everleigh

Je suis surement trop jeune pour fumer. J’ai bien l’impression que c’est le genre de commentaire auquel je vais avoir le droit durant toute l’aventure. Ça et le, trop jeune pour boire, trop jeune pour baiser, trop jeune pour comprendre. Ouais parce que en gros, à dix-huit ans, on est trop jeune pour tout. C’est agaçant comment les gens plus vieux se pensent automatiquement supérieur. Dans le genre gros chieur, à la fin, se sont eux les pires, et pas moi. Ma cigarette entre mes doigts, je la regarde se consumer, la fumée s’échappant de celle-ci, sous mon nez. Autant je recherche la solitude, autant je ne me sens jamais bien lorsque cela se produit. Comme en ce moment, j’ai l’impression d’avoir une boule au ventre, qu’à tout moment je pourrais exploser, alors que de l’extérieur je semble plutôt calme. Les rayons du soleil me frappe au visage, comme pour m’avertir que je suis bien réveillée et surtout, bien présente dans cette place de fou. Dans cette situation où j’ai moi-même décidé de m’embarquer. Je pense à mon père, qui ne doit pas être enchanté de voir sa fille chérie se pavaner devant les caméras. Il me pardonnera, j’espère. Je me décide finalement à glisser la cigarette entre mes lèvres alors que la porte s’ouvre et qu’une personne semble me rejoindre sur la terrasse. J’aurais envie de l’ignorer, mais dans un geste automatique, je tourne la tête pour reconnaître la vieille fripée du premier prime qui semblait largement agacer par ma présence ce soir là. Comme c’est un heureux hasard. « Je ne suis pas certaine que c’est une bonne idée de venir sur la terrasse en ma compagnie. Une barbie gamine dans mon genre… ça doit teeeeeellement t’emmerder. » Je souris doucement. C’est un sourire remplie de sarcasme, d’hypocrisie, mais ça va, elle l’aura comprit, j’imagine qu’elle est loin d’être conne. J’aurais pu ne pas revenir sur la première soirée, mais en fait, je n’avais pas pu m’en empêcher. Je ne pouvais m’empêcher de rien, si je le pensais, habituellement, je le disais. C’est un peu contraignant parfois, mais pas en ce moment.

Je sais que je ne devrais pas fumer, c'est mauvais pour ma condition de sportive. Sauf que c'est mon plaisir coupable, je fume pas énormément mais je fume. J'ai besoin de mes pauses clopes, celles que je prends souvent avec mon café d'ailleurs. Le matin, le midi, éventuellement une dans l'après midi et le soir, surtout le soir, et lorsque je sors. J'ai tendance à fumer davantage lorsque je m'ennui, comme tout le monde j'imagine et je commence à croire que ma consommation va tripler ici, de la même manière que ma pratique du sport va diminuer, ça va souvent de pair. Quoi que j'en sais rien, je vais pas commencer à faire des plans sur la comète, je sais que je ne les respecterais sans doute pas. On a beau se fixer des objectifs, s'imposer des limites ils ne tiennent jamais. Ils s'effondrent à la moindre occasion. Et ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Après le repas je me suis collée à mon petit rituel, je me suis fait un café et j'ai pris la direction du balcon, il ne fait pas encore très froid. Lorsque je pousse la porte je remarque immédiatement la petite blonde qui m'a bousculé la veille. Ouais peu importe. Je referme la porte et me glisse à l'intérieur non sans serrer ma tasse bien chaude contre mes doigts saisis par le froid. Elle a une cigarette dans les mains et la première chose qui me vient à l'esprit c'est qu'elle est sans doute trop jeune pour ça. Mais après tout, y'a-t-il réellement un bon âge pour ça ? Je ne crois. Elle se retourne. « Oh c'est donc ça... » Je souris alors que je pose ma tasse sur le rebord de la table le temps de sortir mon paquet de cigarette de ma poche pour y extirper une cigarette. « T'es beaucoup trop jeune pour être à ce point aigri... » Je me contente de répondre avant d'allumer ma cigarette. Je pense que je vais pouvoir supporter sa présence sans lui sauter à la gorge. Le stress mêlé à mon impulsivité m'a fait réagir au quart de tour, son immaturité n'ont fait que renforcer mon jugement à son égard, maintenant c'est passé.

Maintenant que mon moment de solitude est brisé et que je n’ai pas le choix de me taper la compagnie de cette inconnue, je me dis que je pourrais simplement oublier ce qui c’est produit la veille, puisqu’en soit, l’événement est particulièrement banale. Un regard de travers, je la pousse et voilà, les hostilités sont déclarées. Mais en même temps, j’aime bien créer des tensions inutiles, c’est surement ce qui me pousse à m’adresser à elle de cette façon. Je ne connais même pas son prénom, et je ne sais pas si j’ai envie de le connaître. Je la regarde sortir son paquet de cigarettes, me disant que tout le monde dans cette maison doit fumer. « T'es beaucoup trop jeune pour être à ce point aigri... » Je soupire, soufflant un nuage de fumé devant mon visage. Évidemment, je suis trop jeune pour tout, j’aurais presque pu prévoir que sa phrase aurait un lien avec mon âge. « C’est vrai… je ne connais rien de la vie. À 18 ans, on a rien vécu, aucune épreuve, han ? On est que de petites choses innocentes face à ce grand monde à découvrir. » Ce que je peux raconter de la merde. Pourtant, je suis tout de même un peu sérieuse. C’est pourquoi je lui souris en la regardant un moment. Je reste silencieuse, reportant mon attention sur ma cigarette nerveusement. Je ne peux pas y échapper, un léger sentiment d’anxiété me gagne, comme cela m’arrive souvent, pour aucune raison apparente, me mettant à douter de tous mes gestes, toutes mes paroles. J’ose croire que cela ne paraît pas de l’extérieur, qu’elle ne pense pas que c’est elle qui me rend nerveuse. « Bon… on enterre la hache de guerre ? Ou on se crêpe le chignon comme si on était des meilleures ennemies ? » Je souris encore alors que je glisse à nouveau ma clope entre mes lèvres. « Moi c’est Harlow. » Nouveau regard en sa direction, attendant qu’elle me donne son prénom à son tour.

Lorsque je lui fais cette remarque concernant l'aigreur dont elle fait preuve, je m'attends ce qu'elle s'emporte, ou qu'elle me fasse un laïus sur son âge. C'est typique des jeunes gens de son âge. Toujours se plaindre, encore et encore lorsqu'un adulte leur fait une remarque. Trop cliché si bien que je lève les yeux au ciel tout en tirant sur ma cigarette. « Est-ce que j'ai dit ça ? Non. Je ne vois même pas pourquoi tu parlementes. » C'est vrai ça, si y'en a bien une qui est bien placé pour savoir qu'à dix huit ans on peut en avoir fait des choses, c'est bien moi. Alors, ouais peut être que j'ai fait référence à son âge mais pas du tout pour cette raison. « L'aigreur c'est réservé aux petites vieilles qui ont raté leur vie. T'es trop jeune, moi aussi. » Ouais voilà, je rajoute cette petite phrase juste pour qu'on soit d'accord sur le pourquoi de ma réflexion. Elle semble nerveuse et je ne peux pas m'embêter de la fixer du coup. Son visage si enfantin mais pourtant tellement dur, c'est fascinant. Enfin dans un certain sens, le pire dans tout ça c'est qu'elle doit sans doute espérer pouvoir le dissimuler, c'est raté. Elle ouvre à nouveau la bouche et j'suis particulièrement étonnée de ce qu'elle était déjà entrain de dire. Enterrer la hache de guerre ? Parce qu'on est en guerre ? Non mais ça va. Elle m'est plus indifférente qu'elle ne m'exaspère. Et du coup mon jugement est légèrement modifié. Je m'empare de ma tasse pour y plonger les lèvres. Le café est quasiment froid c'est chiant. « Everleigh. » Je murmure en sortant le nez de ma tasse. Je continue de l'observer avec insistance, je la dévisage presque. Je suis devenue muette tout à coup, je ne sais pas réellement ce que je peux dire. Par où commencer. « C'est joli Harlow, j'aime bien. » C'est débile mais c'est vrai, c'est ce que je me suis dit lorsque je l'ai entendu prononcer son prénom. Très joli et en plus je trouve que ça lui va à ravir. « Parle moi de toi Harlow puisqu'on a décidé qu'on deviendrait les meilleures amies du monde. » Ca va être compliqué cela dit, ouais, j'ai la sensation que ça va être complexe.

« Est-ce que j'ai dit ça ? Non. Je ne vois même pas pourquoi tu parlementes. » Elle ne l’a pas dit, mais elle l’a peut-être pensé. Je sais pas moi, je ne suis pas dans sa tête. Et puis, j’avais eu besoin de le dire, je n’ai pas à me justifier. Puis elle parle de petite vieille, mais je crois que je ne l’écoute qu’à moitié. Parce que je suis trop concentré à l’analyser, à la regarder, la fixer. Je crois que c’est impolie de faire ça, mais bon, je ne suis pas du genre à me soucier de ce qui est acceptable ou non. Elle est belle, vraiment belle. Le genre de femme qui doit faire craquer beaucoup d’homme. Mais elle semble aussi avoir un caractère de merde, ce qui fait fuir les hommes en générale. Bref, je ne sais pas exactement pourquoi je me mets à penser tout ça. Je demande la paix, même si techniquement, nous n’avons jamais été en guerre. Et c’est con, parce que je ne suis pas certaine d’avoir envie d’être amie avec elle. Enfin, amie est un gros terme, je vais d’abord essayer d’avoir une conversation normale, et on verra la suite des choses. Elle s’appelle Everleigh. Cool. Ce n’est pas ça qui va changer ma vie, mais au moins, je peux mettre un nom sur ce visage. « C'est joli Harlow, j'aime bien. » Je la dévisage encore un instant avant de lever la tête pour recracher un nuage de fumer au dessus de moi. Elle semble sincère, c’est déjà ça. « Merci… C’est mon père qui m’a donné ce prénom. » Je l’aime aussi, ce prénom. Il est différent, me représente bien. Elle veut ensuite que je lui parle de moi. Ah oui, c’est comme ça que l’on fait habituellement, lorsqu’on veut apprendre à connaître quelqu’un. Je ne suis pas à l’aise avec ce genre de conversation. Je ne suis pas à l’aise avec tout ce qui me semble conventionnel. Parce que je suis censé dire quoi là ? Je suis inconfortable et je suis certaine qu’elle le remarque. Je suis inconfortable avec ma propre personne, alors c’est encore pire lorsqu’on me demande de m’ouvrir à quelqu’un d’autre. « Je ne sais pas vraiment ce que tu veux savoir… J’ai 18 ans, je viens de Dublin. J’habite avec mon père, sa femme et ma demie-sœur, Kathleen. Je suis étudiante en théâtre… Mais je ne pense pas avoir envie de faire ça toute ma vie. » Est-ce que j’en ai dit assez ? Est-ce que j’en ai dit trop ? Je ne crois pas avoir dit trop de chose, non. « Voilà… » Le silence s’installe à nouveau, alors que je baisse les yeux. Je suis plutôt calme, ce qui est une bonne chose. Et cela m’étonne à la fois. « Et toi… ? Tu fais quoi exactement, dans la vie ? » C’est chiant, parce que je n’avais pas envie de lui parler, et voilà que je lui pose la question en retour.

Elle m'observe avec insistance, elle n'a de cesse que de m'observer et ça a tendance à être étrange. Mais après tout, je me mets à la regarder elle aussi. Ses yeux émeraudes, ses lèvres rosés, ce air triste sur son visage. Elle va en briser des coeurs, ça c'est certain, je ne sais pas si elle a seulement conscience. Je pose ma tasse sur la table et porte mon attention sur ma cigarette qui se consume d'elle même. Je soupire. Elle s'appelle donc Harlow et Harlow semble tellement tendu que je commence à me tendre moi même, pourtant on ne peut pas dire que je sois souvent prise d'empathie. Je tire sur ma cigarette juste après l'avoir complimenté sur son prénom. Il est joli, pourquoi m'en priver ? Son père l'a choisi. Il a bon goût son père. Et après je lui demande de me parler d'elle parce que c'est le B.A-ba, et bizarrement je sens que ça ne l'enchante pas vraiment. Ouais je sais dans un sens moi aussi ça me fait chier, mais en même temps on est là pour ça, le temps serait aussi moins long si on commençait à parler. Sa façon qu'elle a de me regarder à tendance à me mettre mal à l'aise qui plus est. Elle ouvre la bouche. Elle a dix-huit ans. Elle vit à Dublin. Oh Dublin. Je crois que cette ville me manque, tout ce qu'elle engendre me manque. Et puis elle me parle de son père, de son père, de sa belle mère et de sa demi-soeur. « Et je suppose que la petite famille parfaite vit dans une maison parfaite à Dublin 4 ? » Je ne sais pas pourquoi je suis aussi cassante à vrai dire, peut être parce que j'ai toujours détesté cette façon de vivre mais après tout, elle n'y est pour rien et je ne devrais pas m'énerver pour ce genre de détail, alors j'essaye de me reprendre. « Je n'aurais pas dû, désolée. » Je tire comme un pompier sur ma cigarette qui est terminé, je l'écrase dans le cendrier et en sors directement une autre que j'allume. « Qu'est-ce que tu as envie de faire alors ?» Je réplique plusieurs secondes après, lorsque j'ai réussi à reprendre une constance, elle dit ne pas vouloir faire de théâtre toute sa vie, elle doit vouloir faire autre chose. Ou peut être pas. De toute façon, c'est à moi de parler de moi. Et moi ? Moi je n'ai pas de mari, moi je vis seule ou presque. Je n'ai pas envie de lui parler de mon fils de toute façon. Plus tard peut être. « Et moi j'ai trente-quatre ans, je suis danseuse, enfin j'enseigne la danse maintenant. Je vis à New York, seule. J'ai toujours été seule. Mais je connais très bien Dublin, j'y ai grandi. » Je soupire parce que je ne sias pas vraiment ce que je pourrais rajouter, je ne suis même pas sûr que ça l'intéresse un tant soit peu de toute façon. ce n'est pas vraiment important de toute façon. On ne va pas vraiment devenir amies.

C’est étrange comme échange. Je ne saurais expliquer la raison, mais j’ai l’impression que tout cela est faux. Comme si nous nous forcions l’une et l’autre de paraître polie, alors que c’est loin d’être nécessaire. J’hallucine peut-être aussi, j’ai tendance à devenir un peu paranoïaque et imaginer des choses parfois. Juste au moment où je me dis qu’il serait temps de rentrer, que je n’ai aucune envie d’apprendre à connaître cette inconnue qui n’apportera surement rien à ma vie, elle me demande de lui parler de moi. Et c’est une demande qui me rend mal à l’aise, parce que je ne sais pas comment on fait réellement pour se présenter. Pour bien se présenter. Je ne peux m’empêcher d’hausser les sourcils de surprise lorsqu’elle s’exprime aussi subitement à l’encontre de ma famille. Il y a un problème. Elle a beau s’excuser, elle vient définitivement de me piquer, et ce n’est vraiment pas une chose à faire si elle a envie que je garde mon calme. « Non, non, t’as raison, ma famille parfaite vie dans une parfaite maison. En fait, c’est plus qu’une maison, on a carrément un château ! Je n’ai rien à envier au chalet de la production, puisque j’en ai un semblable à Whistler, au Canada. » Une pointe d’arrogance se fait entendre dans ma voix, alors que je fixe à nouveau la jolie brune. Je vante l’argent de mon père, qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre. Et c’est particulièrement drôle de m’entendre dire que ma famille est parfaite, alors que j’ai toujours pensé le contraire. Mais si c’est ce qu’elle veut entendre, je vais me faire un plaisir de lui balancer ce genre de remarque par la tête. On revient sur le sujet de mon avenir, et je ne sais pas, mais je crois que je préférais dire de la merde à propos de ma famille. « Oh… je ne sais pas vraiment. Actrice me plairait bien, mais je crois que ça va me souler après un certain temps. Je me lasse de tout. » C’est ce que je me plais à dire à tout le monde, alors qu’en réalité, je suis seulement incapable d’être stable dans quoi que se soit que j’entreprend. Alors aujourd’hui actrice, demain pilote d’avion. Bref, je n’ai pas de bonne réponse à lui donner. Mais ça tombe bien, parce que je préfère qu’elle parle d’elle maintenant. Je l’écoute attentivement, alors que je suis toujours aussi nerveuse, venant même à porter mes doigts de ma main droite à la bouche pour me ronger les ongles. Une autre de mes mauvaises habitudes. « Et c’est pour la danse que tu as quitté Dublin… ? » Je suis curieuse, je veux savoir. Être danseuse… Mouais. C’est un métier comme un autre. « Tu dois être bien dans ta solitude, si tu as toujours été seule. C’est un peu pathétique… » Je la juge, sans aucun scrupule. Je n’ai pas de raison, seulement le fait que j’adore la solitude mais que cela me fait peur de l’être encore à trente-quatre ans, comme elle.