“ I've done my sentence,
but committed no crime ”

feat. orson

En ce début de soirée, Freddie ne savait honnêtement pas quoi faire de ses dix doigts. Oh, elle pourrait aisément glander dans un coin, et rêvasser, mais elle estimait tout de même que l'heure n'y était pas encore tout à fait propice, qu'en soi il était encore suffisamment tôt pour espérer trouver une occupation. Après tout, ce n'était pas le choix qui manquait par ici, tant les pièces étaient vastes et sa curiosité aiguisée. Ainsi donc, elle partit en balade du coté de l'aile ouest, une aile qu'elle avait déjà pas mal apprivoisée la semaine passée, avec cette histoires de groupes. Pour autant, il était une pièce où elle n'avait fait que jeter un vague coup d’œil et où elle aspirait à passer un peu plus de temps aujourd'hui. La salle de billard l'intriguait, tout simplement. C'est donc aussitôt arrivée devant la porte qu'elle la poussa et pénétra à l'intérieur de cet endroit qui lui était donc encore un peu étranger. L'endroit était charmant, assez intimiste et dégageait le genre d'atmosphères qu'elle avait tendance à affectionner. Le calme qui l'environnait fut alors troublé par un bruit qu'elle identifia comme étant plus proche qu'elle l'aurait cru à la seconde même où il avait retenti. Alors elle continua d'avancer et vit bientôt quelqu'un, près de la table de billard. Il semblait s'agir d'Orson, ce jeune homme qu'elle n'avait jamais tellement croiser au sein du château lui-même et qu'elle n'était évidemment pas mécontente de retrouver ici. Faisant quelques pas, elle identifia le jeu de boules qu'il avait disposé sur la table, tandis que l'esquisse d'un sourire trouva ses lèvres. « Billard anglais, hein » qu'elle fit alors, ne s'y connaissant pas plus que ça mais sachant quand même identifier ce genre de détails. « Tu as bien raison, on ne fait pas mieux dans le genre. » Elle était tellement objective, il faut dire. Et tandis qu'elle pouffa légèrement après s'être laissée aller à ce genre d’exagérations – bien qu'elle soit sérieuse dans le fond – il lui prit une envie un peu folle, mais qu'elle ne réfréna pas. « God save our gracious Queen, long live our noble Queen ... » qu'elle entama solennellement, comme si elle l'incitait à poursuivre. Oh elle savait depuis le départ, à l'accent qui était le sien, qu'il était aussi anglais qu'elle. Et, espérons-le, tout aussi fier.

Jeudi soir. Il savourait tranquillement son thé dans la cuisine en rêvassant, un crayon à la main qu'il amusait à glisser sur ses doigts d'un air distrait. Le temps passa. Les allées et venues des candidats le tiraient de sa torpeur. Une soirée mouvementée en perspective pour certains tandis que d'autres (lui) savouraient un moment de solitude, isolés du reste. Il tournait les pages de son carnet, observant certains croquis avec attention. Des croquis inachevés pour la plupart. Il soupira et referma le carnet à l'abri des regards indiscrets. Il quitta la cuisine et se dirigea vers la salle de billard. Un endroit où il espérait ne pas être dérangé. Il pénétra la pièce, l'embrassant du regard. Un atmosphère cosy, propice à l'isolement. Les murs recouverts de velours et les lampes vert bouteille lui rappelaient de façon saisissante la salle de billard de son père. Une étrange sensation de déjà-vu. Son regard s'attarda longuement sur une table de billard anglais. Sur son visage, s'afficha un sourire des plus ironiques. Il fit rouler la boule blanche sur son passage. Il déposa son carnet dans un coin et revint auprès de la table où il vient s'y adosser. Il se saisit de la boule blanche qu'il plaça devant lui. Le triangle, composé de boules rouges et jaunes, était en place. Le boule 8 au centre de ce dernier. Il attrapa une canne qu'il coucha sur la table. Il cassa, visant juste. La boule entra en collision avec ses pairs dans un bruit sec. Les boules se dispersèrent. Il se concentra sur son jeu. Il visa sur la droite et tira. Une première boule rouge rentra dans le trou. Il n'avait pas perdu la main, on dirait. C'est fier qu'il retenta un tir. En même temps, il entendit une voix s'élever derrière lui. Il ramena la canne contre lui et se retourna. Il croisa le regard noisette de Freddie. Tiens, cela faisait longtemps, pensa-t-il. Concernant le billard anglais, on ne faisait pas mieux dans le genre, elle lui dit. Il acquiesça, un sourire en coin. Il ne pouvait qu'approuver. Elle entonna alors l'hymne national britannique. Ce qui ravivait chez lui son côté chauvin. Elle l'invitait d'ailleurs à poursuivre. - Send her victorious, happy and glorious, long to reign over us ; God save the Queen ! Il ne le chantait pas, il le murmurait d'un ton solennel, la main contre son cœur. Il n'était pas plus fier d'être anglais. Elle aussi, d'ailleurs. Il avait su qu'elle était anglaise à la minute où elle avait ouvert la bouche. Il rit légèrement et se tourna vers elle.  - Une partie, Milady ?, lui demanda-t-il en lui indiquant d'un geste léger de la main la table. Il venait d'entamer une partie. Elle pouvait se rejoindre à lui, si elle le souhaitait.

On allait finir par le savoir, hein, que Freddie adorait son pays. Oh oui, c'était une anglaise qui était on ne peut plus fière de l'être, c'est certain. Patriotique dans l'âme et bien décidée à le revendiquer, elle n'avait donc pu que saisir la présente occasion pour l'exprimer à nouveau. Jouer au billard anglais, c'était définitivement mieux que de jouer à quoi que ce soit d'autre, bien qu'elle s'y connaisse à peine et qu'elle ne soit en soi que d'une douteuse objectivité. A noter qu'elle osa carrément entamer l'hymne britannique, ayant bien compris qu'Orson était lui-même anglais et espérant qu'il en était lui aussi plus que fier. A ses yeux, il y avait de quoi. C'était le pays des Beatles, des fish and chips, de Lady Di, du cricket, du Royal Baby, de Charlie Chaplin et de tout ce qui en faisant un endroit duquel Freddie était définitivement fière de venir. Et c'est alors qu'elle redouta tout de même un court instant que son camarade la dévisage en un regard inquiet pour sa santé mentale qu'il lui fit le plaisir de poursuivre l'hymne. Au fond, elle s'était doutée qu'il le ferait, ne serait-ce que pour ne pas l'amener à vivre un moment de solitude clairement embarrassant. Rassurée, l'anglaise lui adressa un sourire amusé, préférant s'en tenir là avec l'hymne britannique, histoire de rester sur cet extrait déjà extrêmement solennel. « Et dire que Sa Majesté la Reine ne nous a même pas officiellement invité à son Jubilé de diamant ! Toi et moi, on aurait pourtant cassé la baraque, j'en suis sûre. Mais je la comprend, on lui aurait volé la vedette, ça ne l'aurait pas trop fait quand même. » Oui, Freddie partait parfois un peu loin mais n'en perdait heureusement pas de vue la réalité. Ce n'était a priori pas demain la veille que la Reine l'inviterait quelque part, hein, elle était au courant depuis longtemps déjà. Finalement, Orson lui proposa de le rejoindre pour une partie, ce qui la fit sourire à nouveau, mais de façon plus crispée. « Je dois t'avouer que je n'y connais pas grand chose, en fait. Oui, je sais, j'aurais peut être du le préciser au moment où j'ai sorti mes banderoles patriotiques. » Mais vraiment, sur le moment, ça ne lui avait pas paru particulièrement important, comme détail, hein. « Cela dit, je ne demande qu'à dépasser mes lacunes alors je vais être tentée d'accepter, malgré tout. Tu n'avais pas prévu de te foutre de moi, de toute façon, si ? » C'est qu'elle préférait vérifier, quand même, au cas où.

Ah, l'Angleterre. Mère patrie. Son chez-soi. Pays du thé, des petits pois à l'anglaise et des scones. Pays d'excentriques et de bons vivants. Il était fier, Orson, d'être anglais. Il n'avait pas besoin de le revendiquer à tout va. Tout était dans l'accent. Cet accent que tant de pays leur enviaient. Un accent qu'avait également Freddie,  une autre compatriote. Le patriotisme du jeune homme s'était clairement exprimé à travers le billard anglais. Un sport auquel il s'adonnait autrefois avec ses frères et son père. Le God save the Queen retentit dans toute la pièce, fièrement entonnés par sa comparse et lui. En parlant de la Reine, la brune mentionna le Jubilé à laquelle ils n'étaient pas conviés de peur d'eclipser Sa Majesté. Ce qui était dommage, selon elle. Il rit légèrement. - Blasphème ! Nul ne peut égaler notre Reine bien-aimée, femme., qu'il répliqua avec ironie. Orson était un fidèle sujet de la Reine. Personne ne pouvait ravir sa place dans son cœur. Et en tant que patriote et fervent serviteur, il mettait la famille royale sur un certain piédestal ... En fait, pas du tout. Il s'en fichait éperdument. C'était histoire de plaisanter. Elle lui fit un aveux sur ses lacunes concernant le billard. Il tomba des nus. Outré, il la dévisagea.  - Et tu te dis anglaise. Shame on you, Freddie. Shame on you. , pesta-t-il. Pour le coup, il mériterait un Bafta pour sa prestation. Il la regarda d'un air faussement dédaigneux avant de lui tourner le dos. Elle ne méritait plus aucun égard de sa part. Elle ne savait pas jouer du billard anglais. Quelle honte ! Il ne pouvait garder son sérieux plus longtemps. Il se retourna en arborant un sourire mutin. Il la taquinait, bien sûre. Il lui tendit la canne en bois et dit d'un ton plus doux : - Je peux t'apprendre, si tu veux. Mais j'ai peur que tu crois que je fais ça dans le but de te séduire. Ce qui est, je te rassure, faux. Même si je dois avouer que tu n'es pas déplaisante à regarder. Je n'ai pas dit que tu étais laide hein. Au contraire. Pourquoi se sentait-il obligé de se justifier ? Il ignorait la raison pour l'instant. Il voulait simplement l'éclairer sur ses intentions. Ce n'était qu'une proposition des plus innocentes. Elle partait déjà perdante à cause de son inexpérience en matière de billard. Ainsi, il veillait à lui en enseigner les bases du jeu pour qu'ils partent sur un même pied d'égalité. Sinon, ce ne serait plus du jeu. Il ramena la canne contre lui en plantant son regard dans le sien. - Alors, que penses-tu ?, qu'il lui demanda, un sourire en coin. C'était à elle de décider désormais.

Que personne n'aille s'imaginer que Freddie entamait l'hymne nationale britannique à tout va, hein. Elle avait beau être d'être anglaise, elle ne passait pas non plus son temps à le montrer, se doutant mine de rien que ça pouvait ne pas intéresser grand monde. Mais ici, en compagnie d'Orson, qui était autant un anglais qu'elle avait démasqué dès le départ qu'un jeune homme dont elle appréciait la compagnie, il lui vint l'idée de se laisser aller à un peu de folie, juste histoire de marquer le coup, vu qu'ils ne se croisaient pas tant que ça au sein du nid. D'où le fait que Freddie plaisanta au sujet du Jubilé de diamant de Sa Majesté la Reine, qu'elle avait suivi à Londres, mais pas aux cotés d'Elisabeth II, ce qui resterait l'un des gros regrets de son existence, ça ne fait aucun doute. « Voyons, jamais je ne me permettrais de remettre sa suprématie en question, pour qui me prends-tu ? » qu'elle fit en tout cas, en réponse à la réplique de son camarade, prenant un air aussi indigné que le sien, ici parce qu'elle feignait d'être accusée d'un fait bien trop grave pour qu'elle le consente. Quant au fait de ne pas s'y connaître des masses en matière de billard, et bien, il est vrai que c'était assez désolant. Semble-t-il d'ailleurs qu'Orson voyait là une honte, oui, carrément. « Oh mais, voilà que tu débutes déjà mon procès ! Sache que j'ai une âme d'observatrice et que je ne m'essaie à la pratique que lorsque je ne peux pas faire autrement. Le billard, j'ai vu des gens y jouer, bien sûr, mais je n'y ai jamais tellement tenté ma chance. » Et elle disait ça sur un ton qui laissait entendre que ça excusait tout, évidemment. En soi, c'était surtout qu'elle avait rarement le temps de jouer, à ça comme à autre chose. Finalement, Orson sembla tenté de l'aider, mais se perdit dans d'improbables justifications, ce qui fit sourire l'anglaise. « Tu n'avais pas besoin de te justifier, tu sais. J'ai beau avoir beaucoup d'imagination, je n'en aurais pas tiré ce genre de conclusions pour autant. » Non, hein, elle ne se serait pas dit qu'il l'aidait pour profiter de la situation. Déjà parce qu'elle était réaliste, mais aussi parce qu'elle pensait l'avoir cerné. « Crois-moi, si j'avais senti quelque chose, je serais revenue sur mes propos. » Disons qu'elle n'aurait pas voulu qu'il lui propose son aide en ayant les idées ailleurs, bien qu'elle sache qu'elle ne soit pas la plus susceptible d'inspirer ce genre d'idées. « En tout cas, j'en dis que je suis très partante, et que j'apprends vite. » Elle avança alors de quelques pas et alla se chercher une queue. « Le principe, c'est de toute façon d'éviter à tout prix de faire rentrer les boules de couleur dans les trous et, si possible, de tout faire pour les sortir du tapis, non ? » Oui, il était possible qu'elle en profite pour se jouer gentiment de lui. Parce qu'elle avait beau ne pas tellement s'y connaître, elle connaissait le but du jeu, hein, quand même.