featuring malik

« Comment tu penses qu'il est arrivé là, ce ruisseau ? » questionna Ismay sans même un préambule, l'idée qu'elle puisse effrayer l'homme qui se trouvait là ne lui effleurant même pas l'esprit. Ce qu'il faisait là, elle n'en savait même rien. Peut-être avait-il envie d'être seul, peut-être qu'il se remettait d'une crise de rage, d'une profonde déprime, peut-être se promenait-il simplement, peut-être était-il trop timide que pour oser proposer à l'un de ses nouveaux compagnons de l'accompagner. Ou peut-être que, comme Ismay, ses pas l'avaient amenés à longer le ruisseau sans raison particulière ni but précis. Au fond, quelle importance. La question tournoyait depuis quelques minutes dans l'esprit de la jeune femme, et sourcils froncés, lèvres pensives, elle ne parvenait pas à calmer les élucubrations de son imagination un peu trop fantasque, parfois. Laissant ses nerfs la conduire là où bon leur semblait, uniquement préoccupée par son intellect et ses caprices, elle avait à peine remarquer la présence d'un brun, pas si loin devant elle. Elle était bien incapable de dire ce qui avait fait, quel petit détail, mouvement, de ses yeux ou du corps inconnu se profilant au-devant, ou petit rien, qu'elle avait finalement pris conscience de sa présence. Mais tandis qu'elle plissait les paupières, un sourire naissant sur ses traits, elle l’aperçut, elle ne pu retenir l'impulsion qui la fit accélérer et se mettre à marcher à ses côtés. Et là, la question, purement rhétorique, comme une question idiote que l'on pose tout haut sans s'en apercevoir, avait franchit le seuil de ses lèvres. Qu'il y réponde ou non, c'était pareil. Mais s'il y répondait, c'était mieux. Tournant le menton dans sa direction, elle l'observa un bref instant, sans chercher à être discrète. « Si on avait pas eu la même idée d'être ici, là, tout de suite, on aurait peut-être jamais eu l'occasion de réellement se parler, ou peut-être qu'on en aurait jamais pris la peine. C'est bête non ? » Vraiment, cette pensée lui semblait complètement absurde. Quand même, ils allaient être amenés à vivre peut-être des semaines ensemble, comment était-il possible qu'ils puissent rester sans s'adresser la parole ? Mais ce n'était pas lui en particulier, c'était tout le monde. Mais un peu lui aussi. Son visage était inspirant. « C'est Malik, c'est ça ? » fit-elle finalement, avec un sourire. Elle avait toujours eu une excellente mémoire pour les prénoms, à défaut de savoir parfaitement jongler avec les dates, qu'elles soient importantes ou non.

« Comment tu penses qu'il est arrivé là, ce ruisseau ? » Une voix venait de s'élever près de moi tandis que je me trouvais à longer d'un pas lent le dit ruisseau depuis plusieurs minutes maintenant. Je tournai donc la tête et découvris là une demoiselle, dont les traits fins et le regard clair me sautèrent de suite aux yeux, et dont les pas se mêlèrent bientôt aux miens tandis que la question, concernant la création de ce ruisseau, me restait à l'esprit. « Alors là, tu me poses une colle. » Ou comment lui faire saisir que les ruisseaux, c'était pas trop ma tasse de thé et que je n'y connaissais pas grand chose... C'était bien vrai, qu'est ce que je pouvais dire sur le sujet ? Bah, rien, justement. D'où l'inutilité même de ma réponse. Sa question l'était peut-être aussi un peu, mais elle n'avait fait qu’initier la conversation entre nous. « Si on avait pas eu la même idée d'être ici, là, tout de suite, on aurait peut-être jamais eu l'occasion de réellement se parler, ou peut-être qu'on en aurait jamais pris la peine. C'est bête non ? » Je me mis à réfléchir un instant. Dans un sens je lui donnais raison, dans l'autre je lui donnais tort. Quelle logique vraiment. Bref. Il y avait tout de même une part de vrai dans ses propos, bien que l'ensemble restait compréhensible, mais sans plus. « Hm c'est vrai que vu de cette manière, c'est bête. » Bon, en plusieurs semaines de jeu, on aurait sans doute été amenés à se parler, et à plusieurs reprises, mais avoir une vraie conversation, qui dure donc plus de deux minutes et qui ne soit pas ponctuée de "ouais", "okay" et "salut", effectivement, on était sûrs de rien. « C'est Malik, c'est ça ? » reprit-elle, tandis que cette interrogative me fit ouvrir de gros yeux tous ronds. Elle connaissait mon nom, savait comme je m'appelais, mais... comment, pourquoi ? On ne s'était encore jamais parlé comme elle l'avait elle-même souligné quelques instants avant cela, alors qu'est ce qui justifiait le fait que cette gentille demoiselle connaisse mon nom, tandis que je ne connaissais pas le sien ? Intrigué, je ne parvenais néanmoins pas à dissimuler ma surprise. « Mince, tu as une longueur d'avance sur moi, tu connais mon nom. Alors que je ne connais pas le tien. » Peut-être avais-je eu l'occasion, lors du prime ou même un peu après, de l'apprendre, mais si ça avait été le cas je l'avais tout bonnement oublié depuis. Et du coup, je n'en étais pas fier. C'était aussi une façon détournée de lui demander de me le rappeler, du coup, tout en évitant l'habituelle question "et toi, c'est quoi ?", trop malvenue à mon sens. Dingue, je connaissais cette jeune femme depuis quelques instants seulement, mais déjà je commençais à l'apprécier. Il y avait comme une onde de bonne entente entre nous, mais peut-être étais-je le seul à percevoir cette dernière. Peut-être aussi cette jeune femme allait-elle sous peu regretter de s'être jointe à ma marche le long du ruisseau. « Tu venais faire quelque chose de spécial par ici ? » lui demandais-je ensuite, en ralentissant légèrement le pas - je peinais à continuer ma route et à parler en même temps. Bon, une chose était certaine, elle ne m'avait pas suivi.

C'est bien ce qu'il lui semblait. Lui non plus ne savait pas. Comment aurait-il pu, d'ailleurs ? si ce n'est en étant hydrologue ou expert en géomorphologie française ? Bah, de toute façon, elle aurait largement le temps d'interroger tous les candidats, du moins tous ceux qui lui semblaient susceptibles de connaître la réponse. Car elle comptait bien savoir. Enfin bon, ce ruisseau ne débouchait ni dans un cours d'eau, ni dans la mer, ni quoi que ce soit. Il devait forcément venir de quelque part, non ? Regard dans le vide, elle ne réagit pas. Seul son air suspicieux lui décocha un rire. Était-ce si incroyable que quelqu'un puisse se souvenir avec une facilité relative des prénoms de personnes qu'on allait être amenés à côtoyer un certain temps ? Était-elle particulièrement attentive ? Non, elle avait la réponse à cette question-là, et elle se savait particulièrement distraite, des fois. Soit. Elle avait juste une très bonne mémoire, donc. « C'est parce que je suis un agent du FBI mais chut, je ne t'ai rien dit » lança-t-elle avec un sourire lumineux. Humour facile. Mais bon. Les blagues les plus complexes et incompréhensibles n'étaient pas toujours les meilleures. Fourrant les mains dans les poches de son jean, Ismay tourna les talons et se mit à trottiner à son côté à reculons. Fantaisie qui n'était pas rare pour elle. C'était plus agréable non ? Ça donnait l'impression qu'ils étaient face à face et son sens de l'équilibre le lui permettait. « Juste la curiosité. Je veux tout savoir de cet endroit ! Le village, je veux dire, je marchais, je me suis retrouvée à suivre le ruisseau, et me voilà ! » C'était aussi bête que ça. Plus ou moins toutes les personnes avec qui elle avait fait connaissance pouvaient en témoigner : elle passait le plus clair de son temps à aller de-ci de-là, dévorant chaque recoin du regard. Peut-être se fatiguerait-elle après une semaine, mais il y avait, à vrai dire, peu de chances. « Et toi ? » lui retourna-t-elle tout naturellement. La réponse était sans doute aussi simple que la sienne mais elle était désireuse de savoir. Un rien l'intriguait. Comme elle avait besoin d'un rien pour s'agiter, ainsi, lorsqu'une idée lui traversa la tête, elle s'immobilisa, avant de reprendre sa marche, la second suivante. Vrillant les prunelles vers son nouvel interlocuteur, elle s'anima. « Dis-moi, j'ai une tête à m'appeler comment ? ... j'ai une idée ! Tu as droit à cinq essais, et à chaque coup manqué, tu dois me dire quelque chose que tu aimes. » Idée géniale. Hein ? que c'était une idée géniale ? absolument géniale, même ! Et le truc encore plus génial, c'était qu'à moins d'avoir un éclair de lucidité et que la mémoire lui revienne, il y avait peu de chances qu'il trouve avant son cinquième essai. Ismay n'était pas exactement un prénom très répandu. « J'espère que tu n'es pas du genre à ne rien aimer » le taquina-t-elle. Mais à première vue, ils devraient s'en tirer sans trop de mal.

Cette demoiselle avait une longueur d'avance sur moi et pour cause, elle connaissait mon nom tandis que je ne connaissais pas le sien. Étrange, quand on sait que nous ne nous étions encore jamais adressé la parole avant cet après-midi. « C'est parce que je suis un agent du FBI mais chut, je ne t'ai rien dit » Je fis mine d'être surpris, choqué même par une telle révélation. Pour faire plus crédible encore, je plaçai ma main devant ma bouche largement ouverte et formant un "o". « Tu... tu viens de me révéler ton secret ?! » Mais enfin, c'était totalement contraire aux règles de ce jeu ! Ah moins... qu'il ne s'agisse seulement là d'un peu d'humour. En fait, c'était même certain, elle plaisantait. Je lui demandai ensuite ce qui l'avait menée ici, si elle venait faire quelque chose de spécial dans le coin ou pas du tout. « Juste la curiosité. Je veux tout savoir de cet endroit ! Le village, je veux dire, je marchais, je me suis retrouvée à suivre le ruisseau, et me voilà ! » Nous étions dans le même cas, en fait. Car moi aussi je m'étais retrouvé là sans trop savoir pourquoi, mes pas m'y ayant conduit sans raison particulière. « Et toi ? » Je m'attendais, tout à fait honnêtement, à ce qu'elle me retourne la question. Aussi, j'avais une réponse toute prête, puisque ma situation ne différait aucunement de la sienne. « Moi ? Et bien, tout comme toi, je errais pour finalement me retrouver à longer ce ruisseau. » Passionnant, hein ? Nous étions en fin de compte ici pour la même raison : aucune. Nous partagions elle et moi un point commun, celui d'avoir pour habitude de passer d'un endroit à un autre sans but précis. « Dis-moi, j'ai une tête à m'appeler comment ? ... j'ai une idée ! Tu as droit à cinq essais, et à chaque coup manqué, tu dois me dire quelque chose que tu aimes. » Ainsi, je devais deviner le prénom de cette demoiselle en cinq essais qu'elle venait de m'attribuer, et à chaque erreur il me fallait lui révéler quelque chose que j'appréciais. Et bien, ma foi, cela semblait être un jeu d'enfant. Ou tout le contraire. Car deviner le prénom de quelqu'un, comme ça, c'est quasiment impossible. J'avais cinq chances : cinq chances de trouver le bon nom, comme de me tromper. Mais je restais joueur avant tout. « D'accord, challenge accepté. » J'étais convaincu de me tromper à chaque essai, mais cela me permettrait au moins par l'occasion de lui apprendre certaines choses sur moi. « J'espère que tu n'es pas du genre à ne rien aimer » Sa remarque me fit sourire, limite rire d'ailleurs. Car si il y avait bien un type sur cette planète qui tolérait énormément de choses et en détestait très peu, c'était bien moi. Des choses que j'aimais, je pouvais le lui en sortir une liste grande comme elle. C'est dire. « Bien au contraire... » Il me fallait maintenant prendre un instant de réflexion avant de faire ma première proposition. Bon alors Malik, comment cette demoiselle pouvait-elle bien se nommer ? À quoi se fier : son visage ? sa chevelure ? son regard ? On y fait généralement pas assez attention, mais le prénom d'un individu se lit bien souvent quelque part en lui, souvent à l'extérieur, physiquement quoi. Je n'avais rien à perdre, alors je décidai de me lancer : « Hm... Cathy ? » Ouais non, surement pas. Ou alors, j'avais une veine de cocu mais justement, en général la chance n'était pas franchement de mon côté. Il y avait fort à parier pour que je me sois planté en beauté, mais il me restait quoi qu'il en soit quatre essais. Tout n'était pas perdu. J'attendais de savoir s'il y avait réellement erreur sur le prénom pour lui faire une première révélation me concernant.

Le secret d'Ismay, il allait devoir chercher un peu plus que ça pour le trouver. Oh oui, beaucoup plus que ça. Comme si elle allait le lui présenter sur un plateau d'argent. Non non non, jeune ami. Son secret, c'était un peu son Graal, ici, et il était hors de question qu'elle s'en sépare de sitôt. Lui tirant la langue pour seule réponse, elle sourit face à sa réaction outrancière. Cela dit, elle n'aurait pas dit non à réellement être un membre du FBI. C'était un peu le rêve qu'avait au moins une fois chaque gosse. Bon, même si en général, il s'agissait surtout des garçons. Mais c'est vrai - ça devait être absolument cool d'être détective privé, ou agent secret, ou profiler, ce genre de trucs. Comme dans les livres. Baissant brusquement la tête vers ses pieds, elle évita de justesse une anfractuosité avant de redresser le menton pour ne pas le perdre de vue. Ce serait dommage qu'il profite de sa situation inconfortable - objectivement, car elle ne la dérangeait pas tant que ça, finalement - pour filer à l'anglaise. Accueillant ses deux réponses simultanées d'un sourire colgate, elle lui intima d'un regard qu'il était temps de commencer le défi. Elle était intimement persuadée qu'il se planterait totalement mais ce n'était pas vraiment ce dont elle se souciait le plus. Au fond, qu'il se souvienne ou devine son prénom, c'était franchement secondaire. Elle pourrait toujours bien le lui rappeler si besoin. Elle avait surtout hâte d'entendre ce qu'il avait à lui confier. C'était l'une de ses principales caractéristiques - sa curiosité éternellement inassouvie. Le goût prononcé qu'elle avait en ce qui concernait les gens pouvait passer parfois pour un goût pour les ragots et le commérage mais c'était très, très loin de la réalité. Le laissant réfléchir quelques instants, elle patienta, tranquillement, se mouvant toujours à reculons, l'air serein. Jusqu'à ce qu'il balance un premier prénom. Prénom qui lui tira un sourire, tandis que le visage de son partenaire fila dans son esprit. Cathy. Catherine. Décidément, les habitants du nid les aimaient bien, les Cathy. « Absolument pas ! » se contenta-t-elle de répondre, secouant la tête. Pas de chance, try again ! Sans détacher les yeux de son visage - ce qu'il ne semblait, jusque là, pas trouver trop gênant, dieu merci - elle lui adressa un sourire entendu. « Je suis tout ouïe, Malik... » faisant mine de siffloter. Attentive, mille et une possibilités d'aveux lui traversèrent l'esprit, tandis qu'elle essayait de deviner à l'avance ce que le jeune pouvait bien aimer dans la vie.

La jeune femme semblait d'humeur joueuse. Plutôt que de me révéler - ou me rappeler ?- son prénom, elle préférait me mettre au défi de le deviner moi-même. La tâche n'avait rien d'aisé, bien au contraire, et pour ce faire je n'avais droit qu'à cinq propositions. Ma première fut Cathy. Je compris rapidement que je m'étais trompé en beauté. « Absolument pas ! » Ah, non ? Sans blague. Argh. Premier essai : grillé. J'étais au moins sûr d'une chose, cette jeune femme ne se prénommait pas Cathy. Mais la liste de noms potentiels était encore très, très longue. Elle était même interminable. Mais pour l'heure, il me fallait faire un aveu car oui, c'était le deal que nous avions passé. Un essai de foiré égalait à une révélation sur ce que j'aimais. « Je suis tout ouïe, Malik... » Quelque chose que j'aimais donc. Le choix ne s’avérait pas facile, et pour cause j'aimais énormément de choses dans la vie. J'aimais beaucoup plus de choses que je n'en détestais. J'aurais par exemple pu lui signifier ô combien j'adooorais les cornichons, mais cela aurait été parfaitement inutile, car ça avait déjà fait le tour du village, parait-il. Ce n'était pourtant qu'une passion comme une autre, à croire que tous n'étaient pas prêts à prendre cela au sérieux. Peu importe me direz-vous. « J'aime... la simplicité des choses. » Comme ça, forcément, cela voulait tout dire, et rien dire à la fois. « Je veux dire par là que j'aime les choses ou les gens simples. Ceux qui n'en font pas des tonnes, qui restent eux-même. » Je me considérais comme étant quelqu'un de simple, car je n'usais au quotidien d'aucun artifice, ou ne jouais aucun rôle en société. Non, j'étais juste moi-même, et arborais une personnalité qui ne plaisait certes pas à tout le monde. Premier aveu de fait, donc. Et là, logiquement, je devais me laisser aller à une seconde proposition de prénom. Là encore, je pris quelques instants pour réfléchir, puis je me lançai sans certitude aucune. « Pippa ? » Han nan ! Ce prénom n'était à la mode que depuis un an, pourquoi l'avais-je sorti ? Des Pippa, je n'en connaissais qu'une. La même que tout le monde d'ailleurs. Et tout compte fait, je regrettais d'avoir fait cette proposition car ça n'était pas un prénom qui lui allait bien, pas autant que Cathy en tout cas. Alors là, forcément, je m'attendais directement à essuyer un second échec et je l'avais bien mérité - je n'avais tout simplement pas assez réfléchi. C'est limite si je ne l'avais pas balancé en l'air, d'ailleurs. J'eus la sensation d'avoir laissé passer une opportunité sur les cinq offertes. Et puisque je m'étais déjà trompé une fois, il ne me restait au final plus que trois chances. Ouais, c'était cuit quoi.

Les choses et les gens simples. Malik aimait les choses et les gens simples. Ismay médita un instant cette information, qu'elle enfouit dans un coin de sa tête, pour être certaine de ne pas l'oublier. Elle était de toute façon sûre de ne pas l'oublier. Un simple regard vers son camarade suffisait à deviner que s'il appréciait la simplicité, c'était parce qu'il devait lui-même être quelqu'un de très humble et sans artifice. C'était du moins l'impression qu'il renvoyait - mais peut-être jouait-il très bien le jeu. Il était dangereux de négliger que ce jeu était en partie basé sur le mensonge et les cachotteries. Néanmoins, elle décida pour l'instant de garder cette image de lui qui lui plaisait assez. « Alors, tu dois être quelqu'un de bien » se contenta-t-elle de commenter. Elle n'ajouta rien de plus. Il était inutile de lui préciser que malgré leur goût commun pour la simplicité, elle gardait un intérêt particulièrement prononcé pour les âmes un peu voire très dérangées. Son boulot d'infirmière en secteur psychiatrique en découlait bien évidemment. Les fous l'avaient toujours fascinée, leur esprit décalé et cassé l'attirait malgré elle. Non, c'était inutile de l'avouer tout de suite. Nombreux étaient ses proches qui avaient fini par accepter cette vocation plus ou moins sereinement, mais malgré la tolérance que prônaient la plupart des individus, beaucoup ne l'étaient que de nom. Si Malik n'avait pas l'air de ce genre de personnes, elle se garda pourtant bien de lancer le sujet. De toute façon, le voilà qui proposait déjà une second prénom. Cette suggestion la fit sourire. Pippa ? vraiment ? « Non plus. » Mais peut-être cela allait-il venir ? Une pensée lui traversa l'esprit, alors, et elle ajouta « et c'est ni Diana, ni Elisabeth. » À nouveau, elle lui sourit avec malice. Cathy - surnom de Catherine - Pippa... À ce train-là, il allait bientôt lui sortir les prénoms de toutes les femmes ayant un lien, ténu ou lointain, avec la monarchie britannique.

Première erreur, premier aveu. Les gens et les choses simples, voilà ce que j'aimais. Bon, ça n'avait rien de franchement original, m'enfin. « Alors, tu dois être quelqu'un de bien » remarqua-t-elle. Ah ? Vraiment ? Et pourquoi ? Je veux dire, oui, peut-être bien. Comment savoir. « Je ne sais pas, j'espère l'être, oui... » ...on l'espérait tous non ? Après, certains n'agissaient pas vraiment en conséquence non plus. Je n'étais pas certain d'être réellement "quelqu'un de bien", seulement j'avais tout de même conscience de ne pas agir comme quelqu'un de malsain, et c'était sans doute une bonne chose... non ?... Après, je n'étais pas un ange non plus. Comme tout le monde il m'était arrivé de déraper, de commettre des erreurs, de faire du mal aussi. Mais jamais volontairement ceci dit. Car nuire à mon prochain était bien la dernière chose que je souhaitais faire sur cette terre. Suite à ça, je proposai le prénom "Pippa", célèbre diminutif de Philippa. Et comme je m'y attendais, j'essuyai bientôt un nouvel échec. « Non plus. » Roooh. Je soupirai. Bon, et bien ça ne serait pas pour cette fois non plus. Je n'eus le temps de réagir puisque bientôt elle poursuivit. « et c'est ni Diana, ni Elisabeth. » Je laissai s'échapper un rictus. Je voyais parfaitement où elle voulait en venir, et pour cause lors de mes deux précédentes propositions je m'étais un peu trop fixé sur les prénoms portés par les grandes dames du royaume britannique. « Oh, c'était mes deux prochaines propositions ! Zut de zut ! Bon... » Avant de proposer un nouveau prénom, je devais faire un nouvel aveu. Mais lequel... sur le moment je ne sus trop quoi lui dire, et puis une illumination, ou que sais-je, quelque chose me traversa l'esprit, sonnant alors comme une évidence. « J'aime la solidarité, la générosité de l'homme quand il daigne en faire preuve... » fis-je, avant de répliquer « ... je voudrais un monde où il n'y aurait ni conflits, ni guerres, ni famines, ni deuils, où il ferait bon vivre n'importe où, où l'homme serait heureux où qu'il aille, quoi qu'il fasse. » Bien bien bien. Elle venait de découvrir quelque chose de nouveau à mon sujet : j'étais un éternel rêveur. Tout ceci relevait de l'utopie, c'était impossible et pourtant je continuais de croire en l'existence prochaine d'un tel monde. J'étais surtout d'une naïveté déconcertante. Try-again-time. « Alors, heu... Gwyneth ? » Quoi ? Mais c'était de pire en pire en fait. Si je continuais à lui sortir des prénoms aussi invraisemblables, elle allait finira par croire que je ne prenais pas du tout notre deal au sérieux et que je tentais d'expédier la chose, alors que ça n'était pas du tout le cas en plus ! À la précédente proposition, je m'étais juré de me reprendre. Et voilà que, rebelote, je ressortais une énormité tout en sachant pertinemment que j'allais une nouvelle fois être conduit à l'erreur. Ah, j'avais comme l'impression que les deux derniers essais ne seraient pas suffisants pour deviner le prénom de la jeune femme. À moins qu'un miracle ne se produise, non, ça semblait plutôt mal parti.

Elle l'aimait bien, Malik. De ce que lui permettait le peu qu'elle savait de lui, du moins. Alors forcément, l'écouter parler ne la dérangeait pas. Au contraire, ses paroles la fascinaient, dans la mesure où il semblait profondément gentil, profondément rêveur, profondément humain, aussi. Les restes d'un sourire sur les lèvres qui était apparu après l'une de ses répliques, elle songeait à ses dires, les retournant d'esprit dans tous les sens. C'était sans aucun doute le monde parfait, qu'il décrivait là. La société idéale, la vie rêvée. Le souhait que l'on faisait tous. Nombre de fois elle avait aspiré au même idéal. Elle se souvenait avoir questionné ses parents durant des heures, lorsqu'elle était gamine, au point de les faire virer au violet. Pourquoi ? Pourquoi ? Et pourquoi ? C'était un peu son credo, sa phrase type, le "pourquoi". Elle prononçait ce mot à peu près à la même cadence qu'elle respirait. Et, ainsi perdue dans ses réflexions, elle ne revint sur terre que lorsque joueur, il proposa un énième prénom. « Quelle horreur ! » s'exclama-t-elle. Mon dieu, pourquoi pas Cunégonde ou Jessica, tant qu'il y était ? Elle était tellement heureuse de ne pas s'appeler Gwyneth, tellement heureuse. Une vague information lui revint en mémoire, néanmoins, si bien qu'elle ajouta « cela dit, dans un certain sens, tu chauffes... » ce qui n'allait sans doute que le perdre davantage. En effet, son prénom, Ismay, figurait dans un roman que la jeune femme avait lu et relu, roman dont l'un des personnages principaux se nommait Philip de Gwynedd. Si le nom n'était pas exactement le même, il l'était suffisamment que pour faire l'amalgame. Mais il était fort peu probable qu'il connaisse suffisamment bien le livre que pour se souvenir d'un prénom n'y figurant qu'une seule fois. Elle-même ne l'aurait sans doute jamais remarqué, si elle ne s'était pas appelée ainsi. « J'ai l'impression de t'exploiter » remarqua-t-elle alors. C'est vrai ça. Il parlait, parlait, parlait, avec en plus la tâche délicate et ardue de découvrir son prénom alors qu'elle se contentait de répondre par oui ou non et de l'écouter « rappelle-moi de participer un peu plus à la discussion, la prochaine fois » et un air farouche transforma son expression. Juré, la prochaine fois, ça serait à son tour de balancer sur son compte.

J'avais fait part à Ismay de ma vision tout à fait utopique du monde idéal. Je me faisais tellement d'illusions, s'en devenait déconcertant. Mais bon, j'étais comme ça, je l'avais d'ailleurs tout été. Je fis une nouvelle proposition de prénom, "Gwyneth". « Quelle horreur ! » s'offusqua-t-elle. Oui oui, ce prénom était affreux, j'étais le premier à le reconnaitre ! Pourquoi l'avoir proposé ? Bah, c'est surtout que ça m'avait échappé en fait. « T'as raison, moi non plus j'aime Paltrow. » Et hop, petit rictus incontrôlable. J'aime pas trop, Gwyneth Paltrow, vous avez saisi la blagounette ? Bon, c'est vrai que dans le genre hilarant, on avait fait mieux. Je n'étais clairement pas au top de mon humour ce soir, mais cela était en partie dû au fait que mes propositions s’avéraient toutes plus foireuses les unes que les autres, et que par conséquent je n'avais plus que de très infimes chances - inexistantes presque, hein, sans se mentir - de deviner le prénom de ma camarade. « cela dit, dans un certain sens, tu chauffes... » Ah là, elle m'intriguait fortement. Je chauffais, vraiment ? S'il était question du prénom porté par l'une des filles de Gwyneth Paltrow, ça n'allait pas le faire, de vous à moi. Non, il devait y avoir un autre rapport, un rapport que bien sûr j'étais incapable de déceler. « J'ai l'impression de t'exploiter » rétorqua-t-elle. Je n'avais pas cette impression, cela me plaisait de "converser" avec elle. « rappelle-moi de participer un peu plus à la discussion, la prochaine fois ». J'affichai un sourire satisfait. « Très bien ! Attention j'ai une excellente mémoire, alors je m'en souviendrai, sois-en sûre. » Elle pouvait être certaine que lors de notre prochain échange, qu'il ait lieu demain ou dans deux semaines, elle allait à son tour être amenée à passer aux aveux concernant sa personne. Et, qui sait, elle aurait peut-être même droit à des questions de ma part, hm. Bon, je devais lâcher une nouvelle chose que j'aimais, là, non ? « J'aime m'entourer de personnes ne se prenant pas la tête inutilement. » C'était, hélas, de plus en plus rare à trouver. Les stressés et préoccupés de la vie, les paranoïaques... j'avais un peu de mal avec eux car forcément, ils n'avaient pas constamment la banane comme je l'avais moi. Et oui, moi on m'avait appris à sourire. Voilà qui était dit. Et maintenant, une nouvelle proposition de prénom s'il vous plait. Réflexion en cours, 42%... 60%... 89%... 100%. « Hm... Alanis ? » Je trouvais que c'était un prénom qui lui allait bien, mais ça ne pouvait pas être ça, non, s'aurait été un sacré coup de bol donc techniquement c'était une nouvelle erreur que je venais de commettre. Mais qui ne tente rien n'a rien !