L'une de ses sœurs l'avait certes banni de sa vie et de celles de ses enfants, j’espérais tout de même que la situation différait du tout au tout pour ce qui était de ses deux autres sœurs - dont je ne connaissais d'ailleurs pas les noms -, et qu'il avait l'occasion de les voir fréquemment, qu'il n'était pas réellement seul et qu'il pouvait compter sur un fragment de famille malgré tout. « Sans pour autant les voir très régulièrement, je peux profiter de leur compagnie assez fréquemment pour penser que tout le monde ne m'a pas nécessairement abandonné. » Du moment qu'il avait encore un semblant d'entourage, c'était le principal. Moi je n'avais plus que ma mère et mon frère, mais cela me suffisait, enfin je crois. Bien sûr j'aurais aimé pouvoir compter sur mon père, il m'aurait certainement évité bien des ennuis, mais hélas ce dernier n'était plus de ce monde. Ce sujet était tabou, très tabou, et je le fis en quelque sorte comprendre à Raphaël en esquivant tout simplement sa question. « Malik, je ... je ne voulais pas être indiscret, et encore moins te blesser. Je réalise que c'était une question à ne pas poser, puisque tu me parais très gêné ... Je suis désolé, vraiment. » Il pouvait se rassurer, je ne lui en voulais absolument pas. Car ce n'était pas non plus écrit sur mon front que ce sujet était à éviter avec moi. Aussi, je préférais lui signifier qu'il n'y avait aucune malaise entre nous, afin qu'il ne pense pas un instant que je puisse lui en tenir rigueur, ou tout simplement vouloir avorter cette conversation. « Tu n'as pas à être désolé, tu ne pouvais pas savoir. J'aimerais juste que nous n'en parlions plus. » Pas pour le moment tout du moins. Peut-être, un jour, serais-je amené à évoquer avec lui les circonstances de la disparition de mon père, mais ça n'était ni le moment, ni le lieu. Je lui avais entre temps demandé de me parler des raisons qui l'avait poussées à tenter cette aventure. C'était avant tout pour switcher sa question concernant mon père, en fait, mais cela m'intéressait néanmoins. « Mais hm, pour répondre à ta question, je ... je recherche surtout un moyen d'aller mieux, de guérir. L'argent ne m'intéresse pas, la notoriété encore moins, et je ne suis pas suffisamment naïf, je pense, pour espérer rencontrer quelqu'un dans un tel programme ... » Pourtant c'était, à mon sens, ce dont il pouvait avoir besoin afin de vaincre cette apparente solitude, rencontrer quelqu'un. Je me demandais d'ailleurs s'il avait un jour été en couple, mais je me retins de le lui demander, estimant que j'aurais l'occasion, une autre fois, de le faire. Néanmoins ses propos venaient de faire écho dans mon esprit. « Je me reconnais dans tes paroles, comme toi je cherche à guérir, comme toi l'argent ne m'intéresse pas, la notoriété non plus... seulement je suis certainement plus naïf que tu ne l'es toi. C'est même une certitude, car je ne pense pas que l'on puisse trouver plus crédule que moi ici. » Demandez à n'importe qui, mes camarades, ceux que j'avais rencontrés, pourraient pour la plupart le confirmer... Mais j'étais comme ça, on ne pouvait pas changer ma nature bien que parfois, j'aimerais être un peu plus lucide, plus réfléchi également. « Allez, on bouge. Je veux dire, j'ai dans l'idée de quitter cette plage pour me promener un peu mais je t'emmène avec moi, de gré ou de force, comme ça on poursuivra cette discussion en route. » Comprenez par là que je ne laissais pas tellement le choix à Raphaël dans cette histoire : il était à mon sens resté seul bien trop longtemps ce soir et à présent il allait devoir s'accommoder de ma présence qui, je l'espérais, n'était pas trop encombrante non plus. Ainsi je me levai, et saisis le bras de mon camarade pour l'aider à se lever à son tour. Puis, je lui offris un grand sourire. « Et n'oublie pas une chose : moi, tu peux venir me voir quand-tu-veux. Si t'as besoin de parler, de jouer aux cartes, ou autre, je suis là. Bien bien, allons-y. » Je parlais, je parlais, mais si je ne me taisais pas on risquait d'être encore sur cette plage le lendemain matin, et personnellement je n'étais pas trop partant pour dormir dehors. Non, c'était pas trop mon truc et Nicole ne comprendrait pas mon absence dans le lit conjugal. Raphaël et moi quittâmes donc cette plage, et si nos chemins devaient se séparer quelques pas plus loin, il semblait évident que lui et moi serions amenés à nous revoir, à conserver de nouveau ensemble. Car j'avais appris pas mal de choses le concernant ce soir, et il m'avait touché. Je venais là de faire une très belle rencontre.