W/ DANI

Ce n’était un secret pour personne, mais je me sentais très seule depuis quelques temps. Tout compte fait, et tout bien réfléchi, c’était en réalité un secret pour tout le monde - je crois. Ce n’était pas volontaire, mais c’était assez logique, quand on y prenait y pensait. Tous les candidats avaient leurs petites histoires, leurs préoccupations personnelles, et j’étais à l’arrière-plan de toutes ces préoccupations. Je ne leur en voulais pas – ou essayais du moindre de me convaincre que je ne leur en voulais pas – mais il me fallait juste trouver une façon d’occuper mon temps, en solo. J’avais recueilli un oiseau, sauvé avec Fantine. Adopté le poisson d’Ismay, Ponyo – j’étais sa marraine après tout, c’était à moi de veiller sur lui en l’absence d’Ismay. Et dernièrement je m’étais liée d’amitié avec une poule. Je l’avais appelée Hermia. C’était peut-être pas un nom de poule, mais ça ferait l’affaire. Hermia était douce et affectueuse, mais Hermia avait un problème. Elle sentait fort mauvais. Alors, par un début d’après-midi radieux, je passe prendre Hermia au poulailler, et entreprend d’aller lui faire un brin de toilette près du ruisseau. Je lui avait passé un petit harnais fait main, en ruban, autour du corps, afin de l’empêcher de s’enfuir loin de moi. Mon ego était assez meurtri comme ça, et je n’aurais pas pu supporter de me faire abandonner par une poule – ça aurait été le coup de trop je crois. Tout en chantonnant, et en tenant fermement le ruban/laisse d’Hermia d’une main, je me penche vers le ruisseau afin d’humidifier le gant de toilette que je comptais utiliser pour nettoyer ma volaille.

Je ne sais pas si revenir ici est une chance ; j'imagine que si. C'est pour ça que, cette fois, je ne comptais pas la laisser passer. Être éliminé une fois, ça m'a suffit. J'ai pas vraiment envie de retenter l'expérience, surtout que je commence à progressivement m'attacher à des gens ; du moins à d'autres gens que lors de mon premier passage. Faut dire que y en a qui sont arrivés, d'autres qui sont partis, en gros, ce village, c'est comme un moulin ! et j'aime assez. J'aime voir de nouvelles têtes, même si bon, je ne suis pas toujours très friand pour tous les départs. Mais bon j'imagine que c'est le jeu. Du coup, pour profiter de mon second séjour ici, je décide de faire un tour dans un peu tout le village. Oh, si, je le connais. Je ne dirai pas parfaitement puisque de toutes évidences on ne peut pas connaître un endroit par coeur. Il y a toujours des endroits cachés, des passages secrets, et toutes sortes de choses dans le genre. Ouais. Du coup, l'iPod débitant ses bonnes musiques dans mes oreilles, je bouge, les mains dans les poches, n'hésitant pas à chantonner parfois. Je suis seul, alors, du coup, je fais un peu ce que je veux, haha ! Ma tête balance de droite à gauche, et puis, très vite, j'arrive auprès d'un ruisseau, que j'avais déjà pu voir, mais à vrai dire jamais je ne m'y étais approché. Peut-être parce que j'en avais pas envie, ou peut-être pas le temps, je ne sais pas. Mes yeux vrillent sur une personne, accroupie, près de ce même ruisseau, en train de faire un truc, visiblement. Bah oui, j'imagine mal quelqu'un rester planté là en regardant de l'eau couler lentement. J'vois pas l'intérêt.. enfin soit ! la personne est rousse, et, puisque Mads est partie du jeu, il y a de fortes chances pour que ce soit Dagga, une personne que je ne connais pas vraiment, on peut même dire pas du tout. Mais elle est sympa, je crois, je vais l'adorer et on va devenir potes. Si si ! Je m'approche doucement tout en retirant mes écouteurs. « Qu'est-ce tu fais ? » Je tourne la tête, et je vois une poule. Putain, elle va.. elle va.. « NE LA NOIES PAS, S'IL TE PLAIT ! cette pauvre poule n'a rien demandé ! okay ! » J'esquisse un peu une mine de dégout ; tuer un animal, c'est dégueulasse. Surtout un animal si gros, quoi. J'veux dire, on va pas la noyer ! on peut juste lui trancher la tête, ça ira beaucoup plus vite. Et puis.. je me dis que, peut-être, elle ne compte pas la tuer. Je sais pas, vraiment. J'attrape mon iPod, que je tiens fermement dans ma main et je le tends vers ma bouche, comme si c'était un micro. « Bonjour, nous sommes.. je ne sais pas quel jour, ni quelle heure, mais nous sommes à la cinquième semaine. Comment vous-sentez vous ? Que comptez-vous faire de cette poule ? Ne mentez pas, gangourdine ! » Je me la joue interviewer, mais mon ton reste calme. Après tout, elle peut bien tuer la poule, tant que ce n'est pas moi. Mon micro de fortune se retrouver alors tendu vers la bouche de la demoiselle, dans un sourire.

Je ne m’attendais pas à trouver quelqu’un ici – les gens traînaient rarement près du ruisseau, c’est pas forcément l’endroit qui regorge le plus d’activités en tous genres – et c’est d’ailleurs la raison principale qui m’avait poussée à venir laver Hermia en cet endroit et non au lavoir ou dans une des salles de bain : l’assurance de ne croiser personne. C’est que je n’avais pas particulièrement envie d’être vue en train de nettoyer une poule. Y’a plus flatteur comme image. Aussi, quand Dani s’approche de moi et m’interroge au sujet de mon occupation, je ne manque pas de sursauter en me retournant dans un geste un peu brusque. J’étais passé à deux doigts de lâcher la laisse d’Hermia, alors je raffermis ma prise sur le ruban, ne souhaitant vraiment pas laisser une seule occasion à la poule de se faire la belle. Je n’ai pas le temps de répondre que déjà il enchaîne, et j’ouvre de grands yeux tout ronds quand il me soupçonne de vouloir tuer Hermia ; il croyait que j’allais la noyer ? Mais comment avait-il pu aboutir à une conclusion pareille ? « Mais voyons, si je voulais la noyer, je ne lui aurais jamais mis un ruban autour du corps ! » je m’exclame, saisie par l’absurdité de son raisonnement, et un peu vexée, aussi, qu’il m’ait prêté de si mauvaises intentions. La mine un peu boudeuse, je délaisse le gant de toilette pour saisir Hermia à deux mains, caressant distraitement son plumage en dévisageant Dani. « Je ne suis pas une noyeuse de poules. Je ne ferai jamais une chose pareille à Hermia, et c’est pas du tout mon genre. Ok ? » J’arque un sourcil. J’espère qu’il va me croire, ça me ferait de la peine qu’il garde de moi cette image on-ne-peut-plus négative. Et puis il se passe des trucs bizarres, je ne saisis pas complètement le délire de Dani, mais, comme d’habitude, je saute dedans les deux pieds joints. Il me tend son iPod/micro dont je tapote doucement le bout, comme pour effectuer un test micro, quoi – c’est que je suis une professionnelle. « Je me sens plutôt bien, et je compte laver cette poule, lui faire un brin de toilette. Peut-être lui mettre du vernis à ongles si elle reste sage. » Je jette un coup d’œil en biais à Hermia. Je crois que pour le vernis à ongles, on attendra une autre fois. « Et je ne suis pas une gangourdine ! Et encore moins une menteuse ! » je clame, presque offusquée, en vérité. Bien que je n’ai aucune idée de ce qu’une gangourdine peut être. D’un geste théâtral, je ramène une mèche de cheveux en arrière façon pub L’Oréal, avant d’ajouter : « Vous les présentateurs vous vous croyez permis de tout, mais vous êtes de vrais goujats. » Je secoue légèrement la tête de façon désapprobatrice, tellement ancrée dans mon rôle que j’en oubliais presque le principal but de ma venue ici.

« Mais voyons, si je voulais la noyer, je ne lui aurais jamais mis un ruban autour du corps ! » Hmm. « Oui bon vu sous cet angle.. » c'est clair que pour le coup c'est assez clair. Elle ne comptait pas la noyer, juste lui étrangler le corps histoire que ses yeux sortent de ses orbites et qu'elle puisse la manger plus facilement après. Tout s'éclaire, tout s'assemble désormais, comme les pièces d'un puzzle ; cette femme est un monstre, et je compte bien le dire à tout le monde une fois que je serai rentré dans l'enceinte même du nid. Ou bien.. peut-être qu'elle va me tuer avant.. dans ce cas, je dois répliquer, ou du moins anticiper ses actions et la pousser, directement, dans le ruisseau, la noyer en m'asseyant dessus, parce que vu la profondeur du courant d'eau elle ne risque pas de mourir, la Dagga. Peut-être que je devrai lui faire bouffer mon iPod pour qu'elle s'étouffe avec.. mais dans ce cas, je serai assez embêté pour écouter des musiques. Peut-être que c'est ça, son but, que je n'écoute plus de musiques. Très très bon stratagème, très fin, je n'y aurai jamais pensé. Cependant cela ne marchera pas avec moi ; ce n'est pas l'utilisation d'une poule qui me fera céder. Hm. Discrètement je me fous une petite baffe histoire de me réveiller un peu parce que là je déraille quand même pas mal. Bien. Je vois donc le ruban que la jeune femme a attaché autour du corps de la pauvre poule. Bon, peut-être qu'au fond, elle ne va rien lui faire du mal. Elle m'affirme qu'elle n'est pas une noyeuse de poules. J'accepte, cependant sa phrase se termine un peu violemment dans mes oreilles et ça me fait un peu tiquer, j'ai la vague impression qu'elle m'agresse, mais je dois avoir bu avant, du coup je passe outre. Je suis un ouf, moi, je me la joue journaliste et lui tends mon iPod en guise de micro dans le but de lui poser quelques questions. Elle continue son délire - elle est pas mal non plus elle, tiens - en disant qu'elle la nettoie, et qu'après, elle lui foutra du vernis. Je regarde la poule, puis repose mon regard sur Dagga. « J'aurai préféré que tu la noies plutôt que de la vernir.. » Bon, techniquement, je ne suis ni le père ni le représentant légal de cette poule donc j'ai pas vraiment mon mot à dire. Si Dagga veut la vernir, et bien qu'elle fasse, hein. Je souris, malgré tout. J'écoute distraitement ses paroles, avant qu'elle ne s'adresse à moi comme un vrai présentateur ; ça me fait rire, légèrement. Je reprend le contrôle de l'objet et le fout devant ma bouche. « Moi au moins je ne suis pas.. roux. » Je lui fais un clin d'oeil ; elle doit comprendre que je rigole et qu'à vrai dire elle est super gentille, du coup, je prends le premier truc pour la "critiquer" même si je ne le pense pas et que j'ai une affection toute particulière pour les rousses. Non pas que j'ai pitié, hein, non. Du tout. Haha, bref. « Vous semblez vous amuser ici, n'est-ce pas ? Est-ce que laver une poule vous émeut ? Aimez-vous ça ? Voudriez-vous me laver ? Je suis une poule. » Fais la poule, fais la poule, tu verras tu s'ras plus cool. Je lui tends mon micro, et je souris. Je suis une poule. Une poule.

Ma lèvre inférieure se fait boudeuse et mes sourcils se haussent tandis que je le dévisage. Il aurait préféré que je la noie ?! Qui était le monstre tout d’un coup, tiens ? … « Oui enfin, il n’y a pas de dissolvant pour la mort, je te ferais remarquer. Le vernis à ongles me semble quand même être un moindre mal… » J’étais un peu vexée (à croire qu’il m’en fallait vraiment peu) mais je me disais que c’était en partie ma faute, et que je n’aurais pas dû confier mes plans personnels à un type que je connaissais à peine, et qui avait pas spécialement l’air sain d’esprit, de ce que je pouvais en juger. Et puis en plus de critiquer mes choix d’activité, il se met à m’agresser au sujet de ma couleur de cheveux, et bien c’est du propre ! Mes yeux se font tout ronds sous la surprise – je ne m’attendais pas à ce qu’on me la sorte, celle-là. On m’avait bien prévenu que les roux avaient tendance à s’en prendre plein la tronche à cause de leur couleur de cheveux, mais je n’avais jamais réellement expérimenté la chose à proprement parler. Seulement il ponctue sa pique d’un clin d’œil, et je plisse alors les yeux, cherchant à comprendre ce qui se passait. Ce n’était qu’une plaisanterie alors ? Pas un truc à prendre au sérieux ? Soit, je l’acceptais dans ce cas. « Ça c’est de la discrimination capillaire. Et c’est vraiment pas cool. je rétorque, faussement offusquée. Est-ce que c’est comme ça que ta maman t’a éduqué ? » Mon regard se fait taquin tandis que je lui pose cette dernière question. En soi, j’en ai plus ou moins rien à cirer de ma couleur de cheveux, donc c’est vraiment histoire de. « Oui je m’amuse plutôt bien ici. Non ça ne m’émeut pas vraiment. » je réponds, un peu sceptique, à ses questions, tout en caressant distraitement les plumes d’Hermia. Et puis il m’annonce qu’il est une poule. Je le dévisage, puis l’examine de haut en bas. Certes… « Si tu es une poule je veux bien te laver. Mais les poules n’ont pas de vêtements. » Je plante mon regard dans le sien, avant d’ordonner sur un ton impérieux : « Retire-les. » Je ne sais absolument pas s’il compte s’exécuter, et jusqu’où notre petit délire risque de nous mener. Dans mon esprit, c’est comme si le premier qui brisait la magie de nos divagations avaient perdu. Et je ne voulais pas être la première à revenir à la réalité, dans tout ce qu’elle avait de plus ennuyant. « Je n’ai pas ramené de ruban pour une seconde poule ceci-dit. Alors j’espère que tu vas bien te tenir. » j’annonce en continuant de le dévisager, le plus sérieusement du monde.