Le calme, ici, c'est optionnel. C'est vrai, depuis que je suis là, j'ai pas eu le moindre moment seule. Je suis seule entourée d'autres personnes qui ne me portent pas forcément de l'intérêt. C'est souvent comme ça, dans ma vie. On ne me porte de l'intérêt que rarement. Juste au bon moment. Quand on a besoin de moi. Sinon, je suis seule. Seule dans Dublin, à me promener. Seule à l'université, quand j'y passe, de temps en temps. Je ne sais pas si je veux un vrai moment seule. J'ai pas envie d'être entourée de gens qui ne me comprennent pas. Et je doute que qui que ce soit ici décide de me comprendre. Je suis bizarre. Et agaçante. Donc les gens ne s'arrêtent pas sur mon cas. Je ne veux pas que ça change dans cette émission. J'existe simplement quand on a besoin de moi que j'existe, après tout. Être invisible, ça a des bons côtés. Je peux être dans mon monde. Avec un calepin et un crayon de papier, c'est encore mieux. Ce petit programme pour les heures à venir me plaît bien. Je laisse mes jambes me guider là où elles le souhaitent. Jusqu'au jardin botanique. Bien. Je décide de me placer dans un coin, m'asseyant au sol, près de l'étendue d'eau. Mon calepin sur les jambes, mon crayon dans la main, je m'apprête à faire ce que j'aime tant faire. Cette activité inutile pour beaucoup. Cette activité incomprise. Dessiner. Ça passe le temps. Et ça demande peu d'investissement. Du papier, un crayon. Je m'exprime sur cette feuille blanche qui l'est de moins en moins avec les secondes qui passent. Je m'inspire de ce que j'ai sous les yeux. En ajoutant la façon dont je le vois. Beau. Merveilleux. Mais effrayant. Différent. Et je crois que cette notion de peur se fait autant sentir que le fait que je trouve ça beau. Tout ça. Absolument tout ça. Je me perds dans mon activité, je m'y abandonne. Je ne sais pas combien de temps. Tout ce que je sais, c'est qu'en relevant le nez, je ne suis pas seule. Que je ne suis plus seule.

Le seul lieu prospère à ses méditations se trouve dans le jardin botanique. Il est peu dans son élément dirons-nous. Cultiver son jardin est un de ses passe-temps favoris. Cela le détend, le coupe momentanément du monde - plongé dans le méandre de ses pensées les plus abyssales. L'apaisement qui en résulte est bénéfique pour sa santé mentale et le protège d'une dépression latente. Le jardinage, quoi de plus rasoir comme activité mais laquelle qui lui permet de détendre après une dure journée de labeur dans son atelier. La botanique est une science qui lui est familière. Il a étudié quelques noms de plantes pour ses randonnées quotidiennes en forêt. Mais ses notions restent bien pauvres par rapport à un véritable botaniste, mais il arrive à reconnaître certaines plantes. Venimeuses, entre autres. En fin d'après-midi, il décide d'y faire un tour. Histoire de se dégourdir un peu les jambes. Une petite promenade s'impose donc. Un livre à la main, il part en expédition dans le but de se trouver un endroit tranquille dans le jardin botanique pour lire dans le calme. Les candidats sont parfois bruyants. Ce qui l'empêche de s'adonner à des activités qui nécessite concentration et sang-froid. Il arrive sur les lieux. Il regarde à droit et à gauche pour trouver l'endroit idéal où se poser. Son regard azuré se pose sur une frêle silhouette au loin, griffonnant avec avidité sur le papier des traits frénétiques. Je l'observe en pleine création. Il reste là, à l'observer en silence jusqu'à ce que ses yeux croisent les siens. - Désolé, je ne voulais pas te déranger. Il n'est pas venu dans ce but-là. Si elle veut qu'il s'en aille, il faut qu'elle le lui dise. Il n'y verrait aucune offense. Bien au contraire, il comprend mieux que quiconque ce besoin de quiétude. Il s'approche un peu, tout en laissant une distance convenable entre eux pour ne pas l'effrayer. - Si je te gène, dis-le moi et je m'en irai sur le champs. Il n'aime pas imposer sa présence à autrui. Il est plutôt du genre à s'effacer.

J'aime ma bulle. Mon petit monde. Mon univers. Où personne n'a le droit d'entrer si ce n'est moi. C'est mieux. Oui, c'est souvent mieux que le reste, que ce qui m'entoure, que ce je vis. J'aime bien. Me perdre dans ma bulle. Et dessiner. Me perdre dans chaque coup de crayon. Dans chaque trait qui prend place sur ma feuille. Dans chaque détail. Et le temps passe. Il passe sans que je m'en rende vraiment compte. Sans que je m'y intéresse. Je préfère perdre mon temps à dessiner qu'à faire autre chose. Ou à ne rien faire. On me répète constamment que je n'y gagne rien, à faire ça. Mais c'est pas vrai, j'y gagne. Je peux m'exprimer. Et c'est important de le faire. C'est important de faire ce qu'on aime faire aussi. Si durant ma vie, je fais ça principalement, je considère que j'aurais pas perdu mon temps. C'est ça qui importe dans la vie, non ? De faire ce qu'on aime faire. Ce qui nous rend heureux. Ou nous fait sourire. Mon visage n'exprime peut-être pas la moindre touche de bonheur mais je suis contente. Je relève pas souvent mon nez de ma feuille mais quand je le fais, je vois qu'on m'observe. Bizarre. Flippant. J'aime pas trop ça, qu'on me regarde. Je préfère être invisible, c'est mieux, c'est plus simple. Et d'habitude, je le suis. Mais pas là. Et je me demande pourquoi. J'ai rien fait. Je suis assise dans mon coin, j'ai rien fait. Finalement, il s'excuse. Il ne veut pas me déranger. Vraiment ? Ni me gêner, apparemment. C'est quoi, ces gens. Sérieusement. Je comprends pas pourquoi ils agissent comme ça. Pourquoi ils font pas juste ce qu'ils veulent et c'est tout. D'habitude, c'est ce que font les gens et ça fonctionne très bien. J'aime pas ça. Non. C'est trop étrange. Je sais encore moins comment agir. Parce que j'ai toujours eu des points de repère avant. On en a tous. On sait comment agir avec telle personne. Comment lui parler, quels gestes faire. Ici, j'en sais rien. Avec lui, j'en sais rien. Avec les autres, j'en sais rien. Je peux juste éviter d'agacer les gens. Essayer au moins. Je cligne des yeux, bouche légèrement ouverte, prête à parler. « J'aime bien être seule. » je finis par dire. Je sais même pas si c'est vrai. La solitude, ça ne me dérange pas. Mais au bout d'un moment, ça devient pesant. Je trouve juste personne qui veut bien être avec moi.

Il s'est habitué à la solitude. Une solitude qu'il s'est imposée volontairement, en s'isolant du reste du monde dans son atelier. Les gens le voient rarement se mêler aux fêtes et aux soirées. En revanche, il est toujours présent pour la messe du Dimanche. Sinon, il vient se ravitailler en provisions ou en outils pour son travail de menuisier. Ses meubles se vendent plutôt bien. Il a des commandes régulièrement. Mais pour les besoins de l'émission, il a du tout mettre en parenthèse. Chose qui le gênait au début. Maintenant, il apprend à vivre sans pour le moment. Il pense qu'il y aura toujours faire ici. Des trucs à réparer ou à bricoler à droite et à gauche. De nature altruiste, il aime aider son prochain. Il est ravi de rendre service, s'il le faut. Il se montre rarement paresseux. Il est toujours en activité. Quelle soit cérébrale ou physique, d'ailleurs. Il se pointe au jardin botanique, admire quelques spécimens de plantes exotiques et pose son regard bleuté sur une candidate en train de dessiner ou plutôt griffonner avidement sur son carnet. Elle semble ailleurs, enfermée dans son propre monde. Déconnectée de la réalité. Son corps frêle révèle une fragilité évidente, une sensibilité viscérale. Il l'observe un instant avant qu'elle ne lève les yeux de son dessin. Il s'excuse de l'avoir dérangé. En plus, c'est impoli de dévisager autrui. Et surtout, il la trouble avec sa présence peut-être un peu trop imposante alors qu'il sait se faire discret d'habitude. En temps normal, il ne se serait même pas approché d'elle. Ne ce serait-ce qu'à quelques mètres. Ou il l'aurait tout simplement, plongé dans sa propre aphasie. Il n'en est rien. Depuis qu'il est arrivé, il fait l'effort de se montrer un peu plus sociable. C'est encore maladroit. Il apprend à gérer son embarras. - J'aime bien être seule. Il l'effleure de son regard placide et caresse doucement la couverture de son livre. Il ferme les yeux un instant et répond d'un ton conciliant. - On a au moins un point commun. Il se caresse la nuque, ouvre les yeux et attarde longuement ses prunelles sur sa feuille de dessin. Ce n'est pas spécialement un amateur d'art, mais il aime contempler certaines esquisses. Lui-même il ne se débrouille pas trop mal avec un crayon. Même si il ne se considère pas comme un véritable artiste. C'est plus un artisan qu'autre chose. - Tu dessinais quoi ? Il devait bien y avoir un modèle ou bien, c'était tout simplement abstrait.

Je n'aime pas tant que ça être seule. Je voudrais bien ne pas l'être, parfois. Uniquement pour être entourée de gens qui me comprennent, qui partagent mon univers. Mais des gens comme ça, je n'en trouve nulle part. Sans non plus parler du fait qu'en général, personne ne vient vers moi. Pas pour parler. Pas pour tenter d'être amical. C'est pas pour ça que je suis dérangée par des gens. On me laisse tranquille. Sauf pour certains trucs. Mais ça ne me plaît pas d'être accompagnée, dans de tels cas. C'est quand je suis accompagnée de certaines personnes que j'apprécie le plus ma solitude. Et le reste du temps, je me plains un petit peu d'être seule. Compliqué, je suppose. Si je lui ai dit ça, c'est pour ne pas lui demander de partir directement. Mais je ne lui dis pas pour autant de rester. Bien sûr que j'espère qu'il va décider de me laisser. C'est plus simple quand je suis seule. Du moins, pas en compagnie d'un homme, d'une menace. Il ne part pas. Il me confie même que ça nous fait un point commun. Je ne suis pas certaine d'être très à l'aise avec l'idée d'avoir le moindre point commun avec lui. Je ne dis rien. Je ne trouve rien à lui dire. Je suis juste perturbée. Plus encore lorsqu'il me demande ce que je dessinais. Instinctivement, j'attrape la feuille sur laquelle j'ai gribouillé et je la froisse dans ma main avant de balancer cette petite boule sur le côté. « Rien. » je réponds simplement, le cœur affolé. Je ne veux pas qu'il puisse voir ce que j'ai dessiné, ou qu'il puisse avoir la moindre image de mon univers dans la tête. C'est mon univers. Le mien. Uniquement le mien. Je me protège comme je peux. Ça, c'est la seule chose que je veux protéger avant tout. J'ai agi sur une impulsion. Un coup de tête. Sans réfléchir. Et une seconde après ce geste, je ressens une soudaine panique. Peut-être qu'il ne va pas du tout apprécier cet acte. Qu'il va prendre ça comme un vent de rébellion, je ne sais pas. Je ne sais jamais. Alors tout ce que je peux faire, c'est me méfier. Et tout faire pour ne rien montrer de ce que je peux ressentir. Je regarde droit devant moi, la respiration lourde, les poumons qui peinent à se gonfler entièrement. Je vais bien. Enfin, je l'espère.