Absorbée par ma lecture de Glamorama de Bret Easton Ellis, je me suis endormie aux alentours de cinq heures du matin. Et encore, je n'ai fait que de somnoler. Un sommeil léger en somme. Moi et mes problèmes d'insomnie chroniques. Habitudes engendrées par une succession de nuit blanche à se torturer l'esprit. Même lire avant de dormir ne me fait plus aucun effet. Après m'être endormie, j'ai du me réveiller deux ou trois fois. Au bout du troisième, je ne suis pas arrivée à me rendormir. Excédée, je me remue dans tous les sens pour trouver une position confortable. Je me retourne et je vois le visage de Dagga. Mon regard s'attendrit. Je replace une mèche de cheveux derrière pour avoir un panorama complet de son visage. Je me rapproche d'elle et caresse doucement ses traits fins. Cela fait déjà deux mois qu'on partage ce lit. Deux mois pendant lesquels je me suis habituée à sa présence, à son odeur. Bien que Arès dort maintenant seul, je n'ose plus quitter ce lit. Même quand je suis dans les bras du jeune homme, je pense à elle. Je m'inquiète. Au réveil, je m'attends à la voir à mes côtés mais ce n'est pas elle. Alors, j'alterne. Je dors avec Dagga le premier jour, le jour suivant je suis avec Arès. Je me vois mal complètement déserté notre lit. Oui, cela reste notre lit à toutes les deux. Rien ne changera jamais ça. Jamais. Je cesse de la toucher de peur de la réveiller. Je me lève sans faire de bruit et m'habille en vitesse. Je fonce vers la Cantine pour préparer notre petit-déjeuner. Je dispose sur un plateau de quoi nous restaurer : du jus d'orange, des fruits fraîchement coupés, des toasts, de la confiture (je n'ai trouvé que de la myrtille, j'espère qu'elle aime ça), du café si elle souhaite. Je ramène ce plateau bien garni dans la chambre. Je m'assois sur le matelas. Elle se réveille. Je lui souris et m'exclame : - Le petit-déjeuner est servi, ma belle. Je place le plateau au centre pour qu'elle se serve. Qu'elle n'hésite pas surtout. J'ai préparé cela rien que pour nous deux. Je prends un toast et le tartine de confiture. Je mords dedans et regarde ma partenaire émerger doucement. Je la couve du regard et lance d'une petit voix : - Je suis désolée de ne pas être souvent là. Je baisse les yeux. J'ai l'impression que nous nous éloignons l'une et de l'autre. Je ne veux pas qu'elle pense que les autres passent avant elle. C'est complètement faux. Elle est bien entourée. Des gens plus capables que moi pour prendre soin d'elle. Si je viens à être éliminée, elle sera entre de bonnes mains.

Arès et moi avons la garde alternée d'Elliot. C'est un accord tacite ; nous n'en discutons pas. Ça s'est imposé, naturellement. Je pensais qu'avoir le lit pour moi seule m'aiderait à dormir. Que j'aurais le champ libre pour m'étaler. Qu'en un sens, ça me rappellerait la maison, et que la familiarité de la situation m'aiderait à clore les paupières et m'abandonner dans les bras de Morphée. Mais c'était là bien mal me connaître – ma partenaire était devenu quelque chose de bien particulier à mes yeux, un pilier, en quelque sorte, et quand elle quittait mon champ de vision, je ne pouvais m'empêcher de me poser mille questions, me demandant où allait, à quoi elle pensait, comment elle se sentait – je tergiversais, en somme. Avec le recul, je comprenais mieux la question qu'un internaute avait posée sur mon blog, concernant Elliot ; il avait remarqué, avant moi, que je commençais à développer une légère dépendance. Pourtant, je m'étais toujours considérée comme une personne terriblement indépendante, aussi étais-je un peu réticente à l'idée de qualifier ma relation avec ma partenaire de cette manière. Pour l'instant, je considérais simplement que je me faisais un devoir de veiller sur elle, et que, comme tous mes devoirs, je prenais celui-ci très au sérieux. Je m'étais accoutumée à sa présence. Il m'avait fallu me fixer à un élément de référence, et ça avait été Elliot. Je ne savais, au fond, pas du tout ce que cela pouvait impliquer. Et je ne m'en portais pas plus mal. Toujours est-il que je ne parvenais réellement à dormir que quand elle était à mes côtés. C'était aussi sans doute lié au fait qu'après une nuit blanche, je dormais toujours comme un bébé, et que j'avais plus ou moins consciemment adopté un rythme binaire au niveau de mes nuits de sommeil. Je me réveille avec douceur, émergeant peu à peu. Le premier visage que je vois, c'est le sien. Elle sourit, et par réflexe, par mimétisme, je lui rends aimablement son sourire. Et puis j'aperçois le plateau, le petit déjeuner. « Oh, tu es merveilleuse… » je souffle, encore un peu endormie. J'arque soudainement un sourcil. « Est-ce que tu as fait une bêtise dont tu essayes de te faire pardonner, ou est-ce que tu aurais une requête particulière ? » je questionne, mi-sérieuse, mi-amusée. Parce que oui, moi quand je prépare le petit déjeuner au lit pour quelqu'un, c'est forcément pour une de ces deux raisons. Et puis elle présente ses excuses, et ça m'intrigue un peu. Je repousse les couvertures, m'assieds en tailleur. Moi aussi j'ai remarqué qu'on s'éloignait. Je ne sais pas trop à qui en incombe la faute. C'est normal, quelque part : nous nous faisons chacune nos amis de notre côté. C'est plutôt sain, j'imagine. « Tu n'as pas à t'excuser. De plus, je ne suis pas la plus présente des partenaires non plus. J'ai l'impression de passer beaucoup de temps à me cacher et à éviter tout le monde, pour une raison ou pour une autre… » je commente, un sourire discret aux lèvres. Je m'étais un peu améliorée à ce niveau-là, mais certains jours je jouais vraiment à l'exclue de service. « Et puis, c'est normal que tu passes beaucoup de temps avec Arès et tout. Je suis contente pour vous. » Ces mots me paraissaient un peu vagues, mais mon sentiment en lui-même l'était. J'étais heureuse pour eux, mais sans vraiment comprendre la nature de leur relation, sans comprendre leur lien particulier. Ça me turlupinait un peu. Je me sers du café – c'est mon premier réflexe vital, le matin. « Qu'est-ce qui te plaît chez Arès ? » je lui demande, curieuse. Une nouvelle fois, je ne mesure pas l'indiscrétion de ma question.