peyton+emilien
Il y avait certaines choses que l’on avait apprises à Emilien. Des choses qui semblaient avoir une certaine valeur légitime. L’une de ces choses était de toujours tenir ses promesses. Emilien les tenait toujours. Il fallait dire qu’il n’en faisait pas à n’importe qui. Des promesses, je veux dire. Il n’en fait pas à n’importe qui. Pourtant, il en avait faite une. Très récemment, il y a deux jours exactement. A n’importe qui, on peut dire cela comme ça. Même si ce n’importe qui avait un nom. Peyton. Il ne le connaissait pas depuis bien longtemps. Alors, oui il pouvait le considérer comme un candidat lambda. Après ils avaient tous ce statut, ici. Celui de candidat. Peyton, il faisait parti de ces candidats qu’il appréciait. Il l’aimait bien, oui. Il l’aimait bien, alors il lui tiendrait sa promesse. Promesse qu’il avait faite. Assis sur le petit siège rembourré, Emilien était confortablement installé devant le grand piano à queue qui meublait le salon. Il lui avait faite la promesse. Il la tiendrait. Emilien s’étira quelques instants les bras, comme pour se détendre. Oui, parce que c’était quand même angoissant de devoir jouer devant quelqu’un. Il n’y avait rien de plus angoissant. Ou peut-être que si. Le jeune Suisse lança alors un regard à Peyton qui trônait au beau milieu du salon, debout. « Tu ne m’regarderas pas, d’accord ? » lâcha Emilien d’une voix candide. Il ne voulait pas qu’on ne le regarde, c’était ainsi. Peyton n’aurait donc qu’à exaucer la volonté d’Emilien, et il lui jouera quelques notes de piano. C’était en quelque sorte le deal du moment.

A peine venait-il de demander à Peyton de ne pas le regarder que celui-ci se retourna, tournant ainsi le dos à Emilien. Il mit même les mains sur ses yeux. Vu comme ça, on aurait peut-être cru qu’il cherchait à entamer une partie de cache-cache. Mais pas du tout. Eloignez cette frivole idée de vos esprits. Emilien n’aimait pas qu’on le regarde joué. C’était un peu contraignant pour un élève en conservatoire de musique, avouons-le. Certains appelez ça un manque de confiance en soi, un manque d’estime, un manque d’assurance ou quelque chose de ce genre. Qu’importe. Dans tous les cas, c’était un manque de quelque chose. Emilien lança alors un bref regard à Peyton, remarquant qu’il était alors bel et bien de dos. « A toi de jouer Maestro». Emilien déglutit avec peine, lorsqu’il entendit ces quelques mots. Il prit alors une grande inspiration, puis finit par remonter les manches de sa chemise. Une nouvelle, il prit un grand bol d’air pas si frais que cela. C’était à lui de jouer. Il le devait. Il en avait fait la promesse. Il ne pouvait plus se sauver. Il lança alors des petits regards en direction de Peyton. Il voulait juste s’assurer s’il tenait bien sa promesse. Oui parce que lui aussi lui avait promis quelque chose. Il lui avait promis de ne pas le regarder jouer. Emilien finit enfin par poser les mains sur le clavier. Peyton devait certainement trouver le temps long, trop long. Il devait même se demander si Emilien n’avait pas disparu, non ? Emilien finit par lâcher un bref soupir, afin de marquer sa présence. L’air de dire qu’il était bel et bien encore là. Le jeune Suisse tenta de s’encourager, se disant à lui-même qu’il pouvait le faire. Après tout, ce n’était rien. Ce n’était pas comme s’il jouait pour une audition devait un public bien trop connaisseur et bien trop critique. Allez, Emilien. Il tenta de fermer les yeux, afin d’essayer de faire abstraction de la présence de Peyton. Puis il appuya sur la première touche, puis la seconde un peu moins timidement. Et une frêle mélodie commençait à s’émaner du grand piano. C’était peut-être cela qu’il lui manquait à Emilien. De l’assurance. Pourtant le temps de quelques secondes, il semblait avoir tout oublié. Se laissant bercé alors par les notes qu’il enchainait.

Il eut fallu à Emilien trente secondes, très exactement, pour se lancer dans le vide sans filet. La comparaison était peut-être un peu trop grande, pour la situation. Peut-être que Peyton avait trouvé le temps long. C’était même certain même. Mais peut-être qu’il comprendrait qu’Emilien n’était pas spécialement à l’aise de jouer devant un public ? Ou peut-être pas, en fait. Il ne savait pas. Surtout que son public était en comité restreint, très restreint. Une seule personne. Une personne et c’était déjà beaucoup pour Emilien. C’était dur de jouer devant quelqu’un. De devoir jouer et de se savoir juger. Oui, parce que même si on n’était pas connaisseur en musique, n’importe qui se permettait de juger. De trouver cela bien, ou nul, très nul. Oui, tout le monde se permettait de donner sa critique. Positive ou non. Emilien joua alors. Prenant plaisir, comme toujours. Comme à chaque fois qu’il touchait un piano. Là, au moins, il arrivait à s’exprimer avec une certaine aisance déconcertante. C’était bien plus facile de parler avec des notes. Bien plus facile de communiquer avec de la musique. Oui, c’était plus simple que devoir utiliser son langage pour parler. Une note, un mot. Un air, un sentiment. Il ne savait pas combien de temps il venait de jouer. Trois, quatre, peut-être cinq minutes. Il ne savait pas exactement. Peut-être que Peyton s’était amusé à compter les secondes dans sa tête. Peut-être. Ou peut-être pas en fait. Emilien s’arrêta alors. Il aurait pu continuer. Oui, ce moment aurait pu durer longtemps, très longtemps. Il finit par se lever de son siège et de saluer son public, son petit public, son minuscule public. Il saluait comme il l’avait appris. Il fallait toujours saluer son public à la fin d’un spectacle. Même si ce ne fut pas long. « Je… Enfin, voilà. » déclara-t-il finalement après s’être redressé.