ft. shannon

Quinn avait exagéré. Il avait voulu se tester, et maintenant, il ne faisait plus le fier. Penché par-dessus le balcon de la maison, les doigts étroitement serrés sur la barrière en fer forgé, les muscles tendus, les traits figés. Jusqu'à présent, il avait pris bien soin de ne pas trop s'approcher du vide, et lorsque vraiment il le faisait, il s'entêtait à ne pas regarder du côté de la piscine, feignait de pas faire attention aux plusieurs mètres qui le séparaient du sol. C'était stupide, quand on y pense. Le vertige. Le fait que certains soient pétrifiés à la vue du vide, alors que ça laissait d'autres de marbre. Le blond faisait malheureusement partie de la première catégorie. Il avait toujours pris soin de cacher sa peur des hauteurs - rien que de monter sur le troisième échelon d'une échelle le faisait paniquer - non pas parce qu'il trouvait que cette phobie en particulier soit gênante, mais car il n'aimait pas se retrouver en position de faiblesse. Sauf que là, il avait voulu faire son courageux, et braver ses vieux démons. Alors il avait pris d'assaut le balcon, après s'être assuré que les autres étaient tous occupés ailleurs, et avait plongé son regard droit vers l'eau claire de la piscine. Grave erreur. À présent, il était tellement effrayé qu'il en aurait vomit, pleuré. Il était terrifié, paralysé, et malgré sa peur, ne pouvait détacher les yeux du vide. Pourtant, quiconque passait simplement derrière lui ne s'en serait pas rendu compte, tellement il paraissait détendu. C'était l'un des travers de Quinn. Il ne montrait jamais sa peur, ou exceptionnellement. La preuve, il avait réussis à faire toutes ses années de collège et de lycée sans que personne ne se rende compte que monter les escaliers (dont les espaces entre les marches étaient ouverts) était pour lui un supplice. « Au secours » couina-t-il, maudissant intérieurement sa pseudo témérité.

Quel con, mais quel con, mais quel con... Quinn était tellement fasciné - car c'était indiscutablement le mot, il était fasciné, fasciné par la hauteur, par la peur, par l'effet dégouté et humiliant qu'elle avait sur lui, fasciné par ces vertiges que ces quelques petits mètres qu'il avait de plus que le niveau du sol lui provoquaient - qu'il ne parvenait plus à prêter attention à ce qui se passait autour de lui. « Ne t’en fais pas. Je suis là. » Il aurait sursauté, en temps normal. Il n'avait pas entendu des pas dans son dos, et cette voix féminine avait surgit de nulle part. « Tu voulais surmonter ta peur ? Essaie, tout doucement, de faire marche arrière. Je suis là pour t’aider. Fais moi confiance. » Avoué par quelqu'un d'autre que lui, ça sonnait encore plus stupide. Il se demandait sincèrement pourquoi il avait aussi peur. Il avait déjà entendu de nombreuses personnes rire en disant que c'était stupide d'avoir peur sur la Tour Eiffel et que non, tout n'allait pas s'écrouler, ou même titre qu'il ne comprenait pas du tout la peur que d'autres avaient des pigeons ou des serpents. Tout ce qu'il savait, c'était qu'une peur, ça ne se comprenait pas, tant qu'on ne l'avait pas vécut. Quinn aurait voulu tourner la tête vers la brune qui s'était approchée de lui, mais il n'y parvint pas. « Je peux pas... » Sa voix était à peine audible, et la honte brûlait dans chacun de ces trois mots. Un coup de vent ébouriffa ses cheveux, et, par réflexe, il attrapa la main de la jeune femme. Il en aurait crier de rage, tellement il se sentait faible.

Quinn écoutait ce que Shannon - il avait plus ou moins deviné, ou compris, que c'était elle - lui disait. Pour une fois, il ne décrocha pas un seul instant. Sa voix était apaisante, et ses paroles sonnaient vraies, ce qui changeait beaucoup de certaines personnes de cette maison. C'était la première fois que Quinn ressentait une telle peur. Il avait pourtant déjà essayé de tester son vertige. Il avait regardé par-dessus le parapet de sécurité sur le premier palier de la tour Eiffel - c'était vrai aussi qu'il n'avait jamais réussis à monter plus haut, et que c'était forcé et contraint qu'il était arrivé jusque là -, il avait déjà craché du troisième étage de son école lorsqu'il était plus jeune, et il avait déjà grimpé au sommet d'un arbre pour aller rechercher son ballon qui était coincé entre deux branches. Alors pourquoi, aujourd'hui, ce balcon lui faisait-il autant peur ? L'inconnu ? La prétention ? La vingtaine d'autres candidats qui étaient susceptibles de surprendre sa peur à tout moment ? Aucune idée. Tandis que Shannon continuait de lui parler, Quinn essayait de détourner les yeux de la piscine. « Donne toi les moyens d’y arriver. Je continuerai à serrer ta main. Coûte que coûte, je serais là. » Ses doigts se serrent plus encore sur les siens, et il s'obligea à se remémorer les accords de son morceau préféré. Alors que la voix imaginaire d'Anthony Kiedis résonnait dans son esprit, il ferma soudainement les yeux et recula d'un bond. Au bout de quelques secondes où ne pouvait se résoudre à rouvrir les yeux, ses paupières finirent par s'écarquiller, papillonner - il avait sauter très loin du balcon, mais il sentait encore ses doigts trembler. Son regard effrayé tomba sur sa sauveuse. « Tu... Tu serais pas psy, ou quelque chose comme ça ? » bredouilla-t-il, incapable de trouver quelque chose d'autre. C'était totalement idiot comme remarque, mais Quinn restait Quinn. « Merci... »

Seulement médecin... Ben voyons, rien que ça. Il faillit la reprendre avec ironie mais, incroyable mais vrai, il n'en eut pas le courage. Shannon lui prit les mains, lui sourit, l'attira plus loin, où ils s'installèrent ensemble. « Dis-moi, ça fait combien de temps que tu as peur du vide ? » Combien de temps ? Quinn haussa légèrement les épaules. Très bonne question. Sûrement depuis longtemps, même s'il ne s'en rendait pas vraiment compte, au début. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, il avait été traumatisé le jour où son cousin s'était cassé la clavicule en sautant du toit de chez lui, sur lequel ils jouaient. Il devait avoir six ou sept ans. « Depuis toujours. » Il détourna les yeux, gêné. C'était une inconnue, et pourtant, elle savait quelque chose de lui dont seule sa mère était au courant. « Tu es la seule à le savoir, alors si tu pouvais éviter d'ébruiter... » C'était plutôt con comme requête, puisqu'il y avait à présent de bonnes chances pour que tout le Royaume-Unis soit au courant. Mais c'était plus fort que lui. « Enfin, ils le sauront bien un jour ou l'autre » ajouta-t-il, mécontent, les sourcils froncés.

C'était le temps des confidences, semblait-il. Par définition, le Quinn était plutôt le genre à tout garder pour lui. Non. Inexact. Il avait tendance à enfouir tout sentiment pouvant être associer à du chagrin. Lorsqu'il était heureux, rieur, en pleine forme, la terre entière était au courant, s'il était en colère, ou impatient - et lunatique comme il l'était, ça arrivait souvent, et quand on ne s'y attendait pas - il n'essayait même pas de le cacher. Mais comme il ne se sentait pas de la rabrouer, la trouvant plutôt agréable et apaisante, il l'écouta. « Il ne faut pas que tu sois gêné. Je peux te confier quelque chose ? C’est la première fois que je vais le dire à quelqu’un… j’ai une peur atroce de m’engager. Je fuis l’amour comme la peste… » Quinn ne put s'empêcher de sourire. Elle lui rappelait étrangement quelqu'un. « Comme moi. Enfin, presque. J'ai toujours refusé de m'engager, mais pas par peur, plutôt par indépendance. » Lorsqu'elle lui demanda, à son tour, de taire son secret, qui n'en était certainement plus un, à l'heure qu'il était, il mima le geste de sceller ses lèvres d'une clé, qu'il lança au loin. Le jeune homme avait beaucoup de défaut, mais la déloyauté n'en faisait pas partie. La trahison était l'une des pires choses au monde à ses yeux. Il rit à la remarque de la brune. « L'opinion des autres, je m'en moque un peu. C'est... la mienne. » Il s'interrompit, incapable d'expliquer ce qui le gênait tellement quant à son vertige. C'est vrai, au fond. Il ne s'était jamais vraiment posé la question, mais, pourquoi ? Pourquoi ce désarroi, ce désir de cacher sa peur ? « Ah, j’ai oublié quelque chose. Je m’appelle Shannon. » Essayant de reprendre le contrôle de lui-même, Quinn esquissa un grand sourire. « Oh, ce n'est que ça ! J'ai cru qu'ils s'agissait de quelque chose d'important » fit-il en balayant les paroles de Shannon de la main. « Moi, c'est Quinn. »