W/ JOSHUA

Je suis assise au bord du bassin, et mes pieds pataugent dans l’eau ; je les laisse faire et les couve du regard rêveusement. J’ai l’impression d’être comme une enfant, là, à tout éclabousser autour de moi. Je suis heureuse d’être seule, d’avoir ce petit moment d’intimité, ce petit moment en tête à tête avec moi-même. Petit moment susceptible d’être visionné par des milliers de téléspectateurs, mais je j’omets volontairement cette aspect-là de la question, préférant me concentrer sur l’essentiel. L’atmosphère des thermes me décontracte. Je sentirais presque mes muscles qui se détendent progressivement, se décrispent. Je m’étire les muscles de la nuque, faisant dodeliner ma tête vers l’arrière, dans un geste circulaire, avant de me masser les omoplates des deux mains en laissant échapper un léger soupir serein. Et puis, quand je me sens fin prête, j’entre silencieusement dans l’eau, en appréciant la chaleur contre ma peau. Mais je ne suis pas venue ici juste pour ça. Ma volonté va au-delà du simple désir de barboter gaiement jusqu’à ce que ma peau soit toute fripée. Je veux apprendre à nager, une bonne fois pour toutes. Parce que j’ai pour ambition d’aller me baigner dans le lac, et je m’en fiche qu’il fasse un froid de canard à l’extérieur, je ne me suis jamais baignée dans un lac, et il est grand temps de passer le pas. Le temps m’est compté, je ne l’oublie pas. Mais avant de me jeter à l’eau, au sens propre comme au sens figuré, il serait bon d’apprendre à nager, alors je m’entraîne. J’ai prévu d’apprendre seule, en autodidacte. Ça doit pas être si compliqué. Et je n’ai pas forcément envie d’avouer mon inaptitude à nager à qui que ce soit. Je prends une grande inspiration. Et je fends la surface de l’eau, plongeant un peu maladroitement, en me dirigeant vers la partie plus profonde du bassin. Mes gestes sont malavisés, je perds rapidement l’assurance que j’avais trois secondes plus tôt, et, prise d’angoisse, j’ouvre grand les yeux, surprise de façon très naïve par toute cette masse aquatique qui m’entoure et m’oppresse. Mes bras s’agitent dans tous les sens et je me débats avec ma chevelure qui gêne ma vision, tentant tant bien que mal de retrouver le chemin jusqu’à l’air libre.

Les thermes. Cet endroit que je m'étais promis de revisiter, il y a de cela un mois à peine. Un mois durant lequel je n'ai pas tenu cette stupide promesse faite à moi-même, donc. Mais ne dit-on pas qu'il n'est jamais trop tard pour quoi que ce soit ? Qu'il vaut mieux s'y prendre à la dernière seconde plutôt que de ne pas s'y prendre du tout ? C'est ce que je fais. J'arrive sur les lieux, clope au bec, redécouvrant ces vestiges. L'effet est le même: je suis impressionné. Pire, je suis ébloui. L'endroit dégage quelque chose. Un je ne sais quoi me rend heureux, voire même béat. Tandis que j'avance, ma cigarette en bouche- je ne suis pas supposé fumer ici, j'en suis parfaitement conscient-, je perçois quelques sons étranges émanant d'une autre pièce. Comme si quelqu'un était en train d'éclabousser de l'eau. J'ignore qui est l'inconscient qui s'amuse à jouer dans ces lieux paisibles, mais je ne tiens pas à le déranger. En réalité, je ne tiens pas à ce que lui vienne me déranger. Mais ça, c'est quelque chose que j'ai déjà dû mal à reconnaître intérieurement. Après tout, qui suis-je pour qu'on me laisse en paix ? Je ne suis pas la reine Elisabeth à ce que je sache. Enfin, soit. Je me ferai discret et si cette personne me remarque, alors j'aurais la réaction la plus naturelle qui me soit attribuée d'avoir: j'engagerai la conversation. L'esprit libre, j'erre dans les parages, tirant de temps à autres sur ma clope. Cette sensation de bien-être.. ça faisait longtemps que je ne l'avais pas connue. Tandis, que je me décide enfin à m'installer quelque part, je remarque que les bruits n'ont toujours pas cessé. Et parce que je suis un être tout à fait curieux, j'abandonne finalement l'idée de m'assoupir sur ce siège parfaitement conçu pour mon postérieur pour me diriger vers la provenance du bruit. C'est alors que je la vois, sa chevelure rousse telle une petite sirène s'ébouriffant dans l'eau. Elle tente de se débattre. Contre quoi, je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, je décide de m'avancer vers elle. Je suis intrigué. Assisterais-je pour la première fois de ma vie à une séance de yoga aquatique- si tant soit peu que ce terme existe- ? Non. Elle se débat contre cette substance aquatique qui la retient prisonnière dans ses profondeurs. Ni une, ni deux, je saute, clope toujours en bec. Je nage jusqu'à elle puis une fois arrivée à ses côtés, je la soulève et extirpe sa tête de sous l'eau. Mes vêtements me collent à la peau, mais je pense être habitué maintenant... ça m'arrive souvent ces temps-ci. Blottie contre moi, je nous dirige vers la sortie du bassin avant de finalement m'arrêter quelque part où j'ai pied. « Tu vas bien ? », dis-je en lui caressant le sommet du crâne. Question absurde, j'en doute bien. Mais pas moins légitime pour autant.

Mes réflexes sont mauvais, très mauvais, j’ouvre désespérément la bouche sans doute dans une tentative naïve d’attraper une goulée d’air au passage, mais ce n’est que de l’eau que j’obtiens, encore plus d’eau, et elle s’infiltre frauduleusement dans mon système respiratoire, allant jusqu’à infecter mes poumons. Mes bras s’agitent, mais brassent la masse aquatique inutilement, et si seulement j’étais capable de recouvrer mon calme, si seulement j’étais capable de réfléchir trois secondes, je n’aurais aucun mal, alors, à retrouver la surface et à traîner ma carcasse jusqu’au rebord du bassin. Mais voilà. J’ai cédé à la panique. Et mon affolement émousse tous mes sens, ainsi que ma capacité à raisonner – qui n’est déjà pas forcément tip-top en temps normal. Un éclair de lucidité. Je vais quand même pas crever ici ? Ils ne vont pas laisser faire ça ? Ils vont intervenir, ils doivent bien avoir des techniciens, quelque part… ? C’est trop frustrant. J’angoisse et j’enrage. S’ils diffusent ma mort à la télévision, c’est clair et net, je reviens les hanter, rien à foutre. Et puis soudain, alors que je suis à deux doigts de rendre les armes, une nouvelle force vient s’ajouter à l’équation, en altérant ainsi le résultat. Je n’ai ni le courage ni la force de chercher à comprendre ce qui m’arrive. Je comprends juste que c’est bien. Et je perçois de l’air, de nouveau autour de moi ; avide d’oxygène, j’inspire avec voracité, mais tout mon système respiratoire est encore rempli d’eau et ça ne m’aide pas, bien au contraire. Je m’étouffe et je crachote, et finalement, en hoquetant avec difficulté, je parviens à respirer de nouveau, ma tête ballottant au gré de mes expirations. Mon rythme cardiaque est toujours bien trop élevé, et je tremble de partout. Je me blottis contre celui qui m’a sorti de là, mes petits poings crispés serrés contre ma poitrine, et je reste là, incapable de faire quoi que ce soit, incapable de bouger, car tous mes muscles sont outrageusement endoloris, et je ne les ai jamais autant sentis de ma vie, tous autant qu’ils sont. Je perçois même de la douleur dans des muscles que j’ignorais posséder. Je suis littéralement exténuée. Il me demande si je vais bien, et je continue d’hoqueter, en relevant les yeux vers lui. C’est Joshua. « J’ai… J’ai vu mieux. » j’admets entre deux convulsions. C’est un doux euphémisme, mais j’ai franchement pas envie d’exagérer ma situation. « Je… Je suis trop… Stupide. » je lâche dans un murmure un peu acerbe, m’en voulant à mort pour mon imprudence. J’avais pêché par excès de confiance en moi ; je pensais que nager allait être facile, il s’avérait que ce n’était pas le cas. « Mais… Merci. » j’ajoute, la voix un peu cassée à cause de toute le liquide que j’avais ingurgité. Je n’ai pas la force d’ajouter quoi que ce soit. Je crois que j’ai juste envie qu’on me pose quelque part, que je puisse dormir pendant environ trois millénaires, le temps de retrouver un peu de vigueur.

Actuellement, deux questions me trottent dans la tête: Comment va-t-elle ? Et je rêve où à vingt ans passés, elle ne sait toujours pas nager ? Tout le monde n'a pas eu la chance de pouvoir assister à des cours de natation, je le conçois parfaitement, mais de là à se noyer la majorité passée ? Surprenant. Mais pas moins rare pour autant. Il me semble avoir déjà vu un cas semblable à celui de Dagga quelque part. Je pense même que c'était dans l'une des saisons ayant précédé celle-ci de l'émission. Oui, il me semble bien qu'une des nanas ne savait pas nager non plus. Enfin, soit. J'extirpe donc sa tête de sous l'eau et la regarde recracher la substance liquide qui a semble-t-il intégré ses voies respiratoires. Je lui tapote légèrement sur le dos, il me semble que c'est comme ça qu'il faut faire quand quelqu'un s'étouffe, non ? A moins que je ne me trompe et que ce geste stupide rend juste la personne plus agressive. J'interromps donc ma tentative de sauvetage foireuse et la laisse se reposer contre moi. Je suppose qu'elle doit être terrifiée ? Du moins c'est ainsi que je traduis ses frémissements. Elle tremble, la malheureuse. « J’ai… J’ai vu mieux. », dit-elle après avoir relevé les yeux vers moi. J'affiche un maigre sourire et continue de lui caresser le sommet du crâne. Enfin, jusqu'à ce que je me rende compte que ce geste est tout aussi saugrenu que le précédent. Décidément, j'aurais du le passer ce fichu brevet de secourisme. « Je… Je suis trop… Stupide. » Je fronce les sourcils et montre mon désaccord en un mouvement de tête. Non, elle n'est pas "trop stupide". Pourquoi le serait-elle, d'abord ? « Mais… Merci. », renchérit-elle. De quoi me remercie-t-elle, au juste ? D'être un piteux maître nageur ? En guise de réponse, je nous sors de cette surface aquatique. Ah étrangement, elle n'est plus aussi légère que ce qu'elle avait pu être sous l'eau. Non pas qu'elle soit lourde, cependant.. Les mains posées sous les cuisses de la rouquine- pas de geste déplacé, simplement un moyen comme un autre de la soulever- je nous dirige vers la pièce que j'occupais un peu avant ce malheureux évènement. Là où les sièges sont parfaitement conçus pour que l'on puisse poser nos postérieurs. D'ailleurs, je pose le mien, de postérieur, gardant toutefois ma camarade sur mes genoux, blottie contre mon torse. « Tu aimes les cartes de fidélité, donc ? », dis-je un sourire aux lèvres. Je veux qu'elle oublie le traumatisme qu'elle vient de subir. Et l'histoire des cartes de fidélités.. C'est l'une des rares choses que je pense avoir retenu des derniers mots que nous avons échangés, l'autre jour. « Désolé, je n'ai pas fais exprès de m'endormir, l'autre fois. », renchéris-je en nichant ma tête sur son épaule.

Je n’oppose aucune résistance, me laissant porter par Joshua sans me poser la moindre question, et en d’autres circonstances le contact de ses mains contre mon corps si peu vêtu m’aurait au moins un peu perturbée mais là j’étais à mille lieux de me préoccuper de mon semblant de pudeur. Mes paupières se closent naturellement, je ne sais pas où il m’emmène, je m’en soucie très peu, à vrai dire. Il pourrait aller me séquestrer dans une cave, honnêtement, grand bien lui fasse, je ne suis pas en état de m’y opposer. La tête dans le brouillard, nageant en plein délire, je me fais la réflexion que, le jour où je souhaite devenir psychopathe, j’aurais qu’à devenir sauveteuse en mer ; ils doivent avoir des occasions en or. Et puis je sens qu’on se pose, tous les deux, j’entrouvre les paupières, les yeux me piquent, je tousse un peu. J’aimerais me ressaisir, me relever, faire la forte, la fière, qui retombe sur ses pattes aussitôt, mais je suis à bout de force et je ne peux que m’abandonner à Joshua, et j’enragerais silencieusement d’être aussi impuissante si seulement j’avais le courage d’enrager. Il me parle de cartes de fidélité. J’ai du mal à émerger, à comprendre ce dont il parle, et là, comme ça, j’imagine qu’il me parle d’un jeu de société ou quelque chose dans le genre, et tout est juste terriblement confus dans mon esprit. « J’aime bien les cartes… J’aime bien les cartes de la famille Zoreilles, au jeu des sept familles, c’est mes préférés, c’est les lapins. Je trichais tous le temps pour pouvoir avoir cette famille. J’étais bien obligée parce que maman trichait aussi. » je marmotte doucement et puis je secoue la tête, tentant de revenir à la raison en remettant mes idées en place. Et puis il poursuit, parle de l’autre fois, et ça me revient, soudainement, et je comprends tout d’un coup où il voulait en venir avec ses cartes de fidélité – j’avais presque oublié ce que j’avais dit à ce sujet. Un peu moins sonnée, je relève les yeux vers lui et entreprend de me redresser légèrement sur ses genoux ; je lui lance un sourire amusé qui se veut compréhensif, avant de baisser de nouveau le regard. « Ce n’est rien. Je devais effectivement être un peu soporifique avec mes histoires de cartes de fidélité. N’importe qui d’autre de normalement constitué se serait aussi endormi. » je fais observer, en me demandant si cette fois-ci ce n’est pas moi qui vais m’assoupir sur lui.

Si on m'avait dit, avant d'entrer dans le jeu, que j'aurais recours à mes talents de sauveteur à deux reprises en un mois seulement, je pense que j'aurais ris au nez de la personne qui aurait tenu un discours pareil. Et pour cause, je n'ai absolument rien du superhéros qu'on peut voir sur le grand écran. Pourtant, il y a d'abord eu Mads. La rouquine qui a fait un malaise dans l'Eglise. Et maintenant Dagga. Autre rouquine dans le genre. Si je ne connaissais absolument pas Mads avant de lui venir en aide, j'ai toutefois la chance d'avoir déjà conversé avec Dagga auparavant. Enfin, si on peut appeler cela une conversation. Car le bougre que je suis s'est endormi avant même que la jeune femme en finisse de parler. Ça m’embarrasse d'ailleurs. Et c'est pourquoi je remets le sujet sur le tapis. Pour lui faire oublier son traumatisme aussi, mais là n'est pas le but premier. Avec ou sans cela, je tenais déjà à évoquer ce comportement involontaire mais tout de même déplacé. J'aborde le tout en douceur. Je fais d'abord allusion à l'histoire des cartes de fidélité. C'est un des rares sujets de cette conversation dont je me souviens encore. Ce qui ne semble pas être le cas de Dagga. Je fronce légèrement les sourcils avant de comprendre. La jeune femme est à l'Ouest. Complètement. Elle me conte une toute autre anecdote: son penchant pour les jeux de sept familles. Je ris légèrement avant de porter mon regard vers le sien. « Personnellement, j'ai toujours préféré les Ronron. » Et malgré le sourire qui se dessine sur mes lèvres, je suis tout à fait sérieux. Je les ai toujours trouvé super mignons. Surtout le grand-père qui était vautré sur son canapé, journal en mains, pendant que les autres peignaient. Enfin, d'après mes plus lointains souvenirs. Peu importe. Je m'excuse donc pour mon manque de politesse de la dernière fois. J'aurais dû garder les yeux ouverts. Au moins jusqu'au bout de notre conversation. « Je suis sûr que si je n'avais pas clos les paupières, je les aurais adoré tes histoires de carte de fidélité. » Mon sourire se veut rassurant. Et pour cause, c'est ce que j'essaie de faire. La rassurer. « Tu n'as pas froid comme ça ? », dis-je en évoquant le changement de température soudain qu'elle a dû subir. Déjà que moi, vêtu comme je le suis, je me les gèle fortement, je n'ose même pas imaginer ce qu'il en est pour elle. Aussitôt, et n'attendant d'ailleurs pas sa réponse, je me débarrasse de mon pull que je passe sur sa tête. J'attrape un à un ses bras pour également les faire glisser dans les manches. J'ai l'impression de tenir un petit enfant dans mes bras. Mais ce n'est pas déplaisant. J'ai toujours adoré les gamins. Maintenant qu'elle est un peu plus habillée, je l'incite de nouveau à se blottir contre moi en déposant sa tête sur mon épaule.