opaline
Il ne savait pas vraiment pourquoi il avait décidé d’arpenter cet escalier dantesque pour rejoindre le haut de cette tour de verre. Peut-être parce qu’il avait eu vent de ce que l’on pouvait voir, une fois arrivée en haut. Plus, il prenait de la hauteur, plus son souffle se coupait au fur et à mesure de son avancement. Il ne savait pas vraiment quelle idée lui avait prise. Cette idée saugrenue de vouloir grimper ces marches. A croire qu’il était devenu masochiste avec lui-même. Il y avait des gens qui aimaient s’infliger des souffrances, Valeri ne faisait pourtant pas parti de ces gens-là. Une fois arrivé en haut, il lâcha un grand soupir. Comme pour extérioriser cette souffrance qu’il avait pu endurer. Il n’était pas bien sportif, il le savait et on lui avait fait assez la remarque la semaine passée. Il fallait avouer que le panorama qu’on lui offrait valait le coup d’œil. Il s’approcha alors de quelques pas, trouvant au loin une petite silhouette frêle, qu’il connaissait. Il ne savait pas exactement si c’était elle, ou bien une autre personne. Afin d’en avoir le cœur net, il s’approcha de quelques pas, et un léger sourire se dessina alors sur ses lèvres. « Trouvé ! » s’écria-t-il alors qu’il reconnut Opaline. Elle avait cru pouvoir se cacher, ou plutôt le fuir, assez longtemps. Les pièces étaient grandes et le lieu était vaste, mais ils arrivaient malgré tout à se croiser, et à ne pas se regarder. Valeri prenait plutôt cela pour un jeu. Fuis-moi, je te suis. Suis-moi, je te fuis. Il fallait croire que cela s’appliquait bien à leur situation… enfin plus ou moins. Ce n’était pas exactement cela. Il baissa la tête, contemplant les traits de la jolie Opaline, qui était assise, à contempler le paysage. « C’est à mon tour de me cacher, à présent ? » lui demanda-t-il, comme s’ils s’étaient adonnés à une partie de cache-cache. Il préférait s’en amuser de cette situation. A quoi bon prendre les choses trop à cœur, ça ne menait à rien. Alors que de s’amuser, c’était bien plus plaisant et agréable. Il voyait les choses du bon côté, ou plutôt il voyait les choses comme il avait décidé qu’il le verrait. Il était comme cela Valeri. Il finit par s’asseoir aux côtés d’Opaline. Elle était silencieuse, bien trop silencieuse à son goût. Il prit une grande inspiration, avant de porter son regard en direction du visage de la jeune fille. « Tu as décidé de jouer longtemps comme cela, avec moi ? » lui demanda-t-il alors. Manque de chance pour elle, Valeri aimait jouer lui. Un léger sourire se dessina alors sur ses lèvres, avant de poser enfin un regard sur le panorama qui s’offrait juste à eux. Un moment privilégié… qui n’allait sûrement pas être partagé. « On a une belle vue d’ici, tu ne trouves pas ? ». Il faisait plus la remarque pour lui-même qu’à Opaline, à vrai dire. Ce n’était pas qu’il n’avait pas envie de converser avec elle, mais il ignorait si elle était du genre à être sensible ou non à un paysage. Peut-être qu’elle, elle s’en fichait de cela, et qu’elle n’était venue ici, juste pour se retrouver seule. Toute seule. Il ne savait pas vraiment.

Alors qu'il lui demandait si elle comptait jouer encore longtemps avec lui, elle prit enfin la parole. Enfin. Il avait finir par croire qu'elle n'allait plus lui adresser la parole, qu'elle le laisserait parler seul, qu'il parlerait face à ce mur muet, ce mur qui ne lui adresserait aucune réponse. Mais, non. Elle prit alors enfin la parole. Un léger sourire se dessina alors sur ses lèvres, presque soulagé de ne pas avoir à faire la conversation seul. Tout seul. Il préférait laisser cela aux fous. C'était les fous qui parlaient seuls, pas lui. Lui n'était pas fou... Elle ne semblait pas comprendre ce qu'il venait de lui dire. Lui demandant alors : jouer à quoi. Il se contenta alors de lui adresser un sourire. Il pouvait aussi remarquer qu'elle s'était écartée de lui, au moment où il s'était assis de lui. Signe de fuite, ou de dégoût. Il ne savait pas vraiment comment interpréter ce geste de sa part. Elle ne l'appréciait pas, et selon elle lui aussi. Un désamour réciproque, donc. Son regard s'échoua finalement sur le panorama qui s'offrait à lui. Juste en face de lui. Ses yeux en étaient éblouis qu'il n'en serait en faire la description. Il ne put s'empêcher de reprendre la parole. Il lui fit un commentaire au sujet de ce paysage. Ils avaient une belle vue, comme il venait de lui dire. Valeri inclina légèrement sa tête en direction de la jolie Opaline. Elle venait de prendre la parole. Un léger sourire discret se dessina alors sur les lèvres du jeune garçon. Elle trouvait aussi que la vue qu'on leur avait offerte ici était belle. Il reporta finalement son attention une nouvelle fois sur ce paysage qui s'offrait à lui, les plongeant dans un silence. Il ne savait pas combien de temps ce silence durait. Une, deux, trois, peut-être quatre minutes... il ne savait pas vraiment. A vrai dire, il ne s'était pas amusé à compter les secondes qui défilées, dans sa tête. « Tu n'es pas très bavarde. » souffla-t-il, en se tournant vers elle. « Tu aimes bien le silence, n'est-ce pas ? Moi aussi, j'aime bien... enfin même si on ne l'dirait pas là puisque je ne fais que de parler. J'aime bien jouer avec lui. ». Jouer avec le silence. Jouer en silence. Sympathiser avec cet état qui pouvait angoisser certains, le silence. Le manier. Le manipuler. Le dompter. Le silence. Tout ceci n'était qu'une piètre vocation à ce qu'il faisait de sa vie, de sa vie parisien, de sa vie de faux titi. Un léger sourire amer se dessina sur ses lèvres. Tout cela était derrière lui. Les spectacles dans la rue, et les sourires admiratifs des passants. Les rires et les ébahissements des uns. Mais tout cela était fini maintenant. A présent, c'était regards critiques de milliers de paires d'yeux. Il secoua doucement la tête, comme pour chasser toutes ces pensées qui se greffèrent à son esprit. « Je ne sais pas grand-chose de toi... ». Même rien du tout, à vrai dire. Il ne savait rien d'elle. Juste son prénom. Son si joli prénom. Opaline. « Tu peux me parler de toi ? » souffla-t-il alors.

Ce silence. Ce silence palpable. Ce silence qu'il touchait chaque jour du bout de ses longilignes doigts. Ce silence qu'il caressait entre deux gestes. Ce silence avec qui il aimait jouer. Le silence faisait peur. Le silence nous semblait sinistre. Une personne qui ne parle pas, qui reste silencieuse, nous inquiète toujours. Le silence est une maladie sociale. Une maladie que l'on voulait tous fuir. Son regard se reposa alors sur le paysage plus ou moins naturel qui s'offrait à eux. Il ne savait pas si ce décor qui se trouvait sous leur yeux passifs n'étaient qu'un pur imaginaire façonné par la production ou bien la réalité, cette réalité qu'il avait tenté de fuir en venant ici. Il ne savait plus reconnaître le vrai du faux. C'en est terrible... Finalement, il reporta son attention sur Opaline. Elle était jolie. D'une beauté intrigante, d'une beauté bien trop discrète. Il ne savait pas vraiment pourquoi. Pourquoi ces quelques mots étaient sortis de sa bouche. Peut-être que ces choses-là ne s'expliquaient pas. Peut-être n'y avait-il tout simplement pas d'explication à cela. Il voulait qu'elle parle d'elle. Il voulait en savoir plus. En savoir plus sur ce prénom énigmatique, sur cette jeune femme. Elle disait alors qu'il n'y avait rien d'intéressant à dire sur elle. Un léger sourire se dessina sur les lèvres de Valeri. « Je suis presque certain que c'est faux... parle-moi de ce que tu aimes, de ce que tu fais dans la vie... ». Des choses banales. Parfois les banalités étaient plus intéressantes que des grossiers détails. Son regard s'échoua finalement sur un carnet qu'elle tentait en vain de cacher. Il releva la tête, posant son regard dans les pupilles azurées de la jeune fille. « Tu aimes écrire ? Ou bien dessiner ? ». Il désigna finalement à l'aide de son menton le petit carnet. Il se doutait bien que celui-ci était utilisé soit pour l'écriture, soit pour le dessin. Sa sœur en avait un. A vrai dire, elle s'en servait plus pour cracher sa bile sur ses maux de jeune adolescente. Ca s'appelait... un journal intime. Peut-être était-ce cela. Chaque jour, elle évoquait son quotidien à l'aide de quelques lignes, de quelques mots. Il paraît que l'écriture était un bon remède. Un remède contre quoi ? Il ne l'avait jamais su. Peut-être devrait-il s'y mettre lui aussi... enfin, il n'avait jamais apprécié écrire. Elle pouvait tout aussi bien dessiner.

Il était presque certain qu'il y avait des choses intéressantes à savoir sur elle. Des choses banales et sans prétention. Où habitait-elle, à quelle heure se levait-elle le matin et se couchait-elle le soir, préférait-elle prendre un café ou un thé le matin ? D'ailleurs, quel âge avait-elle ? Elle semblait demeurait entre dix-huit et vingt-deux ans. Elle était jeune. Très jeune. Un visage bien trop juvénile pour être âgé, pour faire parti de ces femmes que l'on nomme « des femmes mures ». Elle était jolie, quand même. Elle était jolie, Opaline. Son regard s'échoua alors sur le carnet qu'elle tentait en vain de cacher. Il ne put s'empêcher de lui faire une remarque à ce sujet. Il lui demanda alors si elle écrivait ou bien si elle dessinait. Elle dessine, lui dit-elle alors. Elle dessinait donc. Alors qu'elle protégeait un peu plus son carnet, qui semblait être bien plus personnel qu'autre chose, un mince sourire se dessina sur les lèvres de Valeri. « J'ai toujours voulu apprendre à dessiner... ». Non, à vrai dire, ce n'était pas vraiment vrai. C'est vrai, sa sœur dessinait beaucoup lorsqu'elle était plus jeune. Elle voulait devenir peintre, avant finalement de décider qu'elle serait romancière, puis elle eut voulu devenir docteur, vétérinaire, maîtresse d'école, en passant par princesse et pompier. Finalement, elle ne faisait rien de tout cela, puisqu'elle faisait des études de droit. Des études payés par leurs vieux. Elle en avait de la chance, au moins, leurs vieux avaient espoir en elle. Elle remontait l'estime qu'ils avaient pu avoir pour leur fils aîné, Valeri. Après un léger silence, la jeune femme reprit la parole. Il retomba de ses pensées et reporta son attention sur la jeune femme. Elle disait ne pas aimer parler. Elle n'aimait pas trop parler d'elle. « Tu n'aime pas parler, tout court. » lui fit-il remarquer. Elle n'était pas bavarde, elle ne l'était pas du tout même. Il avait plus souvent l'impression de devoir faire la conversation tout seul, ou de parler à un mur. A un mur qui de temps en temps avait décidé de lui répondre. « Tu sais... souffla-t-il avant de se taire quelques secondes. Il se gratta la nuque, avant de reprendre la parole. Ce que tu as vu l'autre jour maintenant, ce... ce n'est pas ce que tu penses... Ne va pas penser que... enfin entre Jaileen et moi, il n'y a rien eu. ». Il ne put s'empêcher de ne pas revenir sur ce fâcheux épisode, sur ce moment assez gênant pour lui, assez honteux qui plus est. Il ne savait pas si c'était une bonne idée d'évoquer cela, peut-être n'aurait-il pas dû. Mais il avait besoin d'en parler, il avait besoin de lui parler et de mettre les choses au clair afin qu'elle ne s'imagine pas n'importe quoi. Et il suffirait qu'elle parle, qu'elle parle de ce qu'elle avait vu ce fameux matin pour que des bruits de couloir courent au sujet de Valeri.

Elle ne parlait pas beaucoup, Opaline. Elle ne s'exprimait pas beaucoup, d'ailleurs. Elle était souvent, trop souvent, effacée par rapport aux autres. Peut-être était-ce dû à ce qu'elle avait vécu... En début de semaine, Valeri et tous les autres avaient appris le secret de la jeune femme, suite à la découverte faite par Casey. Au fond, c'était peut-être une conséquence de ce qu'elle avait vécu, de ce qu'elle vivait. A vrai dire, il ne savait pas vraiment... il ne faisait que des suppositions. Suite à sa remarque, il se tut. Quelques secondes, quelques minutes... pendant un certain temps, à vrai dire. Cependant, Valeri ne put s'empêcher de reprendre la parole, une nouvelle fois. Évoquant cette fois-ce que la jeune femme avait pu voir, ou apercevoir, lundi matin dans la chambre. Il ne voulait pas qu'un quiproquo s'installa entre eux, enfin entre elle et lui. Enfin entre Opaline et lui. Elle aurait pu s'imaginer des choses. Il ne savait pas vraiment ce qui avait pu passer dans l'esprit de la jeune femme. N'importe quelle personne normalement constituée aurait pensé qu'ils s'apprêtaient à passer à l'acte, ou tout du moins qu'ils sembleraient il y avoir un certain rapprochement entre les deux partenaires de jeu. Des bruits devaient peut-être courir à ce sujet, déjà. Il ne savait pas vraiment... il devait bien y avoir des fouines, des commères, des langues de vipère. Il se tut, lançant un bref regard sur Opaline, puis sur le paysage. Sûrement était-il un peu gêné par la réponse que pourrait lui dicter la jeune femme. Cette dernière prit enfin la parole. Elle disait s'en ficher. De s'en ficher de ce qu'ils faisaient. Valeri fut presque soulagé par cette réponse. Il ne savait pas si elle le pensait vraiment, ou si elle était toujours sous le choc de ces incidents. Au cours de ces événements, elle avait passé le plus clair de son temps à se cacher les yeux avec ses petites mains. Il se contenta alors d'un vaguement hochement de tête. Oui, ils faisaient ce qu'ils voulaient... Opaline ajouta alors que Jaileen était jolie. «  Oui, c'est vrai. Elle est jolie... » souffla-t-il. Il n'allait pas la contredire sur ce détail physique. Jaileen était une jolie... Jolie «  Avec un charisme de vache normande dans sa pâture, par moment quand même... » ajouta-t-il dans un petit murmure. Cette remarque n'était pas à prendre méchamment. Il fallait avouer que, par moment, elle ne semblait pas être une si grande lumière que cela. Peut-être se trompait-il sur son cas. Enfin, soit. «  Oh aussi... hum, si tu pouvais éviter de parler de ce que tu as pu voir, et de ce qu'il s'est passé... je n'ai pas très envie que tout le monde soit au courant, tu comprends... ». Enfin, si ça se trouve, Opaline n'aura même pas à parler de quoique ce soit... Oh non. Il aimerait bien que tout cela reste caché, les images, les dialogues. Que tout soi sous silence. Comme une sorte d'omerta.