Le parking, 17h08
Bilan d’une première journée. Cigarette au bec, à la merci d’une brise légère et voluptueuse. Je me suis permis de prendre une pause et de sortir de l’asile, sur le parking, quelques minutes, dans le but d’enfumer mes poumons. Oui, cet endroit renferme sans doute plus de malades mentales qu’un hôpital psychiatrique. Entre les pseudos-lover, les grosses gueules, les mégalos, les bitchs,… Il y aurait de quoi faire une sacrés psychanalyses. C’est marrant, certes, mais putain, qu’est-ce que ça va être une fois dans le nid quoi ?! Mais le bruit de pas approchant me renvoie à la réalité. Une jeune femme s’avance. Je me retourne afin de croiser son regard. C’était une belle brune. Très belle brune. Putain ça aussi : sacrés brochettes de belles gonzesses. Au point que s’en soit déconcertant. Ils castent sur l’apparence ou quoi ? Sur le QI, c’est sûr : non ! Sans doute que la beauté rentre dans leur critère de sélection. Bon, du coup, bonne nouvelle : j’ai toutes mes chances ! Par contre la grosse de toute à l’heure, un peu moins. Dommage. Elle était peut-être sympa. Mais revenons en au plus important : la fille en approche. Je lui adresse un sourire chaleureux, avant de devenir plus perplexe ; putain, je ne lui ai pas déjà parlé à cette nana ? « On ne s'est pas déjà croisé tout à l'heure ?… Sarah, c’est ça ? » Je sors un prénom au pif ; technique d’approche qui fonctionne en général. On verra déjà ce que ça donne dans la situation présente. Je la laisse s’approcher davantage, avant de lui demander « cigarette ? » Il s’agit de prendre les devants. Je lui tends mon paquet, en attendant qu’elle serve ou non.  

Si j’avais su, je serais restée chez moi. Je ne me sens pas du tout à l’aise ici. Il y a trop de personnes qui sont différentes de moi. Enfin surtout les filles. Elles sont toutes plus confiantes que moi, moins timides que moi et surtout bien plus belles que moi. Autant vous dire que ça me fout le moral dans les chaussettes à chaque fois que j’en croise une. Ce n’est pas pareil quand je croise l’un des mâles de cette future saison. Je suis toujours aussi timide, mais je suis un petit peu plus à l’aise. Disons qu’ils me regardent avec des yeux d’hommes, et donc il me considère comme un objet sexuel (parce que oui je préfère qu’on me considère comme ça plutôt que l’on se moque de moi), alors que les femmes me regardent comme une réelle concurrente. N’empêche que je préfère largement que personnes ne me regardent et qu’on me laisse tranquille. C’est pour ça que je prends mes distances et que je vais me réfugier sur le parking du bâtiment. Là, au moins, il n’y a personne. Je marche sans me soucier de ce qui peut se passer tout autour de moi. Croisant mes bras sous ma poitrine et haussant les épaules pour me protéger du froid je passe devant un jeune homme que je ne calcule même pas. « On ne s'est pas déjà croisé tout à l'heure ?… Sarah, c’est ça ? » Je m’arrête net et tourne la tête tout en laissant mes épaules se relâcher. Posant mes yeux azurs sur lui je lui adresse un petit sourire à la fois timide et amusé avant de faire demi-tour pour m’approcher de lui. Il me tend son paquet ouvert. « cigarette ? »[i] Je lui pique une clope que je viens caler entre mes lèvres avant de sortir un briquet de ma poche et d’allumer le concentré de nicotine. [i] « Absolument pas, mais … tu peux m’appeler Sarah si cela te fait plaisir. » D’un geste plutôt doux je lui tends, à mon tour, mon briquet. « Mais je préfère que tu m’appelles Tifenn quand même. » que je dis doucement en lui adressant un énième sourire.

Mauvaise pioche. Elle ne s’appelait pas Sarah. Ca lui allait bien pourtant ! Mais en tout cas, ça fonctionne. Elle me remarque, s’approche, se permet même de ma piquer une cigarette – en même temps, je lui en offrais une, ça aurait été aussi déplacée qu’imbécile de refuser ; avec le prix qu’elles atteignent actuellement ces petites merveilles ! Qu’elle s’estime chanceuse, j’offre rarement mes bijoux –quoique, ça dépend lesquels, aux autres. Mais bon, elle est loin d’être vilaine. C’est donc un plaisir pour moi. Elle me tend son briquet. Je l’attrape, en fait jaillir une flamme, et  tout en l’observant, j’allume ma clope. « Mais je préfère que tu m’appelles Tifenn quand même. » me dit-elle. Tifenn. Tifenn… Ouais, finalement c’est bien plus joli que Sarah. « Ca tombe bien, je préfère de loin Tifenn. » Je lui adresse un sourire taquin, tandis que je tire une latte sur ma cigarette. « Enchanté » repris-je aussitôt, plus enjôleur. « Alors, j’imagine que ça s’passe bien pour toi ? » demandai-je, histoire de lancer la conversation. Simple supposition : c’est une fille, elle est belle. Forcément, ça rend les choses plus simples. J’suis un mec, j’suis beau, certes, mais généralement, ça ne produit pas le même effet. Tout est toujours plus simple quand on est une fille : ne serait-ce devant un jury ; une fille, ça dégage de la pitié, du plaisir, de la fraicheur. Un mec… ça reste un mec quoi ; dégueulasse, vulgaire et pervers. Et l’égalité des sexes dans tout ça ? Et, non, il n’y en a pas, et généralement, c’est pas pour les femmes que c’est le plus désavantageux alors, hein.  

Il a l’air plutôt cool le garçon que je viens de rencontrer. Enfin, ça a quand même l’air d’être le genre de mec super stylé qui drague toutes les choses féminines qui lui passent sous le nez, mais ce n’est pas bien grave tant qu’il est gentil avec moi. En tout cas pour le moment je n’ai pas à me plaindre. Avec délicatesse j’attrape une cigarette du paquet de clope qu’il me tend et avec gentillesse je lui prête mon briquet pour qu’il puisse s’intoxiquer les poumons en même temps que moi. J’en profite alors pour lui dire mon prénom n’est pas Sarah, d’ailleurs je me demande où il a bien pu aller chercher ça, mais Tifenn. Il préfère ça et n’hésite pas une seule seconde avant de me le dire. « Ca tombe bien, je préfère de loin Tifenn. » Je réponds à son sourire taquin par un plus doux et timide. « J’en ferais part à mes géniteurs comme ça ils se sentiront moins seuls à aimer ce prénom. » Et là je suis d’ailleurs en train de me demander ce que peuvent bien faire mes parents. Ils n’étaient pas franchement très contents que je m’embarque dans une aventure telle que Fake Lover alors j’imagine bien que je vais morfler une fois que je vais revenir chez moi, après quelques semaines d’aventures ou non d’ailleurs. La voix du garçon me fait sortir de mes rêveries. « Enchanté » Répondant par un nouveau sourire je lui fais comprendre que je suis moi aussi ravis de faire sa connaissance. Il ne tarde pas à m’assomer d’une autre question avant que je n’ai le temps de lui demander son prénom. « Alors, j’imagine que ça s’passe bien pour toi ? » Euh … j’ai le droit de lui parler de la grande blonde qui m’a un petit peu martyrisée avant que je passe mon casting ou bien il va me prendre pour une peureuse ? Je fais une petite grimace enfantine tout en hochant les épaules. « Comme pour tout le monde j’imagine. » Je décide de me taire. Après tout peut-être bien que c’est moi qui voit le mal partout. « Et pour toi ? » Il donne l’air d’être confiant alors j’imagine que ça doit se passer super bien pour lui niveau casting et niveau relationnel avec les candidats potentiels. Il a la gueule du mec qui plait à tout le monde. Il l’a peut-être même un petit peu trop cette gueule de mec que tout le monde aime dès le premier regard. Je l’observe un instant avant de finalement dire : « Au fait tu … t’appelles comment ? » Parce que c’est quand mieux pour discuter de connaître le prénom de la personnne.

Ses géniteurs, seuls à aimer ce prénom ? Tifenn… Franchement, ça passe ! C’est pas comme si elle s’appelait Gertrude, Bernadette, ou même titi ou Balou. Ca aussi, j’ai rarement entendu autant de prénoms divers et étranges qu’ici, pourtant, j’ai vu de sacrés choses tout au long de ma vie. Il y a quand même quelqu’un qui s’appelle Babou ! Je remercie ma mère de m’avoir appeler Joanès, même si ce n’est pas aussi SWAG que Kevin, Momo ou Noah. Enfin, si, c’est même largement mieux. Elle m’adresse quelques sourires en réponse aux miens. Bien ! Je sens comme un bon feeling entre nous. Mais pour poursuivre notre discussion : « Comme pour tout le monde j’imagine. »  me répond-t-elle quand je la questionne sur le bon déroulement des castings. Sa réponse me laisse perplexe. J’en attendais peut-être un peu plus. Peut-être qu’elle n’a pas envie de me parler ? Peut-être que je la fais chier ? Raison de plus pour insister alors ! « T’as aussi chialer en sortant de l’interview ? » demandai-je doucement ; j’osais espérer que non, elle tomberait aussitôt dans mon estime. Je prenais pourtant ses mots à la lettre. Et ainsi, je continuai. « Parce qu’en fait, j’ai vu une fille chialer en en sortant. Mais, elle, elle était moche. » je terminais ma phrase sur un soupire, mais avec le sourire aux lèvres. Je revois cette bonne femme, effondrée de chagrin, la tête entre ses mains contre un mur. J’aurais pu avoir un soupçon de pitié envers cette âme solitaire et si vulnérable. Mais j’avais autant envie de lui adresser la parole que de niquer une guenon : soit, aucune. A vrai dire, je trouve les ‘personnes faibles’ vraiment inintéressantes. Peu importe. Je réussis tout de même à placer un compliment dans ma réplique. Il faut le chercher, certes, mais il y est. J’espérai qu’elle saurait l’entendre. « Je pense d’ailleurs que ça ne l’a pas aidé… d’être moche » lui dis-je, naturellement, d’une vois assez basse. Véridique. Je me demande même comment elle a fait pour arriver à ce stade du casting. C’est bien connu, il n’y a que de belles personnes qui passent à la télé. « Et pour toi ? » « Moi… aucune idée, mais j’ai un bon pressentiment. » répondis-je, amicalement, tandis que je tirais une nouvelle latte sur ma cigarette. Facile à dire. En tout cas, si maintenant je ne suis pas pris, j’aurais l’air bien con. Mais je n’ai rien qui pourrait me faire penser que ça s’est mal passé : je suis resté naturel, alors ça passe, ou ça casse. Mon sort n’est plus entre mes mains, désormais, mais entre les leurs. Soit. « Au fait tu … t’appelles comment ? » Elle marque une courte pause entre deux mots. Je lui fais peur ou quoi ? Bref, je lui réponds. « Joanès » Mon sourire s’élargit. C’est toujours ainsi quand je me présente, allez savoir pourquoi. Peut-être une bouffée de fierté. Mouais. Peut-être pas.

Hors de question que je lui parle de mon casting. Je ne veux pas qu’il pense que je ne suis qu’une pauvre idiote qui a la frousse de tout et de n’importe quoi alors que je suis certaine qu’il est du genre à côtoyer des nanas qui n’ont peur de rien et qui sont prêtes à tout pour s’attirer son affection. Je lui balance une phrase bateau sans vraiment croire à ce que je dis. Lui-même n’en semble pas convaincu. « T’as aussi chialer en sortant de l’interview ? » Soit il dit ça pour me tester, soit il est sérieux mais dans tous les cas mon corps se fige et mes pupilles affolées plongent dans les siennes. Je n’ai même plus la force de tirer une taffe sur ma cigarette. De toute façon je pense que je vais m’étouffer si je le fais dans cet état de choc là. « Parce qu’en fait, j’ai vu une fille chialer en en sortant. Mais, elle, elle était moche. » Je ne sais pas vraiment ce que je dois retenir de sa phrase. Dois-je me contenter de rester sur la nana qu’il a vu en train de pleurer et lui avouer que c’était probablement moi, ou bien dois-je me focaliser sur le fait qu’il vienne de me faire un compliment sous forme détourné ? Parce que si je ne rêve pas je crois bien qu’il vient de dire que j’étais plutôt jolie. En repensant à ça un petit sourire timide s’installe sur mes lèvres alors que mes épaules se soulèvent très légèrement. « Merci. » Merde, j’crois bien que je viens de penser à voix haute. Mes yeux se plongent, encore une fois, dans les siens durant un bref instant avant que je tourne la tête vers une voiture de sécurité qui traîne dans un coin du parking un petit peu plus loin. « J-je voulais dire que … la pauvre. » C’est bon, là je passe pour la cruche de service. J’ai qu’une seule envie, celle de me taper la tête contre un mur jusqu’à ce qu’il disparaisse comme par enchantement et qu’il oublie toutes les choses que je viens de lui dire. Mais bon il n’a pas l’air de vouloir partir puisqu’il continu à me parler et plus précisément de son casting. « Moi… aucune idée, mais j’ai un bon pressentiment. » C’est normal, les mecs comme ça ont toujours de bons pressentiment. Je relève la tête pour lui sourire. « J’aurais le droit de me moquer de toi si tu jamais tu ne viens pas à intégrer l’aventure alors ? » C’est un petit peu comme un marché vu que monsieur semble assez confiant. Mon sourire devient soudain un brin plus taquin jusqu’à ce qu’il me donne son prénom. Joanès. Je ne sais pas pourquoi mais je trouve que ça lui va bien. « Tes parents ont de meilleurs goûts que les miens. » Voilà la conclusion que j’en tire avant de continuer à laisser le cancer s’installer bien en moi par cette cigarette. Une goutte vient s’écraser sur mon nez et instinctivement je lève la tête pour apercevoir de gros nuages noirs qui commencent à nous pleuvoir dessus. J’attrape la main du garçon pour le tirer vers un préau sous lequel des tas de cartons reposent en attendant d’être balancé à la décharge. Me rendant compte de ce que je suis en train de faire, je ne tarde pas à le regarder d’un air désolé avant de lâcher sa main. « Pardon. » C’est juste mon côté maternel qui resort.

Mes questions semblent la perturber… Vraiment ? Je l’observe, trouve son regard, cherche curieusement une réponse à travers ce qu’elle laisse paraître, dans son ressenti, ses émotions. C’était peut-être elle, que j’ai vue plus tôt ? Non, impossible. Mais peut-être qu’elle a quand même chialé ? Pourquoi elle aurait pleuré ? Elle a l’air fragile, d’ailleurs son regard le traduit nettement ;  ses pupilles se fixent rarement sur un objet, elles sont perpétuellement en mouvement ; ses mimiques balancent entre douceur et timidité. Mais au point de pleurer après un casting ? J’espère que non… Ouais, mais, au fond je m’en bas les couilles. Elle est canon, c’est le plus important. Mon compliment l’atteint. Je descelle même un sourire se former sur ses lèvres, tandis qu’elle me remercie. Inconsciemment ?  Il semblerait. Elle trouve mon regard, le quitte aussitôt. « J-je voulais dire que … la pauvre. » Je dégage un léger rictus étouffé. « Te sens pas obligé de la plaindre… c’est pas ta faute si elle est moche. » répondis-je naturellement, dans un haussement d’épaules. C’est ma perception des choses. C’est vrai quoi. Avoir pitié d’elle ne changera pas les choses, de toute manière. Et puis, qu’est-ce qu’on s’en fout : une candidate en moins = une place supplémentaire. Ainsi, je lui affirme avoir un bon pressentiment quant à mon casting. « J’aurais le droit de me moquer de toi si tu jamais tu ne viens pas à intégrer l’aventure alors ? »  C’est qu’elle me chercherait presque. Je prends ! Sa réplique m’arrache un nouveau sourire, tandis que je lui réponds  « Tu oserais ? J’suis pas un type sympa, je n’ai aucune pitié… » Je la menace gentiment, ou plutôt, la mets en garde, tout en tirant une nouvelle latte sur ma cigarette. Mes propos sonnent juste, je semble sérieux. Mais pour tout dire, je suis aussi doux qu’un agneau… quand je veux. Sinon, je l’avoue, je peux vraiment être un connard. Bref. « Tes parents ont de meilleurs goûts que les miens. » Elle félicite les goûts de mes parents. Moi aussi, je trouve qu’ils ont bons goûts. « J’avoue, mes parents ont bons goûts ». Je lui adresse un nouveau sourire, niais, voire surfait. Mais, ça me fait toujours cet effet là quand je parle de mes parents. Trop de fierté en moi. En même temps, tu m’as vu : mes parents ne peuvent qu’être des Dieux pour avoir conçu un tel être. A ce moment, quelques gouttes se mirent à tomber. Ô, rien de bien méchant pour le moment, même si ça sentait l’averse à plein nez – oui, encore un de ces pressentiments. Pourtant, la demoiselle attrapa ma main m’emmena sous un préau avant même que je puisse dire ‘merde’. Elle me lâche la main, se montre gênée, ou désolée, je ne sais pas trop. En tout cas, elle s’excuse. « Et bah, tu perds pas d’temps toi. » Je m’amuse gentiment d’elle. Je regarde rapidement autour de moi, inspire une nouvelle et dernière bouffée de nicotine avant de jeter le mégot au loin. C’est tout de même plutôt calme ici. En même, ça m’étonnerait que ça vienne à l’idée de beaucoup de monde de squatter à côté d’une décharge à cartons. Je pourrais presque croire qu’elle me fait des avance, la p’tite. Je m’approche d’elle, les mains dans les poches, séparant nos corps d'une distance d'un bras. Je lève les yeux sur elle, cherche son regard, et doucement, lui dis. « Toi, qui emmène par la main, presque de force, moi, un jeune homme innocent dans un endroit aussi lugubre... à peu près je vais finir par croire que tu veux mon corps »  J’insiste. Je lui souris délicatement sans pour autant quitter son regard. Je lui adresse ensuite un regard plus complice. Je ne voudrais pas risquer de l’outrer non plus.  

Il est cool Joanès mais je crois bien qu’on n’a pas la même vision des choses sur certains points. Il semble si confiant et tellement intéressé par le physique alors que moi je suis plutôt du genre à ne jamais croire en ma petite personne et à juger les gens uniquement par leur beauté intérieure. Du coup je reste assez sceptique lorsqu’il dit que je n’ai pas à plaindre la jeune femme qu’il a vu pleurer. D’après lui elle est moche et ce n’est pas de ma faute. Je trouve ça plutôt méchant et je montre mon étonnement, ou mon mécontentement vu que je ne sais pas vraiment ce que j’éprouve là, en fronçant très légèrement les sourcils. J’ouvre la bouche mais aucun son n’en sort. Je ne veux pas me mettre ce garçon à dos. Il pourrait bien m’aimer, que ce soit sur un plan amical ou bien plus d’ailleurs, alors je préfère me taire et garder mes impressions pour moi. Aller dans son sens et la seule chose à faire pour le moment. Je préfère qu’on discute de son prénom et du bon goût de ses parents. « J’avoue, mes parents ont bons goûts » Cette petite phrase m’arrache un sourire. J’aime bien son côté un brin prétentieux sur les bords. Je trouve que ça lui donne un certain charme. J’aurais bien aimé qu’on continue à parler de ses parents, mais les quelques gouttes de pluies, et les gros nuages noirs, qui commencent à se montrer deviennent ma seule et unique préoccupation. Je n’ai pas vraiment envie de me retrouver trempée de la tête aux pieds et encore moins d’être toute seule par ce temps de chien alors, joignant l’utile à l’agréable, j’attrape Joanès par la main pour l’entraîner sous un préau, à l’abri de l’eau, et non loin d’une décharge de vieux cartons puants. C’est gênant ce que je viens de faire alors je ne tarde pas à reculer d’un pas et à lâcher sa main tout en m’excusant. Je suis certaine qu’il me prend pour une idiote à l’heure qu’il est. « Et bah, tu perds pas d’temps toi. » Et en plus il se moque de moi maintenant. Baissant la tête je ne vois que son mégot qu’il balance au loin et ses pieds s’approcher de moi. Si seulement j’avais un petit peu plus de courage je lui aurais déjà répondu pour l’envoyer balader. Ou alors pour rentrer dans son jeu et jouer à la nana mystérieuse. Seulement ce n’est pas mon style. Relevant la tête je m’aperçois qu’il ne se trouve plus qu’à quelques centimètres de moi. Son regard dans le mien, je me laisse un instant hypnotiser par ses paroles. « Toi, qui emmène par la main, presque de force, moi, un jeune homme innocent dans un endroit aussi lugubre... à peu près je vais finir par croire que tu veux mon corps » J’ai limite l’impression d’être dans la victime dans une série policière là. Faisant un petit pas en arrière, pour m’éloigner de lui, j’en oublie le mur se trouvant juste derrière moi et me retrouve coincée entre le mur et lui. Mes mains viennent se plaquer contre le crépi. « J-je … C’est juste qu’il pleut. » Vous voulez que je réponde quoi là ? Surtout en étant complétement perturbée par la proximité que nous avons. Mes pupilles glissent lentement sur son visage, descendent vers ses lèvres, son petit sourire complice et ne tardent pas à revenir à ses yeux. Mon mégot tombe sur le bitume et discrètement, d’un coup de semelle je l’écrase pour qu’il arrête de fumer. Un peu comme mon cerveau là en fait.

Nous ne partagions pas la même vision de l’humanité : je suis pour que la beauté, le charme et l’intelligence (soit, moi, en partie) règne sur le monde, et, à bas les faibles ! J’avais l’impression qu’elle était un temps soit peu plus tolérante. Soit. J’étais pas la pour débattre. De toute manière j’ai raison. Malgré cela, le courant semble passer, ce qui pourrait paraître, à la base, totalement improbable ; elle est douce, fragile, futée, et moi… j’suis un petit con ! Pourtant, nous sommes là depuis quelques minutes déjà, à parler ensemble – ça aussi, depuis quand je me prends le temps de discuter, mais surtout, d’écouter une fille ?! – et elle ne s’est toujours pas sauver en courant. Elle en a du courage, la p’tite. Elle sourit quand je cause de mes parents. Bon signe. Puis elle m’emmène sous le préau. Je le reconnais, sa prise d’initiative m’étonna. Mais dans le bon sens du terme. De cela, je ne peux en déduire qu’une chose : elle veut mon corps, elle veut mon corps ! Je m’approche d’elle, capte son regard, lui énonce ma théorie à ce sujet. Elle recule d’un pas, atteint le mur, s’y adosse. Comme prise au piège. « J-je … C’est juste qu’il pleut. » Gênée, timide, intimidée ? Je ne savais pas réellement ce qu’elle ressentait à ce moment. Personnellement, j’étais épris d’un sentiment tout aussi distrayant que séduisant, tandis que j’arrivais à desceller une part de défi dans la bleuté de son regard. Je sentais, par ailleurs son regard se perdre sur les traits de mon visage. Je prends part au jeu. Un sourire en coin ne quitte plus mes lèvres. Elle laisse son mégot s’ échapper entre ses doigts, tomber au sol avant de l’éteindre de la pointe de son pied. Je relève aussitôt les yeux sur la jeune femme. Je passe une main dans mes cheveux, les ébouriffe nerveusement. J’avance d’un nouveau pas, réduisant plus encore que précédemment la distance qui nous sépare. J’appuie ma main droite au mur, juste au dessus de son épaule, avance mon visage près du sien. Je doute que cette proximité la conforte. Elle est comme ‘à ma merci’, captive. Pourtant, j’en joue. Je baisse mon regard sur elle, ne quitte plus ses yeux des miens, les observe soigneusement, dans le moindre détail, la moindre lueur afin de discerner la moindre de ses émotions. Cette fille a un putain de regard. C'est juste indescriptible. « Juste la pluie ? » demandai-je avec douceur, dans un souffle, tandis qu’un sourire séduisant s’étend sur mes lèvres. Je ne la lâche plus du regard, qui dérive pourtant un court instant sur les courbures de son visage, en particulier sur ses lèvres. Un silence s’installe. Loin d’être désagréable ou pesant. Non, tout au contraire. Il était confortant, léger. Il ne mettait que plus en avant la valeur de cette proximité. Je me pince légèrement la lèvre inférieure, comme instinctivement. Putain de défi. Pourtant je ne tarde à briser le silence. « Dommage » lançai-je dans un soupir tout en me détachant d’elle. Je lui rend sa liberté. J'hausse les épaules, un nouveau sourire taquin se fraye une place le long de mes lèvres. Un air amusé s'inscrivait sur les traits de mon visage. Puis, je regarde rapidement autour de moi. Non, les cartons n'ont pas changé de place depuis tout à l'heure.  

Euh … Il est en train de faire quoi là ? Non parce que c’est limite très gênant de me retrouver aussi proche de lui avec sa main juste au-dessus de mon épaule contre le mur miteux se trouvent derrière moi. Je n’ose plus bouger. J’ai l’impression d’être prise au piège et de ne pas pouvoir m’enfuir. La distance entre nous n’est plus vraiment très grande. Je n’ai qu’à lever la main et tendre légèrement le bras pour l’assommer d’une gifle afin qu’il recule et me laisse respire mais, je n’ai pas vraiment envie de le faire. Je ne sais pas ce qui m’attend, j’ai un petit peu peur et pourtant ça me plait bien. Joanès approche maintenant son visage du mien et je ne tarde pas à réagir. Essayant de me dérober de tout éventuel baiser, je viens plaque mon crâne contre le mur qui me retiens prisonnière depuis quelques secondes. Il s’arrête alors qu’il n’est plus qu’à trois ou quatre centimètres de mes lèvres. Telle une idiote je ferme les yeux. Peut-être bien que lorsque je vais les ouvrir à nouveau Joanès aura disparu. Pourtant je peux nettement sentir son souffle sur mon visage. Après quelques secondes je me décide à ouvrir les yeux et là ses pupilles plongent dans les miennes. C’est bizarre mais je n’ai plus envie de détourner mes yeux des siens. On reste là, durant quelques secondes, à s’observer en silence. Je n’avais jamais remarqué que son regard pouvait être si intense, si doux. J’ai bien envie de sourire mais je suis tellement captivé par son visage que c’est juste impossible. « Juste la pluie ? » qu’il murmure dans un souffle. Sa question m’arrache un petit rictus timide alors que je baisse brièvement la tête avant de revenir me perdre dans ses yeux. Un petit sourire, presque complice, illumine mon visage. Visage qu’il scrute dans ses moindres détails, j’en ai bien conscience. Le silence n’est pas pesant. Il est plutôt apaisant et rassurant. Je n’ai presque plus peur de mon interlocuteur. De toute façon je doute qu’il puisse me faire du mal. « Dommage » dit-il en soupirant et en se détachant de moi pour faire quelques pas en arrière et me laisser retrouver un peu de liberté. Il hausse les épaules et porte un sourire taquin sur les lèvres. Je me sens un peu mal à l’aise là. J’ai le sentiment qu’il n’a fait que jouer avec moi ces dernières secondes. Je ne bouge pas d’un pouce et l’observe. Il se tourne très légèrement pour regarder en direction de l’amas de cartons. Ils sont toujours là. Comme nous. Croyez-moi je ne sais pas vraiment pourquoi je vais faire ça, mais je vais agir sans me poser la moindre question. Je fais un pas pour me rapprocher de lui et, une fois à sa hauteur, passe mes bras autour de son cou tout en me hissant sur la pointe des pieds. Mon front vient délicatement se poser contre le sien et mes lèvres effleurent les siennes. J’en ai envie, c’est tout. Mais je crois bien que c’est à ce moment-là que je suis en train de me rendre compte de ce que je fais. Mes pieds retrouvent la terre ferme et ma tête la raison. Je m’écarte de lui d’un pas et, comme une enfant que l’on viendrait de prendre sur le fait, bredouille quelques mots : « Je c-crois bien que j’vais y aller. » J’ai à peine terminé ma phrase que je commence à faire quelques pas pour m’éloigner de lui. Bon sang ce que je peux être bête quand je m’y met.