+ Nolene

Je me promène tranquillement près de la côte rocheuse, même si en fait je déteste marcher sans but. Mais il parait qu'il y a un début à tout. Aujourd'hui serait donc ce jour où je vais commencer à me mettre à marcher comme ça, sans raison, simplement pour le plaisir. Non, je ne suis pas encore assez vieux pour ce genre de conneries. Je marche quand même. Disons que je veux rejoindre un endroit inconnu, ouais, voilà, comme ça j'ai un but et je sais pourquoi je me bouge les fesses au lieu de les laisser vissées sur un siège. Je regarde la paysage pendant quelques instants avant que mon regard ne se porte sur une chevelure blonde un peu plus loin. Je m'en approche et me rends compte qu'il s'agit de ma super nouvelle partenaire. Ô joie ! Je suis si heureux de la voir, encore ! Déjà que je dors avec. J'ai l'impression de dormir avec ma tante, c'est affreux, je vous jure. Je la regarde un instant, puis je fixe la côte rocheuse. Si elle veut sauter, je vais pas l'en empêcher, mais qu'elle attende que je me sois éloigné, sinon on va m'accuser de non assistance à personne en danger. « J'espère que je bouge pas trop la nuit. » En fait je pense tout le contraire et j'espère qu'elle l'aura compris dans le ton sympathique que je viens d'employer.  « Sinon tu peux toujours dormir par terre, c'est presque aussi confortable. » Presque.

Du sarcasme dans ma voix ? Vraiment ? Je n'avais pas remarqué, tiens. Merci de me prévenir. En tout cas elle, elle m'a l'air bien perspicace. J'haussais un sourcil, assez indécis à propos de la façon dont je devais prendre puis répondre à son petit speach qu'elle avait récité sur un ton qui me rappelait vaguement celui de mon père qui m'irritait tant. Je laisse couler, puis elle dit que je pourrais essayer de me comporter comme quelqu'un de civilisé, dans le cas contraire, on aurait qu'à vivre notre aventure comme deux étrangers. « Ouais, enfin, on peut pas faire comme si on était des étrangers l'un pour l'autre : on dort ensemble. » Que je lui rappelle, comme si elle pouvait l'avoir oublié. J'ai pas envie qu'on soit partenaire, j'ai pas envie de la connaître, j'ai pas envie de lui parler, de la voir tout court même, je dirais. Mais il faut savoir se faire violence parfois. Je soupire un bon coup et la regarde droit dans les yeux. « Excusez-moi pour ce ... faux départ. » Que je dis en essayant de paraître le plus honnête du monde. Toute personne qui me connait un peu sait pertinemment que je ne m'excuse que dans de rares cas et celui-ci ne vaut la peine que parce que je n'ai pas envie de m'engueuler avec elle comme si c'était ma mère à chaque fois qu'on se croise quand on va au lit ou qu'on en sort. Je la fixe toujours du regard. « Recommençons depuis le début, voulez-vous ? » Que je lui propose. Je m'éclaircis la voix.  « Enchanté, je suis Esteban, votre petit con de partenaire. Je peux me montrer totalement immature par moment et vous demande donc d'excuser mon comportement jusqu'à maintenant. » Que je lui dis en m'inclinant légèrement. Puis je me redresse afin d'observer sa réaction. Elle ne doit pas bien comprendre ce que je fais, pourquoi je change d'attitude d'un coup, mais moi je me comprends, et je crois que c'est le principal.

Je n'aime pas l'autorité et je n'aime pas qu'on me fasse la leçon, hors j'ai l'impression que ce sont deux choses que fait constamment Nolene, consciemment ou pas. Je n'ai pas grand chose à faire de la raison pour laquelle on a inventé le verbe prétendre. J'hausse simplement les épaules d'un air plus ou mois désintéressé. Mais au fond, elle avait un peu raison, je ferais mieux d'essayer de me montrer un temps soit peu civilisé pour que notre partenariat ne devienne pas un fardeau. Je décidais donc de m'excuser et de me présenter à nouveau, me dénigrant au passage, lui demandant de bien vouloir pardonner mon comportement de gamin. Je n'avais pas changé d'avis à propos d'elle, je ne l'aimais pas et je pense que l'écart d'âge en plus de son caractère opposé au mien n'arrangeraient rien. Elle ne prit pas mon changement d'attitude comme je l'avais espéré. Adoptant un ton sévère elle me demande à quoi je joue et me préviens que je ferrais mieux d'arrêter ça immédiatement. « J'essaye simplement de faire des efforts. Ne voulez-vous pas qu'on tente de mieux s'entendre ? » Je me suis excusé, je sais que c'est de ma faut si on en mal entamé notre cohabitation, mais maintenant elle pourrait essayer d'y mettre un peu du sien. Ce n'est pas la peine de me faire un sermon, ça ne va rien arranger, j'aurais pu très mal prendre ses paroles et partir au quart de tour mais au lieu de ça je prends sur moi et parle sur un ton relativement calme, espérant qu'elle se rende compte qu'à défaut d'être particulièrement agaçant, je sais faire la part des choses et ne suis pas si rustre et mal élevé que j'ai pu le lui montrer jusqu'à présent.

Je ne sais pas si elle croit vraiment à mon histoire d'efforts, mais à présent, quand elle parle, c'est d'une façon bien moins sévère. Elle me demande tout d'abord si je la trouve si vielle que ça pour utiliser le vouvoiement quand je m'adresse à elle. Elle doit bien avoir dix ans de plus que moi, alors oui, je la trouve vieille, mais en soit, avoir dépassé la trentaine ne signifie pas qu'on est passé dans la catégorie senior, je le sais bien. « Non. Je pensais simplement que ça faisait plus respectueux, mais si ça ne vous plait pas, j'arrête. » Que je réponds d'un ton posé. Je peux être chiant quand je veux, mais si elle n'aime pas que je la vouvoie et donc que je la fasse se sentir vieille, je peux repasser au tutoiement. Disons que c'était simplement pour tenter de faire bonne impression, mais visiblement, ça n'a pas trop marché. Enfin bref. Elle en revient sur nos relations, qui sont pour l'instant loin d'être les meilleures au sein du nid. Elle pense que l'on peut s'en tenir à des échanges cordiaux qui pourrait peut-être conduire à une bonne entente. « Oui, peut-être. » Que je me contente de dire en hochant la tête, tordant un peu ma bouche sur le côté. Je ne suis en réalité pas tout à fait convaincu de cela, mais comme la candidate vient de le dire, on ne sait jamais. Nolene fait remarquer que si nous essayons de nous connaître un peu, ça pourrait nous aider à mieux s'entendre. J'acquiesce à nouveau d'un signe de tête et la fixe un instant. « Les dames d'abord. » Je suis galant, je la laisse commencer si elle veut me parler d'elle en premier, à moins qu'elle préfère me poser des questions, c'est à elle de voir, je m'adapterais.

Il est vrai que le fait que je la vouvoie à présent puisse la mettre un peu mal à l'aise, mais pour être tout à fait honnête, c'était simplement pour paraître mieux élevé et plus poli. Après tout, on m'a toujours appris qu'il était plus respectueux de vouvoyer ses aînés, et Nolene était clairement plus âgée que moi, donc je lui devais apparemment une certaine forme de respect, un peu comme à un professeur quand on est à l'école; même si on ne le porte pas dans son coeur on doit le respecter et cela passe par le vouvoiement. Enfin bref. Elle me dit finalement que je fais ce que je veux. J'hausse donc les épaules, n'ayant pourtant pas encore décidé à quelle personne je lui parlerais la prochaine fois. Elle propose ensuite qu'on essaye d'en apprendre plus l'un sur l'autre, ce qui est une plutôt bonne idée, mais qui ne nous rapprochera pas forcément. Si ça se trouve on n'a tout simplement aucun point commun et on n'est pas fait pour s'entendre. Ça arrive parfois. Je l'incite à commencer en premier. Je l'écoute pas politesse. Je suis presque intéressé par ce qu'elle raconte. Elle me demande ensuite si je veux savoir autre chose. Je fais non de la tête. Je crois que j'ai le principal, ça me suffira pour l'instant. La candidate m'annonce alors que c'est à mon tour. « Et bien, j'ai vingt-et-un ans, j'en aurais vingt-deux en mai, le trente. Je suis né à Barcelone mais je vis actuellement à Madrid. Je fais des études de droit, je veux devenir avocat, comme mon père. Ah et, j'adore Londres, j'y vais tous les ans. » Pour faire la fête, retrouver des amis, d'autres gosses de riches comme moi, mais je ne crois pas que ce soit une réelle bonne idée de le dire à la blonde. Enfin, ça peu l'intéresser, après tout, je n'en sais rien.