La soirée est encore de belle jeunesse, et pourtant, je suis lasse. J’aimerais aller me prélasser dans ma chambre à coucher et sombrer dans un demi-sommeil réconfortant, mais l’activité qu’il y règne m’a fait rebrousser chemin. Ceci dit, je ne suis pas reparti bredouille, puisque j’ai attrapé au passage mon carnet de croquis et mes crayons. Ne reste plus qu’à me trouver un coin tranquille où aller me poser. Ironiquement, tous les lieux qui s’appliquent au calme que je recherche sont déjà plus qu’occuper et, en ressortant de la bibliothèque, habitée d’un couple de candidats, je me pose contre le mur en soupirant, ma tête allant cogner derrière moi. Elle m’élance. Je reprends la route, passant d’un couloir à l’autre, avant d’aviser l’escalier qui mène au sous-sol. Je hausse les épaules, plus ou moins certaines de trouver mon compte dans ce recoin du château, avant d’amorcer une descente. Je sais pertinemment que l’une de ces portes mène à la piscine intérieure, mais je ne me suis jamais vraiment attarder dans la cave à vin. Mes passages y sont d’ordinaires très écourté, rapide. J’arrive, je prends mon due et je repars. Cette fois-ci, je décide de m’y attarder. Au loin, quelques sofas – vides – attendent sagement qu’on vienne les occuper. Je dépose mon carnet sur l’une des tables bases. Les étagères remplient de bouteille me font de l’œil, et je les arpente avant d’en attraper une, que je juge à son étiquette. Du rouge, ça ira. Je me charge de l’ouvrir et de me servir un verre, avant d’aller me poser sur le sofa, déposant le verre à coté au côté de mon carnet. J’attrape le calepin, le feuillette un moment, puis commence doucement à faire quelques croquis. Je tente de parfaire mes visages, qui, à mon sens, et la partie la plus intéressante de l’anatomie d’un être vivant. Des bruits de pas dans l’escalier me font tourner la tête, mais le silence se fait de nouveau entendre rapidement, et je retourne à mes crayons. Je doute qu’on s’aventure jusqu’ici ce soir, je devrais donc être tranquille pour un bon moment.

Eibhlin compte se baigner. Faire un peu d’exercice ne devrait pas lui faire de mal, parce qu’elle bouffe, elle bouffe, mais elle ne fait pas de sport derrière pour résister à la graisse qui compte se pointer sur son cul. Du coup elle enfile son maillot de bain noir, une pièce, classe. Elle fonce se baigner. Une bonne heure facilement. Elle enchaîne les longueurs avant d’en sortir. Elle se sèche assez rapidement, puis elle vient enfiler un jogging pour seul vêtement au dessus de son maillot. Elle laisse couler ses cheveux le long de son dos et sur le sol. Cette fois elle comptait remonter pour manger un morceau, quand elle remarque une présence dans la cave à vin d’à côté. Elle passe sa tête, avant de reconnaître les traits de Donia, concentrée sur son ouvrage. Doucement, elle s’approche d’elle. Autant pour ne pas l’interpeller que pour éviter de lui faire peur. Elle arrive à sa hauteur et s’installe à ses côtés sur le canapé. Là, Donia a bien du se rendre compte de sa présence… Alors elle tend son cou pour essayer de voir ce qu’elle fait. « Tu dessines quoi ? » Qu’elle lui demande, doucement, en observant les différents traits qu’elle peine à reconnaître. Elle pince ses lèvres. Elle se sent curieuse se soir : « C’est ton métier ? De dessiner ? » Qu’elle lui demande en observant doucement ces même dessins. Elle fronce un peu les sourcils. Elle se rend compte d’une chose. C’est vrai quoi : elle ne sait quasiment rien de Donia. Voire même rien du tout. Que dalle. Elle voulait faire d’elle un mythe, une entité existante, mais mystique. Qu’elle désirerait sans jamais rien savoir d’elle. Pourtant elle ne peut pas s’empêcher de souffler à la brune : « J’me rends compte que je ne sais rien de toi, en vérité… » Elle baisse les yeux. « … Et que ça m’emmerde un peu… » Autrement dit, contrairement aux autres, parce que connaître la vie des autres, elle s’en fout royalement.

Concentrée sur mes croquis, mon esprit bien loin d’ici, je ne capte pas immédiatement qu’une présence s’est désormais inventée dans l’endroit où je me suis installée. Ce n’est que lorsque l’ombre d'une silhouette à mes côtés se fait remarquer dans mon champ de vision que je détourne le regard de mon cahier pour le poser sur la nouvelle venue. Je reconnais sans peine Eibhlín. Sa chevelure mouillée et ses vêtements détrempés par ces derniers me laissent croire qu’elle s’est aventurée du côté de la piscine bien avant de venir me rendre une petite visite. Serait-ce les pas que j’ai entendus un peu plus tôt dans l’escalier? Je n’en doute même pas. La jeune femme tente de jeter un coup d’œil à mon carnet de dessins, et je lui laisse volontiers observer mon travail d’amateur. « Des bouches, des nez, des yeux… Des visages, grossièrement parlant. Je tente de parfaire mes portraits. » fis-je en réponse à son questionnement. Il est vrai que quelques-uns de mes traits sont difficiles à cerner. Elle me demande s’il s’agit de mon métier. « Non, qu’un passe-temps parmi tant d’autres. » du-je la corriger. « Je suis assistante de magicien. » ajoutais-je en guise de précision. La candidate semble être curieuse, ce soir, mais je me sens encline à discuter. Je me suis calmée, reposée, dans la tranquillité de cette pièce, et sa présence ne m’agresse pas comme elle aurait pu le faire, une heure auparavant. Grande chance pour elle. Semble-t-il que le fait de savoir bien peu de choses à mon sujet l’incommode. Nous n’avons effectivement jamais pris le temps de nous connaître. « Nous sommes des étrangères l’une pour l’autre, je dois effectivement te l’accorder. » Je me demande, sincèrement, si quelqu’un a seulement songé un seul instant à passer outre mes barrières pour me questionner sur ma vie. À mon souvenir, personne. Elle est l’une des premières à vraiment s’y intéresser. Mon regard se braque sur ma camarade. Il est vrai que d’elle, je ne connais que ce que la rumeur veut bien laisser entendre. Je referme doucement mon cahier, que je pose sur le plat de mes jambes. « Que veux-tu savoir de moi? » lui proposais-je. « Cependant, j’émets une condition. Toute question que tu me poseras, tu devras y répondre aussi. » Et inversement, s’il me venait à lui poser une question, bien que je doute qu’elle m’en laisse l’occasion.

Apparemment, elle fait des bouches, des yeux, en gros des visages, qu’elle tente de parfaire. Eibhlin est certaine qu’elle les fait déjà merveilleusement bien. Elle ne peut s’empêcher non plus de lui demander : « T’as besoin d’un modèle ? » En tapant la pause doucement. Souriante, puis avec une moue boudeuse. Puis finalement papillonnant des yeux. Eibhlin n’est clairement pas assez patiente pour ça, mais comme d’habitude, elle pourrait le devenir pour Donia. Tout pour elle. C’est presque ça… Finalement, elle apprend que ce n’est pas son métier, ou en tout cas que son métier ne touche pas le dessin. « Assistante de magicien ?... Genre il te découpe en deux et te fais disparaître ? » Qu’elle dit avec un sourire amusé. « Je sais que t’avais un métier spécial… » Qu’elle reprend, en faisant mine de méditer. Elle voyait vraiment Donia avec un métier spécial, assez excentrique : oui elle s’en doutait ou elle aimait se l’imaginer. Elle n’aurait pas dit ça, elle ne savait pas quoi, mais pas ça assurément… Mais oui, si elle se rend compte qu’elle ne sait rien du tout sur elle, c’est parce qu’au bout de temps de temps de jeu, elle ne connaît même pas son métier. C’est un peu la honte tout de même… Alors Eibhlin acquiesce d’un mouvement de tête pour lui montrer qu’elle est d’accord et que c’est inacceptable. Mais elle n’est pas trop pour sa proposition d’après. Répondre à des questions, s’étendre sur sa vie. Mais elle respectera ça tant que Donia respectera le deal : c'est-à-dire répondre à ses questions à elle. Elle marque un temps de pause, avant de souffler et de lui lancer avec un léger sourire : « Salut… Je me présente : Eibhlin. J’ai eu dix-neuf ans cette année. J’suis irlandaise… » C’est la première fois qu’elle se présente. Jamais vraiment quelqu’un ici n’a cherché à savoir, ne serait-ce si elle avait un frère ou une sœur. D’où elle vient réellement, même si ça s’entend à son accent… « J’ai une sœur et deux frères qui sont plus vieux que moi… J’ai un chien, un chat et un cheval… » Eiffel, Brad Pitt et Dali. « Je parle plusieurs langues parce que j’étudies les langues… » Elle lève un peu la tête pour réfléchir, avant de conclure : « Je fais de l’équitation, du roller derby et voilà… Et toi ? » Qu’elle lance avec un sourire. Autrement dit, elle veut savoir son âge, d’où elle vient. Si elle a des frères ou des sœurs, des animaux, des amis. Ce qu’elle a pu faire comme étude, ou mieux, c’est autres loisirs mis à part le dessin…