Il fallait l’avouer. Emilien n’avait rien d’un garçon téméraire et n’avait en aucun cas l’image du grand aventurier. Bien au contraire. Il était plutôt craintif, chétif et naïf. Certes, il se laissait voguer par sa crédule curiosité. Curiosité bien trop innocente. C’était sûrement elle qui l’avait guidé jusqu’ici. Jusqu’à cette grande porte. Il était resté figé, un bon moment, face à elle, avant d’oser la pousser. Qu’y avait-il de bien mystérieux derrière tout cela ? Mystère. Mystère, vous avez dit mystère ? Grâce –ou peut-être bien à cause– d’un élan de courage, il la poussa. Et aussitôt, il fut ébloui par la blancheur éclatante de la pièce. Il avait cru, un instant, qu’il allait devenir aveugle. Tout ce blanc partout. Il ne savait pas s’il devait oser s’aventurer plus longtemps, ici. Il était seul, et lorsqu’il eut voulu faire demi-tour, la porte était refermée. Pris au piège. Il se demandait bien qu’elle était cet endroit si mystérieux, trop mystérieux. Pièce vérité. Quel était donc ce nom énigmatique ? Pourquoi était-il tout seul, ici ? Pourquoi personne d’autre n’osait s’aventurer ici, au même moment que lui ? Emilien se tourna vivement lorsqu’il entendit la porte s’ouvrir. Seul, il ne l’était donc plus. Il remarqua un candidat, tout aussi hardi que lui, entrer dans la pièce. Lui aussi devait certainement se poser des questions, trop de questions, plein de questions. Des questions auxquelles il ne saurait répondre. D’ailleurs, après avoir fait quelques pas dans la pièce immaculée de blanc, il interrogea Emilien à ce sujet. Lui demandant alors s’il savait ce qu’était cette pièce. Cette fameuse pièce qui semblait en intriguer beaucoup. « La pièce vérité… déclara-t-il très brièvement, avant de reprendre. J’crois qu’ici, il ne faut dire que la vérité, et rien que la vérité. ». Il ne pouvait pas être plus clair dans ses explications. Tu entres là, et que tu n’as pas le droit d’embobiner ton interlocuteur. Aucune fausseté d’accepter. A vrai dire, Emilien avait déduit ça grâce au nom de cette pièce. Pièce vérité, ça devait vouloir dire ça : un endroit où l’on prônait que la vérité.

Une pièce vérité, c’est bien. Mais pourquoi elle existait ? A croire que les gens ne disaient pas (toujours) la vérité. Emilien continuait de scruter brièvement la décoration de cette pièce. A vrai dire, il n’y avait rien à dire. Il avait déjà tout dit. C’était blanc, tout blanc, trop blanc. Note à soi-même : la prochaine fois, penser aux lunettes de soleil. Avec des lunettes, peut-être on ne serait pas autant ébloui que cela. Le regard du petit Suisse se reporta sur le jeune homme qui se tenait à ses côtés. Ce dernier venait de lui demander si tous avait le droit de venir ici. Haussement d’épaule de la part d’Emilien. Ce petit haussement d’épaule qui pouvait presque le caractériser, à présent. Il ne savait pas vraiment si tout le monde avait le droit ou non de venir. Peut-être. Certainement. Si cette pièce était mise à la disposition des candidats, c’était sûrement parce qu’ils pouvaient, tous, venir ici. « Je pense, oui… » lâcha-t-il. Il s’approcha alors de l’une des barres. Il ne savait pas trop à quoi elle servait là. Peut-être pour ajouter un peu d’élément à cette pièce vide. « Tu veux me parler de toi ? » lui demanda… Ah, comment s’appelait-il déjà lui ? Réflexion. Emilien n’arrivait pas à se remémorer le nom de ce garçon. Il l’avait déjà croisé, une fois ou deux. Comme tous les autres candidats, mais il ne semblait pas qu’il eut su son prénom à un moment donné. Ce n’était pas trop grave cela, juste un petit détail. Il lui demander alors si Emilien voulait bien parler de lui. Parler de soi ? Qu’est-ce que cela signifier au fond ? Dire son prénom, son âge, d’où l’on vient, pourquoi l’on est, si on s’entend bien avec sa partenaire, si on avait déjà un coup de cœur pour l’un des candidats, etcétéra. C’était ça parler de soi ? Question crédule. Mais Emilien n’avait jamais été doué pour parler de lui. Ne sachant jamais ce qu’il doit dire exactement. Il prit une petite inspiration, avant de prendre la parole. « Moi, c’est Emilien… ». C’était déjà un début. Un bon début, non ? Au moins, si ce garçon ne savait s’il s’appelait Bidule, Chouette, Truc, Machin ou Emilien, maintenant il le savait. « J’ai vingt-et-un ans, je viens de suite… et je dois t’avouer que j’ai toujours eu du mal pour parler de moi. ». Sur ce dernier point, on ne pouvait pas lui jeter la dernière pierre. Il disait vrai. « Et toi ? ».

Y avait-il des caméras ici, aussi ? C’était la question qui venait à l’esprit du jeune Emilien. Y en avait-il ou non ? Sûrement. Il y en avait partout ici. Partout et n’importe où. A croire que la production avait pensé à tout ou plutôt que l’équipe devait être composé de petits voyeuristes. Oui, ça devait être ça. Il ne devait y avoir que cela comme explication. Alors certains que les caméras les épiaient encore, et toujours. Mais passons. Au bout de la troisième semaine, Emilien avait fini par s’y faire. A faire comme si. Comme si elles n’existaient pas, ces foutues caméras. Même si parfois, c’était difficile. Emilien lança un regard à l’homme qui se trouvait en face de lui, bonhomme qui était tout autant ignare que lui. Lui aussi, ça devait bien être la première fois qu’il mettait les pieds ici. Il lui demanda d’ailleurs de se présenter en quelque sorte. Emilien n’avait jamais été doué dans cet exercice. Devoir parler de soi, c’était compliqué quand même. Puis il n’avait jamais été doué pour s’exprimer, et parler, il n’aimait pas vraiment cela. Il préférait s’exprimer devant un piano. C’était déjà beaucoup plus simple que de devoir aligner quelques mots, ça. Emilien finit donc par demander à son tour à ce garçon de se présenter. Il disait s’appeler Peyton. Attendez, Peyton, ce n’était pas un prénom de fille, ça ? Peut-être, il n’en savait pas vraiment, Emilien. Donc, lui, c’était Peyton, il se disait être Irlandais. Il ajouta qu’il ne se présentait jamais à personne. Un peu comme Emilien. Espérons quand même que ce dénommé Peyton soit bien plus bavard qu’Emilien. Quoique ça pourrait être intéressant une conversation silencieuse ? Un peu de calme, de silence. C’était quand même rare au chalet, ces instants de silence religieux. Trop rare. Peyton avait donc vingt-neuf ans, si on en croyait ses dires. Il était un peu plus âgé que lui, le même âge que son frère ainé. Enfin ce dernier détail n’est pas si intéressant que cela, passons. Il vivait encore chez ses parents. Tout comme Emilien. Enfin, ce n’était peut-être pas pour les mêmes raisons s’ils habitaient chez leurs parents respectifs. Peut-être que Peyton s’était fait virer de son appartement et il était contraint de retrouver le nid familial ? Ou pire encore, son ex petite-amie l’avait jeté dehors de chez-lui. On pouvait s’imaginer tellement de chose. « Tu fais quoi pour gagner ta vie ? Moi j'suis vendeur indépendant sur internet». Si Peyton pouvait affirmer qu’il avait un métier, ce n’était pas vraiment le cas d’Emilien. « Et tu vends quoi exactement ? demanda Emilien, par simple curiosité, avant de reprendre. Pour mon cas, je… je ne peux pas vraiment dire que je gagne ma vie. Enfin, je ne veux pas non plus que tu crois que je vis au crochet de mon père. Je suis au conservatoire de musique, à côté de ça, je continue un peu mes études. ». Emilien et la musique, une longue histoire. Une belle histoire. Sûrement la plus belle qu’il n’est jamais connu. « Dis-moi, pourquoi as-tu voulu venir ici ? Je veux dire pourquoi tu as voulu tenter l’aventure Fake Lover ? ». Question banale, avouons-le quand même.

Ca faisait beaucoup d’informations à retenir sur ce garçon en à peine quelques minutes. Peyton, vingt-neuf ans, irlandais et il était vendeur sur internet, ou quelque chose du genre. Ah si, et il vivait toujours chez ses parents, comme Emilien. Ce dernier alors lui demanda par pure curiosité ce qu’il vendait. Après tout, cette question n’avait rien d’offensant ? C’est alors qu’il lui dit qu’il vendait des peintures, des toiles peintes par sa sœur. « Mais je vends toutes sortes de choses en fait. C'est assez large. ». Et il vendait aussi d’autres choses, comme il le disait lui-même. Des choses dont Emilien ne connaissait pas l’identité. Ca pouvait aller de la petite peluche à des objets pas très légal, peut-être. Mystère. Ce fut alors au tour d’Emilien. De devoir une nouvelle fois parler de lui. Parler de lui, oui. Il lui expliqua alors qu’il était au conservatoire de musique. Peyton devait donc tout bonnement conclure qu’Emilien faisait de la musique, qu’il en était passionné. Il fallait n’être qu’un sombre idiot pour ne pas comprendre cela. « Passionné de musique donc ? tu me jouerais du piano un jour ? ». Peyton n’était donc pas un sombre idiot, puisqu’il en déduit par lui-même qu’il était passionné de musique. Emilien fit un petit hochement. « Oui. » ajouta-t-il à son geste, avant de se taire quelques secondes. Il lui demandait s’il lui jouait du piano, un jour. Peut-être, ou non, peut-être pas finalement. Emilien n’avait jamais été à l’aise lorsqu’on le regardait jouer. Cela, vous l’avez peut-être constaté par vous-même. « Pourquoi pas… enfin, il faudra que tu me promettes que tu me regarderas pas. J’ai toujours détesté que l’on me regarde jouer, le regard des autres, en général, me fait peur. Je les ai toujours trouvé critique… ». Etrange promesse. Il pouvait l’écouter, mais pas le regarder. Et Emilien ne savait même pas pourquoi il lui racontait tout cela. Peut-être parce qu’il était, ici. Dans cette pièce vérité. Cet endroit où on ne devait raconter que la vérité. Mais dire la vérité, ne voulait pourtant pas dire se confier. Oui, parce que pour le coup, Emilien parlait trop. Beaucoup trop. Ca ne faisait tellement pas parti de ses habitudes, cela. Il finit par alors par lui poser une question à son tour. Lui demander alors pourquoi il tentait l’aventure Fake Lover. Après tout, s’il était là, c’est qu’il y avait une raison, n’est-ce pas ? Un petit sourire timide vint se peindre sur la bouche du jeune Suisse, lorsqu’il expliqua que c’était sa sœur qu’il l’avait inscrit, ici. C’était marrant, ou étrange, de se voir dans les dires de Peyton. « C’est marrant que ce soit ta sœur qui t’es poussé à tenter le casting… Moi, c’est mon frère. Il m’a dit que ce serait bien que je tente cette aventure. En fait, sans lui, je n’aurais même pas tenté… Tout ça ne me ressemble vraiment pas, j’ai l’impression d’être tombé dans un monde qui est à l’opposé du mien. Je crois que si je suis là, c’est avant tout pour faire plaisir à mon frère, et aussi pour me prouver que je peux me débrouiller sans lui… ». Parce qu’Emilien sans son frère, sans ses proches, il n’était rien. Qu’un pauvre garçon sans repère.