Des tombes. Encore des tombes. Toujours des tombes. N'allait-il donc passer sa vie qu'à observer des tombes ? N'allait-il donc passer son temps qu'à fréquenter les morts ? Ne pouvait-il donc pas tenter de passer davantage de temps avec les vivants ? Visiblement, non. Il se sentait bien ici. Oui, dans ce lieu que beaucoup devaient trouver peu accueillant, voire peut être un tantinet effrayant, Raphaël se sentait bien. Les cimetières étaient les rares lieux au monde où il se sentait bien souvent en sécurité. L'atmosphère lui correspondait. Sombre, inquiétante, morbide. Il aimait généralement s'aventurer dans les différentes allées, en laissant son regard se poser sur les différentes sortes de pierres tombales qu'il pouvait croiser. Il se surprenait même parfois à les commenter dans son esprit, par exemple en notant qu'une tombe était particulièrement belle, qu'une autre aurait du être refaite, ou encore qu'une autre lui rappelait celle de sa mère. Tant de petites pensées qui avaient tendance à obnubiler son esprit, et ainsi à lui éviter de penser à tout ce qui avait tendance à lui causer du soucis généralement. Quand il était dans ce genre d'endroits, Raphaël ne pensait plus à sa vie, mais plutôt à sa mort. Alors oui, c'était assez flippant de se mettre à penser au jour où il ne serait plus là, au nombre de personnes qu'il pourrait y avoir à ses obsèques ou au fait qu'il puisse en fait n'y avoir personne, mais le fait est qu'il préférait cela plutôt que de penser à ce qu'il vivait au quotidien. C'était trop dur, trop douloureux, trop éprouvant. Ici, c'était différent, parce qu'il ne pensait plus à ce qui le faisait souffrir. Pas à cet instant précis, en tout cas. Car il avait tout de même été amené à évoquer ses troubles la semaine passée, à ce même endroit. Aujourd'hui cependant, il n'y tenait pas. De toute manière, il était seul. Quoi que pas tant que ça. Parce que non loin de là se tenait un homme, debout, face une tombe. Un candidat ? Naturellement. Visiblement, il s'agissait de Callan. Il ne lui avait jamais parlé, mais il avait une bonne raison d'associer aisément son nom à son visage. Et pour cause, il était marié à sa partenaire. Raphaël s'avança alors, se postant bientôt aux cotés de son camarade et posant son regard sur la tombe devant laquelle ils se trouvaient tous les deux. « La jeune femme qui repose ici est décédée à l'âge de vingt-trois ans. Vingt-trois ans, c'est mon âge. » Oula, quelle révélation. Il était pourtant à peu près certain que Callan n'en avait pas grand chose à faire. Disons qu'il l'avait oublié, l'espace d'un court instant. L'instant de trop, hm.

Je ne sais pas ce qui me pousse à me rendre jusqu'au cimetière ? Une envie morbide, une façon de me torturer, d'essayer de me repentir de mes actes sûrement. Les cimetières ont été construit pour qu'on puisse s'y recueillir, qu'on puisse se remémorer la personne qui y repose. Je n'ai pas de visage précis à me remémorer. J'ai simplement ce besoin de me recueillir, peu importe la tombe sur laquelle je me trouve. J'ai les mains croisés, la tête baissé et je récite une prière. Je suis catholique pourtant je récite en Irlandais. Une prière que j'ai appris plus jeune. Elle me hante depuis un moment. Elle parle de pardon et d'absolution. J'ai les yeux clos, et les ouvre à nouveau lorsque j'entends des pas arriver vers moi. Je remarque que je me suis arrêté devant la tombe d'une jeune femme, un très jeune femme. Un signe sans doute. J'en sais rien. L'inconnu arrive rapidement à ma hauteur. J'incline légèrement la tête afin de connaître l'identité de mon interlocuteur. Il s'agit du partenaire chétif de ma femme. Il se tient à mes côtés, et comme phrase d'introduction me parle de l'âge de la jeune femme qui a été enterré il y a plus de quarante ans, ici même. « C'est beaucoup trop jeune pour mourir. » A vrai dire, il n'y a pas d'âge idéal pour la mort. Pourtant cette fatalité arrive souvent trop tôt. Je détourne mon regard de cette pierre tombale, j'observe un instant le candidat, très jeune. « Je me suis longuement demandé pourquoi Candace avait pris si violemment ta défense lors du prime auprès de Daphne, mais je pense que c'est parce que tu l'intrigues sans doute autant que tu m'intrigues moi. » Qu'on se le dise, malgré son métier d'avocate, elle n'a jamais pris la peine de prendre la défense de qui que ce soit. Candace est égoïste, et pourtant, ça a été le cas avec lui. C'est étrange.

Trop jeune pour mourir. Effectivement, c'était mourir trop jeune que de mourir à vingt trois ans. Pourtant, la mort ne choisissait pas toujours les vies les plus avancées pour frapper. Elle s'en prenait bien souvent à ceux qui n'étaient pas de ce monde depuis longtemps, ce qui pouvait expliquer le fait que des nouveaux-nés décèdent dès les premières heures de leur vie et que des parents soient également forcés de faire le deuil de leurs enfants. C'était injuste, au fond. Et Raphaël en avait particulièrement conscience. Lui, il n'était pas heureux dans la vie qu'il vivait. Alors au fond, s'il venait par exemple à trépasser demain, ce ne serait en rien quelque chose de franchement dramatique. Lui aussi n'avait que vingt-trois ans, mais la vie qu'il avait vécu ne lui avait pas tellement donné envie de la poursuivre. Il était simplement trop lâche et trop craintif pour se la lui ôter seul. Mais si la mort décidait de passer par chez lui d'ici quelques temps, vous pouvez être sûrs qu'il quitterait ce monde sans le moindre regret, si ce n'est peut être d'avoir perdu la vie après ceux qui en auraient bien voulue encore quelques temps. Sa vie, il l'échangerait volontiers contre la mort d'un enfant, ou de quiconque d'ailleurs. Pourtant, il remarquait que des êtres innocents et désireux de vivre étaient bien souvent fauchés dans la fleur de l'âge. Et il trouvait ça dommage. Il restait plus ou moins persuadé que Dieu existait, mais il n'aurait pas de quoi le féliciter si un jour il lui rendait visite. Quoi qu'il en soit, Raphaël ne put que hocher doucement la tête aux paroles de son camarade. Il n'était pas particulièrement à l'aise aux cotés de l'époux de sa camarade, dans la mesure où il n'avait pas encore eu l'occasion de faire connaissance avec lui. Son camarade évoqua alors justement Candace, ce qui attira particulièrement l'attention de Raphaël. Il évoqua alors le prime, les paroles de Daphné, et la réaction de Candace. Effectivement, il lui avait semblé qu'elle n'avait pas manqué de réagir à tout cela, vu qu'il avait surtout eu droit à un sourire de sa part. « Hm, je ne sais pas, peut être. Candace s'est aussi montrée avenante avec moi lors du prime d'ouverture ... Je ne sais si c'est par pitié, parce qu'elle est intriguée ou pour une quelconque autre raison qu'elle agit de la sorte, mais ça me fait du bien, je dois dire. » Il esquissa un sourire avant de baisser doucement la tête. Il réfléchissait aux paroles de Callan. Là, il ne put s'empêcher de lâcher un nouveau commentaire. « C'est étrange, j'ai l'impression d'intriguer pas mal de monde ici. Je n'ai pas l'habitude de tout ça. Généralement, on ne s'intéresse pas à mon cas. Ou quasiment pas, disons. » Ici pourtant, on le questionnait, on cherchait à en savoir plus sur sa vie ... Cette attention n'était pas déplaisante, quoi qu'un peu gênante tout de même.

Raphael n'a pas l'air très à l'aise. Je ne sais si c'est par ma faute ou bien si c'est simplement la situation mais il me semble tendu. Je n'aime pas ça. Je n'aime pas mettre les gens mal à l'aise. A vrai dire je me moque qu'il dorme avec ma femme, je serais nettement moins serein si on l'avait mis avec un playboy, un type qui se moque de son statut et qui tente le tout pour le tout pour la faire flancher. J'ai confiance, mais je la connais suffisamment pour me méfier. Bref, Raphael n'est pas comme ça. Je n'ai pas besoin de le connaître pour m'en rendre compte. Il ne peut pas être aussi bon comédien que l'est sa partenaire. D'ailleurs la conversation dévie rapidement sur elle. Candace. Je l'écoute avec attention. Néanmoins je tique sur une partie. Je m'empresse de le lui dire. « Je t'arrête toute suite. S'il y a bien une chose que Candace est incapable de faire c'est d'agir par pitié. Elle a des défauts, elle n'est pas toujours très honnête, je le sais, mais la pitié elle ne connait pas. Sois en sûr. » J'essaie de le donner confiance comme je peux, en elle, parce que je pense que c'est nécessaire même si la confiance ne se gagne pas facilement. Même si elle est comme elle est. Je fronce une nouvelle fois les sourcils, mais pour une raison différente. « Je pense que tu mérites à être connu Raphael, Cupidon ne t'aurais jamais choisi sinon, il ne laisse jamais rien au hasard. » Il n'a visiblement pas confiance en lui. Je ne connais rien de sa vie pour juger ou en tirer des conclusions alors je ne dis rien. Mais, il doit avoir ses raisons, raisons qu'il dépassera, je l'espère sincèrement.

Au fond, Raphaël était habitué à ce qu'on ait pitié de lui. Parait-il que c'était à peu près tout ce qu'il inspirait, de la pitié. Sa mère le lui avait souvent répété, alors il avait fini par s'en convaincre lui même. Bon, ça n'était pas tellement plaisant de partir du principe que parce que quelqu'un se montrait gentil et compréhensif à son égard cela signifiait qu'il lui faisait pitié, mais il préférait quand même qu'on ait pitié de lui plutôt que l'on s'amuse à le persécuter. Et si Candace avait jugé préférable d'agir de la sorte à son égard, au fond, il se disait qu'il valait mieux cela plutôt qu'elle ait décidé de s'en prendre méchamment à lui. Pour autant, le mari de sa partenaire ne tarda pas à se manifester, lui faisant alors clairement comprendre qu'il n'était tout simplement pas possible que Candace ait pitié de lui. Selon Callan, cela ne ressemblait pas à sa femme. Au fond, Raphaël n'avait aucun mal à le croire sur parole. Callan connaissait Candace mieux que Raphaël ne la connaitrait jamais, c'était certain. Alors il partait du principe qu'il disait vrai, n'ayant aucune raison d'en douter. Raphaël hocha alors doucement la tête, histoire de montrer à Callan qu'il comprenait. Il ne ferait donc plus l'erreur de penser que Candace pouvait avoir simplement pitié de lui. Mais le fait que ce ne soit pas le genre de la jeune femme ne signifiait pas que ça n'était pas non plus celui du reste de leurs semblables. Nul doute qu'il aurait encore de quoi alimenter bien longtemps sa paranoïa, hm. C'est alors que Callan lui fit savoir qu'il était probablement intéressant, dans la mesure où il avait été sélectionné pour ce programme. Effectivement, l'on pouvait penser que la Production avait pu voir en lui une part, même infime, de potentiel. Il ne parvenait pas tellement à intégrer cette idée, mais il l'envisageait au moins. Enfin, si on veut. « Je n'ai rien du candidat type que l'on peut trouver dans ce genre de programmes. Je ne suis pas une grande gueule, je n'aime pas séduire, surtout parce que je ne sais pas séduire en fait, je ne suis ni calculateur, ni disposé à jouer le moindre rôle pour me faire apprécier des candidats ou du public ... Il est peut être dommage, au fond, que la Production ait choisi quelqu'un comme moi, qui ne fera probablement pas parler de lui, alors que des postulants plus intéressants ont du être recalés ... Peut être a-t-on simplement vu combien j'avais besoin de cette expérience pour aller mieux. Je ne sais pas ... Peut être ont-ils simplement eu pitié de moi, eux. » Encore une fois, c'était ce qu'il inspirait généralement, de la pitié.