~ opaline, dimanche, quinze heures trente
Huuum, c’est le bordel. Etonnant, non ? C’est juste totalement le bordel. Dans la salle de bain. Autrement dit, le lieu qui, après les chambres, est le plus en bordel. Je répète un peu trop le mot bordel, non ? C’est fait exprès, c’est pour donner du poids à la situation. Parce que c’est vraiment le bordel. Des serviettes par terre, des tiroirs restés ouverts, les poubelles remplies à ras bord, des lisseurs, ici et là, des trousses de maquillages éventrées et… je préfère m’arrêter là. J’imagine que c’est la folie post-prime, ou plus exactement, la folie post préparation au prime, quand tout le monde est dans le rush et que personne n’a le temps de mettre sa serviette dans son panier de linge sale et de refermer son tiroir après lui. C’est vrai que ça prend un temps fou, ahurissant. C’est comme ça donc, que j’ai trouvé la loge maquillage, ou salle de bain pour les intimes suite à mon déjeuner post-prime. J’avais dans l’idée de me changer, me démaquiller légèrement et me la jouer pénarde pour le reste du dimanche mais en voyant tout ça, je n’ai pas pu résister. Je dois me faire avoir, j’en suis consciente mais je ne sais pas, c’est au dessus de mes forces, vraiment. Alors je commence à enlever ma robe, pour commencer, me retrouvant en souvenant mais passant rapidement un jean que j’avais laissé là et un tee-shirt imprimé. Ma robe sur un portant, je me démaquille et une fois prête, et bien… je me mets à ranger. Ce que normalement les gens devraient faire mais… que voulez-vous, les jeunes de nos jours… Du bout des doigts, je ramasse dont les serviettes, encore humides pour certaines que je mets un peu au pif dans les paniers de linge sale de mes camarades quand tout à coup, la porte s’ouvre, laissant entrer Opaline à qui j’adresse un sourire. Cool, de l’aide, enfin j’aimerais bien mais je ne la forcerais pas. « Si tu es partante, je ne dis pas non pour un peu d’aide… Je garde les tâches ingrates si tu veux ! » Jsuis gentille, non ?

Je crois que j'ai dormi trop longtemps, en fait. Je sais que ce n'était pas une bonne idée de m'allonger mais tant pis. Personne n'est venu me déloger donc je suppose que je suis toujours là. Oui, je crois que je peux rester. Tant mieux. Je crois. Je ne sais pas. C'est bizarre. Même si, c'est sûr, le mieux, c'est que j'aille le plus loin possible. Si je dépasse le mois dans ce jeu, c'est sûr que ça sera déjà énorme. Mais si je n'ai pas participé au prime, je m'étais quand même préparée pour. Je sais, c'est bête, mais j'avais dans l'idée d'y aller, je n'avais pas prévu de m'endormir dans un coin. Donc je me rends jusqu'à la salle de bain, sans vraiment savoir quoi que ce soit. Je sais juste que j'ai besoin de me changer. Et d'enlever le semblant de maquillage que j'ai mis, juste pour avoir l'air plus jolie que d'habitude. Tout le monde sait que je ne suis pas très jolie. Tout le monde le dit. Ma mère non plus n'est pas jolie donc je suppose que je le tiens d'elle. J'entre dans la salle de bain. Dans la loge maquillage, qu'ils appellent ça. C'est pareil. Et là, il y a la jolie rousse. Odessa. Qui me demande mon aide, apparemment. Pour ranger, je crois. C'est bête de ranger pour les autres. Parce qu'ils ne le feront jamais si on les habitue à passer après eux. Je pense. J'ai peut-être tort aussi. Faut dire que j'ai souvent tort. Je continue de la regarder, sans savoir quoi lui répondre. J'ai pas très envie de nettoyer, moi. « Pourquoi tu fais ça ? » Bah oui, c'est une bonne question, je trouve. Et puis, si ça se trouve, ça sera tellement le bordel dans le nid que la production engagera une femme de ménage. Non ? Je crois pas. Mais peut-être que dans notre sommeil, quelqu'un viendra nettoyer. On ne sait pas, après tout. Tout le monde pourrait croire que c'est un autre candidat qui a tout rangé alors qu'en fait, ce n'est pas ça du tout. Non, je n'ai pas très envie de nettoyer. Je suppose que je serai bien obligée quand même. Peut-être que je n'ai pas le choix, après tout.

Oh, je sais pertinemment que je suis idiote de ranger cette salle de bain à l’allure totalement apocalyptique pour les autres, en quelque sorte. Je le sais bien aussi que je devrais m’occuper seulement de mes affaires sans me soucier de celles des autres mais honnêtement, là, ce n’est plus possible. D’accord, on s’est tous levé tôt, on était fatigué et certains étaient certainement trop à la bourre pour ranger derrière eux mais est-ce une raison ? Pas selon moi. Donc je range. Car je ne peux pas laisser ça comme ça, je ne peux pas continuer de me rendre dans une salle de bain aussi informelle que ça. Par contre, hors de question que je fasse le ménage totale. Genre sortir les cheveux des siphons, nettoyer les lavabos… Faut pas non plus exagérer mais si je peux rendre à cette endroit une allure un peu plus agréable, je le fais, c’est tout. Je dois être bien lunée, ça doit être. C’est alors qu’Opaline arrive. Je lui demande de l’aide, enfin, je lui propose on va dire car je ne l’obligerais pas et quelque chose me dit que de toute manière, personne n’est partant pour le faire. Les gens ne sont partants que pour les choses agréables, c’est bien connu. Opaline, en tout cas, l’air étonnée et elle ne se gène pas pour me le faire savoir, ce qui est tout à fait son droit après tout. « Parce que ça m’énervait, y’en a partout ! T’as vu les serviettes ? Partout ! C’est si difficile que ça de viser le panier au lieu du sol ? Ou alors de les mettre toutes au même endroit au moins… » Je soupire, ça m’agace. Il faut dire que j’ai vécu seule toute ma vie adulte, ou presque alors les emmerdements de ce genre, je n’ai pas connu. Puis je réalise que je n’ai pas vu Opaline au prime. Peut-être a-t-elle loupé le réveil. « Tu n’étais pas au prime ce matin, non ? Enfin tu sais, tu n’as pas loupé grand-chose. Je ne sais pas dans quelle équipe tu es d’ailleurs… » Je réfléchis et… je ne trouve pas pour autant. Je demanderais à Avalon je pense…

Moi, le bordel, je m'en fiche un peu. Je dois avoir l'habitude, je pense. C'est vrai, chez moi, c'est constamment le bordel. Et je m'en fous, c'est vrai. Que ça soit bien rangé ou non, ça ne va rien changer à ma vie. Le bordel revient toujours donc je ne vois pas l'intérêt de ranger pour recommencer plus tard. Surtout que si Odessa le fait, tout le monde en profitera, c'est sûr. Moi la première, je pense. Si ça peut m'éviter d'avoir à ranger quoi que ce soit, après tout. Puisqu'elle est décidée à donner de son temps pour réparer les conneries des autres. Sauf qu'elle n'a pas l'air de très bonne humeur, la rousse. Ah. Je suis à deux doigts de lever les deux mains au niveau de ma tête, juste pour lui montrer que je n'y suis pour rien – pas trop – et qu'elle n'a pas besoin de s'en prendre à moi. Innocente, je suis innocente. Je ne vais rien dire, je vais la laisser se calmer toute seule. Quand on parle à quelqu'un qui est déjà agacé, on ne fait qu'empirer les choses. Je sais de quoi je parle. Alors je me tais, je me contente de la regarder, sans bouger. Ça peut être dangereux aussi, je crois, une femme. Oui. Autant se méfier, on ne sait jamais. J'acquiesce vaguement, juste pour lui montrer que j'ai écouté. Et que je suis à moitié d'accord. Juste pour qu'elle se sente un peu soutenue, en fait. Elle finit par reprendre la parole. C'est vrai que je n'étais pas au prime. Je sais, je suis nulle. Et là, elle me parle d'équipes. Encore ? Il y en a déjà eu, des équipes. Et j'ai été nulle aussi, durant ce prime-là. Je n'aime pas trop les histoires d'équipes, à vrai dire. Quand je rate, il y a toujours quelqu'un pour m'en vouloir. Quand je joue que pour moi, personne n'est là pour être en colère contre moi. Donc c'est mieux. « C'est quoi, cette histoire d'équipes ? » que je demande, toujours de ma voix naturellement basse. Et pour l'inciter à me répondre, je me la joue docile et je ramasse un bout de coton qui est resté par terre. Je le balance dans la première poubelle que je croise. Voilà, j'ai fait ma bonne action de la journée.

Bon. C'est clair, Opaline ne va pas m'aider. Je ne peux pas tellement lui en vouloir pour être honnête et je dois être affreusement naïve en fait de croire qu'on pourrait être agréable et y mettre un peu du sien mais en fait et bien... non. Je suis la seule pigeonne. Celle qui range la salle de bain. Une pigeonne, ouais. Pas grave. Ca m'est égal. Qu'ils fassent ce qu'ils veulent hum. Ouais. Du coup, quand Opaline me regarde avec ses grands yeux alors que je lui explique mes raisons, je comprends très vite qu'elle ne compte pas vraiment m'aider. Et je hausse les épaules à la fin de mon discours lorsque je n'obtiens pas de réponse tout en ramassant les dernières serviettes et en allant les jeter dans différentes paniers de linge sale, au choix, sauf le mien. Je ne vais pas ranger et en plus, nettoyer les serviettes, faut pas abuser non plus. Je parle ensuite du prime à Opaline qui, il me semble, était absente et je n'arrive pas à me souvenir de son équipe. Bien évidemment, elle n'est pas au courant et elle me questionne là dessus, avec sa voix toute faible et tout chétive. On dirait qu'elle a peur que je vienne la briser en deux, c'est étrange. « En fait, Avalon et Enoch ont du chacun choisir des candidats pour former leur équipe. On a eu droit à une épreuve de la chaise musicale, lors du prime et voilà... Normalement, il va y avoir d'autres jeux mais on ne sait pas encore quand, ni quoi. » Je ne sais d'ailleurs toujours pas dans quelle équipe elle est, je réfléchis, je vous assure mais je ne me souviens pas. Tant pis, Cupidon le dira certainement une fois, à un moment ou un autre. Je la vois alors balancer un coton dans une poubelle et je souris timidement. C'est l'intention qui compte, comme on dit... « Je te fais peur en fait ou... ? » Je préfère demander, on ne sait jamais.

D'après que je n'ai rien raté d'intéressant, de toute façon, au prime. Alors je me dis que ce n'est pas trop grave si je n'y étais pas. Même si, apparemment, mon absence a été remarquée. Odessa l'a remarquée, en tout cas. C'est peut-être la seule. C'est même sûr que c'est la seule. J'ai tendance à être invisible, moi. Alors là ou pas là, ça n'a pas dû changer grand chose. Quand je suis là, je ne sers à rien donc ouais, c'est sûr que personne d'autre n'a remarqué que je n'y étais pas. J'ai raté cette histoire d'équipes par contre. Je me demande si c'est les mêmes que la dernière fois mais je comprends vite que non quand Odessa m'explique que c'est Avalon et Enoch qui ont choisi. Ah. Donc je suppose que ça s'est fait selon les affinités. Oui donc je ne sais toujours pas dans quelle équipe je me retrouve. Je n'ai pas fait une bonne impression à Avalon, je crois. Et je crois que c'est pareil avec Enoch. De toute façon, ici, les gens à ne pas m'apprécier sont nombreux. Je crois. Ça serait logique, en tout cas. Et normal. Oui, ça le serait. Il y a eu un jeu de chaises musicales. Ah. Je ne sais pas trop ce que c'est, en fait. J'en ai déjà entendu parler mais je n'y ai jamais joué. Je pourrais lui demander, à Odessa, mais je vais encore passer pour une conne donc je me tais. Je suppose que c'est tout ce que j'ai raté durant le prime. Donc rien de bien important, je suppose. J'acquiesce. Je fais même l'effort de parler. « D'accord. » Oui, ça ne sert à rien, je sais. Puis je fais ma bonne action de la journée en l'aidant à ranger un truc qui traînait. Je suis trop gentille, je sais. Sauf que là, elle me demande si j'ai peur d'elle. Et la réponse qui me vient, c'est que, beh, non. Je n'ai pas peur d'elle. Je crois. Je ne sais pas. Du coup, je suis un peu perturbée. Et je me demande si c'est pas une question pour me dire que, justement, je devrais peut-être la craindre. Beh quoi ? C'est possible. « Non. » je lui réponds donc avant d'ajouter un : « Pourquoi ? » Au cas où. Je préfère poser la question. On ne sait jamais. Elle est déjà agacée par ce bordel alors je ne sais pas ce qu'elle compte faire, moi.

Je me demande si parfois, Opaline a de réelles conversations avec les gens ou si elle est toujours aussi peu loquace. Je suis d'ailleurs assez mitigée là-dessus, partagée entre être vexée, énervée ou bien avoir envie de l'aider. C'est une réelle torture en réalité mais comme il semble assez clair qu'elle ne m'apprécie pas plus que ça, peut-être qu'il est temps que je la laisse aller vers les gens qu'elle apprécie vraiment au lieu de l'obliger à culpabiliser avec mon discours moralisateur et chiant sur le rangement de la salle de bain. Parce que je sais bien tout ça, je suis bavarde, j'aime aller vers les gens mais ça ne plait pas toujours à tout le monde. Certains vont me trouver envahissante, agaçante, tout un tas de choses par franchement agréables mais que je comprends. Ca doit être le cas d'Opaline, c'est la seule explication possible. Etant donné qu'elle était absente au prime, ce que j'ai remarqué car je suis du genre à laisser mon regard se balader un peu partout, je décide de lui expliquer n'ayant pourtant pas vraiment d'informations sur son équipe. J'espère juste que Cupidon nous rappellera la répartition des équipes. Elle acquiesce, sans rien dire de plus mais je n'en attendais pas plus. Et puis comme je suis un peu perdue, je décide de lui demander si je lui fais peur car vu de l'extérieur, c'est un peu l'impression que j'ai. Elle ne réagit pas vraiment, seulement un non et je ne sais pas si je dois être rassurée ou pas. « Alors si je ne te fais pas peur, c'est que tu me trouves inintéressante, c'est ça ? » Puis elle me demande pourquoi, très bonne question tiens. « Et bien, j'ai l'impression de te faire peur, ou de t'ennuyer mais comme je ne te fais pas peur, c'est que je dois t'ennuyer donc... » Pourtant, moi je l'aime bien Opaline, c'est juste que j'aimerais bien qu'elle me parle un peu plus mais si elle ne veut pas...