enfin me prendre en photo. Je croisais les bras, toujours aussi incrédule. « Tu t’ennuyais, vraiment ? » Lui demandais-je, sans pour autant ajouter autre chose. Non, parce que je ne comptais pas lui taper la discute pendant cent sept ans. D’ailleurs, je me serais bien retourner pour bouger mon cul de là, mais il m’en empêcha. Oui, carrément. « Bon tu rentres ? J'vais pas pouvoir réquisitionner le dressing pendant un mois. » Si j’avais vraiment voulu faire ma chiante, je l’aurais mitraillé d’une centaine de nouvelles questions avant de lui faire comprendre que je ne voulais pas de ses photos, pourtant, il remarquera que je ne tentais pas de scandale. Non, je passais devant lui pour entrer dans le dressing, regardant par la même occasion la pièce transformée en un studio photo, carrément. Pendant un moment, je restais comme bloqué devant celui-ci. Quand j’entendis la porte se refermer derrière moi, je me tournais pour faire face à lui. « Maintenant que je suis rentrée, dis-moi la vérité. Tu veux me prendre en photo par rapport à mon secret ? » Lui demandais-je, impassiblement.

Avec son sourire qui m'énerve grandement, Irène me confirme que j'suis allé trop loin dans l'exagération. Comme si je voulais en faire ma muse de toute façon, elle aurait été un peu stupide de me croire. D'ailleurs, preuve qu'elle l'était moins que je ne le pensais puisqu'elle n'était pas dupe, bon point pour toi très chère. Mais ça j'vais bien me retenir de le lui signaler, j'veux bien être gentil mais y'a des limites quand même. J'hausse les épaules, genre, ouais bah je m'en fiche un peu, mais bon c'est pas grave. Au moins j'ai son attention, sauf qu'elle se laisse désirer. Alors j'commence à perdre patience. D'ailleurs, c'est fou comme parfois on peut être patient, et d'autres fois nettement moins. J'trouve ça bizarre. Bref, c'est pas la question à vrai dire. Mais en plus elle insiste. « Oui, je m'ennuyais vraiment, je me serais pas emmerdé à construire un studio de fortune sinon. » Bah ouais, ça me semble logique non ? Alors je soupire et la presse de rentrer. Ce qu'elle fini par faire. Alléluia, je finis par lever les yeux au ciel, il était temps. C'est marrant d'ailleurs, elle semble impressionnée. Enfin j'sais pas trop qu'il en soit, elle ne dit rien, je referme la porte et je vérifie si la moquette n'a pas cramé, ce serait con. Non ça va. Je me relève et prends la place. Mais finalement, elle ouvre la bouche. Bon sang, elle n'arrêtera jamais. « Non, j'ai envie de te prendre en photo parce que je m'emmerde. Et si je t'ai demandé à toi, c'est que je te trouve moins conne qu'avant. Et sans doute que ton secret y est pour quelque chose. Néanmoins, si t'attends que je te dise que je t'admire, tu peux te brosser. Parce que ce n'est pas le cas ! » Mon ton était largement plus agressif parce qu'elle me saoulait, mais au moins, elle ne pouvait pas me reprocher mon manque d'honnêteté. Parce que ce n'était clairement pas le cas. Après qu'elle me croit ou non ce n'était pas mon problème. « Bon maintenant, si t'as pas envie de les faire ces photos dit le moi, j'ai pas que ça à foutre. » Enfin si j'ai que ça à foutre techniquement, mais on m'a compris non ? Oui ? Tant pis. Je soupire.

Oui bon il s’emmerdait, ça j’avais bien compris et je n’attendais pas de réponse de sa part. Dans un sens, ça tombait bien puisque je m’emmerdais un peu légèrement aussi. Du coup je décidais de bouger tout de même mon cul. Ca va, je n’avais pas été si chiante que ça et je n’avais pas opposé tant de résistance. Qu’est-ce que ça serait si je lui avais tout de suite dit oui : il faut savoir lui dire non un petit peu, pour l’habituer. Ah bah oui… bon bref, j’entrais et vis le dressing complètement modifié. Relooké quoi. C’est la première fois que je voyais un studio photo en vrai, bien que celui n’en soit pas un réellement. « Non, j'ai envie de te prendre en photo parce que je m'emmerde. Et si je t'ai demandé à toi, c'est que je te trouve moins conne qu'avant. Et sans doute que ton secret y est pour quelque chose. Néanmoins, si t'attends que je te dise que je t'admire, tu peux te brosser. Parce que ce n'est pas le cas ! » Un large sourire se dessina sur mes lèvres. Non cette fois il était réellement sincère. J’étais contente de l’entendre dire ça. Je ne supporterais pas d’entendre quelqu’un me dire qu’il m’admire, parce qu’à mes yeux je ne devais et ne voulais pas inspirer ce genre de « sentiment » aux autres. Je trouvais quand même de quoi froncer les sourcils, plaçant mes poings sur mes hanches. « Ca ne me plais pas de voir que tu me trouves moins conne… parce que je le suis toujours autant… » Non, je fais toujours autant semblant de l’être, même si tout le monde a eut la confirmation que j’avais été un petit intello avant et que ma première année à Science Po, je ne l’avais pas volé. « Par contre Dieu sait que tu m’fais plaisir en ne m’admirant pas. Y’a vraiment pas de quoi ! » Lui déclarais-je, en rigolant, mais en le pensant très sincèrement. Autant inspirer le dégoût ne m’allait pas du tout, autant cause de l’admiration me faisait sérieusement chier. « Bon maintenant, si t'as pas envie de les faire ces photos dit le moi, j'ai pas que ça à foutre. » Un sourire railleur demeura au coin de mes lèvres, tandis que j’enlevais le boléro que je portais pour dévoiler mes bras. Je relevais un sourcil, quitte à le faire chier, autant le faire jusqu’au bout. Après, promit, j’arrête… « Non c’est bon je suis à toi, en même temps tu ne trouveras pas meilleure modèle ici ! » Tout de suite après, je lui adressais un grand sourire. Oui, le colgate comme lui, comme ça il ne pourra pas m’engueuler.