Je n'ai plus l'habitude de me lever si tard. Je crois qu'en sortant je vais lever le pied sur le travail. Je dirige le garage, si j'ai envie de me lever à huit heures plutôt qu'à cinq heures une fois dans la semaine, je pense que je dois pouvoir le faire. Je ne me suis jamais sentie aussi reposée que depuis que je suis dans le jeu. Depuis des années j'ai fait passer mon travail avant tout le reste. Ce n'était sans doute pas la meilleure chose à faire. Je crois que je me suis oubliée en chemin. Il est toujours temps de rattraper le coup, enfin je l'espère. Je ne demande pas grand chose non plus. Simplement de me lever à neuf heures de temps à autre, comme je viens de le faire, de penser à moi quelques fois. Ici j'ai même le temps de prendre un petit-déjeuner, c'est autre chose que le café que je prends d'ordinaire. Je mange le matin, je ne sais pas depuis combien de temps je ne l'ai pas fait. Les dimanches quand je ne travaille pas, je ne prends même pas le temps de manger correctement. Je n'ai pas le temps, je n'ai jamais le temps de faire quoi que ce soit. Alors ici j'ai l'impression d'avoir presque trop de temps pour moi. Parfois j'ai l'impression que quelqu'un va venir me demander pourquoi je ne suis pas en train de travailler. Et ça n'arrive jamais bien évidemment, alors je peux prendre le temps de finir mon petit-déjeuner, avant d'aller me doucher. Une fois fini, je me dirige vers la salle de bain. J'ouvre la porte et je tombe sur Enoch qui est en train de prendre sa douche. Je suis presque sûre qu'il s'agit de lui. J'ai fini par m'habituer à lui depuis la semaine dernière, il m'est maintenant plus facile de le reconnaître. Je lui souris. « Bonjour. » Je ne l'ai pas encore croisé ce matin, alors je commence par les formalités. Maintenant que je suis ici, je ne sais plus tellement quoi faire. Je ne suis pas tellement à l'aise à l'idée de prendre ma douche avec quelqu'un d'autre, même s'il s'agit de mon partenaire. Il a tendance à me mettre à l'aise, je ne peux pas le nier. Simplement je ne suis à l'aise avec personne en maillot de bain. « Je ... Tu as bientôt fini ? » Ce n'est pas que je n'ai pas envie de le voir, ou de lui parler, bien au contraire mais je me sens gênée à l'idée de prendre ma douche avec quelqu'un d'autre.

C'est un train de vie que je n'ai jamais eu. Je ne sais pas ce que c'est de se lever plus tard que huit heures du matin, que de faire autre chose que de travailler. J'ai l'impression de me découvrir une nouvelle vie, une vie que je n'aurais pas pu avoir. Je ne sais pas si j'ai envie de me permettre autant d'évasion dans mon quotidien. Peut-être que quelques loisirs, sans excès, ne me feraient pas de ma. Je le sais bien, il faut que j'apprenne à lever le pied, à travailler moins. Toutefois je ne sais pas si j'y suis encore prête. J'apprécie de pouvoir me lever à neuf heures parfois, de prendre mon petit-déjeuner pendant plus de cinq minutes, mais je ne sais pas si je pourrais le faire quotidiennement. C'est agréable de prendre du temps pour soi, je ne peux le nier. C'est agréable, mais j'ai besoin de travailler, d'avoir quelque chose pour occuper mes journées. Ma voiture me manque, je me demande si elle est bien enfermée dans mon garage et si personne n'a eu l'idée de me la voler. Je ne m'en remettrais pas. Je tiens sans doute plus à ma voiture qu'à quiconque dans ce monde, maintenant que mon père est parti. C'est pathétique. Ces sur ces pensées là que je nettoie mon bol et me dirige vers la loge pour prendre ma douche. En entrant je remarque qu'Enoch y est déjà. Je sais que c'est lui, je n'ai plus besoin de passer des minutes entières à l'observer pour le reconnaître. C'est plus facile pour moi. Je souris, je le salue et il fait de même d'un hochement de tête. Et je lui demande s'il a bientôt fini. Ça me gêne de prendre ma douche avec quelqu'un d'autre. Je me moque bien qu'il puisse être en simple caleçon, je suis simplement pudique. Il me dit qu'il a fini, ce à quoi je réponds par un sourire. Lui n'a pas l'air très gai. J'observe quelques secondes son reflet dans le miroir et je vois ses lèvres s'étirer en une grimace. « Tu as mal quelque part ? » C'est ce que j'en ai déduit, je peux me tromper. Je n'ai simplement pas envie qu'il ait mal, c'est facile de lutter contre la douleur. J'imagine que de toute manière il n'a pas besoin de mes conseils. Je continue de lui sourire alors qu'il prend la parole à nouveau. « J'ai bien dormi, oui merci. Et toi ? Ne t'en fais pas tu ne prends pas trop de place, tu ne ronfles même. C'est à peine si je remarque ta présence dans le lit. » Ce n'est pas vrai bien entendu, je sens sa chaleur, je sais s'il est là ou pas. Pour autant il ne me dérange pas, j'ai assez de place pour dormir et il ne fait pas de bruit intempestif. Je n'oublie pas pourquoi je suis là non plus. « Tu ... » Mais encore ? Je m'apprête à lui dire quelque chose mais je me ravise. « Non rien. » Oh j'allais simplement lui demander de ne pas regarder lorsque je serai sous la douche même si je garde bien entendu mon maillot de bain. C'est stupide et puérile. J'ai toujours été très pudique. Je ne vois de toute manière pas pourquoi il aurait envie de me regarder prendre ma douche. C'est simplement une précaution, mais j'ai peur qu'il me rit au nez si jamais je lui demande une telle chose. Alors je ne dis plus rien, j'enlève mon jean, mon t-shirt et je laisse couleur l'eau sur mon corps.

Je ne suis pas habituée à vivre en communauté. J'ai pourtant vécu pendant dix-huit ans avec mes parents et mes quatre sœurs, mais c'était différent. Depuis le temps j'ai oublié ce que c'était de vivre avec quelqu'un d'autre. Je vis toute seule depuis près de quinze ans, je suis habituée à la solitude. Ici c'est bruyant, il y a toujours du monde. C'est en tout point éloigné de mon quotidien. Je n'ai pas non plus l'habitude de prendre ma douche à la vue de tous. C'est gênant, je n'ai pas envie que l'on s'immisce dans mon intimité de cette manière. Les téléspectateurs peuvent déjà voir les moindres de nos faits et gestes, j'aurais aimé que l'on puisse en garde un minimum pour nous. J'aurais aimé que les douches ne soient pas filmées, qu'elles soient individuelles aussi. Ce n'est pas simplement le regard des téléspectateurs à travers les caméras qui me gêne, mais aussi celui de mes camarades. C'est sans doute stupide. J'espère qu'Enoch ne le voit pas de cette manière quand je lui demande s'il a bientôt fini. Je ne me vois simplement pas prendre ma douche avec lui, ce serait gênant. Il sort finalement de la douche, et je le regarde quelques secondes, assez de temps pour le voir grimacer. Il a l'air d'avoir mal, mais il me sourit pour me montrer qu'il va bien. Ah ... J'avais cru voir le contraire, je me suis peut-être simplement trompée, ou il n'a tout simplement pas envie de m'en parler. Il fait comme il veut, mais j'espère simplement qu'il va bien. Je m'apprête à lui demander de ne pas se retourner quand je prends ma douche. Je me rends compte à temps à quel point ma requête est stupide, et je ne lui dis rien. Il ne va pas regarder non je le sais, je ne vois pas pourquoi il ferait ça et puis quelque part je perçois que ce n'est pas son genre de faire ça. Je me sens rassurée, je vais sous la douche sans grande inquiétude. Je laisse l'eau couler sur ma peau, et je mets un peu de gel douche dans le creux de ma main que j'étale sur mon corps. Je me rince, et je profite quelques secondes de l'eau, de cette sensation, avant de l'arrêter. J'ai été rapide, je n'ai pas besoin de passer plus de temps sous la douche. J'attrape ma serviette quand j'entends Enoch me parler. Il a besoin que je lui rende un service. Je lui souris. « Oui bien sûr. » Je termine de me sécher et j'attrape mon peignoir. C'est bien plus pratique qu'une serviette pour me couvrir, je suis certaine qu'il ne tombera pas. Je m'avance vers Enoch et je vois un patch dans ses mains. « C'est quoi ? C'est un truc anti tabac ? » Je le vois pourtant mal fumer. Non je ne pense pas que ce soit ça, si ce n'est pas un patch anti tabac, c'est forcément contre la douleur. J'en ai plein comme ça chez moi, au garage on utilise ça quand on n'a pas de prescription pour des anti-inflammatoires. On essaie de combattre la douleur comme on peut. « Tu vois bien que t'as mal quelque part. Tu veux que je te le mette où ? Tu veux pas un cachet plutôt ? » Ce sera sans doute plus efficace qu'un patch, mais il fait ce qu'il veut après tout.

Si Enoch n'a pas levé un seul instant la tête vers moi pendant que je prenais ma douche, j'ai parfaitement conscience du fait que les caméras elles ont pu enregistrer toute la scène. Je me dis que cette scène ne sera pas montrée, comme toutes les autres fois où j'ai pris ma douche. C'est sans doute ridicule, je ne vais pas prendre ma douche avec un imperméable. Être épiée constamment, c'est une nouveauté. Une nouveauté que j'essaie d'appréhender du mieux que je peux. Je ne sais pas si je m'en sors bien. Rapidement, je termine ma douche, je ne veux pas rester plus de temps que . Je n'ai pas envie de m'exposer trop longtemps. Et je reporte mon attention sur Enoch, il voudrait que je lui rende un service. J'enfile mon peignoir et arrive alors à côté de lui. Dans ses mains je remarque un patch. Pas un patch anti tabac, il me le confirme. Je m'en étais doutée. Un patch anti douleur donc. Je savais bien qu'il avait mal quelque part. C'est aussi son droit de vouloir le garder pour lui. Toutefois je pense que prendre des médicaments serait bien plus efficace. Il n'en veut pas, c'est ce qui a causé la mort de sa mère, dit-il. Oh ... Je baisse la tête. « Oh ... Je suis désolée. Je ... Je ne savais pas. » Évidemment que non. J'aurais pourtant pu éviter ce sujet qui doit être douloureux pour lui. Je ne l'ai pas fait exprès, mais je sais que je n'aime pas ce qui peut me rappeler mon père. Je le regarde, je m'apprête à ajouter quelque chose mais je me ravise. J'aurais aimé lui poser quelques questions, mais je n'ai pas envie de raviver des souvenirs douleurs pour lui. Je n'en ai vraiment pas envie, et j'imagine qu'il n'a pas nécessairement envie d'en parler. J'ai envie de lui dire que j'ai moi aussi perdu un de mes parents, pour rétablir l'ordre des choses mais je n'en suis pas capable. Je n'en ai pas le courage, et je me dis que ça ne doit pas l'intéresser. Je n'aurais aucune raison de lui dire une telle chose. Alors je me tais. Dans nos oreilles, résonne alors une musique que je commence à connaître. Trois fois que je l'entends depuis la semaine passée. Ce n'est pas la même chose cette fois-ci. Je ne sais pas s'il va le faire, auquel cas je ne lui en voudrai. Il ne pose pourtant aucune question, et son visage se rapproche du mien. Pendant quelques secondes ses lèvres se déposent sur les miennes, et je peux sentir sa main sur ma joue. C'est différent, plus doux peut-être moins forcé, je ne saurais le dire. Le baiser terminé, mes joues s'empourprent légèrement. Je ne suis pas vraiment gênée, je me sens de toute manière en confiance avec lui, mais je n'arrive pas à savoir ce qu'il en est de son côté. Il baisse la tête. Je sens bon apparemment, ce qui me fait sourire. « Merci. » Je cherche son regard, mais il me tourne le dos. Je ne sais pas trop quoi en penser. Il voudrait que je lui mette le patch sur l'omoplate gauche. Ah, je l'avais oublié lui. Je ne dis rien, j'attrape le patch et je le colle délicatement à l'endroit désiré. Ses prunelles fuient les miennes, j'ai l'impression d'avoir fait quelque chose de travers. J'aurais pourtant juré que non. « Tu sais ... si tu n'en avais pas envie tu n'étais pas obligé de le faire. » Peut-être regrettait-il le court baiser que nous venions d'échanger, je n'avais pas meilleure explication.