~ hadatt, vendredi, onze heures dix
Quatrième semaine, un mois donc, au cas où ça échapperait à certaines personnes. Autant dire que mes jours ici commencent à compter et que ce n’est alors certainement pas très étonnant de me voir posséder quelques habitudes à présent. Déjà, il y a la sieste – non crapuleuse à mon grand désarroi – le dimanche après-midi et puis, dans la semaine, le rendez-vous immanquable : la plage. J’aime cette plage, je crois que je ne me lasserais pas de le dire ou de le penser et donc, surtout pas d’y aller. Elle est belle, bien fichue, sans poisson dans l’eau, sans trop de soleil ou alors avec assez de transats et de parasols pour m’éviter de devenir aussi rouge que ma chevelure. Ca serait dommage quand même, enfin moi je trouve. En plus, il faudrait que je trouve quelqu’un pour me mettre de la crème contre les coups de soleil. Ca doit être faisable, j’en suis sûre mais autant prévenir que guérir et mettre de la crème, mais avant. C’est donc en maillot de bain et avec ma crème que je me rends tranquillement sur la plage prenant place sur un transat, sous un parasol. Pour autant, il faut que je mette de la crème et si je commence seule, d’autres endroits sont plus… compliqués à atteindre. C’est alors que je vois arriver au loin une personne qui finalement vient me rejoindre. Cool, comme ça, je pense que je pourrais lui demander de me mettre de la crème sur le dos. Sauf que… sauf qu’en fait non. Parce qu’arrivé à ma hauteur, je réalise qu’il s’agit d’Hadatt et j’ai appris, très récemment – la semaine dernière – qu’Hadatt n’est autre que le père de Cosmas. Tout ça serait donc légèrement trop bizarre alors je m’abstiens. Pour la crème en tout cas. « Salut ! »

Hadatt savait ce qu'il voulait. En tout cas, dans certaines situations. Par exemple, s'il devait choisir entre un hamburger typique américain et une série de cupcakes au citron et chocolat comme il les aimait, ba, il ne saurait pas. Mais quand il s'agissait d'enquêter sur une rouquine mystérieuse qui semblait faire du rentre dedans à son fils, ça il savait... Il gardait ses distances, les regardait ensemble quand ils se trouvaient dans la même pièce. Observait la jeune femme sans avoir l'air d'un voyeur obsessionnel (bonjour l'image !). Et il se méfiait. Hadatt avait pour expérience que les femmes, c'est bien un temps - en général, dans un lit ! - mais qu'après, ça devient un véritable cauchemar. Ca vous demande de faire des concessions, de faire des choix, de prendre parti à ce qu'elle dit et d'accepter le fait qu'elle a toujours raison. C'est aussi accepté tous ses caprices, ses envies, ses humeurs - massacrantes à certaines périodes très inconfortables pour elle - et ses délires. C'est aussi sacrifié son argent, son temps, sa patience... bref tout ce que n'a pas Hadatt. Ou n'a plus. Parce qu'il avait. Ca. Avant... son divorce. Donc il se méfiait.

Dans l'optique d'élargir ses recherches et de connaître un peu plus l'ennemi - faisons comme si c'était une mission de reconnaissance - Hadatt s'était avancé vers elle alors qu'elle semblait faire bronzette en cette belle journée. Déjà, il était clair que Cosmas n'avait pas mauvais goût. Mais les rousses, elles ont toujours ce truc. « Holaaa ! » fit-il avec un accent espagnol exagéré. « Ca se fait dorer sous le soleil? - C'est un peu le même principe que les poulets chez KFC nan? - Se faire dorer et tout pour devenir appétissant et tout... - Tu veux être appétissante pour Cosmas? » Lui passer par quatre chemins?Il fait rarement preuve de subtilité...

Il y a encore quelques jours, j'étais dans le déni total. Oui, ça ne pouvait être que le déni étant donné que je devais être la seule à ignorer cette information importante : que Cosmas est le fils d'Hadatt. Non mais sérieusement, Hadatt ? Le père de Cosmas ? Non, je n'en reviens toujours pas et je suis légèrement gênée, du coup car tout ça veut dire que le père d'Hadatt nous voit, tous les deux. Et nous a vu, lors du prime, dans les sujets de Sydney... Oh mon dieu. Bon, vous allez me dire, ça ne serait pas différent s'il était comme tous les autres parents, derrière leur poste de télévision, à regarder sa progéniture s'amuser dans un cadre agréable mais le truc, c'est que moi, par contre, et bien... je peux, par exemple, le voir venir me parler, me demander des comptes, des détails... Enfin, il peut me parler quoi et il peut tout commenter aussi, avec Cosmas, lui dire des trucs, sur moi, donner son avis et ça, quand même c'est flippant. Du coup et bien... peut-être qu'inconsciemment, en quelque sorte, je l'évite soigneusement depuis que je sais mais là... C'est trop tard. Il est là et il arrive vers moi pendant que je me mets de la crème solaire. Il arrive et il parle en espagnol. Bah, il n'est pas grec ? Ou alors c'est sa mère, à Cosmas, qui est grecque. Aucune idée. Bref. Et là quoi, il me compare à du poulet pour... être appétissante pour Cosmas ? Je crois que je rougis et que j'écarquille les yeux. « Je... Hum... Salut... Je... Non, enfin... Je ne bronze pas, je ne peux pas, sinon je grille alors... je prends juste... l'air ? » Je suis quand même affreusement gênée là. Vraiment beaucoup hein et du coup et bien, je me tais et je crois que je le fixe.

Comment déstabiliser une jeune femme qui n'a rien demandé en quelques leçons avec Hadatt. Ce dernier se sentit un peu penaud en voyant la mine défaite de la jolie rousse alors qu'il la comparait à une cuisse de poulet entre train de cuir doucement, avec de la chapelure croustillante et... Hum, bref, il se perd. Mais son masque de compassion se brisa rapidement et les traits fatigués de son visage s'égaillèrent alors qu'un rire léger lui échappa. « Je plaisante, miss. » lui assura l'irlandais qui avait toujours ce petit effet de gêne quand on n'était pas habitué à ses... excentricités? « N'aie pas peur, je ne vais pas sortir mes griffes pour protéger ma progéniture, relax. » C'est à sa mère de faire ça, pensa-t-il fortement. A côté du transat d'Odessa, s'en tenait un autre qu'il s'empressa d'occuper, se jetant presque dessus et manquant de se casser la figure par terre. D'un geste nonchalant, il fit descendre ses lunettes de soleil sur son nez, par sûr de supporter la luminosité ambiante à une heure si tôt. Oui, onze heure, c'était tôt, okay? « Par contre, ne dis pas à Cosmas que je t'ai dis ça sinon lui, il va m'arracher les yeux ─ ce gosse est sans scrupule ─ il me fait peur parfois ! » Il est clair que leur connaissance en commun ne devait bordel de dieu, pas savoir ça.

C'est un peu comme un cauchemar en fait mais surtout, une grande première car je n'ai jamais, jamais rencontré les parents d'un garçon que j'ai embrassé. Les parents, en fait, ça me paralyse. Ça me fait peur. Ils vous regardent en biais, vous jaugent, vous jugent et scrutent le moindre de vos gestes, cherchant la petite erreur, le petit détail qui leur serviront à décider de vous détester. Alors voilà, avec Hadatt, c'est le moment. Et je suis gênée car pour sûr, il doit me jauger. La preuve, il m'a demandé si je me faisais appétissante pour Cosmas. Ça veut dire quoi ça ? Ils parlent de moi tous les deux, ils parlent de ce qui se passe quand on est ensemble, moi et Cosmas ? Je n'en sais rien et je crois que je n'ai pas envie de le savoir. Il plaisante. C'est bon à savoir, enfin j'imagine. J'espère. « Hummm, tant mieux alors enfin... Je crois ? » Je n'en suis pas sûre, c'était la bonne réponse ? Imaginez qu'il aille répéter tout ce que j'ai dit à Cosmas... Non pas que je compte dire des choses affreuses mais c'est... gênant. Il s'installe alors à côté de moi, agissant de manière assez loufoque et je pose la crème solaire à côté. « Je ne risque pas de lui répéter quoique ce soit, non... Mais sans scrupule ? C'est à dire ? » Autant s'informer non ? Si au moins cette rencontre gênante peut servir à quelque chose.