La veille, lors du prime, j’ai été sauvé. Moi qui craignais d’être éliminé aux portes de la demie finale. Mieux encore, j’ai fini premier des votes. Complètement inespéré. Et rassurant, ainsi que plaisant de savoir que j’ai du public derrière moi. Que je suis soutenu à l’extérieur. Vous vous imaginez, j’ai genre eu plus de votes que Pavel. Ou India. Je pensais qu’ils se seraient envolés, mais non. Par contre, ce statut de premier, m’a forcé à devoir éliminer un candidat. Choisir entre Pavel, Danaé ou Orson a exclure. C’est dur. Ce n’est pas mon rôle. C’est au public normalement de décider. Je ne devrais rien avoir avec une décision pareille. Et pourtant, on m’a donné ce pouvoir. J’ai choisi d’éliminer Orson. Il n’y avait pas tellement à réfléchir pour moi, dans la mesure où je n’ai pas tissé le moindre lien avec lui. Et puis outre mes propres affinités, je le trouvais en retrait par rapport au jeu, alors il me semblait normal que les deux autres puissent continuer. Personne n’a trouvé à protester, crier au scandale, donc bon. Pas de quoi m’empêcher de dormir ce soir. A vrai dire, j’ai dormi comme un petit bébé aux côtés d’Aliénor. C’est alors que je me sens tiré de mes songes par une présence à mes côtés. On me touche les cheveux. J’ouvre les yeux lentement. Vision enchanteresse que de voir le visage d’Aliénor au réveil. Qui plus est, m’a préparé le petit déjeuner à priori. Je me frotte les yeux, alors que je me redresse. C’est là que j’aperçois le plateau qu’elle m’a préparé. Des pancakes au sirop d’érable, miam miam. Avec carrément écrit dessus « lewis is da best ». « Han c’est toi la meilleure ! » Que je m’exclame, avant de lui voler un baiser. Que je fais durer un peu. Autant se faire plaisir. Je me détache finalement. « En plus toi tout est arrivé en un morceau. » Contrairement à moi la dernière fois, où j’avais tout renversé sur le lit. « Puis c’est pas grave pour les pancakes, de toute façon, personne ne peut égaler ceux de ma mère. » J’attrape les couverts, et en coupe un morceau, que je porte à la bouche. « Hm. » C’est bon. « Cha va, tu t’en tires bien. » Que je dis la bouche pleine. Avant de tout avaler, et de reprendre. « Cela veut dire que tu ne me fais pas la gueule ? » Bonne déduction. « Parce qu’au prime t’avais l’air…distante. » Pour ne pas dire ailleurs. Elle est restée silencieuse quasi la totalité de la soirée. N’a même pas réagit au moment où j’ai dû me déshabiller pour la bonne cause.

« Ouais, j'ai fait bien attention justement, je sais comme le sol peut être glissant dans le coin. » Elle est mignonne d’en imputer la faute au sol. Alors que bon on sait bien que c’est surtout ma poisse légendaire. « Ouais, il peut être traître ce sol. » Le petit vicieux. Quoi que c’était des coussins le problème la dernière fois, qui traînaient dans le passage. Faut dire qu’il y a beaucoup trop de coussins dans cette chambre. On est envahi. Je goute à ses fameux pancakes, et pour une débutante, c’est très bien. « T’as qu’à gouter toi-même, je veux bien partager. » Quel homme généreux je suis, je sais. Berf, j’évoque son comportement plutôt distant de la veille. J’ai bien vu qu’il y avait quelque chose qui la tracassait. Alors j’sais pas, peut être que c’est de ma faute ou quoi. Elle me rassure, m’expliquant qu’elle ne me fait pas du tout la gueule. C’est juste qu’elle a du mal à profiter à fond de l’instant présent. Parce qu’elle pense trop au futur, qui n’est pas forcément brillant. Hm hm. Peut être n’aurais je rien dû lui demander, et me contenter d’apprécier son petit dej’. Parce que là je vois sur quel terrain elle s’avance…Et je ne suis pas sur d’avoir envie d’y penser. Au contraire, je fais tout pour ne pas avoir à y penser. C’est plus facile. Parce qu’après sinon…Mais bon, c’est juste s’enterrer la tête dans le sable. « C'est juste que j'aurais aimé que toi et moi, on ait une vraie petite histoire, tu sais ? Le genre d'histoire qui se termine parce que tu peux plus me supporter ou parce que je me suis lassée de toi, ou bien l'inverse, mais une vraie histoire, pas un truc à la mords-moi-le-nœud qui prend fin à cause de l'océan Atlantique. » Et voilà, elle met le doigt sur le point sensible. Je n’ai jamais autant détesté ce foutu océan Atlantique. Pourquoi faut-il qu’on habite à des milliers kilomètres l’un de l’autre ? Etrangement, cela ne semble pas poser de problèmes à certain, mais j’sais pas, ce n’est pas rien. Elle est française. Je suis américain. Et bien que je l’adore, je n’ai aucun désir de devenir français. J’aime beaucoup trop mon pays pour ça. « Hm on est obligé d’y penser ? On ne peut pas juste prendre notre petit dej’ tranquillement… ? » Non ? Bon. J’sais bien qu’on doit le faire, elle exprime son ressenti, ça serait salaud de ma part de juste l’éviter. « Non mais ça me tracasse aussi mais…J’essaie juste de profiter de l’instant présent à fond. Parce que je sais que…tout ça, c’est éphémère. Même si je n’en ai pas envie. C’est injuste. On n’a pas la moindre chance… » Notre histoire, tuée dans l’œuf. En règle générale, je suis un mec optimiste, mais bon là…Cela serait mentir que de lui faire croire que notre relation peut surmonter une telle distance. Cela serait complètement utopique. Et de toute façon je n’ai pas envie d’une relation avec une personne que je ne pourrais jamais voir. Ce n’est pas comme si dans un saut de voiture je pourrais la rejoindre le week end ou quoi. Là ce sont des dizaines d’heures d’avion, et vous savez combien coûte un billet Seattle / Saint Malo ? Pas moi, mais surement un bras. Et j’en ai que deux, alors c’est vite vu. « Je n’ai pas envie de me dire que je ne pourrais plus faire ça… » Et je récupère ses lèvres pour un baiser. Dire que dans quelques semaines, je ne pourrais plus y gouter. Bon en fait elle voulait me déprimer, c’est ça ? Du coup je reprends sur un ton plus léger. « Je pensais à monter une pétition contre l’océan atlantique tu vois. Pour qu’on le détruise et fusionne les deux continents. » Ce n’est pas une bonne idée ça ? De toute façon, ça ne réglerait rien, parce que même là, elle serait encore super loin. Trop loin. « Tout ça c’est la faute à la production de toute façon, quelle idée de foutre des gens de nationalité différentes dans ce jeu ? C’est cruel. » Terriblement. On s’attache, et après on doit se séparer. « Ou tu penses qu’on peut rester dans ce jeu indéfiniment ? Genre on refuse de partir. »

 « Non non, on n'est pas obligés d'y penser, c'est bien ça le truc... Je veux pas t'embêter avec ça, c'est juste que tu me poses la question, et je voulais être 100% honnête. » Oui mais bon, maintenant que c’est dans l’air, je me vois mal ignorer le sujet et faire comme si de rien n’était. Et puis après tout c’est moi qui ait posé la question, alors, il faut assumer maintenant. Et puis de toute façon, dans une relation, la communication, partager ses sentiments tout ça, c’est important non ? Même si dans notre cas, vu qu’on n’a pas tellement de futur ensemble, pas sur que ça soit forcément indispensable. Moi à la base je voulais opter pour l’option, on en parle jamais, on vit ces derniers jours à fond, et voilà. Mais bon c’est pas forcément mieux non plus de tout garder pour soit, et faire genre tout va bien dans le meilleur des mondes. Faut pas croire ça me tracasse aussi, c’est juste que je suis plus doué pour intérioriser. « Mais dans ces moments là, je préfère que tu me parles plutôt que tu tires la tronche toute une soirée, d’accord ? » Oui je préfère ça. Puis je l’embrasse, avant d’ouvrir les bras, et la convier à venir se blottir contre moi. Je suis a moitié allongé, contre le dossier du lit. Je parle alors de faire disparaître l’océan Atlantique. Aux grands maux les grands moyens non ?  « C'est une très bonne idée ça, en plus on reviendrait à l'état originel de nos continents, nan ? » Euh… « Je suppose oui. » Je n’en sais rien du tout en fait, dois je vous rappeler que je n’étais pas un élève très studieux à l’école ? Mais c’est vrai qu’avant je crois qu’il y avait genre juste un gros continent. Et puis j’sais pas trop pourquoi ça s’est divisé en plusieurs. Un tremblement de terre ou un truc dans le genre probablement. On se plaint ensuite de la production, qui sont carrément cruels. C’est de leur faute si on se retrouve dans cette situation aujourd’hui. Bientôt, on pourrait croire qu’ils nous ont mit un couteau sous la gorge pour participer. Mais bon c’est plus simple d’avoir quelqu’un à blamer. « Je n’ai pas signé pour être un cobaye moi ! » Je ne veux pas être le sujet d’une expérience sociologique, non non. N’empêche je suis sur qu’il doit y avoir des gars qui étudient notre comportement. En faire leur sujet de thèse tout ça. En sortir un bouquin. « C’est nous aussi, on est nul. On aurait jamais du s’attacher… » En même temps c’est plus facile à dire qu’à faire. Parce que pour ne pas m’attacher, quoi il aurait fallu que je prenne mes distances avec tout le monde. Que je me la joue méprisant comme Henley ? Remarquez c’est peut être elle qui a raison en fait… Au moins quand tout sera fini, elle n’aura pas à souffrir de la séparation, puisqu’elle en a rien a carrer de nos personnes. Est-ce mieux pour autant ? Pas sur. Parce qu’elle doit se sentir incroyablement seule non ? « Non mais genre, les caméras ne tournent plus. Bon c’est vrai qu’il faudrait quand même qu’ils nous payent la nourriture, le loyer, l’électricité tout ça…Juste par charité, donc bon ouais c’est mort. » Non mais de toute façon, je n’ai pas envie non plus de rester coincé ici jusqu’à la fin des temps. Ma famille me manque. Mes potes. Ma vie. Voir tout le temps la même chose, les mêmes lieux, mêmes têtes, ça devient lassant. Je suis un mec qui a besoin de nouveauté. Pour ça que je change souvent de boulot d’ailleurs.