J'arrive pas à trouver le sommeil. Y a trop de choses qui se bousculent dans ma tête. Des futilités, en plus. Je n'ose pas me tourner, me retourner, trouver une place. Tris respire calmement, paisiblement à mes côtés. Son visage est tourné vers moi. Je l'observe un moment. Je la couve du regard, j'essaie d'imaginer ce qu'il se passe dans ses rêves. Je frôle sa joue de ma main. Le bout de son nez bouge, je souris tendrement. Je me lève tel un astronaute dans l'espace, tentant de faire le moins de bruit, de ne pas froisser les draps afin de ne pas la déranger et je m’éclipse. J'enfile un jean, un tee-shirt et je sors en direction du bistrot. A cette heure, seule l'alcool réussira à me mettre ko. Je réussirai peut-être à dormir après quelques verres. Pas de lumière, l'endroit est désert. Je prends mes aises, j'allume le jukebox, je choisis une musique au hasard et je la laisse s'animer. Je ne suis pas fan de musique, ça ne m'anime pas. Alors je me fiche de l'air qui passe. De son inscription dans le temps et dans les générations. Ce qui m'importe, c'est la littérature. Et l'alcool, ici. Je me sers un vers de tequila dans un shot et je bois cul sec. Boire seul n'est pas dans mes habitudes. Mais j'enchaîne les verres. Lorsque Lulu entre à son tour dans le bistro, j'en suis à mon cinquième. Ma tête tourne légèrement. Mais je suis conscient. « T'en veux ? » je lui demande d'une voix rauque qui déraille un peu. J'suisp as saoul, je commence juste à me sentir bien. Tout s'envole en moi, autour de moi. Je suis dans une petite bulle bien sympa. Je détaille le tatoué sans aucune discrétion. Je n'ai jamais eu l'occasion de lui parler, je compte bien y remédier. Autour d'un verre de tequila en plus. A la bonheur.

C'était un fait avéré, boire permettait la plupart du temps d'oublier. Oui, peut-être, ou peut-être tout simplement pour s'enfoncer un peu plus dans son malêtre. Je ne savais aucunement pourquoi Arès était entrain de boire, cependant c'est bien la première chose que je le vis faire lorsque je décidais de pénétrer dans le bistrot. J'étais vêtu comme à mon habitude de jean et de cuir, le temps s'étant tout de même bien plus rafraichi ces derniers temps. Alors, j'avançais, j'avançais jusqu'au jeune homme, déposant mes coudes au comptoir, là où il se trouvait. Derrière, une musique des plus âgées tourne, s'échappant très certainement de la jukebox disposée dans un coin. Je ne sais pas vraiment à combien de verre il en est, peut-être même à son premier, bien que son odeur corporelle pouvait clairement nier cette vérité. « T'en veux ? » me demanda t-il d'une voix quelque peu fatiguée. Je ne me demande pas pourquoi il a choisi de se mettre dans cet état, cela ne me regarde après tout pas vraiment. Il n'aurait très certainement pas envie d'en parler. Alors, je saisis la bouteille, la porte à mes lèvres sans vraiment réfléchir à en verser le contenu dans un verre. Après tout, si il avait de quelconques microbes, j'allais de toute façon les attraper d'une manière ou d'une autre, et ce tout comme les autres habitants. J'abaisse la bouteille, déposant mon regard dans le sien, qui lui, détaille mes tatouages sans aucune gêne apparente. Il doit bien être trois heures du matin. « C'est toujours dans ce genre de situations et vers cette heure ci qu'il arrive quelque chose d'irréfléchi, n'es-tu pas d'accord ? » dis-je en haussant les épaules. J'avais le souvenir de quelques soirées passées, déchiré, où les erreurs, bien qu'amusante, n'avait cessé de se répéter tout au long de la fois. Parfois même deux à trois fois par nuit. Allez savoir.

Je ne sais même pas pourquoi j'ingurgite cette tequila comme je pourrais avaler de l'eau. Avec force et presque violence. Lulu s'est installé près de moi. L'alcool me rend sans gêne et ainsi, je le détail. Est-ce que chacun de ses tatouage représente quelque chose pour lui ? Ou était-ce simplement une envie soudaine, le fait de trouver beau chacun des motifs sans réellement s'y attacher ? Je me pose des questions un peu trop ridicule. Mon esprit est embrumé. « C'est toujours dans ce genre de situations et vers cette heure ci qu'il arrive quelque chose d'irréfléchi, n'es-tu pas d'accord ? » J'hausse les épaules. La plupart de mes soirées alcoolisées ne me reviennent pas en mémoire. Je ne m'en souviens plus. Je ne me rappelle que du lendemain généralement allongé à côté d'une femme dont le nom m’échappe. « Tu penses à quoi en particulier ? » je lui demande avec attention. J'ai envie de parler jusqu'à pas d'heures. Cette conversation est un peu trop sérieuse pour mon petit esprit étriqué par les vapeurs d'alcool. Néanmoins, j'arrache la bouteille des mains de Lulu comme un bébé en manque de son biberon et je m'enfile une longue gorgée qui glisse le long de ma trachée et me brûle délicieusement. Les questions que je me pose depuis quelques secondes déjà tambourinent dans mon crâne. « Ils ont tous une signification ? » je demande en désignant son corps de mon menton. Cribler mon corps de signes, de mots, ça ne m'a jamais traversé l'esprit. Certainement le fait qu'en vieillissant, j'ai peur que ça devienne tout fripé, tout effacé, tout moche. Mais je me garde bien de le lui dire, chacun ses goûts après tout.