Raphaël

LUNDI 01 OCTOBRE ; 18H24
LA PLAGE

Cette petite plage était pour le moins agréable, surtout pour les êtres solitaires tels que Raphaël. Car il fallait bien avouer que ce dernier avait encore quelques difficultés à se mêler aux autres habitants, lui qui pourtant tâchait tant bien que mal de faire des efforts de sociabilité. Cela n'avait rien d'aisé, pour un jeune homme qui avait passé une bonne partie de sa vie à ne fréquenter que les quelques membres de sa famille et à se couper petit à petit du reste du monde. Il fuyait ses semblables par peur de souffrir, et n'était donc pas tellement à l'aise au beau milieu d'autant d'inconnus. Après tout, bon nombre d'entre eux avaient du être castés simplement pour lui causer du tort. Les autres, quand à eux, y penseraient probablement tous seuls, comme des grands. Voyez un peu avec quel genre de pensées le jeune homme accablait présentement son esprit. Ça en devenait véritablement pitoyable. Il était visiblement grand temps qu'il y fasse quelque chose, parce que tout cela ne pouvait clairement plus durer. Quoi qu'il en soit, et tandis qu'il restait seul à l'écart des autres - pour ne pas changer, hm - voilà qu'il fut bientôt abordé par l'un de ses camarades. Malik. Si tous deux ne s'étaient jamais véritablement adressés la parole, ils avaient eu l'occasion de converser via le blog du jeune homme, qui avait alors posté une photo d'un Raphaël décidément solitaire de nature. Son camarade prit donc la parole, lui faisant savoir qu'il trouvait dommage de ne pas être présentement muni de son appareil photo. Et bien sachez que Raphaël n'allait pas s'en plaindre. Il n'aimait pas être pris en photo, et le fait que tout le monde semble se plaire à se photographier incessamment avait grandement tendance à le déranger. Ainsi donc, pas de photo, c'était parfait. « Cet oubli a tendance à m'arranger, honnêtement » notifia-t-il alors, dans l'esquisse d'un sourire. Mais il ne put que se sentir quelques peu gêné suite aux autres paroles de Malik. Effectivement, Raphaël était perpétuellement seul. Ça n'était pas tellement nouveau, à vrai dire. « Je ne suis pas à l'aise en compagnie des autres » reprit-il alors, dans un bref haussement d'épaules. Il avait l'impression de se répéter, encore et encore. Son camarade finit par prendre place à ses cotés, tandis que Raphaël se demandait sérieusement ce qui pouvait bien le pousser à se joindre à un type chiant au possible. Malik lui posa alors une question. Une question pour le moins surprenante. Inattendue, en tout cas. « Je ... je ne me suis jamais vraiment posé la question, à vrai dire. Mais je crois être assez ouvert d'esprit, alors pourquoi pas. » Bon et sinon, à quoi pouvait bien rimer une question aussi saugrenue ? Ah, il aimerait bien le savoir figurez-vous. « Tu te perçois comme un extraterrestre, ou bien cette question fut simplement posée dans le but de parler ? » Autant envisager tous les scénarios. Raphaël venait bien de dire qu'il était ouvert d'esprit, de toute façon.

Vraiment, ça n'était en rien un problème que Malik soit sorti sans son appareil photo. L'on pouvait même dire que cela n'était pas sans soulager quelques peu Raphaël qui, honnêtement, aurait eu quelques peu du mal à supporter d'être pris en photo une fois de plus. Il n'avait pas franchement envie que sa sale tête se retrouve encore une fois sur un blog, lui qui dépréciait à un point inimaginable de se voir sur une photo. C'était comme ça, il n'aimait pas ça. Par la suite, il fit savoir à Malik qu'il avait tendance à être assez mal à l'aise en compagnie de ses semblables, ce qui était bien vrai. C'était d'ailleurs pour cette très bonne raison qu'il tâchait de se tenir quelques peu éloigné de ces derniers. Il était rapidement embarrassé, que ce soit par un contact physique ou par une simple présence, alors sa solitude était encore la seule compagnie qui pouvait ne pas le mettre dans un profond embarras disons. Mais Malik avait raison. Il avait déjà eu l'occasion de s'en rendre compte, comme probablement pas mal de monde en fait. Il faut dire que Raphaël semblait porter une pancarte où était inscrit le message "j'ai peur de vous, ne m'approchez pas". Pathétique, hein. Mais voilà que la question que lui posa Malik le laissa perplexe. Il le questionnait sérieusement sur la possible existence d'une intelligence extraterrestre ? Hm, visiblement. Mais pourquoi cela ? Quel était donc l'intérêt, au juste ? Vraiment, il ne comprenait pas tout. Son camarade lui fit par la suite savoir qu'il était une sorte d'extraterrestre, ce qui fit doucement sourire Raphaël. Pour le coup, il était même partiellement amusé. Parce qu'il avait à ses cotés un drôle de cas, visiblement. Mais bon, il faut bien un peu de folie dans ce monde si triste, hm. « Tu sais, je ... je ne suis pas quelqu'un d'intéressant. Je peux participer à une conversation, mais je ne m'y impliquerai jamais totalement. La sociabilité, ça n'est pas tellement mon truc. C'est plus le tien, je crois. Et je ne voudrais pas que tu perdes ton temps avec moi. » Car même si Raphaël s'était personnellement missionné de faire des efforts d'un point de vue sociable, l'on pouvait dire que ça n'était pas gagné. Oui, autant être lucides, et réalistes. Malik cherchait maintenant à savoir si Raphaël avait un minimum d'entourage. Et bien ... « J'ai trois sœurs ainées. Une que je vois souvent, une autre que je vois de manière plus occasionnelle et une dernière que je ne vois presque plus. J'ai des neveux et des nièces, mais je n'ai pas le droit de les voir. Ma mère est morte, mon père s'est envolé dans la nature. Et je n'ai aucun ami. » Tel était la stricte vérité, aussi peu glorieuse soit-elle. « Parle-moi plutôt de toi, Malik. Qui es-tu ? » Il ne lui demandait pas sa biographie complète, simplement quelques éléments clés sur sa vie, sur ce qu'il était. Raphaël pouvait être curieux, lui aussi. Surtout quand cela lui permettait d'éviter d'en dire plus à son sujet.

Raphaël, intéressant ? Hahahaha ... mais bien sûr. Il était même aussi intéressant qu'il était à l'aise avec les autres. A savoir pas du tout, hm. A ses yeux, en tout cas, ça n'était pas le cas. Non, il ne s'était jamais vu comme quelqu'un d'intéressant, que l'on se plairait à apprendre à connaitre. Il avait pourtant eu l'occasion de constater que de nombreuses personnes s'étaient intéressées à son cas. Mais cela n'avait jamais tellement fait de lui quelqu'un d'intéressant. Ainsi donc, et même s'il ne se risqua pas à répondre à son camarade, Raphaël haussa doucement les épaules lorsque celui-ci lui fit savoir qu'il était, à ses yeux, intéressant. A quoi bon débattre là dessus ? Il n'était pas d'accord, mais il ne se plairait pas à le revendiquer à tout prix. Par la suite, Raphaël fut en tout cas amené à parler de sa famille, de ses sœurs disons, et du fait qu'il n'avait absolument aucun ami. Et c'était bien vrai. Pas l'ombre d'un ami, que ce soit pour venir diner, pour se rendre au cinéma ou pour se promener. Personne. Quant à ses sœurs, il ne les voyait pas si souvent que cela. La plus âgée ne voulait quasiment plus le voir, la seconde était trop occupée à gérer son restaurant, et la dernière semblait vouloir vivre sa vie, sans avoir à se coltiner frérot Raphaël, ce que ce dernier pouvait comprendre. Malik chercha alors à savoir pour quelle raison Raphaël ne voyait-il plus tellement sa plus grande sœur et ses neveux et nièces, à savoir les enfants de cette dernière. Hm, il n'était pas certain de vouloir lui raconter cette histoire en détail, ne serait-ce que par respect pour sa sœur. « Alicia a vécu un drame. Quelque chose qui a bouleversé sa vie. Elle a eu du mal à s'en remettre, et a commencé à s'éloigner. De moi, principalement. La seule fois où je me suis risqué à lui demander pourquoi ... pourquoi elle me chassait principalement de sa vie ... elle m'a répondu qu'à moi seul, je lui rappelais ce drame qu'elle avait vécu. La mort. Je lui rappelle la mort. » ... de l'un de ses fils, aurait-il pu ajouter. Mais ça ne regardait pas les téléspectateurs, ni même Malik, aussi gentil soit-il. « Il va de soi qu'en ne voyant quasiment plus ma sœur, je ne vois quasiment plus ses enfants. » Et parait-il que c'était une bonne chose, plus qu'il avait - selon Alicia - tendance à leur apparaitre comme une figure peu rassurante, et non comme un oncle. L'apprendre lui avait fait du mal, mais il s'y était fait. Disons qu'il n'était plus à cela près, hm. Quoi qu'il en soit, il serait grandement plus plaisant d'entendre un peu parler de Malik. Qui était donc ce jeune homme ? Ce dernier se présenta alors, donnant quelques détails sur sa vie, et allant même jusqu'à lui montrer une photo où il apparaissait avec son frère jumeau. Un sourire naquit spontanément sur les lèvres de Raphaël. Légèrement embonpoint ? N'exagérons rien. « Vous avez de magnifiques yeux, lui et toi » articula-t-il alors, sincère. Des yeux d'un bleu troublant. Il était en tout cas certain que Malik et son frère étaient jumeaux, même s'il est vrai qu'une petite différence de poids était notable entre eux. Mais rien de stupéfiant pour autant. « Tu t'entends bien avec lui ? » ajouta-t-il, par curiosité. Les jumeaux étaient supposés être complices, non ? Ou bien n'était-ce qu'un mythe ...

Cela n'était pas aisé à évoquer, mais effectivement, Raphaël ne voyait plus tellement sa sœur ainée, et ce depuis quelques temps. De même, il ne voyait plus les enfants de cette dernière, leur mère jugeant préférable que leur zombie de tonton se tienne à distance d'eux. Bon, à la rigueur, il pouvait le comprendre. Lui même avait parfois bien envie de se fuir, si tant est qu'il le puisse, genre en sortant de son corps et en s'éloignant ... hm ... non, ça n'était finalement pas tellement plausible. Donc il était condamné à vivre avec lui-même, logiquement. Bah oui, sans nul doute. Quelle tristesse. Sa sœur, en tout cas, avait trouvé malin de lui faire savoir qu'il lui rappelait la mort. Autant vous dire qu'il avait trouvé cela charmant et sympathique. Non parce qu'il avait beau s'intéresser au morbide, à toutes ces choses là, il n'en était pas pour autant plaisant d'entendre sa sœur dire qu'il lui rappelait la mort elle même. Il faut pourtant bien comprendre qu'Alicia avait vécu un drame bouleversant, et qu'il avait tendance à ne pas lui en vouloir, et à ne surtout pas insister auprès d'elle, ne souhaitant pas remuer le couteau dans la plaie. Il déplorait simplement qu'il lui faille un coupable, et que ce soit tombé sur lui. Parce que dans cette histoire, il avait perdu une sœur, des neveux, et des nièces. Son beau-frère, à la rigueur, il n'en avait rien à secouer, vu qu'il s'agissait d'un adorable trou-du-cul qui n'avait jamais manqué de lui rappeler ô combien il lui était supérieur, mais déjà qu'il n'avait que sa famille autour de lui, si maintenant on lui en retirait une partie, ça n'allait pas tellement le faire, hein. « Très pesant, oui. Mais je ne cherche pas à m'imposer dans sa vie. Elle m'en a chassé, parce que ce devait être plus facile pour elle, alors je tâche de l'accepter. » Même si la décision d'Alicia lui avait fait beaucoup de mal, presque autant que le fait d'avoir pu constater qu'elle s'en fichait éperdument, hm. « Bien sûr qu'ils me manquent. Je n'ai peut être jamais été ni le frère ni l'oncle rêvé, mais je les aime. Je ne crois pas en la réciprocité de cet amour, mais il est véritable. » Parce que bon, sa sœur l'avait zappé et c'était tout juste si ses neveux et nièces devaient se souvenir de lui. Il ne doutait pas du fait que leur maman avait du se débrouiller comme une reine pour bannir " l'oncle Rapha' " de leur univers familial. Il n'existait plus pour eux à ce jour, et il n'avait plus qu'à faire avec. Les deux jeunes hommes eurent ensuite l'occasion de comparer Malik avec son frère jumeau, Abdel. Une ressemblance frappante, notamment au niveau des yeux. Des yeux d'un bleu magnifique et stupéfiant, si l'on tient compte de leurs origines. « Je te remercie. » Il complimentait et se voyait complimenté en retour, c'était agréable. Ses yeux, on lui en avait souvent parlé. Mais il ne les avait jamais trouvé extraordinaires. C'étaient des yeux, en fait. Hm, oui voilà. Malik lui parla alors un peu de sa relation avec Abdel. Ces deux là semblaient complices, rien que la photo le montrait. « Vous êtes chanceux de vous avoir, l'un et l'autre. » Et c'était bien vrai. Ils semblaient complémentaires et c'était une bonne chose. Nul doute qu'ils pouvaient compter l'un sur l'autre. « Ton père, où est-il ? » demanda-t-il spontanément, n'étant pas certain que ce soit la question à poser. Mais il était tout juste dans la phase d'apprentissage social. Il débutait, en somme.

Il va de soi que sa sœur lui manquait, au même titre que ses neveux et ses nièces. Ne plus les voir lui pesait beaucoup, c'était évident. Raphaël était déjà extrêmement solitaire, il n'avait pas en plus besoin qu'une partie de sa famille lui tourne subitement le dos. Pour autant, il est vrai qu'il comprenait le point de vue d'Alicia. Pas sûr qu'il l'accepte véritablement, mais il le comprenait, oui. Parce que sa sœur avait vécu une épreuve épouvantable et que même s'il déplorait le fait d'avoir été désigné comme une sorte de coupable et de solution miracle à ses problèmes - comme si bannir son frère de sa vie allait la lui rendre plus aisée - il s'efforçait de garder en tête que le drame qu'elle avait vécu avait tendance à excuser les choix qu'elle avait été amenée à faire, même si ces derniers avaient bien souvent terriblement blessé le jeune homme. Malik en vint alors à évoquer les deux autres sœurs de Raphaël. Heureusement, il avait un peu plus de chance de ce coté-là, disons. « Sans pour autant les voir très régulièrement, je peux profiter de leur compagnie assez fréquemment pour penser que tout le monde ne m'a pas nécessairement abandonné. » Parce que s'il comptait sur Alicia, hein ... Bref. Parler de la famille de Malik s'avérait en tout cas plus intéressant. Ce dernier avait vraisemblablement de la chance d'avoir son frère jumeau et sa mère à ses cotés. Une famille unie, probablement. Vraiment, Raphaël en venait à envier son camarade, lui qui semblait si complice avec son frère jumeau. Il disait avoir tout juste pris conscience de la chance qu'il avait. Au fond, il devait en avoir pleinement conscience depuis un petit bout de temps, mais n'était simplement pas parvenu à l'admettre. Un sourire bienfaisant s'afficha alors sur les lèvres de Raphaël. Mais celui-ci fit visiblement preuve d'une grande maladresse en se permettant d'évoquer le père de Malik, que celui-ci avait justement tenu à l'écart de la présente conversation. Hm, pour quelle raison ? Il n'était pas certain d'avoir envie, ni d'avoir le droit de le savoir. Et à la réaction de son camarade, il comprit que c'était véritablement délicat. Car Malik ne répondit tout simplement pas à sa question, préférant passer à la suite. « Malik, je ... je ne voulais pas être indiscret, et encore moins te blesser. Je réalise que c'était une question à ne pas poser, puisque tu me parais très gêné ... Je suis désolé, vraiment. » Et il va de soi qu'il ne le forcerait pas à évoquer son père si cela était trop éprouvant pour lui. Malik n'était pas forcé de se confier à lui, c'est évident. « Mais hm, pour répondre à ta question, je ... je recherche surtout un moyen d'aller mieux, de guérir. L'argent ne m'intéresse pas, la notoriété encore moins, et je ne suis pas suffisamment naïf, je pense, pour espérer rencontrer quelqu'un dans un tel programme ... » Pourtant, il avait évoqué cette possibilité lors de son casting, il s'en souvenait. Au fond, peut être espérait-il aussi trouver l'amour. C'était idiot et romantique. Mais Raphaël était idiot et romantique, justement.