Je ne sais pas trop comment j’ai atterrit dans mon lit, je n’ai même aucun souvenir de ma traversée du parc, ou encore d’avoir monter des marches. Je me souviens juste de Sive m’invitant à quitter le plateau, et moi qui la suis. Après, c’est le trou noir. Pourtant j’ai une conscience acérée de la nuit de merde que j’entame, entre cauchemars et poussées de fièvre, le corps en sueur oscillant entre incandescence et suées froides. Je grelotte, et la seconde d’après je vire mes draps avec le sentiment qu’ils pèsent une tonne sur moi et manque m’engloutir dans un des cercles de l’enfer. Je suffoque, je me noie, et puis je me replis en position fœtale et laisse l’épuisement me reprendre. Je dors par à-coups, et lorsque je me réveille, je ne rêve que de me rendormir, ça fait moins mal. Ma tête cogne, mon nez pèse, et mes muscles se tordent douloureusement. Je ne suis plus qu’un immense hématome, et j’pense que je vais en crever. Pourtant, je passe la nuit, et lorsque j’ouvre un œil, le soleil baigne la pièce, et Sive me contemple. Je comprends pas trop pourquoi elle est là, ni pourquoi elle fait ça, mais à vrai dire, je crois que je ne comprends plus grand-chose. Elle semble rassurée que je m’éveille, et l’espace d’un instant j’imagine qu’elle, aussi, pensait que j’allais trépasser dans la nuit. Sans un mot, elle s’échappe, et j’en profite pour gagner, à tâtons, la salle de bain. Je resterais bien cloitré dans mon lit, mais la fièvre me donne l’impression que mes organes sont entrain de cuire de l’intérieur. J’ai besoin d’une douche froide avant que ma rate soit juste à point. Mais tandis que je colle mon crâne contre le carrelage froid, et profite de cette pluie fraîche qui dévale mon corps, c’est encore le visage de Sive que je perçois de l’autre côté de la paroi vitrée, attendant que je sorte. Je comprends pas… Je ne comprends plus. Je sors, récupère les vêtements qu’elle m’aura préparé, certainement, puis la suis docilement, sans trop chercher à comprendre où on va, et pourquoi. C’est bien la preuve que je suis raide mort, sinon j’aurais refusé de bouger sans obtenir des réponses au préalable. J’accorde mon pas sur le sien, ou plutôt est-ce l’inverse ? Je ne sais pas. Et puis je monte des marches, beaucoup de marches, beaucoup trop de marches. Ce qui me fait dire qu’on va dans la chambre secrète. J’sais pas ce qui m’y attend, où plutôt j’espère ce qui m’y attend… Sauf que rien ne m’y attend et que l’étau se resserre autour de ma gorge. Le lit accueille mon corps échoué, et ma tête s’enfonce dans l’oreiller frais qui, pendant une fraction de seconde, soulage mon front brûlant. J’ouvre un œil sur une Sive, en tailleur sur le matelas, une Sive qui me dépose une barre de céréales devant moi, comme une offrande hésitante et courageuse. Je la récupère, et la fait tourner entre mes doigts, observant l’emballage avec perplexité. « Pourquoi ? » je parviens à articuler formant à voix haute l’interrogation finale d’une lente réflexion. Non pas pourquoi tu fais tout ça, mais plutôt pourquoi t’as besoin de moi lorsqu’aucun de mes conseils n’est entendu ou écouté ? pourquoi ?

Pourquoi ? C’est la seule question qui dépasse l’orée de mes lèvres. Parce que pourquoi, c’est la seule question finalement. Pourquoi tout ça ? Pourquoi moi ? Pourquoi met-elle tout en oeuvre pour... Enfin bref. J’ai instauré des règles en début d’émission, règles envers lesquelles elle s’est d’abord insurgée, avant de les accepter du bout des lèvres, tout en s’appliquant à faire l’exact contraire de ce que je l’incitais à faire. Notre “couple” a connu plus de bas que haut, car, totalement réfractaire, elle s’est employée a s’inscrire dans une relation conflictuelle où tout est soumis à débat plus ou moins stérile. J’ai jamais eu envie d’expliquer ma façon d’aborder les choses, j’ai juste voulu la partager. Puisque je pense ainsi, il m’a semblé normal que tout le monde pense comme moi, ou du moins fonctionne plus ou moins comme moi. Ce ne fut pas le cas de Sive, et loin de devenir le soutient que j’espérais être à ses yeux, j’ai eu le sentiment d’être un boulet qu’elle trainait à sa cheville et tentait d’oublier. C’est donc légitime que j’imagine qu’un changement de partenaire puisse la ravir, ou du moins la soulager un minimum, ou même qu’elle s’en foute tout simplement. Moi ou un autre, quelle différence ? Alors je ne comprends pas, je ne comprends sérieusement pas son attitude. Pourquoi, en pleine dispute, a-t-elle accouru à mes côtés ? Pourquoi s’est-elle efforcée de veiller sur mon sommeil, allant même jusqu’à me trainer jusqu’à notre lit, puis ici dans cette chambre discrète ? Pourquoi ai-je lu de l’appréhension puis du soulagement dans son regard, lorsque j’ai ouvert les yeux ce matin ? Pourquoi cet altruisme palpable, cette empathie soudaine envers mes entrailles béantes et mes plaies à l’air libre ? Pourquoi ce soutient ? Pourquoi cette présence ? Pourquoi nous isoler ici, dans cette tour loin de tout, au-dessus de tout, si ce n’est par peur de me voir disparaître ? Je sais qu’elle a peur, je vois qu’elle a peur, je connais la peur, je peux la sentir et la lire comme autant d’ondes expulsées par un corps qui rejailliraient sur moi. J’ai appris, on m’a apprit à utiliser cette peur. Mais pour l’instant, tout ce que je veux, c’est la comprendre, la juger, et décider. D’où mon pourquoi. Et il me semble qu’elle met un temps infini à se décider à me répondre, comme si elle pesait les mots, les choisissait, opérait le fameux thèse/antithèse/synthèse dans son crâne. Et lorsqu’elle choisit de parler, c’est pour m’exprimer un besoin de soutient, ce que je lui ai toujours offert et qu’elle a semblé rejeter jusque là. Elle a besoin de moi, et aussi injuste et révoltant que cela puisse paraître, je me demande si elle est consciente qu’il s’agit là du seul argument valable qu’elle pouvait me sortir. Je me demande si c’est prémédité et donc sincère, et je la jauge du regard, perplexe et inquisiteur. J’ai beau être malade et considérablement affaibli, comme la moitié de moi-même, je sais que sa terreur n’est pas feinte. Elle a peur, elle est en équilibre instable et redoute le vide qui l’appelle... Et moi, je suis quoi ? La corde au dessus du vide ? Ou bien le vide lui-même ? « J’sais pas si j’en suis capable. » j’avoue, la bouche pâteuse et la tête lourde. « T’es plus forte que tu ne le penses, t’as pas besoin de moi pour tout ça, tu me l’as suffisamment laissé entendre. T’as pas à avoir peur, tu ne crains rien. » J’arrive pas a exprimer clairement ce que je ressens. J’ai toujours ce besoin de la protéger, il est là, bien réel, mais j’en ai marre de me battre, et dans les circonstances actuelles, j’suis plus très sûr d’être un soutient pour elle, peut être plus un handicap. « J’sais plus où j’en suis... J’sais plus du tout. »

Je ne sais pas comment formuler les choses, j’ai juste envie de m’ouvrir le crâne en deux afin qu’elle lise dans ma tête et, accessoirement, qu’elle y fasse le tri. Parce que c’est le bordel, un bordel considérable dont les fils conducteurs s’entremêlent jusqu’à formé des noeuds qui m’empêchent d’avancer ou ne serait-ce que de prendre une décision. Enfin si, ma décision est évidente, mais c’est ma présence entre ces murs qui l’est moins. J’sais plus ce que je fous ici, en fait, mais si j’y suis c’est qu’il doit y avoir une volonté enfouie de l’être... Peut être, j’en sais rien, je ne suis plus vraiment en état de réfléchir. Je comprends pas non plus l’attitude de Sive, je comprends pas sa peur qui suinte de chaque centimètre carré de peau visible. Je la vois comme une chieuse indépendante qui n’aura eu de cesse que de me le rappeler. Elle n’a pas besoin de moi, je le sais, et je suppose qu’elle le sait aussi... Sauf que non, visiblement, elle n’en a pas conscience, ou alors je me suis planté dans mon analyse, mais sa façon d’éjecter les «non» témoigne d’une certaine panique... On ne peut pas feindre la panique, et pourquoi le ferait-elle, d’ailleurs ? Alors je relève, autant que faire ce peut, les yeux vers elle, soucieux et inquiet, juste au moment où elle entame cette complainte me reprochant de l’écouter, puis me reprochant de ne pas m’écouter moi. Certes j’ai toujours fait l’éloge de la fidélité et du soutient, mais est-ce que ça en vaut vraiment le coup ? J’en sais rien, je ne sais plus rien. Je sais ce qui lui en coûte d’avouer avoir besoin de moi, alors j’imagine qu’elle ne le ferait pas sans d’excellentes raisons, des raisons qui m’échappent. « Sive... » je parviens à articuler, entre deux slaves de panique verbale. Sauf que je ne peux pas placer plus, déjà parce que ça me coûte de parler et aussi parce qu’elle repart, de nouveau, dans cette complainte avec un nouvel argument à la clef, un argument qui fonctionne moins bien, parce que, non, je ne resterais pas pour moi. Je crois pas n’avoir jamais fait quoique ce soit pour moi-même, à part un seul, un seul gros truc. Tout le reste de ma vie a été guider par mon besoin de servir l’autre, les autres. Alors, c’est tout naturellement que la seule question, la seule demande de confirmation qui sort d’entre mes lèvres est : « T’en as vraiment besoin ? » parce que c’est la seule chose qui compte. Pour l’instant.