On dirait qu’à force d’efforts, j’ai réussi à dissuader Freddie de m’entrainer assidument. Je considère ça comme une petite victoire personnelle, et je suis certain de gagner la manche à la fin de notre discussion. « C’est un risque à prendre », j’admets en hochant la tête à sa remarque. « La créature se retourne souvent contre son maitre, c’est la preuve qu’elle est parfaitement réussie », j’ajoute dans un sourire. C’est logique, non ? Ce qu’on crée, quand on le crée bien, arrive à l’autonomie et coupe le cordon qui le relie à son créateur. Comme un enfant finit par se retourner contre ses parents pour accéder à l’indépendance, un élève affronte son maitre avant d’être lui-même à part entière. Si Freddie ne sait pas prendre ce risque, comment pourrait-elle se vanter d’être une entraineuse digne de ce nom ? J’apprends que les apparences ne sont pas ce qu’elles sont avec Freddie. Mon sourcil se hausse, je me désigne d’un index. « Avec moi, les apparences reflètent exactement ce que je suis. » J’ai conscience d’être un bon partenaire : je ne suis pas chiant, j’accepte beaucoup de choses, je suis tolérant, et si je n’apprécie pas, je me contente de me faire discret ou absent plutôt que lourd. En clair, il y a peu de chances pour que ça clashe un jour entre Freddie et moi. Tout au plus nous nous éviterons poliment. Enfin, à condition qu’elle cesse de sous-entendre une quelconque attaque physique contre moi. Sa remarque m’arrache un nouveau rire. Décidément, elle vient de quelle planète, cette fille ? « Si tu tentes un truc de ce genre, avec tout le respect que je te dois, je serais dans l’obligation de te neutraliser », j’affirme dans un sourire en coin. Pas de la mettre ko, non, pas de la brutaliser, mais tout simplement de la mettre hors d’état de nuire par une prise qui risque de blesser son égo plus qu’elle ne saurait l’admettre. Devant toute la France en plus, je crois que ça me ferait rire. Freddie est déjà sur le matelas à mes côtés mais le flot de paroles qui s’échappe de ses lèvres n’en finit par autant. Inquiète à l’idée d’être étouffée pendant son sommeil ? Je lève les yeux au ciel et sourit en l’attrapant par les épaules pour la rapprocher de moi, et en profite pour la bâillonner d’une main. « Pourquoi attendre ton sommeil, tu parles aussi quand tu dors ? » Mes deux mains pressent ses épaules et massent les muscles de sa nuque, lui faisant comprendre que ce à quoi j’aspirais n’était rien d’autre qu’un massage. Je suis heureusement doué en la matière, question d’expérience – j’ai souvent du me masser seul après certains combats, ne supportant pas que mon oncle s’en occupe. Sous ses apparences ultra détendues, Freddie est remplie de nœuds musculaires, que je m’applique à défaire un à un sous mes doigts experts. Il semblerait qu’elle ait enfin perdu la parole, et je profite de ce nouveau silence qui n’existait pas entre nous avant cet instant. J’aimerais la sentir se détendre sous mes mains au fur et à mesure du massage, mais j’ai comme l’impression qu’avec la tigresse, ce n’est pas gagné d’avance…