Depuis le prime, j'ai une idée en tête, un truc que j'dois faire, parce que c'est la moindre des choses. Parce que n'importe quel être civilisé ayant reçu un minimum d'éducation l'aurait sans doute fait. Alors forcément, j'dois y aller, prendre mon courage à deux mains et ravaler ma fierté. Mon orgueil qui m'a rendu aveugle et foncièrement con depuis plusieurs semaines. A tord visiblement. J'dois remercier Loxias, mais en même temps je me vois mal aller à sa rencontre, et lui dire, "salut mec, merci pour la place en demi-finale, oh et désolée pour Val et Sive. On s'voit plus tard. " C'est clairement pas faisable surtout qu'il est mal, j'peux pas aller lui cracher ma joie à la gueule comme ça, injustement. Lui rappeler qu'en me sauvant, c'est Valentina et Sive qui sont parties. Indirectement certes, mais le problème restera le même. Et puis, on est pas vraiment proche, je me suis arrêté à ce que mon entêtement à bien voulu discerner. Dans ma tête, il ne peut pas me blairer. Alors forcément, j'crois que si c'était à ce point le cas, il aurait sauvé Marcus, juste pour m'emmerder. Mais non. Alors, je me dis que j'dois faire un truc. Pas simplement un remerciement, non j'dois m'excuser, le remercier et prouver que ça m'a touché et que je me suis trompé. J'sais pas trop ce qui me passe par la tête à ce moment là, mais j'trouve rien de mieux à faire que réclamer le nécessaire de tricot. Oui oui mes amis, Evan sait tricoter. C'est une institution dans notre famille, un savoir que l'on partage de mère en fille, mais bon, j'suis un anticonformiste. J'sais bien que j'vais pas aller le voir immédiatement, j'préfère lui laisser le temps nécessaire dont il peut avoir besoin pour essayer de digérer les choses. Alors comme une mamie acariâtre, j'ai tricoté. Un truc immonde aux couleurs improbable, le pire c'est que j'ai utilisé deux techniques différentes, ma mère serait fière. J'ai fini ce truc, que j'hésite à brûler, tant il est immonde. Mais c'est l'intention qui compte n'est-ce pas ? Mouais. Je l'ai entreposé au fond de mon dressing, le temps de trouver le candidat. Il est dans la chambre m'a-t-on dit, je me suis renseigné, et il paraît qu'il va mieux. Parfait, j'peux pas attendre plus longtemps, ce serait pas correcte. Alors, j'avance, mon tricot sous le bras, légèrement anxieux. Il est là, je le vois, j'attends quelques minutes. Le temps de préparer un discours, que je ne respecterais sans doute pas par ailleurs. Je m'avance, et m'installe sur ce lit, à côté du sien. « Salut ! » Evan, gros con arrogant, tu vas bien ? « J'voulais m'excuser, d'être un gros con aux idées préconçus, avec des oeillères l'empêchant de réaliser que j'suis un gros con, pour commencer. » Drôle d'entrée en la matière je le conçois, mais ça me demande un effort sur-humain, j'implore l'indulgence. « J'voulais te remercier Loxias, merci de m'avoir sauvé. J'sais pas ce qui t'a poussé à le faire, j'suis pas sûr de vouloir savoir parce que finalement tout ce que j'retiens c'est que t'es pas celui que j'croyais. » Outch, deuxième claque dans la gueule. Il doit me prendre pour un dingue tant mes traits déforment mon visage tendu. « Je t'ai tricoté un pull pour te remercier. Une sorte de calumet de la paix en moins toxique. Encore que. Bref. Voilà. » J'hausse les épaules et lui tends l'objet en question. Pourquoi me suis-je pas contenté de préparer un énorme gâteau ? Ça au moins j'sais faire. Quel abruti !

J’essaye de lire un truc... Sans déconner, j’essaye mais j’y parviens pas, y a toujours un truc qui m’en empêche, une pensée parasite ou un petit beug du cerveau, bref, ça fait vingt fois que je relis le même paragraphe, poussant le vice jusqu’à tourner la page comme si j’suivais quelque chose, afin de reprendre pied dans la réalité et de m’interroger sur l’identité d’un des personnages dont j’ignorais l’existence... « P’tain, mais c’est qui Jacob Black ? » j’apostrophe à voix haute mon bouquin, remontant le paragraphe tout en m’enfilant une poignée de cacahouètes. J’aime pas ça, mais je crois me souvenir que je suis allergique aux arachides, alors je teste... Bon, visiblement, c’est pas un simple paragraphe, mais limite tout un chapitre. J’comprends pas alors je relis la quatrième de couverture, espérant y déceler un indice. Rien. C’est de la merde. Cela dit, ça m’occupe, alors je poursuis, j’ai rien d’autre à faire de mieux. C’est que je suis en mission, voyez-vous, je tente d’apprivoiser mon lit... J’en ai marre de squatter chez les uns et les autres parce que je me trouve dans l’incapacité de dormir dans le lit de Sive, sans Sive... Du coup, j’ai décidé d’y dormir cette nuit, dusse-je y passer mon après-midi. J’ai mon traversin bi-face avec moi, côté “Sive”, et je végète, tranquillement, un roman pourri dérobé à l’une des candidates entre les mains. J’vois bien des gens passer, mais ils ne s’arrêtent pas, au contraire, ils accélèrent le pas en m’apercevant, opérant des détours de tarés pour ne surtout pas m’approcher. J’en ai même vu un faire une roulade sur un lit façon Starsky sur son capot... C’est que ma catatonie semble pouvoir être contagieuse, on fait gaffe, faudrait pas que ça se répande. J’m’en fous, j’ai pas envie de parler, alors ça m’arrange. D’ailleurs, voilà Evan qui s’avance... J’sais pas ce qu’il veut, mais lui, au moins, semble détenir une paire de couilles suffisantes pour ne pas faire un écart de vingt-deux mètres. Cela dit, s’il s’approche trop, il risque de se sentir obligé de me parler, et ça va me faire chier... Du coup, j’attrape une poignée de cacahouètes, pour les tendre au traversin “Sive”. « T’en veux ? » Voilà, c’est suffisamment “dément” pour qu’il se casse, ou pas ? Je lui jette un oeil, la main toujours tendue vers ma partenaire en plumes d’oie, mais il n’a pas bougé d’un pouce, enfin si, mais pour s’avancer encore... Merde... Je m’apprête à me plaindre du manque d’appétit de mon traversin depuis trois jours, lorsqu’il prend la parole avant moi, coupant mon intention d’un « Salut ! ». Oulà mais... Ok. Il se pose sur le lit à côté du mien, et je le suis d’un regard perplexe. J’soulève le bouquin en guise de salut, avant de l’envoyer valser plus loin. J’suppose que c’est cuit, j’saurais jamais qui est Jacob Black, ni pourquoi il en pince pour une autiste suicidaire. Evan reprend la parole... Merde, on dirait qu’il est lancé, là... Il s’excuse. Pardon ? D’être un gros con... Ouai, ok, j’y peux rien, j’suis pas ton psy, ta crise existentielle garde-la pour quelqu’un que ça intéresse, moi j’attends que mon allergie débute, que ma gorge gonfle et que l’asphyxie m’emporte. J’comprends seulement à sa répartie suivante ce que tout ça à avoir avec moi... Ho, ok... Parce qu’il m’a mal jugé ? En même temps, comment bien juger quelqu’un qu’on ne connait pas ? Fondamentalement, personne ne me connait ici, même pas moi-même vu le nombre de conneries que j’enchaine avec une régularité métonymique. Et il me remercie, de l’avoir sauvé, comme si sa vie avait été en danger à un moment donné... Pourquoi je l’ai fait si je peux pas l’encadrer ? Bah déjà, j’peux l’encadrer, donc ça aide, et ensuite pour Adie, et pour moi aussi, parce que j’étais pas certain de pouvoir me supporter en les séparant... Faut dire que l’idée m’a même pas frôlé l’esprit, donc je ne fais que supposer mes raisons de le faire. Bon, ses excuses sont sympas, presque réconfortantes, mais... « Tu pourrais la refaire sans grimacer ? Non, parce que ça perd de son impact quand même lorsque tu... » et je mime sa gueule de constipé, accentuant les grimaces histoire de rendre un visuel encore plus parlant. Et c’est là qu’il me parle de tricot... J’pense avoir imaginé cette répartie, avant qu’il ne me tende l’objet en question que je réceptionne avec scepticisme. Heu... Je l’étends devant moi... Heu... C’est ça son calumet de la paix ? « C’est super moche. » j’avoue avec une sincérité déconcertante. « Rassure-moi, tu comptes pas en faire ton métier, parce que... » parce que ? Putain, j’essaye de trouver un truc bien, un seul truc bien sur sa création, retournant le pull dans tout les sens afin d’alléger un peu ma sentence, mais rien ne vient à part : « C’est dingue ! Même les couleurs sont à chier ! » N’empêche, c’est con, mais j’suis touché.

Il m'a vu, j'peux pas faire demi-tour, il m'a bien vu. Enfin ça va ce n'est pas comme si j'comptais faire demi-tour, il ne va pas me bouffer, me sauter à la gorge ou j'sais pas quoi. La souffrance c'est pas contagieux de toute façon, et quand bien même. Je le regarde un moment avant de bouger, non mais il n'est pas entrain de lire ? Twilight ? Oh bah si. Oh bah merde. Ouais, j'connais Twilight et je vous emmerde, pigé ? Bref, je m'avance, parce que je n'ai peur de rien, bon d'accord. Il est entrain de nourrir un traversin sur lequel y'a une tête de dessiné, mais qu'on se le dise, ce n'est pas le premier traversin humanisé que j'rencontre dans ce nid. Alors je m'avance encore. Et même que je m'assoie juste à côté ou presque. Ouais, y'a quoi allez, deux mètres qui nous séparent. Et encore. Il répond à mon salut, bon vu sa tête, je l'imaginais déjà m'envoyer sur les roses. En même temps, j'suis pas sûr qu'il ait vraiment envie de parler. Au pire, il peut juste écouter. De toute façon, je ne lui laisse pas trop le choix, j'suis déjà parti dans un monologue bizarre, enfin il l'était moins quand ma tête, si si j'vous jure. Et ma tête aussi, merde, elle doit être bizarre. Enfin ça c'est sûr qu'elle l'est, j'ai le droit à une réplique sur la tête de Loxias. Alors, j'ris, je me fous plus de ma gueule de ma gueule que de la sienne en faite. Mais j'm'arrête de rire, parce que, c'est mieux j'crois. « Désolé. Et merci. Encore. » J'hausse les épaules, un peu perplexe, c'est bon là ? De toute façon, il critique déjà mon si beau pull merdique que j'ai mis du temps à tricoter en plus, non mais sérieusement, j'ai oublié à quel point ça ne servait à rien. Oh tiens, si j'tricotais des chaussons pour le bébé d'Adie qu'elle ne lui mettra jamais parce que c'est trop laid ? Non mauvaise idée. « Ça partait d'une bonne intention, crois moi. » J'suis aussi sincère qu'il avait pu l'être à propos de mon pull. Est-ce que j'veux en faire mon métier ? Oh ça non, je ris une nouvelle fois. « Non mais ça va, t'es pas obligé de l'aimer, ou d'être gentil, on peut même le brûler ensemble si tu veux. Oh mieux, tu le gardes et si jamais un jour tu te retrouves dans la merde, que t'as pas de bois ou de papier mais que tu es obligé de te faire un feu, et bam, y'a le pull moche d'Evan. » Attention, attention, record de conneries débité à la seconde atteint, phase d'auto destruction lancé, tous aux abris ! Je le regarde l'observer dans tous les sens, j'sens bien qu'il veut trouver un truc gentil à dire, mais non vraiment, en toute honnêteté, y'a rien à dire. Vraiment rien. Par contre, là, j'y peux rien. Si bien que je lève un doigt en guise de protestation. « Là, c'est pas de ma faute si Cupidon c'est un gros radin qui ne m'a filé que deux pelotes de chaque couleur, t'as vu ton gabarits, j'ai pas pu faire autrement. » Genre c'est de sa faute maintenant, si si. Non en faite, non c'est fou ce qu'on peut perdre tout sens artistique pour certaines activités. Merde, j'ai honte. Et je ne tarde pas à le lui dire. « Désolé, c'est la honte. J'peux te faire autre chose si tu préfères. » Je fais la moue, genre, enfant déçu d'avoir loupé son dessin pour ses parents. Un peu plus, et ma lèvre tremblerait.

J’ai pas l’air sain d’esprit ? Ha bon ? C’est peut être le but recherché, voyez-vous, au moins les connards ne m’emmerdent pas. Bon, y a toujours des kamikazes qui tentent de m’approcher quand même, voir qui viennent carrément me parler, mais ceux-là méritent mon indulgence, parce que, mine de rien, mon état de jmenfoutisme le plus total a l’avantage de séparer le bon grain du mauvais grain. Le bon grain c’est ceux qui malgré tout mes effets s’entêtent à m’approcher, à venir me voir et à me sortir soit de mon état, soit de ma compagnie traversière. Du coup, même si Evan est la dernière personne que j’imagine venir me tirer de ma catatonie, je le laisse approcher, curieux de savoir ce qu’il me veut. Ça n’a jamais été le grand amour entre nous, pas forcément de mon fait d’ailleurs, même si je me doute que certaines de mes maladresses ont été suffisamment mal vécues pour qu’il nous imagine dans deux clans rivaux. Et moi, pour ma part, d’abord distant vis à vis de tout cela, j’ai fini par m’agacer des sous-entendus continuels, qu’ils soient d’Adie ou de lui, comme si c’était un fait établi que je ne pouvais pas encadrer ce type. Sauf que non, même pas. J’ai pas d’ennemis, ici, vous aurez beau chercher vous ne trouverez pas une seule personne avec laquelle je me serais engueulé... Cela dit, j’ai plus beaucoup d’amis non plus, puisqu’ils ont décidés, sur choix du public, d’aller m’aimer ailleurs. J’imagine que c’est le jeu qui veut ça. J’ai pas gardé beaucoup de souvenir de la toute fin du prime. Je me souviens juste avoir pété un câble et d’avoir craché le prénom d’Evan comme si on venait de me poser la question la plus stupide au monde... Pour moi c’était logique, pour lui visiblement pas. J’imagine la tête d’Adie aussi, et ça m’énerve. Et la surprise qui se lit encore sur son visage tandis qu’il m’offre son tricot, m’énerve aussi. Seules ses grimaces m’apaisent un peu, parce que oui, ça le fait bien chier de devoir avoir qu’il a été con, et petite satisfaction personnelle, que je l’ai été bien moins que lui. Et puis, il m’a fait un pull quand même ! Un pull moche, mais... Non, mais attendez... Il est entrain de me dire qu’il l’a fait lui-même, là ? Il m’assure que ça partait d’une bonne intention, que je ne suis pas obligé de l’aimer que je peux même le bruler si le coeur m’en dit, et quand je critique le choix des couleurs, il rejette la faute sur la Production et ma taille. « Mais... Attends... C’est vraiment de toi ? T’as genre vraiment fait ça ? Avec des aiguilles, et tout ? Une maille à l’envers, une maille à l’endroit ? » Lui, là, avec ses cheveux en vrac et sa carrure d’ours polaire, il m’a tricoté un pull ? « T’as la vidéo ? Non parce que ça, ça aurait été un super cadeau, la vidéo... » J’annonce tout en enfilant un bras après l’autre dans les manches, avant de passer la tête par le col, et de m’en extraire avec la quasi même coiffure que lui -tout s’explique.- « Non, j’le garde... Il est moche, mais il tient chaud. » Et puisque je ne suis pas vraiment réputé pour mes goûts irréprochables, j’imagine que je ne suis plus à ça près. On est en été ? Non, on est en Irlande, nuance. « Tu pourrais m’apprendre à tricoter ? Il me faut un cadeau pour Kevin-Grégoire. » C’est toujours utile, surtout lorsqu’on n’a pas vraiment de fric, comme moi.