On pourrait croire que Sully était du genre à vendre l'endroit où il vivait, à le présenter sous son meilleur jour pour y attirer du monde, mais il n'en était évidemment rien. Il va de soi qu'il n'inciterait personne à y vivre simplement parce qu'il trouvait cet endroit plaisant. Pour autant, puisqu'Odessa avait laissé entendre qu'elle pourrait être tentée d'y faire un tour à l'occasion, il ne put que préciser, commençant à la connaitre un peu, qu'un grand centre-commercial s'y trouvait et qu'il avait tendance à faire le bonheur des jeunes femmes. Sait-on jamais que ça lui donne d'autant plus envie de s'y rendre. « Il semblerait que j'ai beaucoup d'intuition » qu'il glissa, plus pour rire qu'autre chose. « Elle a trente-et-un ans » qu'il reprit, puisque ce détail sembla intéresser sa camarade. Sa sœur était donc plus vieille que lui, mais plus jeune que leur frère ainé. En soit, Sully était le plus jeune, alors que lui même n'était plus très loin de la trentaine. En tous cas, non, il ne se voyait pas quitter Philadelphie, à moins bien sûr d'avoir une excellente raison de le faire, mais ça n'était sans doute pas près d'être le cas. « Non, je crois que je serais malheureux ailleurs qu'à Philadelphie. Et puis, quasiment toute ma famille y vit à ce jour, alors même si on n'a pas le temps de se voir autant qu'on le voudrait, c'est toujours plus pratique d'être dans la même ville. » Sully était très porté sur la famille, et il est vrai qu'il ne pourrait pas vivre trop loin des siens. « Je dois surtout aider ma mère, en fait » qu'il reprit, sans trop savoir si c'était la chose à dire, parce que ce sujet-ci était un peu délicat, et qu'il lui faisait un peu de peine surtout. Il ne s'étendit en tout cas pas sur la suite, et se questionna finalement sur l'importance que semblait avoir la petite précision que lui avait faite sa camarade. Irlande du Sud, ou bien du Nord, pour lui c'était un peu pareil. Mais il faut dire qu'il n'y connaissait pas grand chose, à tout ça. Il acquiesça en tout cas à ses propos, puis rit légèrement sur la fin. « Oh bah oui, j'espère bien, ce serait quand même dommage d'en arriver là. » De s'assassiner pour de vieilles histoires, oui, assurément. Ce serait surtout un peu bête, parce que même s'il pouvait comprendre que certaines choses soient propres à l'histoire d'un pays, il ne fallait quand même pas tout confondre. « Dis donc, tu sembles avoir la mémoire courte ... Tu ne te souviens pas de ma nièce de huit ans ? Celle qui a les mêmes goûts que toi en matière de films ? » Oh ça pouvait arriver d'oublier. Il sourit à l'idée qu'elle n'ait pas prévu de le déshabiller, ce dont il s'était douté, quand même. « Oui, ici nous n'avons que trop de temps pour dormir, c'est certain. » En soit, ils n'étaient pas très actifs et c'était ce qui contribuait justement à dérégler leur rythme de sommeil. Tout ça était un peu un cercle vicieux, quand on y réfléchissait bien. En tout cas, Sully en vint bientôt à regretter d'être du genre tête en l'air, car lorsqu'il se renversa de l'eau bouillante sur la main, il est clair qu'il ne manqua pas d'en souffrir. Sa camarade l'emmena alors à l'étang, où il put tremper sa main, ce qui ne fut pas non plus très agréable, en tout cas au départ. Car finalement, la douleur commençait à se calmer. « Non, c'est moi qui ai toujours tendance à faire deux choses à la fois, tu n'y es pour rien. » Il ne pouvait pas lui laisser porter le chapeau, car il ne pouvait s'en prendre qu'à lui même. Après tout, il aurait du se concentrer davantage. « Oui, ça va déjà un peu mieux » qu'il fit, avant de lui demander d'aller chercher une bande de gaze, histoire de protéger sa main, chose qu'elle n'était évidemment pas forcée de faire, vu qu'il devait déjà la saouler avec ses histoires de brûlure. Mais, gentille comme à son habitude, Odessa accepta et partit quelques instants, revenant bientôt avec le nécessaire. « Merci de ne pas en avoir profité pour t'enfuir » qu'il glissa alors, en riant légèrement. Il ne lui en aurait même pas voulu, ayant bien conscience d'être pénible quand même. « Hm, je suppose que la crème se met avant la bande ... Ça hydratera certainement la peau. » Quoi qu'il n'y connaissait rien non plus, honnêtement. Il sortit en tout cas sa main, encore très rougeâtre. Oui, manifestement, elle avait bien besoin d'être un peu hydratée. Sully, qui ne voulait pas abuser de la bonté d'Odessa, se saisit alors du pot de crème, de son autre main, mais buta déjà sur l'ouverture du bouchon de celui-ci. Bon. « Je peux t'embêter une dernière fois et te demander de me l'ouvrir ? » qu'il tenta alors, espérant ne pas en demander trop. Après ça, vraiment, il se ferait oublier.

Oh ça oui, Sully a de l'intuition, j'en suis persuadée mais ce n'était pas non plus trop difficile de savoir que j'aimais les centres commerciaux. Il n'y avait qu'à jeter un œil dans mon dressing, par exemple ou dans ma trousse de maquillage. Je souris donc à sa réponse alors qu'il continue en me parlant de sa sœur en me donnant son âge. C'est vrai que maintenant, je me souviens légèrement de ça, d'une sœur et... je ne sais pas. C'était la fois où j'étais tombée sur le sol de la chambre, la première semaine et mes souvenirs sont flous. Je n'ai pas de mémoire aussi, il faut bien l'avouer alors bon... autant parler d'autre chose. Comme de nos villes par exemple et Sully, lui, m'apprend qu'il ne pourrait pas vraiment vivre hors de Philadelphie. C'est une chose que je peux comprendre en effet, surtout quand il parle de sa mère. Je ne sais rien de sa situation mais je suis consciente que parfois, les choses ne sont pas toujours simples. « C'est vrai que la famille, c'est important. Mais parfois aussi, c'est bien de pouvoir avoir sa vie... J'espère que ta mère va bien en tout cas. » Je n'entre pas dans les détails, c'est mieux je pense et j'imagine qu'il n'a pas besoin que je m'immisce dans sa vie. Je lui explique ensuite la différence entre Irlande du Sud et du Nord et il semble rassuré d'apprendre que nous avons cessés de nous entre-tuer. Je souris donc à sa réponse et me trouve ensuite assez confuse lorsqu'il me rappelle m'avoir déjà parlé de sa nièce. Je dois rougir un peu, j'ai honte vous comprenez, j'aurais du m'en souvenir ! En plus, sa nièce et moi, on a un lien indéfectible quand même. « Humm, si, disons que je l'avais momentanément oubliée mais c'est parce que ma mémoire bug un peu tu vois... » Quelle excuse bidon... Il faut dire qu'entre les enfants de Charles, les nièces de Sully et je ne sais quoi encore, je suis un peu perdue... Peut-être est-ce d'ailleurs une preuve de mon besoin de sommeil, ce qui rend mon idée de nuit blanche un peu stupide. Certainement même. « Dormir oui, et ne rien faire... La majorité du temps... » Ou alors, on fait plein de choses en même temps et on finit par faire des conneries. Comme maintenant, par exemple, Sully se versant par accident de l'eau bouillante sur la main. Ma réaction est donc immédiate et je finis par m'excuser. J'ai du le troubler avec mon flot constant de parole, je suis bête. Il me dit que ce n'est pas moi mais je n'y crois pas vraiment. Je l'attrape rapidement, l'emmenant à l'étang et le sommant de plonger sa main dans l'eau, chose qu'il fait et qui semble le soulager. Puis il me charge d'aller chercher de quoi le soigner et je m’exécute, bien évidemment. Récupérant la trousse de secours avec hâte dans la loge maquillage et je reviens, avec le matériel. Sauf qu'il faut bien évidemment savoir s'en servir, de ce matériel, ce qui est loin d'être mon cas. « C'est normal, je n'allais pas te laisser comme ça ! Et tu as raison, ça doit être comme ça.» J'attrape donc la bande alors que Sully, lui, prend le pot de crème. Sauf que légèrement handicapé, il me demande mon aide. « Tu ne m'embêtes pas ! Donne moi le pot ! » J'attrape le pot et je l'ouvre, heureusement il n'était pas vissé trop fort car je n'ai pas franchement beaucoup de force. « Tu veux que je te la mette ? » Je peux bien faire ça, ce n'est pas grand chose. « Il faudra peut-être demander au médecin de venir voir quand même... » On ne sait jamais, je ne voudrais pas qu'il ait des soucis.

Au fond, Sully n'estimait pas être particulièrement intuitif. Il était sans doute davantage observateur, car s'il avait parlé d'un centre commercial, c'est uniquement parce qu'il avait eu l'occasion d'observer qu'Odessa était une jeune femme plutôt coquette, et qu'ainsi il s'était contenté d'en déduire que c'était le genre d'endroits qu'elle aimait fréquenter. Au fond, il supposait aussi que la plupart des femmes étaient dans le même cas, même si réfléchir de cette manière pouvait être un peu clichée. Sully en vint en tout cas à révéler l'âge de sa sœur, qui avait alors trente-et-un ans, soit trois ans de plus que lui. Il hésita un instant à demander à Odessa si celle-ci avait des frères ou des sœurs, mais il ne se souvenait pas qu'elle lui en ait parlé, or il supposait que c'aurait très bien pu se trouver dans l'une de leurs précédentes conversations. Puis le jeune homme précisa qu'il ne se voyait honnêtement pas quitter Philadelphie un jour, qu'il estimait ne pas pouvoir être aussi épanoui ailleurs, et que le fait que sa famille y vive - bien qu'il ne puisse effectivement pas la voir autant qu'il le voudrait - avait tendance à d'autant plus l'y retenir, vu qu'il est certain qu'il ne voulait pas mettre de la distance entre les siens et lui. Et puis, c'est vrai, c'était surtout pour sa mère qu'il restait, parce qu'elle avait besoin de lui, besoin de l'argent qu'il lui donnait tous les mois, elle qui devait veiller sur un mari infirme et profondément ingrat, et qui s'épuisait à vouloir lui faciliter la vie. « J'ai bien essayé d'avoir une vie à moi, mais j'en suis venu à chercher des prétextes pour voir mes proches, simplement parce que je me sens seul et que je n'arrive pas toujours à me l'avouer ... J'ai bien essayé, oui, mais ça m'a rendu malheureux. Alors je n'essaye plus tellement aujourd'hui. J'attends simplement qu'on me prouve que je ne suis pas fait pour cette solitude, si tant est que ce soit le cas. » Peut être comprendrait-elle qu'il faisait indirectement référence à la rupture qu'il avait très maladroitement évoqué, lors de leur premier échange, dans la chambre. Quant à savoir si sa mère allait bien, il ne savait pas tellement quoi lui répondre, alors il se contenta de sourire, d'une façon confuse, espérant qu'elle comprendrait que ça n'était pas simple de mettre des mots sur certaines choses, qu'en soit sa mère n'allait pas bien, non, et que ça lui brisait le cœur chaque fois qu'il y pensait. Quant au reste, il est vrai qu'il préférait penser que de vieilles rivalités entre Irlande du Nord et Irlande du Sud ne donnaient pas fréquemment lieu à de sordides assassinats, parce que ce serait quand même tragique. Et puis, concernant la nièce de Sully, il n'était franchement pas grave qu'Odessa l'ait oubliée. Non pas que cette petite soit insignifiante, mais ça n'était jamais qu'une enfant dont elle avait entendu parler une fois. « Ça arrive à tout le monde d'oublier. » A lui, notamment, et assez souvent. Il n'y avait en tout cas pas beaucoup d'autres choses à faire ici que dormir, même si Sully n'aimait pas s'endormir pendant la journée. Et c'était peut être parce qu'il n'avait pas suffisamment dormi que Sully fit preuve d'une grande maladresse en se versant de l'eau bouillante sur la main. Autant dire qu'il regretta amèrement de ne pas s'être suffisamment concentré. Sa camarade, en tout cas, était adorable de prendre le temps de l'aider, quoi que ça ne l'étonnait pas tellement de sa part. Ils allèrent alors à l'étang, où il trempa sa main, pour calmer la douleur. Mais ça ne saurait suffire à l'apaiser durablement, et il lui faudrait de toute façon protéger sa main, histoire de ne plus l'endommager. Odessa alla alors chercher le nécessaire, et il ne manqua pas de l'en remercier. En tout cas, oui, mieux valait sans doute calmer la brûlure en y appliquant un peu de crème. Sauf que bon, à vouloir prouver qu'il pouvait ouvrir le pot tout seul, Sully n'arriva pas à grand chose. Du coup, il demanda à sa camarade de l'aider une ultime fois, pensant vraiment qu'il l'embêtait. « Tu es sûre ? Tu me le dirais si j'étais chiant ? » Non, sans doute n'oserait-elle pas, dans le fond. Elle ouvrit en tout le pot puis proposa de lui mettre de la crème. « Je veux bien, s'il te plait, j'ai bien peur de ne pas savoir en appliquer de ma main gauche ... » Vu que sa maladresse n'était plus à prouver. En tout cas, il avait l'impression d'être un assisté et d'abuser de la gentillesse d'Odessa, hm. Cette dernière proposa alors de prévenir le médecin. « Oh non, je pense que ce ne sera pas utile, et puis, on ne va pas le déranger pour ça. » Sa main devrait s'en remettre, et le médecin de l'aventure n'aurait sans doute pas besoin d'intervenir. Il n'allait pas ennuyer quelqu'un d'autre, après tout. « Tu peux retourner là-bas et y continuer de manger, si tu veux. A condition de faire attention avec le thé, hein. » Oui parce que bon, un blessé mais pas deux, hein. C'était surtout qu'il lui avait fait perdre suffisamment de temps comme ça.