W. FREDDIE.

Le prime vient de terminer, et c’est effrayant comme les choses s’enchainent : Freddie pense que j’ai insisté pour coucher avec elle, au sens propre, « dans le même lit », et je me retrouve à trimballer mes affaires jusque dans le lit que nous allons devoir partager parce que Je l’ai exigé. Plus gênant, vous pouvez, ou vous n’avez pas trouvé ? Je laisse tomber ma valise à mes pieds, contre la moquette matelassée, et observe le lit, dubitatif. Je ne suis pas des plus à l’aise, j’ai tendance à tomber endormi comme une masse ou à ne pas fermer l’œil de la nuit et fixer stupidement le plafond jusqu’au petit jour – là, je m’endors enfin. Freddie ne tarde pas à me rejoindre et me cerne de son œil malin. Elle a l’air d’une intellectuelle, Freddie, du genre à vous observer sans que vous le sachiez et à émettre sur vous des déductions perspicaces. Elle ne présume pas, mais elle se sert d’indices. Au bout d’un mois en sa compagnie, vous êtes pour elle un assemblage complexe de milliers d’indices qu’elle a mis bout à bout pour composer votre portrait. Je n’ai pas l’habitude des filles trop intelligentes – son nom, je l’ai couché au hasard sur le papier, parce qu’il était dans la liste de ceux qui ne me disaient rien. Je m’étais dit « ce sera peut-être une hystérique, peut-être une douce gentille, peut-être une manipulatrice », peu importe, je voulais que le sort en décide à ma place. Je lève les yeux sur Freddie et la regarde sans ciller, le visage neutre de toute expression. « Si jamais tu te posais la question – et je sais que tu te la poses – non, je ne suis pas ton admirateur secret », j’explique avec un sérieux déroutant qui masque en fait un rire intérieur. Je hausse les épaules avant de tirer le drap pour le dégager et de retirer mon t-shirt, que j’ai enfilé après ma douche post-prime. « J’ai fait au hasard. C’était peut-être la plus grave erreur de ma saison, peut-être un coup de génie, on verra », j’ajoute dans un sourire. Mon regard se pose sur le lit, puis sur elle, et une interrogation me vient – banale, certes, mais néanmoins essentielle. « Tu as une préférence, question côté de lit ? » Moi non, je pourrais dormir par terre s’il le fallait, mais tout le monde n’est pas ainsi.

C'est à l'issue du prime que Freddie entreprit de rejoindre sa chambre, où elle savait qu'elle trouverait très certainement son partenaire, ce jeune homme dont elle ne savait que le prénom mais qui n'était apparemment pas étranger au fait qu'ils forment aujourd'hui un binôme. Alors bon, elle n'était pas idiote, et avait compris toute seule que le hasard y était en fait lui aussi pour beaucoup, étant donné qu'elle se doutait que personne, à une semaine du début du jeu, ne pouvait avoir réellement envie de former un 'couple' avec quelqu'un avec qui il n'a jamais échangé ne serait-ce qu'un mot. Alors autant elle avait été un peu surprise au départ, autant elle était restée dans des raisonnements rationnels et n'attendait même pas de lui la moindre explication. Pourtant, lorsqu'elle entra dans la pièce et qu'elle l'y trouva bel et bien, elle comprit sans tarder qu'il prendrait la parole, qu'il s'expliquerait de ce qui avait pu l'intriguer. Le fait est que oui, ça l'avait intriguée, mais pas dérangée, et elle ne lui aurait jamais demandé des comptes s'il n'avait pas pris les devants en s'expliquant de lui-même. C'est donc ce qu'il fit et un fin sourire gagna les lèvres de l'anglaise lorsqu'il affirma ne pas être son admirateur secret. Ah ça, bizarrement, elle s'en était doutée dites donc. Disons qu'elle était vachement réaliste, dans son genre. « Effectivement, tu m'as ôté les mots de la bouche. Et quelle n'est pas ma déception à présent. Dire que je nous voyais déjà mariés, pfeuh, la vie est injuste. » Oh bah, tant qu'à raconter des conneries, autant parler de mariage, à savoir la chose à laquelle elle ne consentirait jamais. C'était étrange, d'ailleurs, cette aversion qu'elle avait pour le mariage. Mais c'était comme ça, assez inexplicable. « Oui, je m'en suis doutée, ne t'inquiète pas. Et d'après moi, c'est plus un coup de génie qu'une erreur, m'enfin, je ne dois pas être extrêmement objective non plus. » Non, elle n'était même pas sérieuse. Parce qu'elle savait être modeste, de temps en temps, mine de rien. Donc en fait, comme lui, elle ne savait pas s'il avait bien fait. Le temps le leur dirait, n'est-ce pas. « Je dors en diagonale, moi, à vrai dire. Ouais, je sais, je suis légèrement chiante comme fille. Mais ça doit faire mon charme, hein, forcément. » Noter qu'elle le lui adressa avec un doux sourire, pour ne pas le faire fuir non plus. Ce serait ballot qu'il regrette déjà, quand même.

J’avais visé juste, Freddie est bel et bien intelligente. C’est gravé dans sa façon de me regarder, de réagir à mes répliques et de préparer ses réponses. Elle a de l’esprit, sûrement bien plus que moi, ça a tendance à me motiver comme à me faire fuir, nous le verrons par la suite. Sa remarque sur notre potentiel mariage m’arrache un sourire amusé. D’aucune se serait sans doute sentie flattée d’avoir été ainsi « choisie », mais je trouve que Freddie prend ça avec beaucoup d’humilité, un détachement qui ne me fait pas regretter d’emblée cette idée. Trop de questions sur mon choix m’auraient mis mal à l’aise, et le silence posé et naturel de Freddie me rend… étrangement content. Tout comme son regard reste fixé au mien et non pas sur mon torse nu, détail que je remarque et apprécie. Sa seconde remarque, bien trop peu modeste pour être prise au sérieux, me faut hausser un sourcil tout aussi peu crédible que son apparent egotrip. « Je préfère faire les choses à découvert. Si je dois devenir ton admirateur, autant rendre ça public », j’explique en attrapant la crème après sport que j’ai au fond du sac et en entreprenant de m’en passer sur les trapèzes. Je me suis entrainé avant le prime, et n’ai pas pris le temps de soigner mes muscles, ce qui pourrait se révéler embêtant par la suite. Cette crème refroidit la masse musculaire que l’on a fait travailler, détend le muscle à la façon de l’arnica. J’en mets également contre ma nuque, quittant son regard le temps de l’affaire, l’écoutant pourtant toujours attentivement. Sa façon de dormir me plait, je désigne le lit d’un bref mouvement de la tête. « Je dors aussi en diagonale, on risque de former une croix bizarre, ça peut fonctionner. » Je rebouche la crème, la laisse tomber dans le sac et la regarde. Elle a l’air rusé de celle qui ne s’en laisse pas compter, aussi je me permets de m’allonger dans le lit sans état d’âme. J'évite tout de même la pause playboy du genre viens donc me rejoindre ma jolie. Non, tout de même. Ils montent le chauffage à bloc dans les chambres, on dirait, nos couettes nous sont presque de trop. Je tasse le coussin dans mon dos pour m’en faire un dossier confortable. « Je ne ronfle pas. J’espère que toi non plus. Je n’ai rien contre les filles qui donnent des coups pendant la nuit, mais attention : je les rends parfois. » Notez que je lui adresse quand même un sourire gentil. Faudrait pas qu’elle regrette de n’avoir pas pris la fuite à l'annonce de notre partenariat.

Ainsi donc, Celse n'avait jamais été son admirateur secret. Ça alors, c'était surprenant. Non parce que Freddie avait vachement l'habitude de s'imaginer qu'on l'aimait en cachette, vous savez. Ça lui prenait tout le temps. Donc oui, forcément, il n'avait pas fallu plus que l'indication selon laquelle ce jeune homme avait proposé de se retrouver en binôme avec elle pour que l'anglaise se soit imaginée qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. Inévitablement. Du coup, il est vrai que son cœur était brisé. Oh oui, au moins. Et lui, ça le faisait sourire, hein. Bon eh, encore heureux parce qu'évidemment elle n'était pas sérieuse, là. Disons que non, tout compte fait, il lui arrivait rarement de s'enflammer pour si peu. Elle laissait éventuellement ça à d'autres. Et tandis qu'elle fit preuve de fausse prétention dans sa réplique suivante, celle de son camarade la fit sourire. « Tu es donc le genre d'homme à assumer. A priori, on devrait bien s'entendre, toi et moi. » Disons qu'elle le trouvait spirituel, et qu'il lui semblait évident qu'elle avait beaucoup plus de chances de sympathiser avec quelqu'un comme Celse qu'avec beaucoup de monde ici. Quant à sa façon de dormir, il est vrai qu'elle faisait compliquée quand elle pouvait faire simple. Un peu comme pour tout. Elle dormait donc en diagonale, oui. Pas tout le temps, mais assez souvent pour qu'elle se soit sentie obligée de le préciser. Et tandis qu'elle s'interrogea un instant sur la crème qu'il s'appliquait, c'est un sourire plus amusé qui trouva ses lèvres. « Ça risque d'être un tout petit peu inconfortable au début, mais on finira bien par être rodés et par savoir exactement comment se positionner pour que l'un n'étouffe pas l'autre pendant la nuit. Je crois en nous, hein, nous y arriverons. » Sachant qu'ils avaient beau dire l'un et l'autre qu'ils dormaient en diagonale, peut être apprivoiseraient-ils une position plus sommaire en étant tous les deux. Elle l'observa alors brièvement s'installer sur le lit, s'asseyant quant à elle sur le bord pour retirer quelques vêtements, riant doucement à ce qu'elle entendit à ce moment-là. « Ah non, je n'ai jamais ronflé, et généralement je ne donne pas de coups non plus. » Pour le coup, elle était moins chiante que pour le reste. « Enfin, ça dépend, t'es du genre réactif comme garçon ? Je veux dire, j'aurais le temps de me barrer avant de recevoir le coup que j'aurais éventuellement pu te donner, ou ce sera une riposte immédiate ? » Non pas que ça puisse lui donner des idées, mais qui sait ce qu'elle pourrait faire maintenant que son esprit tordu avait connaissance de ce détail. Il se pourrait qu'elle veuille faire une exception pour lui, disons. Quel honneur, hein.

A ses prédictions quant à nos positions nocturnes, je hoche la tête, sérieux et sûr de nous avec la même assurance (comique) qu’elle. « Tu as l’air d’avoir un sens de l’organisation hors du commun. Je suis plutôt instinctif – je nous donne une nuit pour trouver la position idéale », j’affirme dans un sourire en coin. Je ne me serais pas permis ce genre d’humour avec n’importe quelle femme. Il est essentiel de s’assurer d’abord que votre interlocutrice soit bien consciente que vous ne lui faites pas d’avances. Freddie se pose sur notre lit commun et entame un déshabillage partiel. Je me tourne alors subitement vers ma table de nuit, ouvre le tiroir et regarde à l’intérieur. La production nous y a glissé deux cadeaux. Un guide – que nous avons déjà eu lors du dépôt de notre candidature dans les studios – sur le fonctionnement du jeu et les règles de bases et… une boite de préservatifs au nom de l’émission. D’accord. Je referme le tiroir, peut-être un peu trop vite, alors que Freddie, de là où elle est, ne peut même pas le voir. Je préfère me concentrer sur elle pour oublier ce que je viens de découvrir, et, chance pour moi, je constate qu’elle ne s’est pas mise en dessous. Il lui reste toujours son t-shirt, le reste, je ne regarde pas. J’écoute ses explications avec attention. Le fait qu’elle ne ronfle pas est rassurant. Incapable de l’engueuler, je serais sûrement parti dormir dans le salon si elle avait fait un bruit de lavabo pendant la nuit, ce qui se serait révélé à la longue assez gênant à justifier, je vous l’accorde. Sa question m’arrache un rire. Du genre réactif ? C’est la première fois de mon existence qu’on me demande ça. Je pensais que mon absence totale de passivité se remarquait immédiatement à mon physique, mais visiblement, ce détail de ma personnalité échappe aux jolis yeux de ma partenaire. J’hésite à la lui jouer mou du bulbe, et je prends un visage ramolli. « Passif, passif. Je suis lent, tu n’as même pas idée. Il me faudrait au moins vingt minutes pour te rattraper si tu t’enfuyais de la pièce. » Je crois que je joue bien mon jeu. Même mes gestes de la main sont au ralenti. Je glisse mes bras sous ma nuque et m’allonge sur mon oreiller, lui adresse un sourire. « C’est toi qui gère l’activité nocturne, je ne suis pas de taille à lutter. » Vue de l’extérieur, la scène doit être assez drôle. Le mec champion de combat au corps à corps dont l’enfance a été passée à bondir dans toute la Tchéquie, en train d’expliquer à une petite nana toute fine que devant elle, il a soudain le pedigree d’un phoque en fin de carrière.

C'est fou, quand même, que Freddie soit tombée sur un type qui dormait lui aussi en diagonale. Comme si le destin la mettait au défi de parer à cette situation. Oh elle y arriverait, d'ailleurs ils y arriveraient ensemble, parce qu'elle croyait en eux, oui. A noter, bien sûr, qu'elle disait ça sans être particulièrement sérieuse, et qu'elle put ensuite noter que son partenaire était disposé à le prendre sur le même ton. Décidément, elle était grandement rassurée, parce qu'au moins ce type était disposé à ne pas tout prendre au sérieux, sans pour autant devenir lourd. « Effectivement, je laisse peu de choses au hasard et avec moi tout trouve bien vite sa place. Alors, comme toi, je suis optimiste et certaine qu'on s'en sortira facilement. On n'est pas non plus trente-six, hein, ça devrait aller. » Disons qu'à deux, oui, ils devraient pouvoir trouver comment se positionner sans que quiconque ne passe une nuit inconfortable. En tous les cas, Freddie commença à retirer quelques vêtements, sachant qu'elle aimait quand même dormir avec un minimum de fringues sur elle, ce qui ne devait pas être le cas de beaucoup de jeunes femmes. Ce n'était pas tant par esprit de contradiction que parce qu'elle ne pourrait pas partager son lit avec un homme qu'elle connaissait à peine si elle se trouvait en petite tenue. Et alors qu'elle avait quand même tendance à être assez chiante dans son genre, le fait est que non, bizarrement, elle ne ronflait pas. Autant il lui arrivait parfois de grincer des dents - ce qu'elle préféra ne pas préciser, des fois qu'il ne le remarque jamais - autant ronfler, non, jamais. Et elle n'était pas violente non plus, généralement. Sauf que bon, cette histoire la fit réfléchir, elle qui n'était pas toujours très nette, autant le dire. Imaginons qu'elle veuille un jour lui donner un coup pour voir s'il était vraiment du genre à le rendre. Oh elle savait bien qu'en soi il n'oserait certainement pas, ayant deviné à qui elle avait à faire, mais maintenant ça l'intriguait.  « Vingt minutes, en tenant compte de l'obscurité, des possibles obstacles qui entraveraient ta route et du fait que, contrairement aux apparences, je cours forcément beaucoup plus vite que toi ? Non parce que je suis sûre que tu te surestimes encore beaucoup, là, en fait. » Qui sait s'il ne lui faudrait pas plus d'une demie-heure, en fait, pour la rattraper. Il valait mieux voir large pour ce genre de trucs. Souriant à sa remarque suivante, l'anglaise troqua son pantalon contre un short de nuit, qu'elle enfila sur son dessous, parce que vraiment elle n'était jamais trop habillée pour dormir. « Ne t'inquiète pas, je t'aiderai à développer ta robustesse. D'ici la fin de notre partenariat, pas trop précoce j'espère, tu seras vigoureux et plein de punch. Mais t'as l'air de partir de loin alors il faudra bosser assidûment. Tu t'en sens capable ? » Oh allez, ça n'était pas tous les jours qu'elle pouvait se croire plus forte qu'un mec taillé comme il l'était. Freddie, c'était la fille qu'on avait plus d'une fois balancé dans une poubelle, hein. Une petite vengeance sur la vie, ouais, parfaitement.

Je me surestime beaucoup ? J’ouvre grands les yeux avant de rire. D’un index préventif, je la menace peu sérieusement. « Là, tu deviens insolente. » J’ai dû tomber sur une rusée, qui sait parfaitement que je ne touche pas aux femmes, même lorsqu’elles insultent ma virilité, ou sur une fille qui n’a peur de rien. Qui est donc Freddie ? Une flic, peut-être ? J’aurais peut-être dû vérifier mon casier judiciaire avant cette émission (même si la production en a exigé un extrait, qu’est-ce que vous croyez). Je ne sais pas quelle gueule il a, mais ça doit être amusant. Depuis mes combats règlementés, trois hommes sont morts dans les cages contre moi, mais je n’étais pas entièrement responsable : les médecins leur avaient déconseillé de combattre, et ils avaient chacun pris la décision de se battre quand même. Mon casier est sûrement resté vierge, puisque nous avions pour preuve trois dérogations signées de la part de mes adversaires, assumant leur participation au combat. Quant à mes combats clandestins, vous vous doutez bien que les morts, un membre de la famille est venu les chercher, la famille a appelé la morgue, et le reste ne concerne qu’eux. Peut-être vaudrait-il mieux que Freddie ne soit jamais, ô grand jamais au courant de ces détails. C’est bien la première fois de ma vie que je passe pour le faible des deux, qu’importe devant qui, et je n’ai pas l’habitude de ce genre de femme. Elle fait très petite sœur espiègle qui l’ouvre trop grand mais qu’on défendra pourtant jusqu’à la fin. Je m’étire dans le lit et fait craquer les os de mes épaules. « Je me sens prêt pour l’entrainement. Quel est le programme ? » Je lui demande en l’observant, interrogateur. Je lui souhaite de s’en sortir par l’inventivité et la ruse, et de ne pas me proposer une course au travers le château, parce qu’en effet, elle perdrait à coup sûr. Je lui déconseille aussi une épreuve de force, quelle qu’elle soit. De plus, les autres candidats nous rejoignent peu à peu après le prime et la plupart, fatiguée, va s’écrouler dans son lit sans dire un mot. En jouant, on risquerait de les empêcher de dormir, les agacer, voire se faire nominer jeudi. « Il faudra que je te remercie pour toutes ces charmantes attentions », j’entame, pensif. « Il y a forcément un domaine dans lequel je suis meilleur que toi… »

Il est vrai qu'il était peu probable qu'il faille à qui que ce soit plus de vingt minutes pour rattraper une Freddie même élancée à toute vitesse. Elle avait beau être endurante dans son genre, elle restait un petit gabarie sans grande puissance. Pourtant, elle se plut à exagérer un maximum la situation et à faire passer Celse pour un type tellement mou du genou qu'estimer le temps qu'il lui faudrait pour rattraper la brune à vingt minutes reviendrait à être trop optimiste. Alors que bon, soyons sérieux, en deux enjambées c'était joué hein. « Oh, je t'en prie, c'est si peu mon genre en plus » qu'elle se justifia en tout cas, parce que bon, ça se saurait n'est-ce pas si Freddie était du genre à frôler l'insolence. Elle qui disait tout cela avec une immense innocence, en plus. Comme lorsqu'elle laissa entendre qu'elle tâcherait de toute façon de l'aider à développer sa force. Ça se voyait tout de suite, d'ailleurs, que Celse avait beaucoup à apprendre d'une nana comme Freddie à ce niveau-là, hein. C'est qu'en plus, elle insinuait qu'il partait de loin, histoire d'avoir d'autant plus l'impression d'être plus robuste que ce gaillard qui la soulèverait sans doute d'un seul bras. Cielse jouait pour autant le jeu, et c'était évidemment appréciable. Elle en connaissait, des types bien machos, qui auraient catégoriquement refusé de lui laisser le court plaisir de savourer cette position inédite. « Il sera question d'allier travail physique et travail psychologique, parce que ça passe aussi par la tête et qu'il faut que tu développes un esprit de forcené, de mec qui en veut. » C'est vrai qu'il avait l'air super vulnérable dans sa façon de penser, ce type, hein. « Mais je me vois mal t'initier à mon programme dès ce soir, j'ai peur que tu ne sois pas dans les meilleures conditions pour en retenir l'essentiel. Ça va prendre du temps, de toute façon, il faut t'y préparer. Mais tu me remercieras quand tu mettras dix minutes au lieu de vingt pour rattraper une demoiselle. » Et elle lui adressa un clin d’œil soulignant sans mal le peu de sérieux qui avait accompagné ses propos. C'est que même pour elle, c'était relativement surréaliste comme situation, qu'on se le dise. Disons qu'elle n'avait pas tous les jours l'habitude de parler de cette façon à un type taillé comme Cielse. « Forcément, forcément ... Non, pas forcément, hein. Je veux dire, ça ne t'a pas du tout effleuré l'esprit que je puisse être aussi parfaite que j'en ai l'air ? » Faussement solennelle, elle poussa un doux soupire puis laissa l'esquisse d'un sourire amusé gagner ses lèvres. « Tu sais cuisiner ? danser ? bricoler ? Ce sont trois domaines que mon chien maîtriserait mieux que moi. Alors oui, tu es forcément meilleur que moi à tout ça, parce que j'ai vraiment placé la barre très bas. » Du coup, oui, s'il voulait la remercier, il pourrait toujours lui rendre la pareille. Oh bah oui.

Je me promets de retenir ces paroles – je crois que ça fera une anecdote assez plaisante pour mon oncle et entraineur une fois sorti du nid. Je me demande si Freddie a déjà pratiqué un sport d’auto-défense ? Elle a l’air plutôt débrouillarde, et je la soupçonne même d’être capable de mettre ko un pickpocket qui se serait attaqué à la mauvaise personne en la prenant pour cible. J’écoute ses conseils en prenant un air sérieux et poliment intéressé, comme si on me lisait la recette d’un plat particulièrement succulent que je ne reproduirai jamais chez moi, ne cuisinant pour ainsi dire jamais. Les sourcils froncés, je hoche la tête après un instant de (fausse) réflexion. « C’est une bonne chose que tu sois mon entraineuse », j’affirme avant d’ajouter dans un sourire, « c’est justement toi que je veux rattraper. » Et j’y tiens, à ma course poursuite. Si ce n’est pas ce soir, ce sera demain, peut-être même dès le réveil, histoire de la prendre à son propre jeu. Un entrainement qui ne commence pas aux aurores n’en est pas vraiment un, si ? Décidément, l’insolence semble être le point fort de Freddie – une insolence teintée d’ironie mordante. A sa question, je secoue négativement la tête. « Du tout. C’est le cas ? » Je demande avec un grand sourire. Quand j’étais tout môme, ma mère allait à l’église le dimanche et m’emmenait avec elle. Nous étions au dernier rang, les premiers étant réservés aux familles riches, mais les paroles du prêtre qui faisait les sermons du dimanche me parvenaient parfaitement depuis le fond. Je n’ai jamais oublié ce qu’il a dit un jour : seul ce qui est fini est parfait. Dieu est parfait, parce que Dieu est celui qui est, et rien d’autre. L’homme, imparfait, est une œuvre mouvante, évolutive dans le haut comme dans le bas. C’est marrant, parce que depuis ce jour, je cultive inconsciemment une sorte d’aversion pour la perfection. Elle me parait terriblement inhumaine. Freddie est peut-être une déesse, qui sait, mais moi, je me sens mieux auprès des femmes. Celles qui sont recouvertes de minuscules défauts qui brillent sur elles comme une robe amère qui leur donne un goût qu’on n’oublie pas, contrairement au miel trop doux que portent les déesses. Je suis certain, au fond de moi, que Freddie a des tas de défauts. On lui a juste appris à les masquer plutôt qu’à la porter sur son front. J’apprends qu’elle ne sait pas cuisiner, ce qui est étonnant, venant d’une femme (quoi ?...), et j’en déduis tout masochistement qu’elle doit pratiquer un métier d’ordinaire réservé à la gent masculine – du moins que ses collègues de travail sont pour la plupart masculins. La moquerie recommence de plus belle et, à la fois lassé et amusé, je me permets de checker rapidement sa tenue pour voir si je peux ou non mettre mon idée à exécution. Freddie est vêtue décemment, parfait. Je n’aurais pu lui faire une telle proposition si elle avait été en petite tenue, ç’aurait été entreprenant, et je ne le suis pas. « Il y a quelque chose que je suis certain de faire mieux que toi, et qui devrait, je crois, calmer tes ardeurs sportives pour un moment. Viens là », je souffle en tapotant le matelas tout près de moi. Je connais un excellent moyen de faire connaissance avec quelqu’un qui partage le même lit que moi, et de fermer le clapet des demoiselles à la langue bien trop pendue.

Freddie avait conscience de n'être pas la partenaire la plus facile à vivre. Elle était dotée d'un tempérament qui poussait plus souvent les gens à se poser des questions sur sa santé mentale et/ou à la fuir. Celse l'avait sans doute déjà noté, elle était un peu pénible dans son genre. Mais juste un peu, hein. La chose la plus ambivalente de sa personnalité étant qu'elle puisse être parfois si sérieuse, limite coincée et incapable de défiger son minois, et parfois si disposée à ironiser la situation. Comme ici, avec cette histoire de programme d’entraînement. Ainsi, le pauvre Celse pourrait difficilement s'estimer chanceux d'être tombé sur la Freddie de qui l'on disait qu'elle était la moins supportable. Parce que lorsqu'elle restait dans son coin à observer et à intérioriser tout ce que ce qui l'entourait faisait naître dans son esprit, elle était tout de même un peu moins irritante que quand elle partait dans tous les sens. Et ce soir, il était tard et vu que c'était la première fois qu'elle rencontrait son partenaire, elle pouvait bien lui faire l'honneur d'être vraiment, vraiment pénible. Il fallait l'habituer, hein, c'était le meilleur moyen de le fidéliser. Ou pas, ouais. « Roh mais, tu en es encore à cette histoire, toi ? Ça fait au moins cinq ans qu'elle est derrière nous. » Oh oui, au moins. « Si je t'entraine, tu pourrais au moins éviter de retourner tout ce que je t'apprends contre moi, hein, ce serait plutôt sympa. C'est que là, j'ai déjà moins envie de t'aider, quand même. » C'est que dans le présent délire, elle n'était effectivement pas très tentée à l'idée d'apprendre à Celse à gagner en vitesse si c'était pour en payer le prix ensuite. Ouais, elle n'avait pas nécessairement envie de se nuire à travers cet entrainement, qui l'eût cru. Quant au reste, il va de soi que Freddie avait rarement été aussi peu sérieuse que ce fut le cas lorsqu'elle insinua être bien partie pour être aussi parfaite qu'elle en avait l'air. Déjà, elle n'estimait pas avoir la tronche de quelqu'un de parfait et pensait même que certains de ses défauts étaient plutôt manifestes. Et puis, la prétention n'était justement pas l'un des défauts qu'elle possédait et qu'elle assumait, d'ailleurs. « Oh, tu as de ces questions … Je suis beaucoup trop modeste pour pouvoir te répondre, tu t'en doutes » qu'elle commença en tout cas, prenant un air détaché, qu'elle accentua d'un balayement de la main. « Mais les apparences sont souvent trompeuses me concernant, ça il faut bien en tenir compte. » C'était aussi un moyen de revenir à un degré un peu plus sérieux, laissant entendre qu'en effet on la percevait rarement comme elle était vraiment, mais aussi que si elle pouvait avoir l'air parfaite aux yeux de quiconque – ce qui lui paraissait peu plausible, encore une fois – il y avait fort à parier pour qu'il n'en soit rien. L'anglaise laissa alors entendre que son partenaire était susceptible d'être meilleur qu'elle dans pas moins de trois domaines. Elle ne cuisinait pas, n'en ayant ni le temps ni souvent l'envie. Elle était une piètre danseuse et avait toujours eu la grâce d'un balais à chiottes. Et bricoler n'était pas une chose qu'elle faisait non plus, autant pour sa propre sécurité que pour celle des autres, disons. C'est alors que Celse sembla la convier à le rejoindre dans le lit, ce qu'elle aurait pu mal interpréter de prime abord. « Attention, si je ne pensais pas t'avoir déjà un peu cerné, j'aurais pu me méprendre et me défouler sur tes incisives » qu'elle glissa à titre informatif, souriante toutefois, avant d'abdiquer et de prendre place à ses cotés. « Dis, t'as pas pour habitude d'étouffer les gens dans leur sommeil, si ? Parce que je ne suis pas toujours aussi chiante, hein, je tiens à te rassurer. » Oui, disons qu'elle préférait le préciser. Des fois qu'il n'en puisse déjà plus.