Ses pieds s'égarent sur le sable mouillé alors qu'elle s'amuse à essayer de fuir les vagues, un peu enfant c'est vrai, trop vieille sans doute pour s'adonner à ce genre de jeu mais c'est tant pis, elle s'en fou, personne n'est là pour le voir et quand bien même ce serait le cas est-ce que ça a une réelle importance dans le fond ? Elle continue son manège un instant avant de se mettre à longer la mer, ses chaussures à la main, profitant de la sensation du sable sur la plante de ses pieds. Il est un peu froid déjà, dix-neuf heure, l'heure où le sable commence à s'endormir. Elle sourit à cette idée stupide parce qu'il lui en faut peu, pour sourire. En relevant la tête, c'est là qu'elle le voit. Alistair, planté là sur un coin de la plage, le regard comme absorbé par l'étendue d'eau il paraît. Elle s'approche de lui pour venir se placer à ses côtés. « Tu cherches quelque chose ? ». Peu probable mais avec son attention ainsi focalisée sur les flots on pourrait le croire. Elle se laisse finalement tomber dans le sable pour s'y assoir, avant de soupirer. « C'est beau, la mer. Tu peux la voir, toi, de là ou t'habites ? ». Elle ne sait pas où il vit, à vrai dire elle en sait peu sur lui et c'est sans doute le cas de la plupart des habitants du nid parce qu'on ne peut pas dire qu'il soit du genre à s'épancher sur son existence. On pourrait croire qu'il n'a rien d'intéressant à raconter mais elle est intimement persuadée du contraire, sans savoir pourquoi. Le fait de savoir qu'il cache un secret comme eux tous, sans doute. L'aura un peu mystérieux qu'il dégage, aussi.

Il n’aime pas la mer et bien qu’ils aient un accès à celle-ci, il ne compte pas pour autant s’y immerger. Et pourtant, il commence à apprécier de plus en plus cette plage. Evidemment pas pour son étendue d’eau, donc, mais pour la tranquillité et la sérénité qu’elle lui offre. Un peu comme la falaise, avec un peu plus d’espace. Si c’est un endroit qu’il prenait soin d’éviter à son arrivée ici, il vient s’y asseoir pour contempler l’horizon de plus en plus régulièrement. Ce bruit, cette eau, cet air, cela a quelque chose d’apaisant qui l’aide à chasser, un court instant, les pensées négatives qui hantent son esprit. Même l’espace de quelques minutes, ce n’est pas une sensation désagréable. Et c’est exactement ce qu’il se passe en ce mardi, il est assis sur le sable, le regard plongé face à lui depuis quelques minutes, tentant tant bien que mal de faire le vide dans son esprit. Et quand il y arrive enfin, quand il a l’impression d’être soulagé d’un poids l’espace d’un instant, une voix à ses côtés se fait entendre et il sursaute avant de tourner la tête. Il reconnait Pia. Pia, qui s’adresse à lui, mais dont les propos lui échappent complètement, ayant la tête un peu ailleurs. « Pardon ? » Il demande, comme s’il venait de se réveiller. Il l’observe prendre place sur le sable avant de replonger son regard face à lui. Il marque une courte pause après la question de Pia. Ce n’est pas qu’il ne sait pas quoi lui répondre, c’est juste qu’indirectement, elle pointe du doigt une évidence qu’il a de plus en plus de peine à accepter. Être ici l’aide à s’ouvrir un peu plus aux autres, mais ça lui fait aussi réaliser que ce serait pas plus mal qu’il ait un endroit où rester plus de quelques jours, quelques semaines s’il est chanceux. Il aimerait bien se poser, mais c’est impossible. Il laisse échapper un léger sourire avant de tourner la tête un court instant en direction de la rouquine. « Ça dépend d’où j’habite sur le moment. » Il aimerait bien lui donner une réponse plus précise, malheureusement pour elle, il ne peut pas. Parce qu’on ne peut pas vraiment dire qu’il ait une maison à lui, ni même une simple chambre chez l’habitant. Il n’a rien de tout cela, il passe d’un hôtel, au canapé d’une connaissance, à sa vieille voiture. « Et toi, tu peux ? » Il préfère lui retourner la question, certain qu’elle sera susceptible de lui offrir une meilleure réponse que lui.

« Pardon ? ». Il a un air de type qu'on vient de réveiller qui la fait sourire discrètement, sans trop de raisons sans doute, il lui en faut peu de toute façon. « Rien d'important. ». Elle secoue la tête tout en fixant son attention sur la mer qui s'agite doucement devant leurs yeux. Est-ce qu'il voit la mer, Alistair, de là où il vit ? « Ça dépend d’où j’habite sur le moment. ». Elle hausse légèrement les sourcils, reportant son regard sur lui, comme essayant de le percer à jour. « Tu voyages beaucoup ? ». Il est peut-être marin, comme Lou ? Elle le voit mal pourfendant les flots sur son voilier, mais peut-être qu'elle se trompe, que c'est un véritable aventurier, Alistair. « J'aimerais bien fait le tour du monde. C'est bateau, comme idée, hein ? ». On a sans doute fait plus original, niveau rêves à inscrire sur la liste des choses à faire avant de mourir. Pourtant, elle aimerait, Pia. Elle adore voyager, le seul problème c'est que ça implique de plaquer tout ce qu'on a à côté, et elle ne peut pas. Elle secoue la tête doucement lorsqu'il lui retourne la question. « Ce serait cool. Mais non, j'vois pas la mer de là où je suis. J'habite à Rome. ». Dans l'appartement d'un pote qui a accepté de m'héberger jusque là, après quand il me virera d'un coup de pied au cul j'aurai plus qu'à retourner dans ma campagne, chez maman. Mais elle ne le dit pas, ça, c'est pas très glorieux. Sans doute pas le genre de détail qu'on a envie que les gens retiennent sur vous. Alors que Rome, quelque part, ça inspire le respect. C'est la ville du trop grand et du trop riche. « Qu'est-ce qui te manque le plus ? De dehors, je veux dire. ». En dehors du nid, de leur enclos délimité, de l'aventure. En de hors des écrans de télés, somme toutes. Ce qui lui manque le plus de la vraie vie, celle qu'il avait avant et qu'il retrouverait après.

Il voit bien que Pia lui parle et il s’imagine, naïvement, qu’en fixant ses lèvres il sera soudainement capable de lire sur celles-ci. C’est peine perdue, même en essayant de réfléchir, il n’est pas en mesure de comprendre ce qu’elle vient de lui dire. Il faut dire qu’il était bien trop absorbé par l’eau devant lui pour réellement prêter attention à la candidate. Alors il lui demande pardon, dans l’espoir qu’elle répète s’il s’agit de quelque chose de considérablement important. Mais ça n’en a pas l’air. « D’accord. » Il ne va pas insister, il peut très bien vivre dans l’ignorance, d’autant plus s’il s’agit effectivement de quelque chose qui n’a aucune importance. Il répond ensuite à sa question, bien qu’il ne soit pas très précis, mais c’est la meilleure réponse qu’il puisse lui donner. Il peut voir la mer, mais ça dépend d’où il crèche sur le moment. Mais c’est plutôt rare dans l’ensemble, puisque les chambres d’hôtel avec vue sur la mer coutent un bras et que la plupart des connaissances chez lesquels il squatte de temps en temps vivent en ville. « On peut pas dire ça, non. » Il lui répond quand elle évoque la possibilité qu’il puisse voyager régulièrement. Enfin, il est vrai qu’à choisir, cette option est plus agréable que la réalité. « Je n’ai pas de logement à moi, si on veut. » Si on veut, parce qu’il n’est pas à proprement parler un SDF puisqu’il ne dort pas toujours dans sa vieille voiture et qu’il s’estime relativement chanceux d’avoir la plupart du temps un lit, aussi peu confortable soit-il. « Non, ça ne l’est pas. » Il déclare ensuite quand elle lui avoue qu’elle aimerait bien faire le tour du monde, aussi bateau que cela soit. « J’aimerais bien, moi aussi. » Bien même s’il sait que cela ne se fera certainement pas et qu’il accepte cette idée, c’est sûrement une idée commune à nonante pourcents de la population. « C’est normal de vouloir découvrir les merveilles que le monde peut nous offrir. » Qu’il dit ensuite, afin de lui prouver que son idée n’est pas si bateau que ça, mais tout à fait respectable et logique. C’est bien beau les documentaires à la télévision, mais ça ne vaut pas la réalité. Il lui retourne ensuite sa question, est-ce qu’elle peut voir la mer d’où elle vit ? Il ne sait même pas d’où elle vient, à vrai dire, il ne sait pas grand-chose sur elle. Mais non, elle ne la voit pas, puisqu’elle habite à  Rome. La classe. « Je ne suis jamais allé en Italie. C’est comment ? » Il sait que c’est une question à laquelle il est difficile de donner une réponse, puisque chacun a son ressenti. Mais lui, à part le fait que les italiens parlent avec les mains et que la nourriture vous fait prendre cinq kilos, il ignore tout de ce pays. Alors s’il peut voyager un peu à travers ses propos, que ce soit en lui disant que les italiens sont des pervers ou que la ville est absolument magnifique, ça lui va. « Rien. » Il lui avoue ensuite. Comme il l’a dit lors de son bilan, rien ne lui manque à l’extérieur, parce qu’il n’a aucune attache ni même ce qui s’approche d’une vraie vie. Pas de travail, actuellement, pas de logement, pas de chien, pas de copine, pas de famille, pas d’amis. « Ou alors ma vieille caisse. » Il veut quand même lui donner une réponse puisqu’elle fait l’effort d’apprendre un peu plus à le cerner, même si celle-ci n’a rien de très intéressante. Sa vieille bagnole est la seule chose susceptible de lui manquer. Il y aurait bien Peter, aussi, mais il évite d’en parler aux autres pour éviter les questions sur qui est ce dernier, car cela serait trop compliqué à expliquer et, surtout, il serait obligé de mentir. « Et toi, c’est les pizzas ou le Colisée ? » Attention, on applaudit la tentative d’humour d’Alistair. La prochaine fois, il n’y a plus qu’à y ajouter l’air enjoué qui va avec et éviter la voix monocorde du type qui récite un texte.

« On peut pas dire ça, non. ». Elle fronce les sourcils, un peu, parce que naïvement elle ne comprend pas comment on peut ne pas avoir de réel chez-soi sans être un voyageur. « Je n’ai pas de logement à moi, si on veut. ». Elle reste imperturbable un instant, perdue dans ses pensées, peinant à mettre toutes les places du puzzle en place. « Ça doit être dur. Elle finit par lâcher, les yeux dans le vague. « Tu sais pas où tu vas aller quand tu rentreras, alors.. » Ça aurait pu être génial si c'était un grand voyageur, mais ce n'était pas le cas. Elle laisse les mots sortir tel qu'elle les pense sans penser à filtrer, sans même songer que ça pourrait le mettre mal à l'aise. Elle ne vit pas chez elle, Pia, mais elle sait où elle ira quand on décidera que son aventure dans le nid s'arrête. Elle a la garantie d'avoir un toit sur sa tête, et quand bien la personne qui la loge déciderait de la virer, elle pourrait toujours aller sonner chez sa mère. C'était pas reluisant mais c'était tellement important, comme soutien. Elle sourit un peu lorsqu'il lui dit que ce n'est pas idiot, de vouloir faire le tour du monde, que lui même le ferait. « C’est normal de vouloir découvrir les merveilles que le monde peut nous offrir. ». Elle secoue la tête, s'amusant à faire glisser du sable entre ses doigts. « Voir ce que le monde a à offrir, et fuir. ». Chacun de ses voyages est une fuite. Elle fuit tout le temps, Pia. La vie, les responsabilités, les conversations sérieuses et les paroles lourdes qui la mettent face à l'évidence qu'on ne peut pas toujours rester en enfance. Elle laisse finalement son dos heurter le sable, fixant les étoiles. « Rome, c'est différent de l'Italie que je connais. ». C'est nul, comme réponse, mais elle n'a jamais été douée pour donner les réponses attendues de toute façon. « Tout est.. Grand. Comme si la ville avait été construite pour des géants. » Chaque colonne, chaque porte semblait démesurée. Elle réfléchit à ce qui lui manque dans son pays et finit par lui poser la question à lui. Qu'est-ce qui peut manquer à Alistair, de la vraie vie ? « Rien. » C'est clair, précis et un peu triste en même temps. « Alors, c'est le meilleur moment pour voyager. Pas d'attache. Rien qui te retient. » Partir sans que le reste du monde considère ça comme une trahison. Seul avec soi-même, et c'est tout. Avec sa vieille voiture, éventuellement, puisqu'il a l'air d'y tenir. Elle rit un peu lorsqu'il lui retourne la question. Pizza ou Colisée ? « Les pizzas, sans hésiter. Les monuments, l'histoire, tout ça.. Ça a jamais été mon truc. » Les pizzas au moins, c'est du concret. Ce ne sont pas des espèces de vagues relents d'un passé qu'on s'acharne à ne pas oublier.

On ne peut pas dire qu’il voyage beaucoup, même si l’idée est tentante et qu’elle serait préférable à la véritable situation dans laquelle se trouve Alistair. Mais il ne tarde pas à lui avouer que s’il change régulièrement d’endroit, ce n’est pas parce qu’il a l’âme d'un aventurier, mais tout simplement parce qu’il est fauché et qu’il n’a pas vraiment de logement à lui. Ce n’est pas un point sur lequel il s’épanche régulièrement, mais ce n’est pas non plus un point qu’il cache, tout simplement parce que ce sont des situations qui arrivent et surtout, parce qu’il reste chanceux même en ayant pas de logement à proprement parlé, il ne dort pas souvent dans sa voiture. Pia déclare que ça doit être dur et il hoche vaguement la tête. « J’ai l’habitude. » Il rétorque rapidement. Il n’aime pas qu’on le prenne en pitié, alors autant rectifier ce point rapidement. « Non, mais je trouverais bien un truc. » Il répond ensuite quand elle déclare qu’il ne sait pas encore où il va aller après tout cela. C’est un fait, il n’a rien sous la main dans l’immédiat, mais il trouvera, comme il le fait toujours. Et puis, dans le pire des cas et même s’il n’aime pas cela, il pourra toujours s’adresser à Peter. Par la suite, elle lui avoue qu’elle aimerait bien faire le tour du monde, même si c’est bateau comme idée. Lui n’est pas de cet avis et lui le dit. S’il avait l’occasion de faire le tour du monde, il ne dirait pas non, bien qu’il ne s’agisse pas forcément d’un rêve particulièrement cher à son cœur. Mais il n’y a rien de mal à vouloir découvrir le monde, même si c’est un rêve qui n’est pas inédit. « C’est aussi ton truc, la fuite ? » Il finit par lui demander à la suite de ses propos. Il ne pensait pas se trouver un point commun avec Pia, parce qu’elle lui semble assez éloignée de lui, mais il ne demande qu’à être surpris. Il l’observe se coucher sur le sable tandis qu’il l’écoute attentivement. Il n’a jamais été en Italie, alors si elle peut lui toucher deux mots sur ce pays et sur Rome, il n’est pas contre. Enfin, pour une critique précise du pays, il repassera, mais il s’en contente. Il secoue simplement la tête. C’est grand, parait-il. Ce serait parfait pour que sa présence soit oubliée, s’il vient à voyager en Italie. Elle lui demande ensuite ce qui lui manque de la vie extérieure. La réponse est simple : rien. Elle estime que c’est le meilleur moment pour voyager. Il n’est pas du même avis, il y a quand même quelque chose qui le retient. « Si, l’argent. » Certains diront que ça n’empêche pas de partir à l’aventure, en stop par exemple, mais il est plutôt du genre prévoyant, Alistair et il ne peut pas s’imaginer partir sans avoir au moins une petite somme en poche, au cas où. Et clairement, même s’il n’a aucune attache et qu’il serait potentiellement en mesure de partir d’un claquement de doigts, il ne peut pas se permettre de dépenser ne serait-ce que 100£ dans un voyage, du moins dans l’immédiat. Et il n’y a pas que cela qui l’empêche de partir. « Et je ne peux pas me permettre de partir quand je le veux. » Il ajoute, sans plus de précision. Il n’a pas d’attache, mais pourtant il est attaché à un pays, plus par dépit que par choix. C’est compliqué et il ne compte pas s’épancher sur la question. Déjà que son envie de déménagement à la fin de l’aventure (s’il vient à gagner un peu d’argent) risque d’être compromise par certains détails, voyager relève actuellement de l’impossible. Il finit par lui retourner sa question, qu’est-ce qui lui manque le plus ? Il tente même une pointe d’humour et il esquisse un bref rictus quand il l’entend rire, parce que ça lui fait plaisir de remarquer qu’il n’a pas totalement perdu la main. Ce sont donc les pizzas qui lui manquent, et non pas les monuments. « Bon choix. Et si ça peut te rassurer, l’histoire ce n’est pas mon truc non plus. » Bon choix, parce que même s’il n’a pas l’air d’un grand gourmand, il partage l’avis de Pia, c’est quand même important, les pizzas. Ensuite, quant à la rassurer, c’est plus pour la formule. Mais il a remarqué que certains candidats étaient particulièrement calés dans des domaines, par exemple Paloma en histoire de l’art, Ana en sciences… Et lui, rien de tout cela ne l’attire, peut-être parce qu’il s’est contenté du niveau d’études le plus basique et qu’il n’a donc pas d’intelligence à étaler comme certains le font. Par la suite, il ne dit rien et préfère imiter Pia en se couchant sur le sable, observant à son tour le ciel, sans un mot. C’est reposant.