Il était relativement tôt ce matin, et pourtant Raphaël se tenait debout près du lac. Il y était seul, comme à son habitude. Car le jeune homme appréciait généralement de s'y rendre à des heures où peu de gens auraient assurément dans l'idée de s'y promener. Le fait est qu'il fuyait plus ou moins volontairement la compagnie de ses semblables, car la présence de ces derniers avait hélas bien souvent tendance à l'embarrasser. Il n'était pas à l'aise en leur compagnie, était gêné par la moindre présence et était tellement paranoïaque qu'il en venait bien souvent à penser qu'on pouvait se rapprocher de lui uniquement pour lui faire du mal. Les gens avaient malheureusement bien souvent agi d'une telle manière à son égard, et cela l'avait par conséquent rendu très méfiant. Il n'allait pas bien, c'était un fait. Nombreux étaient ses problèmes, mais peu nombreux étaient par contre les solutions qui s'offraient à lui. Peut être resterait-il profondément craintif et associable jusqu'au jour où Dieu aurait enfin décidé de le rappeler. Allez savoir. Quoi qu'il en soit, et tandis qu'il laissait son regard observer avec une attention toute particulière l'eau qui se tenait quelques peu en dessous de lui, il y vit bientôt se refléter un joli minois. Une jeune femme l'avait visiblement rejoint. Une jeune femme qu'il connaissait quelques peu, notamment parce qu'elle était dans son équipe. Asmaa. Oui, tel était assurément son nom. « Je ne sais pas nager » avoua-t-il bêtement. Honnêtement, il la croyait capable de le pousser dans l'eau. Parce qu'il partait toujours du principe que ses semblables étaient plus ou moins mal intentionnés. Bon après, pas sûr qu'il puisse véritablement se noyer dans ces eaux. Mais tout de même, il ne se sentait pas franchement en sécurité. Stupide un jour, stupide toujours.

RAPHAËL
ASMAA
NIVEAU I

J'suis redescendu de mon petit nuage hier soir. Depuis, je dormais. Alors, disons que hier soir c'est dix-huit heures, j'avais dormis plus de dix heures. Comme d'habitude, je m'étais réveillée, honteuse de moi. Voulant me faire plus petite qu'une souris. J'aimerais tellement, même, être seule toutes les nuits. J'aime bien Branca, mais j'avais pas envie qu'elle me voit ainsi. Me réveiller avec les cheveux en explosion capillaire et ma mine d'amnésique chronique se demandant ce que j'ai bien pu faire la veille, l'avant-veille. Me voir me lever avec difficulté et me voir angoisser comme une dingue. C'est égoïste, c'est pas pour elle, c'est pour moi. J'ai honte. J'ai honte en enfilant ma salopette. En enfilant mes chaussettes. En mettant mes godasses. Et en m'en allant au - presque – petit matin. Mon gilet en fausse fourrure rose pétant sur le dos et nœuds ajusté dans mes bouclettes, j'allais en direction du fin fond du village. Pour être tranquille. Pour écrire. Pour m'éloigner du prochain tumulte que sera leur réveil, à tous, parce que nous étions peu éveillé. En tout cas, nous étions déjà deux. Une silhouette près de l'eau, devant. Je le rejoignais tout naturellement, parce qu'il n'a pas l'air comme les autres, lui, Raphaël, je crois. Je n'en suis pas très sûre de dos. À ce que j'ai pu voir de lui, il était en un sens comme moi. À côté de lui, j'avais la confirmation qu'il s'agissait bien de Raphaël. « Je ne sais pas nager » Je tournais ma tête pour le regarder, esquissant un sourire léger. Je haussais les épaules. Non pas que je n'en avais rien à foutre, pas vrai ; simplement parce que ça m'était égale. J'veux dire, je ne me moquerais pas. Y'a pas de quoi. Mon sourire s'élargissait un peu plus. Il me révélait ça, j'allais lui dire quelque chose en échange. « J'suis tellement timide que... » Je déviais imméditament mon regard. C'était bête, terriblement, j'inspirais. « … J'suis tellement timide que... enfin... » Putain, ça sortait pas. Au moins, il avait pas cette façon d'hésiter pendant des heures pour dire un truc totalement bête. J'ouvrais mon gilet, pour chercher dans la grande poche de ma salopette, pour en sortir une barre de céréale. « T'en veux ? » Lui proposais-je, doucement, naturellement.

L'on pouvait clairement dire que Raphaël était le jeune homme de vingt-trois ans le plus malchanceux au monde. Parce que non content d'être puceau et donc profondément inexpérimenté d'un point de vue charnel, d'être en plus quelqu'un de facilement embarrassé et d'une fragilité désarmante, ainsi que d'avoir un rapport assez particulier avec la mort, voilà qu'il avouait maintenant ne pas savoir nager. Au pire, et c'était véritablement une chose à prendre en considération, il pourrait très bien se jeter sous le métro, hm. Puisque visiblement, il faisait un peu office d'ovni au sein de ce monde, de cette société, de cette génération. Et d'ailleurs, pourquoi avait-il cru utile de faire savoir à Asmaa qu'il ne savait pas nager ? Cela n'était tout de même pas comme si une information aussi futile était censée intéresser mademoiselle, si ? Bien sûr que non, et il ne lui demandait naturellement pas de prêter le moindre intérêt à ses paroles. Par contre, il eut été probable que Raphaël craigne bêtement d'avoir à faire à une petite farceuse, qui aurait pu être tentée de le pousser à l'eau juste pour s'amuser. Alors sans doute avait-il préféré anticiper les choses, en lui faisant clairement comprendre qu'il aurait vit fait de se noyer si telle était son intention. Alors qu'en fait, Asmaa n'avait probablement aucune envie de lui jouer le moindre sale tour. C'était simplement - et une fois de plus - l'esprit persécuté de Raphaël qui s'emballait. Oui, c'était fort probable. Il obtint en tout cas un sourire et un regard plutôt plaisants de la part de sa camarade. Et vu qu'il se tenait toujours au bord de l'eau, l'on pouvait en conclure qu'il avait eu tort de redouter la moindre petite farce. Sa camarade prit alors à son tour sa camarade, mais se montra plutôt hésitante. Elle se disait tellement timide que ... que ? que quoi ? Ah, visiblement, Raphaël n'obtiendrait jamais la suite. De telles paroles ne manquèrent alors pas de l'intriguer. Mais tandis qu'il observa avec perplexité sa camarade, voilà que celle-ci lui proposa une barre de céréales. « Je te remercie, mais je n'ai pas faim » déclina-t-il alors poliment, toujours quelques peu curieux au sujet de tout à l'heure. « Alors comme ça, tu es timide ? On ne dirait pas, à te voir si joviale et sociable vis à vis des autres. Je veux dire, j'aimerais beaucoup être timide comme toi ... » Un semblant de rictus lui échappa. Parce que lui, il était plus timide que la timidité. Et n'importe qui pouvait bien souvent le remarquer. Et pour avoir observé sa camarade à quelques reprises, il avait bien du mal à l'imaginer timide au sens le plus strict du terme. Mais soit, peut être les apparences étaient-elles simplement trompeuses.

Fuir, c'était bien la réaction d'une lâche, ce que je suis, ce que je resterais. Pas que j'avais véritablement l'envie de le montrer, mais je ne pouvais pas faire autrement dans ces cas là. J'avais envie d'échapper aux autres pour l'espace d'une matinée, me retrouver avec moi-même comme certains disent. Enfin, je voulais être sûre d'être totalement 'normale' lorsque les autres candidats me croiseront. Marchant à petite foulée, je rejoignais le lac déjà visité. Raphaël. Je ne connais rien de lui. Je ne l'avais même aperçue que si peu de fois. Et je n'arrivais pas à parler, horrible, alors je passais rapidement à autre chose. Pour faire diversion, enfin, ce n'était pas intentionnel, mais ça m'arrangeait bien. « Je te remercie, mais je n'ai pas faim » Je fis un oui de la tête, regardant bêtement ma barre de céréales. Alors, comme il n'en voulait pas, je la laissais retomber dans ma poche. Finalement je n'avais pas faim non plus. C'était simplement histoire d'engager quelque chose qui ressemblait à un semblant de conversation. « Alors comme ça, tu es timide ? On ne dirait pas, à te voir si joviale et sociable vis à vis des autres. Je veux dire, j'aimerais beaucoup être timide comme toi ... » Il lâchais un rire, certes léger et concis, mais un rire quand même. Je trouvais ça, pas malpoli, mais mal venu. Je fronçais les sourcils. Je ne m'étais pas moqué moi, quand il déclarait ne pas savoir nager, pourtant j'aurai très bien pu. Qui ne sait pas nager à notre époque ? Mais même sans rire, sa phrase, je la percevais comme une critique. « Tu te moques de moi, hein ? » D'accord, il avait l'air bien plus timide que moi en apparence, mais simplement en apparence. J'ai mes raisons d'avoir l'air si joviale et sociable, comme il le disait, mais sans cette raison, j'étais complètement paumée. Un petit oisillon tombé du nid, totalement perdu. Vulnérable, comme à présent. Depuis toujours l'on se fiait à l'habit du moine, mais ne dit-on pas que l'habit ne fait pas le moine, justement. Alors oui, je portais un gilet en fausse fourrure rose pétant et il m'arrivait presque tout les jours de m'habiller excentriquement. J'agitais ma tête de droite à gauche, avant de m'éloigner de Raphaël de quelques pas, fourrant mes mains dans mes poches. À quoi bon continuer de lui parler ? J'avais déjà eu bien du mal à le faire. Je suis suceptible, oui et j'étais venue ici pour prendre du temps seule. Pas pour que l'on me traite de menteuse (ouai, c'est comme ça que je voyais les choses, là !)

Non, Raphaël ne se moquait pas. Est-ce qu'il avait l'air de se moquer ? Et bien, peut être. Après tout, il était si rare qu'il en vienne à rire qu'il se pourrait bien que cela puisse être perçu comme une simple moquerie. Alors que, soyons bien clairs, ça n'en était absolument pas une. Raphaël n'était pas du tout du genre à se moquer d'autrui. Il se connaissait tous les pires défauts du monde, se trouvait ridicule à plus d'une occasion, alors il serait assurément bien mal placé pour se permettre de rire de qui que ce soit. Non vraiment, il ne se moquait pas de sa camarade. Mais peut être l'avait-elle perçu de la sorte, effectivement. Et du coup, elle avait les sourcils froncés, un air dur sur le visage, comme si elle lui en voulait à mort. Hm, est-ce qu'elle lui en voulait à mort ? Probablement. Et cette situation incontrôlable avait tendance à gêner terriblement Raphaël. Il n'avait jamais eu l'intention de se moquer d'Asmaa. Il s'était simplement contenté de souligner le fait qu'elle n'avait pas l'air d'une timide, puis qu'il avait eu l'occasion de la voir se rapprocher de pas mal de monde ici, contrairement à lui. Et puis, il y eut aussi cette phrase, selon laquelle il aimerait être "timide" comme elle, à savoir capable de masquer sa timidité en allant malgré tout vers les autres. Cela aussi, elle semblait l'avoir mal pris. Et Raphaël s'en voulait maintenant énormément. Parce qu'il n'était absolument pas capable de rire des autres et qu'il se méprisait d'avoir pu avoir l'air de se moquer de sa camarade. Il n'avait aucune raison de le faire, mais si elle pensait une telle chose, c'est qu'il devait avoir eu l'air de faire preuve de moquerie. Il l'observa sans savoir quoi dire. Il mourrait d'envie de lui assurer que non, il ne s'était pas moqué d'elle, mais aucun mot ne sortait. Parce qu'il n'avait pas l'habitude qu'on lui en veuille. Généralement, on s'en prenait à lui gratuitement, injustement. Là, c'était comme s'il était véritablement en tort, comme s'il venait d'agir au plus mal. Et tout cela l'embarrassait terriblement. Il resta donc silencieux, avant que sa camarade ne tourne les talons. Soudain, et parce qu'il ne voulait pas que cet échange connaisse une fin aussi misérable, il se lança après elle et tâcha de la rattraper. « Attends, s'il te plait ... » fit-il alors, en espérant que cela réussirait à l'arrêter. Parce qu'il ne pouvait pas l'arrêter par un contact physique. Il ne supportait pas d'être touché, comme il ne supportait pas de toucher autrui. « ... je ne me moquais pas de toi. Si tu en as eu l'impression, je m'en excuse. Ce n'était pas une critique, c'était une simple constatation. Je ... je ne doute pas de ce que tu viens de me dire, je n'ai aucune raison d'en douter. » Il baissa doucement la tête et soupira. Il se trouvait bien bête, tout d'un coup. « Je suis désolé si ma remarque t'a blessée. Vraiment, je suis désolé. » Et au bout de la trente-sixième fois, nul doute que tout le monde finirait par le savoir, hein.

J'avais peut-être sacrément mal pris ses paroles, beaucoup trop. Encore, je n'avais pas fait de scène parce que j'en étais pas capable. J'avais juste perçue en ses paroles une pointe de moquerie qui n'existait pas du tout. Je m'étais fait des idées, sauf que sur le coup et avec tout mon mal être me tombant sur le dos, je n'ai pas cherché bien loin à comprendre sa phrase. Il avait raison, en plus. Enfin, raison pour les apparences. Ouai, en groupe, j'avais plutôt l'air à l'aise, mais qui disait que je l'étais réellement ? J'étais aidée pour ça. J'avais assuré mes arrières pour en avoir l'air, mais au plus profond de moi-même, je suis terriblement timide. Joviale, oui, parce que la timidité ne nous préservait pas de la jovialité, mais sociable, c'était autre chose. Piquée au vif, à fleur de peau, je préférais m'en aller que de rester là. Aller simplement un peu plus loin pour passer, pourquoi pas une heure, à regarder l'eau du lac artificiel ne pas bouger d'un pouce. Je tournais alors le dos à Raphaël, le laissant derrière moi après cette unique minute de dialogue. « Attends, s'il te plait ... » Je m'apprêtais à faire un pas de plus. Je n'hésitais pas un seul instant et je m'arrêtais, tournant mon visage ambré vers le jeune homme. « ... je ne me moquais pas de toi. Si tu en as eu l'impression, je m'en excuse. Ce n'était pas une critique, c'était une simple constatation. Je ... je ne doute pas de ce que tu viens de me dire, je n'ai aucune raison d'en douter. » Tandis qu'il parlait, je baissais mes yeux, honteuse finalement de m'être barrée. Maintenant, je me doutais bien qu'il ne se moquait pas, mais ça ne m'avait pas paru évident sur le coup. « Je suis désolé si ma remarque t'a blessée. Vraiment, je suis désolé. » Je levais les épaules en un haussement. Je ne lui en voulais pas, évidemment. « C'est pas grave... » Me contentais-je de lui répondre, regardant l'étendue dos autant que je le pouvais, au dessus de l'épaule de Raphaël. Je ne l'ignorais pas, au contraire, c'est simplement que je ne pouvais pas le regarder en face. Je restais alors silencieuse, gardant toujours mes mains dans mes poches. Je ne savais pas quoi ajouter à présent, bien qu'il avait fait l'effort de venir me rattraper. Je n'aurai jamais osé, si j'avais été dans son cas, non. Et puis finalement, je vint rompre mon soudain silence. « J'ai essayé de combattre ma timidité, mais j'ai emprunté un mauvais chemin. C'est pour ça que j'ai l'air si... sociable, parfois. » Lui répondais-je finalement, ne cherchant pas à ce que Raphaël comprenne quelque chose. Je ne lui disais pas ça non plus pour excuser mon comportement ou pour justifier quoique ce soit. Je laissais mon pied jouer avec le sol, faisant une petit moue. « Tout à l'heure, j'voulais dire que, j'étais tellement timide que j'suais à l'idée de t'adresser la parole... » J'esquissais un sourire, complètement gênée de lui avouer ça. J'aurai très bien pus le garder pour moi, mais non. En plus, c'était carrément délicieux de le lui avouer...

Vraiment, il ne fallait aucunement croire que Raphaël avait cherché à se moquer de sa camarade, parce que ça n'était absolument pas le cas. Simplement, pour une fois qu'il avait tâché de rire à certaines paroles, il faut croire qu'il avait eu l'air de s'en moquer. Or, ça n'était pas du tout pour cette raison qu'un rictus s'était échappé de ses lèvres. Il avait simplement voulu faire comprendre à sa camarade que pour une jeune femme qui se disait timide, elle parvenait on ne peut mieux à le cacher, ce qu'il avait tendance à envier. D'où le fait qu'il ait pu dire qu'il aurait aimé être aussi timide qu'elle, vu que l'attitude de la jeune femme ne laissait absolument rien deviner quant à son réel tempérament. Il faut dire qu'elle semblait pouvoir aller aisément vers les autres, être tout à fait capable de tenir une conversation, et semblait d'ailleurs déborder d'une fascinante joie de vivre. Il était donc pour le moins improbable qu'elle puisse être aussi timide qu'elle le disait. Mais comme venait de l'affirmer Raphaël, il n'avait absolument aucune raison d'en douter. Non vraiment, il ne remettait pas sa parole en doute. Il la croyait même, aussi surprenant cela puisse-t-il être. Quoi qu'il en soit, il fut pur le moins déstabilisé par la réaction d'Asmaa. Celle-ci sembla prendre ses paroles au plus mal, jusqu'à tourner les talons et s'éloigner. Autant dire que Raphaël assista à cette scène davantage comme un spectateur que comme un réel acteur, tant il ne savait pas quoi faire, quoi dire, quoi tenter. Finalement, et après une brève hésitation, il se lança à sa poursuite pour l'interpeller, en espérant qu'elle s'arrêterait. Heureusement, c'est ce qu'elle fit, ne tardant pas à se retourner. Il lui fit alors savoir qu'il n'avait pas eu l'intention de la blesser, ou de lui laisser penser qu'il avait pu se moquer. Il ne la jugeait pas, au contraire. Sa camarade disait alors que ça n'était pas grave, ce qui eut tendance à le rassurer. Il n'avait pas besoin d'une ennemie supplémentaire, ni de donner une raison à Asmaa de s'en prendre à lui à l'avenir. Nul doute qu'elle n'en aurait de toute manière pas besoin, comme tous les autres. Il esquissa un sourire, en signe de soulagement, tandis qu'un silence s'installa. Que dire ? Il ne savait pas. Alors il fut partiellement soulagé que sa camarade reprenne la parole, sur le mode des confessions. « Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un "mauvais chemin". Cacher ta timidité a plutôt l'air de te réussir ... » Après tout, elle avait du se faire des amis au sein du jeu. Il avait pu noter qu'elle était proche de quelques candidats, ce qui était assurément une bonne chose. Un sourire bienfaisant gagna alors ses lèvres quand sa camarade poursuivit. Oh bon sang, il croyait s'entendre penser. « Tu dis ça à un type qui s'est évanoui devant le vendeur d'un magasin d’électroménager, simplement parce que sa sœur l'avait convaincu de lui demander la hauteur d'un réfrigérateur ... » Autant lui avouer quelque chose de gênant également, ne serait-ce que pour qu'elle se détende. Au fond, il lui devait bien ça.

Je m'en voulais un peu, maintenant, d'avoir cru qu'il se moquait. En quelques minutes de plus, j'avais bien compris qu'il n'était pas de ce genre. C'est juste que, j'étais un peu sensible de ce côté là. Plus que pour autre chose. Comme pour tout sujet tabou, je pense. Je n'étais pas fière d'être timide, pourtant, c'est bien ma nature et je ne pouvais faire sans. J'pouvais la contrôler, mais elle revenait toujours sur le devant, ma timidité. « Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un "mauvais chemin". Cacher ta timidité a plutôt l'air de te réussir ... » Je pinçais mes lèvres. « Tu ne sais pas de quoi je parle... » Soufflais-je entre mes dents. C'était gentil de dire ça et de le penser, mais il ne savait pas quoi je parlais. Et en ne sachant pas, il ne pouvait qu'être exactement dans le faux. Oui, sûrement que combattre ma timidité ou la cacher, doit être entre guillemets beau à voir, relevant de l’exceptionnel et m'affiche comme étant quelqu'un de combative. Comparée à Raphaël, enfin, lui il ne semblait pas vouloir la combattre, si ? Sauf que lorsque l'on connaissait ma méthode choisie pour ça, que ça me réussisse en apparence ou non, ce n'était vraiment pas la meilleure des décisions. Alors oui, j'avais emprunté un chemin très dangereux sur lequel je ne pouvais plus faire demi-tour. Dans un sens, j'enviais Raphaël pour avoir gardé sa naïveté. Dans un autre sens, je ne regrette pas totalement mon choix. Je ne serais pas perçue de la même manière, si dans ma vie, je n'avais pas croisé le chemin du khat. « Plus ou moins... » Lui répondais-je ensuite, simplement, sans chercher à le contredire. Oui plus ou moins parce que oui, je m'étais rapproché de certains, mais avec un comportement qui n'est pas véritablement mien. Alors, dans la suite des choses et sans qu'il me demande quoique ce soit, je lui disait enfin ce que je voulais lui dire quelques minutes plus tôt, me sentait carrément conne. « Tu dis ça à un type qui s'est évanoui devant le vendeur d'un magasin d’électroménager, simplement parce que sa sœur l'avait convaincu de lui demander la hauteur d'un réfrigérateur ... » Je fronçais légèrement les sourcil, pas de colère, non, mais de surprise. À ce point alors ? Effectivement, il était bien plus que timide, bien que je pourrais peut-être rivaliser avec lui. « C'est vrai ? » Me contentais-je de lui demander, un léger sourire. Je le croyais, c'était juste, l'expression de ma surprise. D'un coup, d'un seul, je ne me sentais plus aussi conne. Enfin, plus aussi honteuse d'être timide. Non pas qu'il me servait de faire-valoir, pas du tout. J'pouvais lui en dire aussi une, comme par exemple, que je me passais de téléphone car je détestais réellement ça. Téléphoner, ma hantise. J'espérais alors être dans un état second lorsque le téléphone du jeu apparaîtra. Si j'suis encore là, à ce moment là. Pourtant je n'ajoutais rien. Pas la peine, je pense, de faire un concours. J'crois qu'il l'avait gagné. « Je déclare forfait... Tu es bien plus timide que moi » Lui avouais-je, en esquissant un sourire, essayant d'apporter une pointe d'humour dans notre échange. « Je peux te demander... Pourquoi tu es ici ? Je veux dire, dans le jeu... » Enchaînais-je, en me tenant les deux mains pour ne pas penser au fait que je faisais ma curieuse, là.

Effectivement, Raphaël ne savait pas de quoi parlait Asmaa. Celle-ci semblait penser qu'elle avait emprunté la mauvaise voie en tâchant de masquer sa timidité en se montrant étonnement sociable - ce qui pouvait paraitre presque paradoxal, pour le coup - tandis que Raphaël venait d'insinuer que ça n'était peut être pas le cas, qu'au contraire cette façon de faire avait plutôt tendance à lui réussir. Par là, il voulait évidemment dire qu'à en juger par l'aisance dont faisait preuve Asmaa vis à vis des autres - il passait suffisamment de temps à observer ses camarades pour noter ce genre de choses - elle avait en quelques sortes bien fait d'éclipser quelques peu sa timidité initiale d'une telle manière. Cependant, et vu qu'il ne la connaissait pas et qu'il n'avait pas assez de détails pour en juger, il est vrai que Raphaël n'était pas tellement disposé à parler de cela et à supposer ce genre de choses. Ainsi donc, à la réponse de la jeune femme, il se contenta de hausser doucement les épaules, en lui adressant une petite moue confuse. Il allait vraiment falloir qu'il cesse de se mêler des affaires des autres, parce que ça ne lui réussissait pas toujours. Elle finit par lui répondre, n'étant visiblement pas certaine de la manière dont il lui fallait voir les choses. Sans doute Asmaa était-elle perdue, et il pouvait le comprendre. Elle avait adopté une attitude qui ne lui était pas propre, ce qui devait rendre sa situation pour le moins délicate. Là encore, il ne répondit rien et se contenta de lui adresser un sourire compréhensif. Au fond, il comprenait ce qu'elle vivait, même si lui n'avait jamais été amené à adopter une attitude qui ne lui ressemblait pas. Disons que Raphaël était simplement empathique de nature, hm. Finalement, tous deux en vinrent à évoquer quelque chose d'assez embarrassant et de lié à leur timidité respective. L'anecdote de Raphaël était particulièrement ridicule, et il ne s'en serait évidemment pas "vanté" s'il n'avait pas eu envie qu'Asmaa se détende en lui montrant qu'il y avait officiellement pire qu'elle dans le genre. Autant faire preuve d'un peu d'auto-dérision, ça le changerait. La jeune femme chercha alors à savoir s'il n'inventait pas cette histoire. « Tout ce qu'il y a de plus vrai, oui » répondit-il alors, toujours assez souriant. Peut être aurait-il mieux valu qu'il ait tout inventé, mais cette scène s'était hélas véritablement déroulée. Sa sœur s'en souvenait encore, tout comme le vendeur ... tout comme lui. Son sourire s'agrandit quelques peu lorsque sa camarade chercha à détendre l'atmosphère. « Si c'était une compétition, il eut été fort probable que je la remporte, effectivement » fit-il alors, un peu sur le même ton, avant qu'Asmaa ne cherche à savoir ce qu'il fichait ici, à savoir dans le jeu. Oh, il avait déjà été amené à répondre à cette question. Une fois de plus, une fois de moins ... « Pour tâcher d'aller mieux. Je suis ici parce que c'est le genre d'expériences dont j'ai assurément besoin pour gagner en confiance en moi, pour me sociabiliser ... Je veux guérir, progressivement bien sûr, de mes nombreux troubles. Et même si je sais pertinemment que tout ne se fera pas ici, je pense que ça pourrait être une manière intéressante de débuter une guérison. » Il tâchait de ne pas être trop gêné, histoire de ne pas contredire le fait qu'il puisse aller mieux en ces lieux. « Et toi, Asmaa ? Pourquoi avoir candidaté à ce programme ? » Autant lui retourner la question. Lui aussi pouvait faire preuve de curiosité. Et cette jeune femme l'intriguait.

« Tout ce qu'il y a de plus vrai, oui » Je n'en doutais pas une seconde, ayant cernée alors le personnage qu'était Raphaël. Un jeune homme plus que timide et qui pourtant, paraissait tellement intéressant. Intriguant. J'aimerais être capable de le faire sortir un peu plus de sa carapace, parce que je sentais que sous celle-ci se cachait un homme prêt à bondir et se lâcher. Qu'il pourrait être beaucoup moins timide qu'il ne l'est réellement. Sauf que, je ne suis pas de ce genre et je ne serais pas capable de lui dire de vive voix. « Si c'était une compétition, il eut été fort probable que je la remporte, effectivement » J’acquiesçais d'un mouvement de tête. Si cela avait été une compétition oui, heureusement pour nous, ça n'était pas le cas. C'était même ridicule de penser à une compétition de timide, c'est déjà super embarrassant alors en être gratifié d'un titre, en plus... Timidité qui n'empêchait pas la curiosité. En fait, je n'aime vraiment pas faire mon indiscrète, mais je voulais réellement le connaître une peu mieux. J'sais pas si c'était réellement la bonne question à lui poser, mais ce fut la seule à sortir de ma bouche. « Pour tâcher d'aller mieux. Je suis ici parce que c'est le genre d'expériences dont j'ai assurément besoin pour gagner en confiance en moi, pour me sociabiliser ... Je veux guérir, progressivement bien sûr, de mes nombreux troubles. Et même si je sais pertinemment que tout ne se fera pas ici, je pense que ça pourrait être une manière intéressante de débuter une guérison. » Je comprenais totalement son envie. J'crois même être celle qui peut se rapprocher de lui niveau caractère, bien qu'il soit à mon envie tout de même plus extrême que moi. J'approuvais tout de même sa détermination ou en tout cas, ce qui l'a motivé à venir ici. « Je suis de tout cœur avec toi. J'espère que tu guérira... » Lâchais-je d'une petite voix. Ce serait merveilleux de le voir évoluer au court des semaines. « Et toi, Asmaa ? Pourquoi avoir candidaté à ce programme ? » Je crois qu'à ce moment même, il ne me fallu pas plus de deux secondes pour que mon teint ambré se mit à rosir. Rougir. Comme une tomate. J'savais pas trop si j'avais envie de lui dire, mais je me sentais terriblement obligée. Il m'avait répondu, lui. « C'est con... Pour trouver l'amour... » Avouais-je en me mordillant la lèvre inférieure. Je me sentais ridicule face à la raison du jeune homme. Et puis, soudainement, j'avais l'impression aussi de n'avoir aucune chance. J'étais bien trop optimiste en entrant dans le jeu. Après deux semaines, je n'étais sûre de rentrer déjà dans le moule que son les attentes des autres candidats. On préférera toujours le teint frais et clair d'une blonde ou d'une rousse, que ma bouille de marocaine. Alors sa raison à lui était louable. La mienne relevait aussi d'un peu d'égoïsme que je cachais au plus profond de moi. Pour ne plus être seule, parce que j'en avais terriblement marre de passer mon temps seule. « C'est ridicule... » Avouais-je en me frottant le front donc je dégageais mes quelques mèches rebelles. J'cachais aussi un peu mon visage en le détournant de lui.