PAVEL

J'étais stressé. Vous me direz, ça n'a rien nouveau, j'ai toujours appréhendé les nouveautés, oui, au point où j'en venais à bien souvent faire demi tour et ne revenir que lorsque j'en savais un peu plus. J'avais fait ça l'an dernier, oui, je m'étais inscrit aux castings, et n'avais finalement pas eu le courage de me lancer. Cependant, tout devait changer, je devais me prendre en mains, je devais tenter de grandir, d'affronter les choses telles qu'elles me venaient, et cette aventure était probablement l'un des meilleurs moyens que j'avais à ma disposition. J'avais besoin de m'extraire de ce cocon et de penser un peu à autre chose qu'au travail, au dessin. Oui, et je crois que quelque part, j'y arrivais, là, tout de suite, bouffé par une stress un peu trop conséquent. C'était tout moi ça. Du coup, j'avais ma jambe qui tapait inlassablement contre le sol, alors que mes doigts venaient nerveusement tambouriner le rebord de ma chaise. Pathétique, n'est ce pas ? Ajoutez à ça un regard de chiot effrayé, et vous m'aviez en chair et en os. Bon, pas trop de quoi se vanter non plus, sauf que je crois que tout le monde était entrain de me regarder. Genre, comme si j'étais un animal bizarre et que j'avais besoin d'être pris en pitié pour me sentir exister. Ce n'était pas du tout ça ! Moi je voulais limite que l'on m'oublie quoi, genre, pouf, disparu. Mais je crois que c'était impossible, et puis le couloir était tellement étroit que je crois que je faisais un bruit pas possible. Du coup, y'a la fille deux chaises plus loin qui avait poussé un long soupir. Grimaçant légèrement, je tentais alors de m'excuser « Désolé... ça ira mieux dans une ou deux heures, quand je serai passé. » oui parce que je ne passais que dans un peu plus d'une heure, et j'étais déjà stressé, je vous laissais imaginer quand ce serait mon tour, hm. « Mais au moins, ça vous fait une sorte de musique entrainante et... rythmée ? » elle me regarde, façon "what the hell ?" avant de finalement reporter son attention sur son petit carnet de notes. « T'as pas l'air convaincu. » que je murmure avant de poser mon regard sur mon camarade de gauche, un jeune homme à l'apparence quelque peu hispanique et aux cheveux noirs. « Elle a pas l'air convaincu. » ajoutais-je en la désignant du pouce, comme si il en avait quelque chose à faire.

Tout était calme, trop calme, du coup je tentais de chercher une chanson pour que l'air de celle ci fusionne avec les battements incessants de mes chaussures contre les pieds de ma chaise. Mais il n'y avait que des chansons de Miley Cirus qui m'arrivaient, là, tout de suite, et n'ayant pas forcément envie de dégrader un peu plus ce moment, j'en étais convenu que le silence m'allait tout aussi bien. Oui, au final, c'était probablement mieux ainsi. En tout cas, la fille là bas n'avait pas l'air de beaucoup m'aimer... Il faut dire que bon, on a pas vraiment le même genre de vêtements... et puis je n'ai pas de piercings... Oh et elle a des dreadlocks aussi... Bon Dieu c'est ça qu'ils cherchent en fait ? Ohla, je me sens super hasbeen d'un coup, c'est genre comme si j'étais presque trop sage pour être ici. Le mec a côté de moi, lui il dégage un truc super mystérieux, genre grand brun ténébreux, au regard super blasé et détendu, alors que bon, moi c'est un peu tout le contraire. Je suis sûr que j'ai les yeux super écarquillés à l'heure qu'il est. Enfin, j'en sais rien, je crois que je n'arrive tellement plus à me rendre compte de ce que je fais depuis tout à l'heure, que je n'arrive même pas à savoir quel genre de regards j'envoie. Si ça se trouve, c'est tellement confus que l'autre fille a du penser que je lui faisais des avances. Non, tout de même pas... Ce serait déplacé. Et puis j'ai toujours eu peur des dreadlocks. Je suis sûr qu'il y a pleins de microbes là dedans... Enfin je ne sais pas... J'ai entendu ma mère le dire quand j'étais petit, alors j'ai gardé cette idée. Du coup je m'adresse au garçon à côté de moi, parce qu'il doit probablement être aussi stressé que moi, et que donc, on doit se soutenir moralement, vous voyez. Sauf que quand je pose mon regard sur lui, il est juste enfoncé dans sa chaise, le regard totalement ailleurs... Il a pris quelque chose ? Moi j'aime pas trop la cocaïne. J'ai déjà gouté une fois, mais ça me rend encore plus stressé. J'ai pas essayé l'héroïne par contre, parce que ça a un nom bizarre, et que dans toutes les séries que j'ai vu, ils disent que c'est pas bon pour la santé. Alors moi j'en prends pas. C'est pareil pour l'exta. Par contre les champignons ça doit être marrant. C'est peut-être à qu'il a pris ? Des champignons. Je devrais peut-être lui demander. Mais ce serait aussi peut-être malvenu, en plus je suis certain qu'on est filmé. Et c'est pas très légal. Oh non, il faut pas que je fasse quelque chose d'illégal, c'est pas gentil. « Hm, hm. » avait-il en se reconnectant à la réalité. C'est qu'il semblait suivre le fil lui. Du coup je me suis dit que je devais pas forcément l'intéresser, alors j'avais reporté mon attention sur l'affiche devant moi. C'était un truc contre les dangers de la cigarette. Je suis d'ailleurs presque certain d'avoir été un des seuls à y avoir porté un minimum d'attention. Ma maman elle m'avait dit que fumer c'ét... « Tu vas pas gerber, hein, dis ? » sa voix me coupe dans mes pensées, alors que mon regard, hésitant, trébuche un instant sur le sol avant de rebondir jusqu'à ses prunelles. Je grimace. Pourquoi est ce que je vomirais ? « Je... Non. Enfin, tu sais, je n'ai mangé qu'une pomme, alors je ne suis pas vraiment sûr d'avoir quelque chose à vomir... » je réfléchis cependant une demi seconde à ce qui pourrait bien sortir si jamais ça arrivait, et une fois ma méditation terminée, reprenais la parole. « Enfin, j'ai mangé des pattes hier, avec un steak haché, alors je suppose que techniquement, il est probable que ça ressorte en même temps que la pomme... mais en plus digéré. Tu sais, sans les petits morce... » ma voix s'éteint alors que je comprends que ce n'est peut-être pas le genre de conversation à avoir dans un lieu pareil. Et la fille plus loin me lance un sale regard, si bien que j'ai l'impression que tous ses piercings en viennent à me dévisager également. Ainsi, je baisse les yeux, quelque peu honteux, et stressé, très stressé. « Toi, c'est ta vie que tu joues sur ce casting, je me trompe ? » mes lèvres s'entre ouvrent, je tente de rétorquer quelque chose, sauf que rien, aucun son. Du coup il en profite pour reprendre la parole  « Tu gagnerais vraiment à te détendre, mec. » je lui lance un regard autant dubitatif que résigné. Il a probablement raison, sauf que c'est plus fort que moi, j'ai toujours été comme ça. Lorsque j'avais passé mon bac, j'avais frôlé l'infarctus. C'était genre, super intense.  « D'habitude je demande un câlin à mes proches, tu sais... pour évacuer le stress... » j'observe un instant les prunelles du jeune homme  « Mais je suppose que c'est probablement super inaproprié de te demander de m'en faire un, parce que tu sais... même si on est physiquement proche, là, tu vois, niveau affinités, on n'est pas "proches"... Et du coup, ça veut dire qu'on est des inconnus quoi. » non sans blaaaague.  « Ok... Je vais me taire maintenant. » que je dis entre deux intenses inspirations.

Je ne savais pas vraiment pourquoi j'avais cette étrange manie de toujours être stressé avant un entretient. C'était toujours la même chose, je commençais, je rougissais, et c'était fini. Probablement parce que j'étais bien trop maladroit, avais bien trop d'insécurité à propos de choses que tout le monde avait déjà réglé. Du moins, à mon âge, il était normal pour la plupart des gens de prendre la vie comme elle venait. Mais non, moi, il fallait que j'envenime chaque détail, que j'embrouille un peu plus mon esprit juste comme ça, vous savez, pour le fun. Plus sérieusement, je ne m'étais que rarement senti totalement en confiance. Les gens me reprochaient bien trop souvent de ne pas savoir m'affirmer, de me replier sur moi même et de simplement me contenter de marcher dans le sens des autres, même si je n'approuvais pas. Mais je n'y pouvais rien moi, j'étais fait comme ça, je ne voulais simplement pas m'imposer, ce n'était pas dans ma nature. Du moins, c'est ce que je m'étais toujours imaginé. Alors, ma jambe tapant nerveusement contre le pied de ma chaise, je trouvais un certain réconfort dans ce qui pouvait être une source d'agacement chez d'autres. Oui, ce rythme me rassurait, peut-être parce qu'il m'aidait à concentrer mon attention sur un seul point, et de ce fait, chasser quelques unes de mes pensées, du moins, un bon dixième. Enfin, ça, c'était avant que le jeune homme assis à côté de moi prenne la parole. « Sérieusement... » Du coup, ne sachant pas trop comment stopper ce flot de paroles qui s'échappaient abondamment de mes lèvres, je plaçais finalement mes deux mains sur mon visage une fois le monologue prononcé. Mon dieu, je devais probablement être tout rouge à l'heure qu'il était. Déjà que j'avais l'impression de transpirer comme jamais -ce qui n'était du qu'au stress, puisqu'il faisait même un peu froid là dedans, je crois qu'ils avaient quelque peu abusé sur la climatisation. « Okay okay, merci ça va aller, j'ai eu assez de détails comme ça. » je me sentais honteux tout à coup. Non parce qu'au final il devait probablement avoir autre chose à faire que de m'écouter parler de mon repas de la veille. Parce qu'aussi bon que ça avait été, il était clair qu'il n'en verrait jamais la couleur. Ou du moins, je l'espérais. Mon dieu. « Désolé... » que je me contentais alors de murmurer, chassant mes deux mains de mon visage, en pensant que mon rougissement s'était probablement atténué depuis le temps -ce qui n'était évidemment pas le cas, sinon ça n'aurait rien de drôle. Enfin bref, du coup je lui racontais ma méthode pour éviter de stresser, parce que malgré tout, j'avais en général mes petites habitudes vous voyez. Je n'ai d'ailleurs jamais réellement su en quoi une simple étreinte pouvait chasser mes plus grandes peurs, aussi éphémères soient-elles. Probablement que l'on croyait une demi seconde à un soutien, alors qu'il ne s'agissait au final qu'un simple geste symbolique. Allez savoir. Mais moi, ça me faisait du bien. Oui, j'aimais bien les câlins. Enfin bref, lui il n'a pas l'air très emballé en tout cas, du moins c'est ce que j'en conclus après avoir vu le regard qu'il venait de me lancer. Du coup, eh bien je baissais les yeux, histoire de voir si y'avait pas une ou deux poussière à observer fixement jusqu'à ce que mort s'en suive. Sauf que non, comme par hasard. Cet endroit était propre comme un soulier neuf. Exaspérant. Déconcertant. « Hum, ouais... c'est vraiment très intéressant tout ça mais, t'es sûr que t'es dans ton assiette ?... » mes yeux remontent donc jusqu'à ses sombres pupilles alors qu'il rajoute « Il doit bien y avoir un autre moyen d'évacuer ce stress, que... qu'un câlin, oui, c'est évident. Tu peux improviser des exercices de respiration, c'est ce que je fais quand j'suis sur le point de... enfin, je suppose que ça doit aussi être efficace dans d'autres situations. Essaye. Ou bien... auto-enlace-toi, si tu le peux et si la longueur de tes bras te le permet. Euh, ouais, oublie c'que je viens de dire, c'est complètement con. » s'auto-enlacer, c'était louche quand même, enfin je veux dire, je sais que je devais probablement avoir l'air sacrément désespéré à l'heure qu'il était, mais là c'était carrément horrible... Enfin, genre, la fille du fond me regarderait encore plus bizarrement. Alors déjà qu'elle me met drôlement mal à l'aise... Du coup, j'allais peut-être opter pour les exercices de respiration... Sauf que... « Mais j'aurais l'air un peu bête à respirer bizarrement non... ? » je grimaçais légèrement, mes grands yeux bleus fouillant les siens pour tenter d'y trouver une réponse à ma question. « Parce que, tu sais, j'avais pris des cours de chants quand j'étais petit, et c'était tout bizarre quand le professeur nous demandait de faire des trucs du genre... » et même qu'une gamine s'était foutue de ma tronche une fois, traumatisme intense, je ne m'en étais jamais totalement remis...