(CHRISTA) Je crois que ça fait un moment que je n'avais pas vécu quelque chose d'aussi surprenant. Et, du fait de la différence d'âge qui me séparait des autres candidats, j'ignorais si mes camarades de jeu ressentaient le même genre d'impression que moi, ou si tout cela leur passait superbement au dessus de la tête. Il faut dire que j'avais entendu nombre de clichés sur la génération Y, et ne pouvais pas m'empêcher de les imaginer tous un peu blasés d'une certaine façon. Ils ne s'émerveilleront pas des mêmes choses que moi, et j'imagine qu'il va falloir que je veille à la mettre en sourdine si je ne veux pas passer pour le simplet de service qui trouve tout trop cool. En même temps, mon quotidien était tellement terne qu'il ne fallait pas grand chose pour constituer une nette amélioration de mon train de vie, et il était déjà évident que mon séjour dans le nid, même s'il était ardu de faire des pronostics à ce stade là du jeu, allait être hautement rafraichissant. C'était littéralement des vacances tous frais payés. C'est avec cet état d'esprit positif que j'arpente les couloirs de notre nouvelle demeure à tous, furetant un peu partout histoire de découvrir tous les coins et recoins intéressants du lieu. En visitant le salon, je finis par tomber sur une porte marquée d'un écriteau, que je lis les yeux plissés. Un léger sourire moqueur se dessine sur mes lèvres, puis, à l'entente de bruits de pas derrière moi, me retourne à demi. En face de moi, une brune, jeune – comme tout le monde ici, du moins selon mon regard peu objectif. D'un signe de tête, un sourire amusé et espiègle aux lèvres, je désigne la pancarte. « T'y crois toi ? » que je lui demande, une intonation ironique flagrante dans la voix.

Près de quarante-huit heures se sont écoulées depuis le début de notre aventure, et je crois pas m’être encore tout à fait habituée à l’idée de vivre en compagnie d’une trentaine d’inconnus venant de différents horizons, ayant des parcours tous aussi atypiques les uns que les autres. C’est un drôle de choc, un espèce de dépaysement, mais plus humain que territoriale. Car l’Australie et son climat, je connais bien. Nous avons une base impressionnante d’admirateurs de groupe dans le coin, et nous visitons, le groupe et moi, ce bout du monde à chacune de nos tournées. Les garçons me manquent, je suis habituée à leur présence constante à mes côtés, et ce, depuis bientôt dix ans. Ces trois prochains mois (dans le meilleur de cas) seront difficiles, autant pour eux que pour moi. Mais j’y tenais mordicus, et ils me soutiennent jusqu’au bout. Nos fans aussi, forcément. Impossible de savoir leur avis puisqu’aucun contact extérieur n’est permis, mais j’aime imaginer l’engouement que l’émission provoque chez eux. Ayant toujours été la seule fille du groupe, j’ai toujours attiré la curiosité, et cette aventure ne fera que l’éveiller davantage. Je suis tellement perdue dans mes réflexions sur mon petit univers personnel que je remarque à peine le candidat qui s’est arrêté devant l’étrange porte qui se trouve au salon, où je me suis vautrée quelques minutes auparavant. Tiens, je n’avais jamais remarqué ce petit panneau. Je m’oblige à me lever pour aller l’observer de plus près, et sa lecture m’amuse, définitivement. Le candidat à mes côtés s’enquiert à ce sujet. « Pas le moins du monde. » Je suis incrédule, ces histoires de peurs, de légendes, ça ne m’impressionne pas. « Et si nous poussions le vice jusqu’à rendre visite à ce fameux jumeau maléfique? » rétorquais-je néanmoins, un brin provocatrice. Cupidon nous réserve surement quelques surprises, en fait, je n’en attends pas moins de sa part. Surprends-moi, mon petit chérubin adoré, je veux voir ce que tu as dans le ventre.

À la réponse de la jeune femme, je hoche doucement la tête d'un air approbateur et appréciateur. La production de Fake Lover me fait toujours sourire avec cet espèce de pseudo-mysticisme autour de Cupidon. Le jour où le mec qui fait sa voix décide de changer de vocation, ils seront tous dans la merde ; c'est à croire que tout repose sur ses épaules, et il suffira de peu pour briser la belle illusion sur laquelle repose l'angelot. Ma camarade propose alors que nous relevions le défi lancé à note encontre, ce à quoi je ne peux qu'acquiescer. « J'allais te le proposer... » je réplique d'un air complice, avant de porter ma main sur la poignée de la porte, que j'actionne précautionneusement. De l'autre côté nous attend ce qui semblerait être une cave ou un caveau, d'après ce que j'aperçois à la lumière de l'unique ampoule grésillante qui éclaire les lieux, en contrebas des escaliers. Galamment, j'invite la jeune fille à entrer en première, ce qui, tout bien réfléchi, compte tenu de l'avertissement collé sur la porte, n'est peut-être pas si galant que ça. Tant pis. « J'espère qu'ils ont prévu mieux pour nous effrayer que des ampoules capricieuses, ce serait décevant. » je commente, en fermant la porte derrière moi. C'est bien évidemment ce moment là que l'ampoule susmentionnée choisit pour prendre une pause, et nous nous retrouvons soudainement dans le noir. « Je suis à peu près sûr que les avocats de la production ont déconseillé ce genre de pratique. » je note, amusé, en tâtonnant les murs histoire de garder un repère tangible pour que la fonction géolocalisation de mon cerveau soit pas trop larguée.

Prétendre à l’existence d’un maléfique Cupidon alors que le maître des lieux se tarde d’être cruel, à chaque saison qui passe, n’est-ce pas un peu de l’ironie? Où est-ce supposé nous effrayer encore plus? C’est peine perdue de mon côté, et visiblement, mon camarade semble être du même avis sur la question. Rassurant, vraiment. Je préfère ça que de tomber sur un trouillard de première. Il faut dire que j’ai l’habitude de traîner avec des garçons ayant de fort caractère, bien que notre guitariste soit un tantinet trop superstitieux, mais c’est ce qui fait son charme. Bien sûr, il est évidemment le seul à avoir vu d’un mauvais œil ma participation à la treizième saison de cette émission, mais ça n’a pas seulement rapport avec ses croyances. Je crois plutôt que ces sentiments – non partagé – à mon égard lui ont fait craindre le pire. Le pauvre, il va devoir se faire à l’idée que je ne vois chez lui qu’un excellent ami. Dire que cela fait des années que ça dure. Discrètement, je soupire, avant de revenir à mon camarade du moment. Quelques instants auparavant, je lui ai proposé de m’accompagner dans cette conquête de l’étrange sous-sol et c’est avec plaisir que je l’entends me répondre par l’affirmative. À vrai dire, je l’ai même devancé, puisqu’il avait en tête la même idée. « Qu’attendons-nous, alors? » Il ne se fait pas prier, puisque sa main se pose presque instantanément sur la poignée. La porte s’ouvre en un grincement sinistre – j’adore l’effet dramatique – et devant nous, la noirceur d’une cave, illuminée d’une faible lumière qui clignote à un rythme irrégulier. Il m’incite à prendre les devants, et je ne me fais pas prier. Rien ne m’inquiète, et j’attends de pied ferme ce vilain chérubin. Car pour l’instant, je ne suis pas vraiment impressionné. Je sursaute néanmoins lorsque, une fois la porte refermé, l’électricité nous fait défaut. Et je manque de rater une marche, me rattrapant à la rampe qui longe le mur de justesse, heureusement pour moi. La remarque de mon compagnon est tout à fait de circonstance. « Je commence à croire que la véritable épreuve sera de sortir d’ici en un seul morceau, hm… » Mes pieds cherchent à tâtons le reste de l’escalier, et je fini par nous mener, sans trop de mal, au bas de celui-ci.

Je continue de tâtonner le long des murs en descendant les escaliers. Des souvenirs remontent à la surface, de soirées où les plombs avaient sauté, et où je me devais alors de descendre au sous-sol pour remettre le courant en marche. Ava, qui ne loupait d’ordinaire jamais une occasion d’agir en parfaite maîtresse de maison, leader incontestée et femme de caractère, préférait rester au salon sous un faux prétexte et je feignais alors d’ignorer qu’elle avait grave les pepettes à l’idée de ce qui pouvait l’attendre en bas. C’est fou ce que ça pouvait me manquer. « Si tu veux je peux finir de descendre voir s’il y a moyen de rallumer ça ? » je propose sans m’arrêter de marcher, posant précautionneusement mon pied sur la marche inférieure. « C’est con, si j’avais prévu cette expédition, j’aurais fait l’effort de prendre l’iPad avec moi, ça aurait au moins eu le mérite de nous fournir un peu de lumière. » je pense à voix haute, songeant que là était bien la seule utilisation du gadget que je maîtrisais. Surpris, je note que j’ai dû arriver en bas, puisque mon pied ne rencontre pas de marche plus basse que celle que je viens de quitter, et je m’avance un peu plus dans la pièce. « Ça manque quand même un peu de portes qui grincent, de chauve-souris et de murmures angoissants. Je suis déçu. »