Mon ventre commence à gargouiller. Je n’ai pas beaucoup mangé à midi et j’avais bien mieux à faire que d’aller prendre un goûter à seize heures. Après j’ai lutté pour ne pas grignoter, mais c’était assez dur alors pour me changer les idées j’ai commencé à me faire les ongles. J’en prends tellement soin de mes ongles que je ne vois pas le temps passer. Durant une bonne grosse heure et demi je les bichonne comme jamais. Je pose une couleur flashy et pimpante sur mes petits bébés avant que mon bidon ne me rappelle à l’ordre. Heureusement que c’est presque sec parce que si je dois recommencer par la suite, j’crois bien que je vais devenir folle. Je souffle un dernier coup sur mes ongles avant de dévaler les escaliers et de prendre la direction de la cuisine d’où une agréable odeur de tomate s’échappe. Quelqu’un doit certainement être en train de faire à manger. Tant mieux. Je n’aurais pas à le faire comme ça. En ouvrant la porte, je tombe nez à nez avec Amery. « Tu veux une part ? » Après tout, pourquoi pas. Ce n’est pas très diététique une pizza, mais c’est toujours quelque chose d’intéressant pour se remplir l’estomac. En général c’est plutôt bon. J’adresse un sourire à mon camarade. « Avec plaisir. » que je dis en m’approchant d’un placard pour en sortir une assiette, un verre et des couverts avant de m’installer en face du papa de l’aventure. Alors que j’observe la pizza pour voir si j’aime tout ce qu’il y a dessus, Amery vient me poser une question. Toujours la même question. « Ton fils te manque ? » Heureusement que je ne me lasse pas de parler de mon petit bébé. « Enormément. » Je marque une courte pause. « J’ai l’impression que tu me prends pour une mère indigne. » que je lui fais remarquer en baissant légèrement la tête vers mon assiette et en jouant à faire taper ma fourchette contre le rebord de mon assiette.

Qu’on me parle d’Erick à longueur de journée ? Pas de problème. De toute façon je peux m’extasier devant une photo de ma chère petite tête blonde durant des heures et des heures. Mon fils est la plus belle chose qui me soit arrivé dans la vie alors forcément je ne peux pas m’empêcher de le considérer comme la neuvième merveille du monde. En plus, il est tout mignon. Un visage joufflu juste comme il faut, des cheveux aussi blonds que les miens, des yeux bleus à tomber à la renverse, un sourire attendrissant et une tendance à câliner tout ce qui lui passe sous la main. Cet enfant est un ange. En pensant à lui je ne peux pas m’empêcher de sourire bêtement. Il ne pleure presque jamais. C’est un amour. Je suis certaine que je m’en sors très bien avec lui. Je ne vais pas aller jusqu’à dire que je suis la mère idéale, mais je sais m’occuper de mon petit bout et surtout je connais mes priorités. Enfin, ça c’est ce que je pense jusqu’à ce qu’Amery vienne un jour me demander comment je fais pour laisser un petit bébé sans sa mère durant plusieurs semaines. J’évite le sujet à chaque fois. Il m’énerve un petit peu à me demander ça. Seulement là j’ai l’impression que je ne peux pas reculer. Je ne m’énerve pas, mais je ne peux pas m’empêcher de lui demander s’il me prend pour une mère indigne. Sa réponse ne me surprend pas. Je m’attends exactement à ce qu’il me dise cela. « Un peu. Je sais que c'est pour ton boulot, mais un bébé ça a besoin de sa maman. » J’en reste sans voix un petit moment. « Mais enfin j'ai connu pire alors. » S’il a connu pire alors tant mieux pour lui. La seule chose qui m’importe c’est qu’il me prenne pour une mère indigne. J’ai envie d’attraper le couteau qu’il y a à côté de moi et de le lui jeter dessus. S’il y a bien une chose que je ne supporte pas, c’est qu’on remette en cause mon rôle de mère. J’ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort. Lui, par contre, il semble bavard. « Il est avec son père ? » Je secoue la tête de gauche à droite, puis de haut en bas. « La moitié du temps, oui. » J’ai peur de ce qu’il va dire. Peur qu’il me juge encore une fois. C’est tout juste si j’ose parler. J’ai envie de prendre la fuite, mais je ne sais pas pourquoi j’ouvre encore la bouche. « Il passe trois jours chez ma mère et le reste de la semaine avec son père. » Franchement ça me fait mal au cœur d’imaginer que mon fils est en ce moment même avec l’homme qui m’a brisé le cœur.

Amery, il est peut-être gentil, mais il commence sérieusement à me casser les pieds avec toutes ses questions concernant mon fils. Je suis assez en rogne contre moi-même de l’avoir laissé entre les mains de son père pour que monsieur me rabâche à longueur de journée que je suis une mauvaise mère. J’ai bien envie de lui coller mon poing dans la figure par moment, mais je ne peux pas. D’abord parce que c’est interdit de le faire et puis aussi parce que ce serait carrément stupide de ma part. Je préfère ne pas répondre quand il me dit clairement que je suis une mère indigne. Je passe à autre chose. Je n’ai pas envie de devoir me mettre à l’insulter. Sauf que j’crois que le type est un petit peu suicidaire sur les bords puisqu’il revient à la charge. « Donc je te dis que tu es une mère indigne et tu ne dis rien ? » Là, il me gonfle. Je plante ma fourchette dans un bout de pizza pour venir le mettre dans mon assiette, tout en plongeant mon regard dans le sien. « Explique moi à quoi ça sert que j’essaye de te prouver par tous les moyens possibles et inimaginables que je ne suis pas une mère indigne alors que t’as décidé que j’en étais une. » Il a l’air assez têtu alors je ne vois pas comment je peux le faire changer d’avis. Et puis moi je sais très bien que je suis loin d’être une mère indigne. Je n’ai pas abandonné mon enfant que je sache. « Ton fils n’est peut-être plus un bébé, mais il a autant besoin de toi qu’Erick a besoin de moi alors j’crois que de ce côté-là, on n’a pas besoin de se faire des leçons de morales l’un l’autre. » Ce n’est pas parce qu’il a un grand garçon à la place d’un bébé que c’est un super papa. Bien au contraire. Il en est au même point que moi et puis c’est tout. Il me demande même si mon bébé est avec son père et je lui réponds sincèrement. Oui, la moitié du temps. Je ne vais pas y mentir. « Tant mieux. » S’il le dit. Je viens croquer dans mon bout de pizza avant de demander : « Et le tien ? Il est avec qui ? » J’suis curieuse de le savoir. Juste pour voir s’il a raison de jouer les moralisateurs ou pas.

« Je n'ai rien décidé du tout. C'est simplement ce que je pense, et ce n'est pas définitif. » Mais bien sûr. Et c’est pour ça alors qu’il me gonfle depuis plusieurs semaines en mo posant des questions sur mon fils et aujourd’hui en me disant haut et fort que je suis une mère indigne. Il me fait bien rire en tout cas. Je laisse s’échapper un rictus moqueur. « Et qu’est-ce qui peux te faire changer d’avis ? » Oui je suis curieuse et oui j’ai besoin de savoir. J’ai envie de savoir parce que je suis prête à tout pour lui prouver qu’il se trompe et que je suis une bonne mère. Ce n’est pas le fait de partir durant quelques temps qui fait de moi une femme ne méritant pas le statut de mère. Je ne l’abandonne pas. Je sais qu’il est entre de bonnes mains. Son père ne partage peut-être plus ma vie, mais je sais que je peux lui faire confiance concernant la garde d’Erick durant mon absence. Ma mère aussi. « Tu parles du fils qui était content de me voir partir ? » Je ne comprends pas vraiment alors je fronce les sourcils tout en l’observant un instant. « Comment ça ? Pourquoi il serait content de te voir partir ? » Quand on y réfléchit, je ne le connais pas vraiment à Amery et je ne sais presque rien de lui, alors c’est normal que je me pose ce genre de question lorsqu’il vient de dire de telles choses. J’en viens même à lui demander qui garde son fils pendant qu’il est là. « Avec mes parents. » Il n’évoque jamais la présence de la mère du petit. Peut-être bien qu’elle est décédé. Je n’en sais rien. Je me pose la question. « Et … sa mère ? » Je sais que je vais peut-être un petit peu trop loin en posant la question, mais après tout il n’est pas le seul à avoir le droit de jouer les enquêteurs.

Je n’ai tout simplement plus l’envie et la force de justifier ma présence ici alors que mon fils de huit mois est en train de m’attendre bien sagement à la maison. Cela ne regarde que moi finalement. Ce n’est peut-être pas la meilleure décision que j’ai prise dans ma vie, mais je ne peux plus reculer maintenant. Il est hors de question que j’abandonne en si bon chemin. Ce n’est pas mon genre de toute façon. Quand je veux quelque chose, je l’obtiens. Comme pour mon fils. J’crois qu’il me prend pour ce genre de mère égoïste qui ne pense qu’à elle. Peut-être bien. « Écoute, je ne pense pas que tu sois une mère indigne, le terme n'est pas approprié, je ne me permettrais pas de te juger d'une telle manière. Mais j'imagine que tu dois savoir ce qui fait de toi une bonne mère. » Oh bien évidemment que je le sais. Je baisse la tête. J’ai une petite idée, mais je ne suis pas certaine que cela fasse de moi une bonne mère. « Je serais une mauvaise mère si je n’avais pas pris la décision de risquer ma vie pour donner naissance à mon fils. » que je viens lui confier en murmurant et en baissant très brièvement la tête. J’évite de parler de tout ça. Je ne veux pas qu’on me plaigne. Je ne suis pas là pour ça. Pour changer de conversation, je viens lui parler de son fils. J’en viens à lui poser une question. Pourquoi serait-il content d’être loin de son papa ? Ce n’est pas logique. « Parce que je l'étouffe. » Je suis certaine que ce n’est pas pour autant que son fils est content de son départ. Je fais un signe négatif de la tête en la remuant de gauche à droite. « Moi je suis certaine que tu lui manque énormément. » C’est tout de même son père. Je viens même à poser une question concernant la mère de son enfant. Il n’en parle jamais alors je me pose des questions. « Disons qu'elle est morte. » Sa réponse est froide. J’en conclus qu’il n’est plus avec et qu’il la haït. Enfin, je ne suis plus avec le père d’Erick, mais jamais je ne pourrais dire de telles choses sur lui. Je n’ose pas ouvrir la bouche. J’ai bien trop peur d’aborder un sujet qui fâche. Je remarque qu’il n’a plus rien dans son assiette. « Tu veux un autre morceau ? » que je lui demande en désignant la pizza qu’il y a entre nous.