J’ai confié à Corto que je n’arrivais pas à dormir ou plus vraiment ces temps derniers, alors en bon partenaire qu’il est, il a tenté de lutter contre ce sommeil qui l’étreignait et me tenir compagnie. Aussi, avons-nous discuté relativement longtemps, de tout et surtout n’importe quoi jusqu’à ce qu’il finisse par sombrer complètement. Et, c’est avec un sourire aux lèvres que j’ai fini par remonter drap et couette sur nos épaules. Puis, désormais, moi, j’attends. J’attends que le marchand de sable veuille bien de moi, j’attends que Morphée me prenne dans ses bras… Sauf que, rien. Le sommeil s’est encore fait la malle. Je ne comprends pas... Et, c’est cette impuissance qui supplante tout le reste. Impuissance qui me force à subir un métabolisme capricieux et versatile. Alors, à la place de quoi je reste éveillée, à détailler le plafond couleur blanc souillé par l’air du temps, par la vétusté des lieux. Je me retrouve à regarder chaque infime tache qui le parsème, chaque creux et petite cavités qui le criblent jusqu’à en avoir marre. Jusqu’à épuiser l’objet de contemplation. Jusqu’à le dessécher de toute substance qui pourrait le rendre, de nouveau, intéressant. Aussi, je décide de m’extirper discrètement hors du lit. Comme bien souvent lors de mes excursions nocturnes imprévues, je me permets de prendre le pull qui traine de mon partenaire afin de l’enfiler. Je sors rapidement de la bâtisse, l’air frais m’accueille et je me fonds dans la nuit noire. Je remonte la rue et, je ne sais pourquoi, mes jambes me mènent droit vers l’Eglise. Ce même lieu que j’ai fréquenté pas plus tard que ce matin même. Je n’y ai aucun intérêt et pourtant j’y vais. Comme si j’étais l’apaisement que j’allais y trouver. Ou l’épuisement… Le bâtiment, son architecture, sa magnificence s’imposent rapidement à moi, les trois à la fois. J’entre et l’air saturé me prend soudainement à la gorge. L’ambiance morbide qui règne me pèse. L’effet n’est pas le même. Pas le même que ce matin. Qu’est-ce qui a changé ? Je ne vois pas. Je frisonne en entendant le battant accueillir la porte dans un bruit sourd et lourd. Ca raisonne. Je lève les yeux. C’est sombre. Je resserre mes bras autour de moi. Je ne souhaite plus rester là et fatalement je suis toujours là. J’expire, fort. Je ferme les yeux un instant, je ne saurais dire combien de temps, suffisamment cependant pour qu’une série de réflexions et pensées se forment et aboutissent. Puis, lorsque je rouvre paupières je me sens brusquement perdue. Ejectée dans un univers que je ne reconnais pas, plus. Larguée. Mon cerveau tourne à l’envers, j’en peux plus. Alors, je recule, encore, encore, jusqu’à ce que mon dos, mes jambes, butent sur le bord en bois d’une rangée de banc qui s’étend jusqu’à l’autre mur. Et, je finis par glisser jusqu’au sol, ramenant mes jambes que j’entoure de mes bras, déposant mon front sur mes genoux.

Paupières closes, recroquevillée afin de limiter et restreindre l’espace que j’occupe, afin de me faire toute petite, afin de me soustraire à tout ce qui m’oppresse. L’obscurité. Elle règne dans l‘ombre. Elle fait l’étalage de son aspect grandiose dans le silence. Elle fait constamment peur tapie dans sa propre pénombre. Mais, malgré ça, elle est là. Toujours là. Et désormais encore plus là. Et moi je ferme encore plus les yeux, lui laissant tout le loisir de m’envahir, de m’éprendre et m’assaillir. Je ne veux pas d’elle, je ne veux tellement pas d’elle, mais elle me veut moi, elle veut tellement de moi. Elle m’a toujours voulu moi. Aussi ai-je toujours essayé vainement de me dérober à ses filaments tentaculaires, à son aura vénéneuse et tortionnaire. C’est son temple, son sanctuaire. Elle y est à l’aise, pas moi. Le blanc a définitivement laissé sa place au noir. Le noir a même supplanté le gris. Mon gris. Et, je m’enfonce. Je me sens piégée. Cette horrible sensation d’impuissance astreignante, de faiblesse stérile. De solitude suffoquante, de présence humaine inexistante. Alors, je fais comment moi avec et sans tout ça ? De plus, cette ambiance n’aide en rien, l’air y est nauséabond et le ciel bas et opprimant. Alors cette ambiance n’est pas havre de paix mais plutôt havre de tourment. Combinées, elles ne font qu’asseoir leur prééminence, leur suprématie. Et moi que suis-je face à elles ? Qui suis-je face à elles ? Rien, absolument rien qu’une petite entité que l’asservissement effrayé anime. C’est tout. Ce constat est corrosif, pernicieux, funeste… Parce que c’est bien ça la dualité: la vie/la mort. Tout prend fin, absolument tout. Rien n’est éternel. Sauf Lui. Celui qui vit au dessus de nos têtes, celui vers qui l’on se tourne lorsque la fin est proche, lorsque la fin guette et se rapproche. Peu importe la teneur de cette fin pourvu qu’elle traduise l’aboutissement, l’achèvement, le dénouement, la fin… Alors est-ce la fin maintenant ? La mienne ? Je ne sais pas, et je resserre d’autant plus mes bras. Suis-je en droit de la demander ? L’implorer ou la quémander ? Je veux m’enfuir, je veux m’extirper et ne jamais me retourner. De l’aide ? Mon front se presse d’autant plus contre mes genoux, de l’aide. Une voix. J’ai l’impression de divaguer. La voix me questionne sur mon état physique. Mon mal extérieur, ce mal potentiellement visible que cette voix essaie de percevoir... Mais, pourquoi cette voix ne se contente-t-elle pas de m’aider plutôt que de m’interroger, d’encore plus me supplicier ? Dans ce temple de dévotion et d’assujettissement infini, je deviens folle et mes mains pressent mes tempes. Elle n’a rien compris à ma requête, cette voix. On m’envoie un amateur ? Un apprenti ? N’a-t-il pas saisi que mon mal est intérieur. Aucune lumière divine, aucun espoir. Alors est-ce que je me suis fais mal ? Oui, comme toujours. J’ai écorché cette âme, à nouveau. Le néant l’afflige et la tiraille, à nouveau. L’origine de tout ça m’est inconnue, comme toujours. Le commencement est toujours confus et flou à l’inverse de la fin. La fin palpable et tangible. J’élude la question. Une source de chaleur tombe sur mes épaules. « Sors moi d’ici… » je souffle soudainement, une supplique à peine voilée, à peine contrôlée.

Si l’aide ne veut pas venir d’elle-même, si l’aide ne peut se manifester de son propre-chef alors je la quémande, je me dois de le faire. Rester ici m’est de plus en plus insupportable, irrespirable. Aussi, si je ne m’exécute pas je risque d’y perdre bien plus que ma raison. Alors oui, sortez moi d’ici, faites en sorte que je retrouve un semblant de conscience, un semblant de réalité… Et, pas ce vide destructeur, pas cette solitude étouffante, pas cette torpeur accablante. Ma voix s’élève, mon ton monocorde raisonne dans ma boite crânienne. Puis, j’attends. J’attends que l’on accède à ma requête, je resserre mes bras frêles autour de mes jambes et j’attends impatiemment, un tic nerveux secouant sensiblement tout mon corps. Un imperceptiblement mouvement de balancier jusqu’à ce que je me sente soulevée. Des bras passent sous mes jambes, entourent mon dos. Mais surtout, me transportent. Je demeure immobile contre cette présence salvatrice. Rapidement, c’est le froid de la nuit qui m’accueille, nous accueille, et nous embaume. Je n’ai toujours pas bougé, je n’ai toujours pas ouvert les yeux, mes bras toujours ramenés contre moi. Bouclier chétif. Et, je me contente de respirer, d’inspirer, enfin, je me contente d’évacuer aidée par cette chaleur humaine qui rassure, m’apaise. Je ne suis plus seule, je ne suis plus seule, plus tout à fait, je me répète inlassablement à la manière d‘une vieille ritournelle… Je soupire doucement. Un doucement qui caresse mon oreille, s’infiltre et raisonne dans ma tête. Mes jambes suspendues dans l’air finissent par retrouver délicatement contact avec le sol en même temps qu’il ne s’y assoit. Et, c’est seulement, à partir de là, que les détails d’un paysage, me reviennent progressivement. La terre, l’air, le bruit, les sons, sa respiration, la mienne, mon corps, mon esprit, le froid, ma peau qui trésaille à son contact, une nuance de gris foncé… Aussi, je décide d’ouvrir les yeux pour imprimer ce nouveau cadre sur mes rétines, quelques secondes à peine lorsque les doigts de mon sauveur viennent refermer mes paupières, revenant contre lui, m’intimant à me détendre. N’osant faire front ou protester, je m’exécute malgré cette frustration que de n’avoir qu’à peine entraperçu son visage. « Merci… » finis-je par souffler du bout des lèvres, après plusieurs minutes. Et plus elles défilent ces minutes et plus je réintègre l’espace-temps, et plus je me rends compte que rédempteur est bouillonnant. D’une sorte de bouillonnement fiévreux, alors je me permets de rouvrir les yeux, contrôlant à peu près la situation. C’est alors que je découvre ses jambes nues, une bonne partie de ses bras également. Mes prunelles remontent lentement jusqu’à m’arrêter sur son visage. « Tu es malade… » je constate d’une voix éteinte et basse. Comme si la suite coulait de source, comme si les conséquences de cette affirmation découlaient naturellement. Et, je le dévisage d’une façon que je ne saurais qualifier pour l’instant. Néanmoins, entre temps, je retire la veste qu’il a précédemment passé sur mes épaules pour la lui mettre allant même jusqu’à remonter la capuche sur sa tête.

Je l’entends toussoter, et même sans cela, je reconnais les symptômes pour les avoir vu sur Corto une semaine plus tôt. Mais que fait-il alors dans cette tenue alors ? Que fait-il à ce balader ainsi en pleine nuit ? Serait-ce une sorte de défi ? Une sorte de test d’endurance pour se prouver quelque chose ? C’est complètement stupide dans ce cas ! Aussi, je m’attèle à le recouvrir, je m’attèle à créer un peu de chaleur afin de calmer l’affliction de ses muscles qui ne cessent de tressauter même légèrement, de se convulser même imperceptiblement. Je les sens, forcément. Mais, parce qu’en plus faire tout cela me permet d’oublier les secondes précédentes, d’occulter volontairement la situation précédente. Le déni. Fléau d’une génération toute entière. Tare intégrée à notre socialisation, élaboration de toute une identité sociale. Et, ce déni n’efface qu’en surface et n’effleure même pas la profondeur mais je m’en contente, pour l’instant. Parce que ne serait-ce qu’y penser serait la possibilité, l’éventualité, d’y replonger. Et ca, je ne le veux pas. Ma faiblesse me pousse à me défiler sans jamais rien régler. Parce que vouloir régler c’est s’y confronter. Or, je n’en suis pas capable… Impuissante. Je soupire doucement avant que la voix de mon salvateur ne me tire de ses pensées. La garder ? Hors de question. Mes doigts s’en vont même jusqu’à remonter la fermeture éclaire jusqu’à son cou. « Je suis quelqu’un du Nord… » je lui souffle comme si cela pouvait faire office d’explication. Comme si les gens du Nord ne craignaient pas le froid, comme s’il en était immunisé. C’est faux, évidemment. Mais, contrairement à d’autres, notre seuil de tolérance est plus élevé vu nôtre climat habituel. Climat qui contraste nettement avec celui-ci, Français, par exemple. Car oui, nous, lorsque les températures chutent en dessous de la barre des zéro, rien ne nous choque. La routine. Puis, je sens son bras m’entourer et automatiquement m’attirer à lui de nouveau. Je n’oppose aucune résistance et me contente de me recroqueviller, la tête posée contre son torse. Puis, je m’autorise à clore les paupières un court instant. Un instant qui finit par s’éterniser et s’étioler lorsqu’une brise glaciale vient fouetter mon visage offert, vient faire tressaillir ce corps déjà fébrile qui git sous le mien. « Nous devrions rentrer… » j’émets d’une voix basse, les yeux encore fermés, et malgré l’idée de mouvement proposé je demeure immobile. La pensée s’active, le corps s’engourdit. Ironie.