emilien

J'avais joué cette mélodie pendant de trop longues minutes, de trop longues heures, en oubliant la rythmique saccadée, ce battement s'avoisinant à des crochets que l'on enfonce un peu un dans un coeur un peu trop embrumé, un peu trop flou. J'avais utilisé ce que l'on appelle l'ironie. L'ironie de soi. Celle qui vous empêche d'évoluer. Je m'étais bafoué juste pour un soupir. Juste pour me cacher derrière ce rock qu'avait été mon palpitant. La vérité c'est que j'avais peur. Et alors que je me sentais partir, là, sur ce lit aussi confortable que des flocons nuageux, mon regard scrutait inlassablement ce blanc vide qui s'offrait à moi. Là, qui me tendait les bras. Là, qui me criait de le rejoindre, tout en sachant que je ne pourrais jamais l'atteindre. Mon doigt se tentait à pousser un peu plus loin, comme pour pouvoir le caresser, ce blanc. Mais je n'en avais de toute évidence pas le droit. Je me proclamais affranchi de tous jugements, pourtant je ne pouvais que me plier à ceux de mon aimé. A ceux de cet homme pour qui un rock pouvait s'effriter. Pour qui un coeur pouvait chanter son amour sans en avoir honte. Je me sentais bien. Alors je m'étais redressé, quittant ces cieux pour naviguer jusqu'à l'entrée de la chambre. Je lui avais envoyé un message, une lettre orale lui expliquant que je ne voudrais que sa présence à mes côtés lors de cette soirée. Que je ne supporterai que des lèvres, frôlant les miennes. Ses doigts épousant les courbes de mes hanches. Ses mots embrassant mes douces pensées. Je voulais croire qu'il comprendrait, et qu'il ne m'en voudrait pas. Mais je n'étais personne pour avancer de telles choses. J'étais juste un lunatique de plus dans un monde un peu perdu, cherchant à trouver un sens à cette ligne droite que l'on appelait la vie. « Je sais que... Je sais que tu voulais découvrir mon secret, ce soir là, pendant le prime, mais je n'ai pas eu la force. » lui avais-je confié, là, maintenant assis, tout deux, sur ce nuage. « Mado l'a eu, elle, moi je n'en étais pas capable. Mais maintenant je suis prêt. Je suis prêt à tout te dire... » je baisse les yeux « Ne parle pas s'il te plait... Peut-être que ce sera un peu plus simple. » A vrai dire peut-être prendrait-il cette phrase plus mal qu'il ne l'aurait du, mais je prenais déjà bien trop sur ma personne pour avoir a être interrompu, ses yeux océans me déstabilisant déjà bien assez. « J'suis pas né dans une famille des plus tolérantes, des plus chaleureuses. Mado, ça a été mon seul lien durant mon enfance, la seule personne qui était là pour m'écouter. Elle était la seule en qui j'avais confiance, la seule qui était toujours là pour moi. La seule qui me croyait. » je plisse un instant les yeux, fronçant les sourcils « J'ai eu plus d'une centaines de conquêtes, oui, j'ai brisé les coeurs de centaines de femmes, simplement parce que je ne pouvais pas assumer. Je n'y arrivais pas. » je me souvenais pourtant encore du visage de chacune d'elles. « Et je leur ai fait du mal. Volontairement, comme involontairement... La vérité, c'est que dès que je retrouvais ne serait-ce qu'un semblant de sa personne, j'en venais à rompre le lien avec ma conquête. Cela pouvait durer une semaine, un soir, un mois, mais ça arrivait toujours. Alors, je terminais par en voir, deux, parfois trois en même temps, juste pour combler ce vide, là. » je place une main sur mon coeur « Ce manque d'amour engendré par des parents dont tous mes problèmes viennent. J'avais quinze ans quand ça a commencé. Je... » mes yeux se reposaient alors dans ceux d'Emilien « Mon père rentrait dans la chambre, me surplombait, et m'immobilisait. A partir de là, je ne pouvais plus lui résister, et j'avais peur. Je n'ai plus jamais voulu ressentir le poids d'un homme sur mon corps. Parce que je ne voulais pas me remémorer cette vie, ce passage que j'aimerais voir s'effacer. » j'avais envie de saisir sa main, mais n'osais pas. « J'ai reporté mon malêtre sur des centaines de femmes qui n'avaient rien demandé, et qui s'éprenaient de moi à chaque instant alors que j'étais simplement incapable de les aimer en retour. C'est ce qu'il s'est passé avec Carmen. Dès que je retrouvais ne serait ce qu'un semblant de mon père dans chacune d'elles, elles me devenaient insupportables. Et c'est pas juste. Elles ne m'avaient rien demandé. » mes yeux s'échouent de nouveau sur ce plancher un peu trop terne. « Je le sais maintenant. J'ai toujours été attiré par les hommes, même si je n'en avais pas eu pleinement conscience avant de te rencontrer. C'est certainement une de ces raisons qui a fait que je n'ai jamais su m'attacher à aucune femme. Mado n'en sait rien, du moins, peut-être n'avait-elle que des suspicions à ce sujet, mais maintenant j'en suis sûr. » oui, et je l'étais, d'ailleurs mes yeux se replantèrent dans ceux du beau blond « Je suis dans l'incapacité de m'engager dans une quelconque relation, jusqu'à en renier ma bisexualité, voilà mon secret. Même s'il est certainement bien plus complexe que ce que l'intitulé montre. J'ai toujours été sincère Emilien, je t'ai toujours aimé et ce dès la première seconde. C'est stupide à dire, mais tu m'as aidé à ouvrir les yeux. Tu m'as aidé à m'assumer. Tu m'as aidé à aimer. A t'aimer. Et je sais que jamais je ne retrouverais de lui dans tes yeux... Parce que tu es tout ce qu'il n'est pas. Parce que tu es tout ce que j'ai toujours recherché. Parce que je serais incapable de te faire du mal. Parce que je t'aime, et que j'en suis certain. Parce que j'aime sentir ta présence à mes côtés, que je ne veux plus me poser de question, et seulement vivre. Et t'aimer, encore t'aimer et pour toujours. »

Un rendez-vous secret. Un moment intimiste au cœur de la nuit, de cette nuit reine qui avait fait son royaume au centre de ce ciel artificiel. Appelez cela comme bon vous semble, cela n’avait à ses yeux que peu d’importance. Il serait avec lui. Il n’y avait que cela qui comptait. Être avec lui. Il ne savait ni pourquoi, ni les raisons qui l’avait poussé à lui demander de le rejoindre dans ce lieu secret. Pourquoi avoir choisi cet endroit intimiste et non un autre. Il n’y aurait juste que lui et lui. Juste Ezra et Emilien. Et cette simple pensée le faisait sourire. Sourire un peu trop naïvement. Un peu trop niaisement. Un peu trop amoureusement. Ainsi, le suisse s’était rendu à l’endroit indiqué, et à l’heure peu précise. Un léger rictus s’était dessiné sur ses lèvres lorsque le visage d’Ezra apparut derrière la porte. Après tout, il aurait très bien pu ne pas être là. Non, ne pas avoir fait faux bond à son bien aimé. Juste, parce qu’Emilien aurait très bien pu arriver en avance. Mais cette hypothèse fut rapidement erronée lorsqu’il aperçut le français dans la pièce. Il ne savait pas vraiment ce qu’il pouvait bien lui dire. Il lui avait demandé de le rejoindre dans ce lieu précis, il s’y était rendu… et la suite ? Il ne savait pas. Il ne savait pas ce qu’il l’attendait. La voix d’Ezra retentit dans la pièce, brisant ce silence intimiste. Il posa aussitôt son regard sur ce visage qui s’offrait à lui. Il est vrai qu’il avait eu envie de savoir. De connaitre son secret, le secret d’Ezra, si bien que ce n’était qu’un détail auquel le suisse ne prêterait peu ou pas d’importance. Quel que soit son secret, une chose était certaine, Emilien ne se permettrait pas de le juger. Il ne pourrait pas. Il l’aimait trop pour cela. Il le respectait. Il s’installa alors aux côtés d’Ezra, sur ce lit qu’ils auraient très bien pu rebaptiser Amour. Ainsi, ce soir, dans cet endroit reculé, Ezra lui ferait part de ce secret… de son secret qu’il lui dévoilerait. Emilien entrouvrit légèrement la bouche, sûrement pour prendre la parole, mais en vain. «… ». Ne pas parler, venait-il de lui dire. Le jeune garçon se contenta alors d’un bref hochement de tête. Il ne parlerait pas, ce serait mieux ainsi. Son regard silencieux se posa sur les yeux verdâtres de son compagnon. Pas un mot ne s’échappa de sa bouche tant dit qu’il l’écoutait parler. Il restait attentif aux paroles d’Ezra, à ce récit. Il ne bougeait plus, il était captivé. Captivé, ou capturé, par la beauté de ce visage qui se trouvait à ses côtés. Evidemment, il ne s’était pas contenté de se concentrer sur ce détail superficiel. Non. Il l’écoutait. Par respect, avant tout. Derrière tout cela se cachait certainement un peu de naïveté curieuse. La voix d’Ezra couvrait le silence. Il lui évoqua sa famille, et l’ambiance peu chaleureuse qui y régnait, puis ses conquêtes, ses nombreuses conquêtes. Bien trop nombreuses. (Emilien, à côté de cela, passait pour un petit novice. Ce fut la parenthèse et commentaire que le suisse s’était fait à lui-même). Son esprit se focalisa sur les paroles narrées par le français. Un petit air grave et peiné se peignit peu à peu sur le visage d’Emilien. Il avait quinze ans que tout avait commencé. Sa voix était restée en suspens, et le regard du jeune garçon pendait à ses lèvres. Peut-être allait-il s’arrêter de parler, parce que tout cela était difficile, trop difficile à confier à quelqu’un, même à la personne que l’on aimait. Emilien ne lui en voudrait pas. Il déglutit doucement alors qu’Ezra lui racontait ses mésaventures avec son paternel et les conséquences de tout ceci. Il se pinça légèrement, avant de se saisir timidement de la main de son bien aimé. Ainsi, il avait toujours été attiré par les garçons. Tout du moins, c’était ce qu’il venait de lui révéler. L’avoir toujours été. Emilien cligna des paupières, avant de dessiner un timide sourire lorsqu’ils s’échangèrent un bref regard. Et son sourire s’étira un peu plus au fur et à mesure des douces paroles prônées par Ezra. Un sourire qui se voulait ému, et touché, teinté de sincérité, et un peu de respect. La main d’Emilien vint déposer une délicate caresse sur sa joue, avant de lui déposer un baiser furtif. « Je… » souffla-t-il. Il se sentait un peu idiot, ne sachant que dire. Il prit une légère inspiration. « J’avais cru comprendre que ta famille n’était pas un parfait modèle d’amour… ce serait faux et te mentir de dire que je n’aurais pas voulu être à ta place. Tout simplement parce que je ne le serais jamais… ». Se mettre à la place d’un autre, et d’une situation qu’il ne connaitrait jamais était quelque chose d’insensé. Emilien avait une famille, une famille aimante et présente. Un peu trop omniprésente, certainement. « Tu ne mérites pas ce que tu as vécu, tout simplement parce que tu es une belle personne. Et je n’ai jamais douté de ta sincérité, ni de tes sentiments. Jamais. Crois-moi. Ce serait irrespectueux de douter de toi, je n’ai pas envie de te manquer de respect. Je ne veux qu’une chose pour le moment : te rendre heureux. Je ferai tout pour que tu le sois. Je ne sais pas si c’est le cas ou non, ou si je te rends assez heureux ou non, mais je ferai tout pour. Vraiment tout… parce que ce dont j’ai envie c’est… c’est d’être avec toi, Ezra. Je t’aime. Je t’aime vraiment. Je n’ai jamais été autant amoureux qu’à présent. ». Son regard se déroba sur le sol, observant le bout de ses mocassins. « Ca me touche tout ce que tu me dis là. ». Il marqua une brève pause, très brève. Juste le temps que son regard se dépose une nouvelle fois sur le visage d’Ezra. « Tu sais tu m’apportes tout ce dont j’avais besoin, tu m’apportes l’assurance et la confiance, et pour cela, je te remercie. Merci, Ezra. Merci d’être toi. Merci de m’aimer, de te laisser t’aimer, d’être là pour moi. Merci pour tout. ». Un léger sourire se dessina sur les lèvres d’Emilien. « J’ai envie qu’on regarde devant nous maintenant, et que l’on construise un avenir ensemble… ». Sa voix s’essouffla avant de s’éteindre entièrement.