harlow
Emilien était installé dans ce fauteuil bien confortable, depuis… déjà de bonnes longues minutes. Combien de minutes ? Il n’en savait fichtrement rien, le seul détail était que son film avait bien avancé. Il n’était ni au début du film, ni à la fin. Il devait être au milieu. Cela devait faire une heure. Une bonne petite heure qu’il était enfermé dans cette salle. Seul, tout seul. Mais ce détail ne le dérangeait pas tant que cela. A vrai dire, s’il était ici, sans la compagnie d’une tierce personne, c’était bien parce qu’il l’avait voulu. Parce qu’il avait décidé d’être seul, de partager un moment agréable en compagnie de son soi intérieur. Il en oublierait peut-être toutes ces histoires, enfin… cette fâcheuse histoire. Oui parce qu’il avait beau faire comme si de rien n’était, il ne pouvait pas s’empêcher à cette tension entre Emmeline et lui. Stupide situation. Elle lui avait d’ailleurs dit, la semaine dernière, qu’être seul c’était triste. Alors, c’était triste. Qu’importe. Pourquoi pensait-il à ça encore ? Il avait donc décidé de se changer les idées, devant un film. Choisi un peu au hasard, il fallait avouer. Beginners. Il avait vu ce film, une fois, mais pas en entier. Ce n’était pas tant pour savoir la suite de ce qu’il avait pu voir, qu’il l’avait choisi. Sûrement était-ce pour le casting. Un film avec Ewan McGregor, c’était forcément un bon film. Passionné par le film, ou plutôt son esprit semblait se focaliser sur l’action qui se passait à l’écran, il sursauta légèrement lorsqu’il entendit la porte se referma violemment. Quelqu’un dans la salle avec lui ? Certainement. Emilien ne daigna pas se retourner pour identifier la nouvelle venue. Il devait être bien trop concentré sur la scène présente à l’écran. « Tu peux changer de film si tu veux. » avait-il lâché, sans trop réfléchir. Sûrement aurait-il dû plus longuement réfléchir avant de parler spontanément. Trop spontanément. Bien sûr qu’il ne voulait pas changer de film. « Enfin… attends, la fin de cette scène pour le faire. » continua-t-il, les yeux rivés sur l’écran. Oh non. Pas maintenant. Les deux personnages principaux à l’écran. Il ne voulait pas louper cette scène, même si en soi, elle n’avait pas trop d’importance. Il finit par porter attention à la personne présente… Harlow. Il se racla la gorge. Peut-être finalement, aurait-il dû continuer de regarder son film sans faire attention à elle. Harlow. Il croisa son regard. Entre elle et lui… il n’y avait rien. Evidemment, il y avait rien, puisqu’ils ne s’adressaient plus la parole. Peut-être était-ce mieux ainsi ? Il ne savait pas vraiment…

J’ai envie d’aller m’étendre dans la salle de projection, de regarder un bon film et de peut-être dormir un peu. Je me sens mieux, plus vraiment fiévreuse, encore un peu grippé par contre. Je me promène dans tout le chalet avec une énorme couverture sur les épaules depuis ce matin pour me garder au chaud. C’est donc sans attendre plus longtemps que je me rend à la salle de projection, quelque peu déçue en ouvrant la porte de voir qu’un film est déjà en marche sur l’écran. Cela veut dire que je ne pourrai pas regarder le film que j’ai envie. Mais bon, ce n’est pas la fin du monde non plus. Je m’avance donc lentement, repérant automatiquement de qui il s’agit une fois un peu plus près. « Tu peux changer de film si tu veux. » Lui ne semble pas m’avoir par contre. Emilien. Mon petit Emilien. Enfin, il n’était plus à moi. Il ne l’avait été non plus. Ça me rend beaucoup plus triste que je ne l’aurais voulu de le voir ici. Je le fixe alors qu’il reprend la parole. Je ne l’écoute pas vraiment pour être franche. Il se décide enfin à se retourner et je sens automatiquement la pièce sombrer dans une sorte de malaise. Je me sens légèrement oppressée, alors que je suis entrain de me demander si je ne ferais pas mieux de partir. Il semblait tenir à son film après tout. Je n’ai pas envie de le lui gâcher. Mais une autre partie de moi me dit que ça ne peut plus durer comme ça. Je n’aime pas cette situation. Je n’ai plus envie de l’éviter à chaque fois que je le croise dans un corridor ou dans une pièce. Je soupire alors que nous sommes tous les deux atrocement silencieux. Je me décide finalement à approcher, venant me poser à ses côtés en serrant ma couverture contre moi. Je n’arrête pas de le regarder, de le fixer. « Tu me manques Emilien... » C’est le genre de chose que je n’avouais jamais. Et surtout, j’avais un peu peur que l’inverse ne soit pas réciproque. Que je ne lui manque pas une seule seconde et que finalement, il est plutôt content que je l’aie repoussé il y a de cela quelques semaines. C’est peut-être le cas. Ça me rend nerveuse à l’idée que se soit ça. Et le pire dans tout ça, c’est que c’est de ma faute. J’aimerais bien qu’il dise quelque chose, avant que mon angoisse me bouffe en entier.

Harlow était sûrement la dernière personne qu’il espérait voir, ou plutôt revoir. Non pas parce qu’il avait décidé de ne plus la croiser, ou de la fuir. Non. Disons qu’elle l’avait décidé elle-même. Il devait s’éloigner d’elle. Si au début, il avait eu du mal à se tenir à cette demande, au fur et à mesure, Emilien s’y était habitué. A cette absence, de la jeune fille et de leurs moments agréables passaient ensemble. Il passa sa main sur sa nuque, un peu gêné certainement. Gêné de la revoir. Comment devait-il se conduire avec elle ? Qu’allait-il bien pouvoir lui dire ? Il allait bien être obligé de parler, à moins qu’elle décide de partir parce qu’elle n’avait pas envie de lui parler. Oui. Il lui lança un long regard, oubliant presque son film. Oui, le temps d’une fraction de minutes, il n’y avait plus de film, plus de Melanie Laurent et d’Ewan McGregor à l’écran, mais il y avait juste Harlow. Il décida finalement de baissa et de tenter de se focaliser une nouvelle fois sur son films. Il plissa les yeux, observant l’action qui se déroulait sous ses yeux innocents. Et alors qu’il regarda en coin, il constata alors qu’Harlow venait de s’installer à côté de lui. Juste à côté de lui. Il tourna finalement sa tête en sa direction, finalement. Tu me manques, lui souffla-t-elle finalement. Brisant alors ce silence un peu gênant qui s’installa entre les deux jeunes gens. Il lui manquait. Il resta quelques secondes sans voix, bouche mi-ouverte. Il baissa du regard, avant de tenter de reporter son attention sur l’écran. Le temps de quelques secondes. « Je crois que… » souffla-t-il, laissant sa voix en suspend quelques secondes. « Tu me manques aussi… » finit-il par dire, tournant sa tête vers la jeune fille. Un léger sourire se dessina alors sur ses lèvres. Elle lui manquait, un peu peut-être. Mais oui, il était sincère. Cela faisait déjà plusieurs jours qu’ils ne s’étaient pas parlés. Au bon vouloir d’Harlow. Elle l’avait voulu. C’était elle qui avait souhaité cet éloignement. Peut-être que si elle n’avait pas voulu cela, leur situation aurait été plus simple. « Tu n’crois pas qu’on devrait arrêter de s’éviter ? ». Qu’elle arrête de vouloir s’éloigner de lui, de le repousser, de le jeter comme elle avait pu le faire. La situation ne pourrait devenir que plus agréable.

Il me manquait. C’était un fait auquel je ne pouvais plus me mentir à moi-même. J’assumais mes choix, je ne prétendais pas le contraire, mais je pouvais aussi les regretter. Me dire que je n’aurais pas du le repousser comme je l’ai fait, bien que sur le coup, cela m’avait paru comme la meilleure solution possible. Pour moi, pour lui aussi. Il n’avait pas besoin d’une folle comme moi dans les pattes, dans sa vie. Mais la partie égoïste en moi aimerait bien que je lui manque un peu. Après tout, on avait aussi passé de bons moments ensembles. Non ? « Je crois que… Tu me manques aussi… » Je ressens une sorte de soulagement alors qu’il m’avoue ces quelques mots. Je ne peux m’empêcher de le regarder, un sourire fin se dessinant sur mes lèvres le temps de quelques secondes. Je ne crois pas que tout est réglé entre nous simplement parce qu’on réussit à avouer qu’on s’ennuie l’un de l’autre, mais c’est déjà un pas vers l’avant. Je sais que j’ai du lui faire de la peine, et si j’avais pu, j’aurais préféré que tout cela ne se produise jamais. Mais je n’ai pas ce genre de contrôle sur ma personne. « Tu n’crois pas qu’on devrait arrêter de s’éviter ? » C’était certainement une bonne idée. J’hoche la tête positivement pour répondre à la question alors que mon regard est toujours accroché au sien de la même façon. « Oui, je n’attend que ça en fait... » Cela serait tellement plus facile. Et je voulais passer à nouveau du temps avec lui. J’en avais vraiment envie. « Je suis tellement désolé d’avoir agit ainsi avec toi Emilien... J’ai vraiment tout gâchée et je m’en veux pour ça. » Je ne sais pas exactement ce que j’ai gâchée entre nous, mais j’imagine que les choses auraient pu se développer bien différemment. Mais voilà, on ne peut pas retourné dans le passé. Ce qui est fait, est fait. Et je ne peux que m’excuser à lui. Et soudainement, et certainement pas par hasard, Cupidon fait sonner la musique dans toute la pièce. Il fait que se soit maintenant, alors que je suis en compagnie d’Emilien, évidemment. Je le fixe, légèrement gênée, ne sachant pas vraiment comment réagir face à tout ça. Je l’embrasse ? Ou non ? « Hm... Ça te dérange ? » Je ne parle pas très fort, m’approchant doucement de son visage sans pour autant ne poser de geste. Après tout, j’ai cru comprendre que c’était plutôt sérieux entre Ezra et lui. Mais en même temps, je n’ai pas beaucoup d’argent donc... Et je sais qu’Emilien embrasse bien. Je me mord la lèvre, timidement, alors que je suis tout près de lui.

Il ne pensait pas pouvoir lui dire cela un jour, ni même pouvoir lui avouer. Lui dire qu’elle lui manquait, que leurs moments passaient ensemble lui manquaient. Elle lui manquait, oui. Un peu. C’était déjà ça. Il aurait voulu, lui. Passer encore et toujours du temps avec elle. Il l’avait voulu. Mais cette volonté n’était pas réciproque. Pas du tout. Elle l’avait rejeté, lui demandant de s’éloigner d’elle. Pour le bien de chacun, pour leur bien. C’était ce qu’elle avait avancé comme argument. Mais peut-être qu’à présent, il était préférable qu’ils s’arrêtent. Qu’ils arrêtent de vouloir faire en sorte de s’éloigner, qu’ils se fuient mutuellement. Ce serait peut-être mieux, la bonne solution. Peut-être pas la meilleure. Harlow hocha alors la tête, comme pour approuver les dires du jeune suisse. Si en plus, elle était d’accord. Elle n’attendait que cela, venait-elle de lui dire. Vraiment ? Un léger sourire dissimulé tenta de se peindre sur les lèvres du jeune suisse. A vrai dire, il ne savait pas vraiment si elle disait cela juste pour lui faire plaisir, ou bien si elle le pensait vraiment. Jouait-elle encore avec lui ? Ou non. Oui, parce qu’elle avait sacrément joué avec lui. Elle s’était même moquée de lui. Et il n’était pas le seul à le penser. Harlow lui dit alors qu’elle était désolée. Désolée d’avoir agi de la sorte. Il posa son regard sur le doux visage de la jeune fille. Elle avait tout gâché. Elle s’en voulait. Elle s’en voulait d’avoir tout gâché. Il était peut-être un peu trop tard pour s’en rendre compte. A vrai dire, il ne savait pas vraiment la tournure que cette relation aurait bien pu prendre si elle ne l’avait pas rejeté. Enfin… il avait beau formuler des hypothèses, il était trop tard pour revenir en arrière maintenant. Vivre dans ce passé proche ne lui servirait pas à grand-chose. Ce fut ce moment précis que Cupidon choisit. Choisit pour bercer la pièce par sa maudite musique. Il ne savait pas vraiment pourquoi il avait décidé ce moment, et surtout eux… Il se demandait bien quel était le but de la venue du petit gars invisible. Emilien tourna la tête alors, peut-être qu’Harlow ne l’avait pas entendu. Enfin… non. Evidemment non. Elle l’avait bien entendu comme lui. « Hm... Ça te dérange ? ». Son visage fit volte-face, observant Harlow qui était près de lui. Si ça le dérangeait ? Evidemment. Et devait-on expliquer les raisons. Certes, ils perdront de l’argent, mais tant pis… Ce n’était que de l’argent après tout, n’est-ce pas ? Une somme à laquelle ils ne pouvaient même pas toucher du bout de leur doigt. Il ne se voyait vraiment pas embrasser Harlow. Même si fut un temps, ce geste ne l’aurait pas dérangé. Bien au contraire. Mais maintenant, tout était différent. « Je… je ne préfère pas » souffla-t-il dans un murmure, un brin gêné. « Enfin, si tu ne préfères pas perdre de l’argent, on peut… » peut le faire quand même. Après tout, ce n’était qu’un baiser. Un baiser sans aucune signification sous-jacente.