La blonde est concentrée comme elle ne l’a jamais été. Il est rare de la voir aussi appliquée dans une tâche. Pendant une bonne demi-heure elle s’est attelée à vider une citrouille. Maintenant elle la fixe intensément, dans l’espoir d’avoir une idée lumineuse. Elle incline sa tête dans tous les sens, essayant même de regarder la citrouille la tête en bas. C’est bon, elle sait de quelle manière elle veut la creuser. Un couteau à la main, la langue sur le côté, elle la découpe, très appliquée, pour lui donner le visage le plus terrifiant qu’elle puisse imaginer pour une citrouille. Elle sursaute légèrement lorsqu’elle entend un bruit, ses yeux s’attardant sur la silhouette de Paloma qui vient d’entrer dans la cuisine. « Coucou. Regarde ce que j’ai fait ! J’adore Halloween, c’est ma fête préférée après Noël. C’est quoi ta fête préférée à toi ? Elle fait peur à ton avis ma citrouille ? » Elle s’écarte, laissant libre champ à Paloma pour l’admirer. Elle en est très fière, et elle espère que Paloma l’aimera autant qu’elle. « Dis, j’ai remarqué que t’avais pas l’air d’aller très bien ces derniers jours, je peux faire quelque chose ? » Ses lèvres s’étirent en un large sourire. Elle n’aime pas voir les gens tristes, et si elle le pouvait, elle ferait n’importe quoi pour lui remonter le moral. Tout ce qu’elle veut, c’est voir les gens heureux.

Paloma n'a pas dormi de la nuit ou presque pas. Elle a lutté contre l'insomnie pour terminer par quelques heures en compagnie de l'âme torturée de Mallaury en plein questionnement interne. Elle a déjà fait sa journée ou presque et il n'est que midi, à peine. Bon d'accord, pas encore. Autant dire que ça s'annonce long et fastidieux et que la fatigue - physique, oui mais nerveuse surtout - ne va pas tarder à lui tomber sur le coin de la gueule comme une enclume. C'est en pensant à la perspective que son corps craque avant le reste qui pousse les pas félins de Paloma jusqu'à la cuisine. En fait, elle n'a pas faim mais elle n'a pas encore mangé aujourd'hui et elle croit avoir sauté le dîner d'hier soir. Elle sait pas trop parce que dans son ventre y'a un manque, un creux, un vide, qui englobe tout cette semaine, même les besoins les plus élémentaires. L'espagnole a même un peu peur que la vue de la nourriture lui noue les entrailles et autant dire que toute cette chair de citrouille, partout, lui donne pas vraiment faim. Son regard languide, un peu éteint, se promène nonchalamment de McKayla à son oeuvre plutôt réussie mais ça n'arrive même pas à lui arracher un sourire. Elle tire pas la gueule, Paloma, son visage est seulement neutre, figé dans ses traits de poupée mélancolique qui avance docilement sous les coups de la vie. Elle attrape une pomme d'un rouge flamboyant pour la forme, mais n'esquisse pas un seul geste pour s'en nourrir. A la place, elle détaille la citrouille de la blonde et essaye de tempérer le glacier qui perce en elle pour lui répondre. « T'as fait ça toute seule ? Elle est belle » est la première question qui lui vient à l'esprit. C'est un étonnement dénué de jugement, pur, mais ça l'emmerde quand même Paloma de penser un truc pareil, comme si McKayla n'était pas capable de vider une citrouille. C'est pas ça, c'est juste qu'elle... Elle papillonne. Elle papillonne toujours, semble incapable de se concentrer sur une tâche plus de cinq minutes et possède sans doute l'attention la plus volubile du nid. Alors la voir absorbée par quelque chose c'est plutôt curieux. « J'ai jamais fêté Halloween. On connaît pas vraiment ça en Espagne ou en France... » souffle Paloma, presque désolée de ne pas pouvoir partager son enthousiasme. Elle n'est pas d'humeur mais même si ça avait été le cas, Halloween représente pas grand chose à ses yeux hormis les clichés divulgués par les séries américaines. « Je suis pas très fêtes » qu'elle avoue de sa voix cendrée au timbre chaud, les yeux plantés dans ceux de McKayla. C'est vrai, les fêtes chez elle ont toujours été de grandes mascarades sans chaleur et elle en garde un souvenir un peu amer, comme si ça aussi, on lui avait volé et c'est malheureusement le sentiment qui domine pour une bonne partie de son enfance. McKayla s'écarte pour la laisser contempler son oeuvre et l'espagnole hoche la tête, plus pour lui faire plaisir. C'est pas son genre, de pas être sincère, mais elle a du mal à s'extasier devant une courge quand elle manque de sommeil, d'entrain, de chaleur en fait. Et comme si ça suffisait pas, McKayla remet le sujet sur la table, la faisant immanquablement grimacer. Paloma sait que c'est gentil, que c'est une belle intention, elle le lit sur son visage avenant à la fraîcheur juvénile. Sauf qu'elle peut rien faire. Rien du tout. « Raconte-moi quelque chose. Quelque chose de joli, de tendre, une histoire qui finit bien. » souffle-t-elle finalement tout en se laissant choir gracieusement sur une chaise. Paloma est certaine qu'elle n'ira pas mieux mais, elle sait pas, peut-être que pour quelques minutes, se concentrer sur autre chose que des échanges houleux ou des pensées moroses la soulagerait momentanément.

C’est étonnant de voir McKayla s’appliquer autant pour réaliser quelque chose. Depuis le début elle est restée concentrée, n’a pas bougé ayant cru apercevoir un papillon dehors, et n’a pas ressenti le besoin de faire autre chose. C’est rare. Rare, mais pas inédit. Son niveau de concentration frôle le zéro d’ordinaire, mais Halloween c’est une fête qu’elle aime, et elle veut qu’elle soit réussie. Sa citrouille bientôt terminée, elle aperçoit Paloma qui vient de faire son entrée dans la cuisine. Elle ne tarde pas à lui présenter son œuvre, fière comme tout. L’enthousiasme de la blonde contraste avec le visage dénué d’expression de l’espagnole, mais elle ose espérer, naïvement, que sa citrouille saura lui rendre le sourire pour quelques secondes. Cela dit, elle ne croit pas avoir vu Paloma beaucoup sourire au cours des dernières semaines, pas autant qu’elle en tout cas. « Oui j’ai fait ça toute seule, mais tu sais au final c’est pas si compliqué que ça. Merci en tout cas ! » dit-elle, toujours accompagnée de son large sourire. Sourire qui se transforme bien vite en une légère moue lorsque Paloma lui dit n’avoir jamais fêté Halloween, et qu’elle n’est pas très fêtes. Ses yeux de chaton la dévisagent un instant, la regardant comme si elle traînait toute la tristesse du monde sur ses épaules. « Oh c’est dommage, tu devrais venir aux Etats-Unis un jour pour fêter Halloween tu sais, même si t’es pas très fêtes je suis sûre que t’adorerais. » Soudainement, la blonde a envie de la secouer, de lui ordonner de sourire. Elle n’aime pas ça, elle n’aime vraiment pas voir les gens tristes. Que peut-elle faire ? Elle a bien peur que ce ne soit pas de son ressort. Elle se sent bien souvent impuissante face à la douleur des autres, elle, elle la soigne par des sourires, mais elle a bien peur que cela ne fonctionne pas. Elle veut une histoire qui finit bien. Tout simplement. McKayla se creuse la tête pendant quelques secondes, se demandant ce qui pourrait lui remonter le moral. « Je fais du bénévolat dans un hôpital, et y’avait une petite fille à qui on avait dû amputer les deux jambes après un accident de voiture. C’était triste de la voir allongée dans son lit, et en même temps elle souriait à chaque fois que je venais lui lire une histoire. Mais moi je voulais l’emmener jouer au parc, pas la voir dans son lit d’hôpital tout le temps. Un jour, elle a enfin eu ses prothèses de jambes, sa rééducation a été longue mais au bout de quelques mois on a enfin pu aller jouer dans le parc. Et j’ai jamais vu une personne aussi heureuse qu’à ce moment-là ! » Elle scrute Paloma, espérant que ça puisse lui décrocher ne serait-ce qu’un léger sourire. Cela lui ferait plaisir. Elle, elle sourit en repensant à cette petite fille. Elle lui raconte l’histoire dans les grandes lignes, parce qu’il a fallu du temps avant d’en arriver là, beaucoup d’argent aussi, mais elle trouvait que c’était une jolie histoire à raconter. Peut-être pas celle qu’elle attendait, mais elle fait de son mieux. « T’es plus jolie quand tu souris tu sais, la tristesse ça te va pas au teint. » Est-ce que c’est une chose qu’elle peut dire ? Elle ne sait pas, elle tente, tout ce qu’elle veut, c’est voir un sourire, ne serait-ce que léger sur le visage de la brune.