J'oublie parfois qu'elle est plus jeune que moi. J'ai l'impression d'être la plus immature de nous deux. On s'oppose de par nos tempéraments respectifs. Nos caractères se complètent. Elle est la seule à savoir ce qui me ronge de l'intérieur, qui exacerbe mon émotivité et ma nervosité quand je m'endors à ses côtés. Je me cramponne à elle parce qu'elle est mon seul et véritable pilier dans ce jeu. Elle est mon point d'ancrage, ma bouée de sauvetage. Elle est ma partenaire. Je rentre d'une promenade en solitaire et je la vois en train de lire. Je l'observe en tenant sur le seuil dans la porte, les bras croisés, pensive. Je n'ose pas la déranger en pleine lecture. Je fais demi-tour pour aller à la Cantine. J'ai mis de côtés des macarons fraîchement préparés de ce matin. Je les ai fait moi-même dès l'aube. Quand je n'arrive pas à dormir, je fais des gâteaux. Une sorte de passe-temps. Je reviens dans la chambre avec l'assiette de macarons dans la main. Je m'assois du côté de mon lit, je pose l'assiette à côté d'elle. Je lui souris avec tendresse. - Je ne sais pas si tu aimes les macarons, mais j'en ai fais. Tu peux en manger, si tu veux. Ne te forces pas surtout hein., dis-je d'une voix calme et sereine. Je viens m'allonger sur le matelas. Je l'imite et prends un bouquin à mon tour. Les raisins de la colère, de Steinbeck. Je m'enfile un macaron au hasard. Il a un goût de fraise celui-ci. Je le mange en silence, puis j'ouvre le livre à la page où je me suis arrêtée l'autre soir. - Si tu étais un livre, tu serais lequel ? C'est un petit jeu qui s'est instauré entre nous. Un moyen détourné pour mieux nous apprendre à se connaître. Jusqu'ici, ça s'est révélé efficace. Les livres font partis de son univers. Je l'ai très vite remarqué lorsqu'elle a ouvert sa valise. Une vraie mine à trésors.

Je n’ose pas trop lire depuis que je suis ici, alors que d’ordinaire, chez moi, je passe mon temps à ça. J’ai peur d’être ennuyante. J’ai peur que tous les autres se lient ensemble, s’amusent, profitent de leur vie, agissent comme les petits jeunes qu’ils sont, tandis que je serais là à bouquiner, perdue dans mes rêveries personnelles. Je lis, ou plutôt relis Suite[s] Impériale[s] de Bret Easton Ellis – c’est censé être son œuvre la plus médiocre, mais je l’adore, comme toutes les autres. Ça a été dur de faire la sélection des livres que j’amènerai avec moi, et de me séparer de ceux qui m’étaient un tantinet moins chers. Mais j’ai apporté tous mes Bret Easton Ellis. Cet auteur, je l’aime plus que tout – enfin, j’aime ce qu’il écrit, on se comprend. Pour son sens de l'humour, sa maîtrise de l'ironie. Page 99. ‘Malgré ton bronzage, tu n’as pas l’air très heureux.’ Rien que ça, ça me fait sourire. Page 130. ‘Tu veux un Valium, un peu d’amphé, un chewing-gum, autre chose ?’ Je souris encore. Mais parfois j’ai l’impression que c’est drôle seulement pour certaines personnes, pas pour tous. American Psycho est extrêmement drôle aussi, mais il faut se placer dans une certaine optique pour vraiment l’apprécier. Je suis tellement immergée dans ma lecture, que je ne me rends pas tout de suite compte qu’Elliot s’est installée à mes côtés, et ce n’est que quand elle prend la parole que je relève la tête. « Je n’en ai jamais goûté. » je confesse, avec un sourire timide. On ne préparait pas beaucoup de gâteaux à la maison. Je savais surtout faire des cookies. Ma mère, elle, c’était plutôt les brownies son truc. « Mais ils sont tellement jolis ! Ils ne peuvent être que délicieux. » j’affirme, convaincue, en reposant mon livre à plat sur le matelas – je ne craignais pas de l’abîmer, il avait déjà tellement souffert de toute façon. Je saisis un macaron, le porte à mes lèvres, le goûte. Pistache. Chouette. Bon. Et si j’étais un livre. Je médite quelque peu ma réponse, ne souhaitant pas me précipiter. « Un Roald Dahl peut-être ? Ils sont tous magiques, ces livres. J’adorais James et la Grosse Pêche, plus jeune. Ou le Petit Prince ? Je ne l’aimais pas vraiment quand j’étais enfant, mais je l’ai redécouvert dernièrement, et il me ferait presque pleurer. Ou Orgueil et Préjugés ? Le Songe d’une Nuit d’Été ? Vraiment, cette question est trop dure… » je constate, incapable de n’en citer qu’un. J’aurais pu citer un B.E.E. mais si j’adorais ses livres pour leur style, je ne me reconnaissais pas en eux. « Si tu étais un animal, lequel serais-tu ? » j’ajoute, avant de grignoter une deuxième bouchée de mon macaron.

J'ai toujours peur de la déranger. Je débarque toujours de nulle part, je fais du bruit, je fais tomber des choses. Elle reste calme face à toutes mes maladresses et le brouhaha que je produis dans mon passage. - Je n’en ai jamais goûté. C'est vrai ? Je suis ravie de les lui faire découvrir. Les macarons, c'est un de mes péchés mignons. Outre le fait que j'ai un mauvais penchant pour les sucreries en tout genre, les macarons je peux en manger à l'infini sans en être dégoûtée. Je les ai goûtés à tous les parfums. J'aime les préparer moi-même. Ils n'en sont plus que délicieux préparés par amour. J'en ai bavé, c'est vrai. Mais c'est le résultat qui compte avant tout. - Mais ils sont tellement jolis ! Ils ne peuvent être que délicieux. Les macarons semblent lui plaire. Elle prends même la peine d'en prendre un. Elle le croque et en savoure le goût. Je reprends un autre en lui posant la première question qui me vient à l'esprit. Si elle était un livre, elle serait quoi. Elle réfléchit à un instant, puis donne sa réponse - Un Roald Dahl peut-être ? Ils sont tous magiques, ces livres. J’adorais James et la Grosse Pêche, plus jeune. Ou le Petit Prince ? Je ne l’aimais pas vraiment quand j’étais enfant, mais je l’ai redécouvert dernièrement, et il me ferait presque pleurer. Ou Orgueil et Préjugés ? Le Songe d’une Nuit d’Été ? Vraiment, cette question est trop dure… En gros, elle ne sait pas quel livre choisir. Remarque je la comprends. Ce n'est pas facile de citer qu'un livre alors que nous avons tellement de livre coup de coeur tout le long de notre vie. Des livres qu'on a jadis détestés, aujourd'hui on leur voue des cultes. Elle cite de très bonnes oeuvres. Dahl, Saint-Exupéry, Austen, Shakespeare ... De grands écrivains dans l'ensemble. Difficile alors de choisir une oeuvre particulière qui nous définit. Vient son tour de poser une question : - Si tu étais un animal, lequel serais-tu ? Je ne me prends pas la peine de réfléchir. L'animal qui me correspondrait le mieux, c'est : - Le chat. Un animal ambivalent, à la fois doux et indomptable. J'ai toujours eu une fascination pour les chats. Malheureusement, je suis allergique aux poils de chat donc je ne peux pas en avoir. Si je devais me réincarner en animal, ça serait définitivement le chat. C'est un animal sensuel, gracieux et indépendant. - Si tu étais une actrice connue, laquelle serais-tu ? Je prends une autre bouchée de mon macaron tandis que je pose mon livre à plat sur le matelas. Il attendra. - Avant de me répondre, je voudrais savoir si tu pourrais m'aider à me brosser les cheveux. Je n'arrive jamais à démêler les nœuds du bas correctement. S'il te plaît ... , lui suppliai-je avec des yeux innocents. Je lui souris en même temps que je lui tends une brosse que j'ai prise de mon table de chevet.

Je me demande un instant si c'est triste, qu'il n'y ait pas un livre qui me parle plus que les autres. Je me demande si j'aimerais ça, avoir un livre âme sœur, un livre sur lequel je puisse me pencher en me disant “ C'est cela, cet auteur a tout compris à ma vie, il ne le sait pas, mais il écrit à propos de moi ”. Et puis je me dis que c'est peut-être mieux. Que je suis un être composite, que je suis faite de plein de livres différents, et je me plais à me visualiser comme un assemblage hétéroclite d’œuvres littéraires en tous genres. Brusquement l'envie me vient de réaliser une sculpture, une sculpture de moi mais avec mes livres favoris. Je croque un nouveau macaron. Mais c'est stupide, et gratuit, et je ne saurais qu'en faire. Je refoule l'idée dans ma tête, dans un coin qui serait l'équivalent de la corbeille sur le bureau d'un ordinateur. Tiens, ce macaron-ci est au goût praliné. Elliot me répond qu'elle serait un chat. Je n'ai aucun mal à l'imaginer dans la peau de cette créature féline, élégante et farouche à la fois, douce et sauvage, les deux pour le prix d'un. J'aimerais bien être un chat, moi aussi. Mais je n'aimerais pas en adopter un. Ils ont ces qualités que j'aime avoir pour moi, mais que je n'aime pas forcément chez les autres. Et puis je ne lis rien dans les yeux d'un chat. Ça me perturbe. On voit toujours l'âme qui vacille au fond des prunelles d'un chien. Pas chez un chat. Les chats ont ce regard impénétrable. Je les ai toujours soupçonné de cruauté. Pas tous - certains. Elle me demande quelle actrice je serais. Je pense aussitôt à mes actrices favorites. J'aime bien les actrices des vieux films, je ne sais pas si c'est parce qu'elles appartiennent à un autre temps, mais elles me semble avoir ce côté inaccessible, inégalable. Peut-être aussi parce que leur vie privée n'est pas étalée dans tous les journaux comme ça peut être le cas aujourd'hui. À l'époque, nous n'avions pas ce plaisir malsain à lapider les personnes qui nous émerveillaient le plus. Je couve Elliot du regard, tandis qu'elle me demande de lui rendre service. Je la comprends tout à fait : je me tue moi-même le bras droit quand je dois me brosser les cheveux, il y a toujours cette zone particulière qu'il est difficile de couvrir. “ Bien sûr, je lui réponds immédiatement. Tu sais, j'ai toujours voulu avoir une soeur pour pouvoir lui brosser les cheveux. ” Ce genre d'aveu me venait toujours spontanément. Je ne sais pas si c'était hors de propos ou non, mais c'était agréable pour moi de pouvoir confier des bribes de ma vie, parce que je n'avais pas souvent l'occasin de partager ce genre de choses avec autrui. Je saisis la brosse qu'elle me tend et m'assois à genoux près d'elle, entreprenant de démêler sa chevelure. Je pense toujours à ma réponse. Ava Gardner me vient à l'esprit, mais ça ne me semble pas être la bonne réponse, non. “ Katharine Hepburn. Je l'ai toujours beaucoup admirée. Je crois que si j'avais eu l'occasion de la rencontrer, je me serais juste évanouie devant elle. Elle est tellement impressionnante ! ” Je lorgne discrètement son livre qu'elle a posé à plat. Steinbeck - elle a bon goût, même si je n'en doutais pas. “ Si tu étais une ville, laquelle serais-tu ? ”

J'aimerai être réincarnée en ces chats errants qui ne suivent que leurs instincts primaires. Qui assouvissent leurs besoins en écoutant que l'appel de la nature. Des êtres sauvages et adulés autrefois par les égyptiens dont la déesse Bastet en chante les louanges dans les mythes fondateurs. Le regard du chat se veut pénétrant et insondable. Les chats ont leurs propres mystères, leur propre appréhension du monde. Je reprends un macaron tout en pensant à ce que j'aurais fait si j'étais un chat. Où j'irai. Qui je rencontrerai sur mon chemin. Quelle vision de ce qui m'entoure j'aurai. Des interrogations qui me trottent dans l'esprit quelques secondes avant d'ouvrir la bouche à nouveau brisant le cheminement de ma pensée. Quelle actrice aurait-elle aimé être ? Moi, ce serait Winona Ryder avant sa descente en Enfer. Une des actrices les plus prometteuses. Je lui ai envié son idylle avec Johnny Depp. Elle choisissait soigneusement ses rôles comme pour prouver qu'elle était dans l'industrie pour durer. Qu'elle serait inoubliable. Malheureusement, elle a été déchue de son rang d'icône. Aujourd'hui, il n'y a personne qui ne lui arrivera à la cheville. Tant elle est unique et irremplaçable. Avant de répondre, je lui ai demandé une faveur. Celle de me brosser les cheveux. Un geste qui peut paraître anodin, mais à mes yeux il représente notre rapprochement. Je la considère déjà comme ma sœur. Elle accepte. - Bien sûr. Je souris. - Tu sais, j'ai toujours voulu avoir une sœur pour pouvoir lui brosser les cheveux. Mon visage s'illumine. J'ai toujours vécu qu'avec mes sœurs. Nous formions un clan indestructible. Entre nous, c'était fusionnel. Depuis mon retour à la maison, tout a changé. Nous nous éloignions des unes et des autres. C'est en partie ma faute. Mon regard s'assombrit un instant. La douce voix de la rousse me ramène à la réalité. - Katharine Hepburn. Je l'ai toujours beaucoup admirée. Je crois que si j'avais eu l'occasion de la rencontrer, je me serais juste évanouie devant elle. Elle est tellement impressionnante ! La splendide Katharine Hepburn. Je me souviens d'un film, Sylvia Scarlett où elle s'est déguisée en homme. Un des mes films préférés. Un être parfaitement androgyne comme je les aime. Mais avec une pointe de féminité qui en émerge. - Si tu étais une ville, laquelle serais-tu ? Je sens la brosse effleurer ma chevelure avec douceur. Je ferme les yeux et savoure ce moment de complicité avec ma partenaire. Je réponds d'un air rêveur. - Facile. Je ris. - Los Angeles. Ma ville natale. Los Angeles. Ce sont les vagues, le sable chaud, le soleil de plomb. Mais aussi Venice Beach, les patins à roulettes, l'ambiance californienne et les quartiers chauds. Et bien sûre, la musique. Mes lèvres s'étirent. Je revois la plage, les palmiers et le vent qui fouette mon visage lorsque je me balade dans ma décapotable. Je me sens chez-moi à nouveau. - Si tu étais un conte de fée, lequel serais-tu ?

Je me sentais bien, là, confortablement installée sur notre lit, à brosser sa longue chevelure en veillant bien à ne pas lui faire de mal. J’ai ma petite technique à moi, à force d’avoir une tignasse indomptable. Même si j’imagine que ma technique personnelle est la même que celles des tas d’autres filles. J’avais toujours voulu avoir des frères et sœurs, mais surtout des sœurs. Peut-être parce que j’avais été trop marquée par The Virgin Suicides, et que j’étais attirée par ce côté mystique que peuvent avoir les filles, parfois. Je regrettais profondément de ne pas avoir connu ce genre de relations, et il arrivait que je me fasse envieuse quand je voyais que d’autres avaient cette chance, et ne semblaient pas en être reconnaissants. Elle parle de Los Angeles, et ça aussi ça donne envie. Il ne m’en faut pas plus que sa brève description pour me mettre à rêver d’y aller. J’ai envie de voir le monde, bouger, et la Californie fait partie de ses états américains qui m’attirent énormément. Surtout que, ne l’oublions pas, Los Angeles c’est LA ville de Bret Easton Ellis, aussi cela m’apparaît comme un pèlerinage nécessaire dans ma vie. « J’adorerais y aller, je confesse dans un murmure. Même si je risque d’avoir l’air d’un alien, là-bas, avec mes cheveux roux et ma peau blanchâtre. » L’idée me fait sourire. Bon. Et si j’étais un conte de fée ? Je pense immédiatement à certains contes d’Andersen (mon père m’en avait offert un recueil quand j’étais toute petite) mais La petite fille aux allumettes et Le vilain petit canard sont des contes, pas des contes de fée à proprement parler. « Le petit soldat de plomb. C’est triste, mais très poétique, et il m’a beaucoup marquée. » Les contes en général m’avaient beaucoup marquée ; j’étais très sensible à tout ce qui touchait à mon enfance. « Si tu étais une chanson, laquelle serais-tu ? » j’ajoute, tout en continuant à la peigner avec délicatesse.