+ Je suis venue m'échouer sur le plage comme un déchet rejeté par la mer et je suis restée là, le cul sur le sable, à suivre la course du soleil des yeux jusqu'à se qu'il se fasse bouffer par l'horizon. Et puis ce sont les étoiles et un croissant de lune blafard qui sont venus illuminer le ciel. J'aurais pu me lever, décider qu'il était plus que l'heure de renter, de retourner au nid, de retrouver les autres, de manger, de monter me coucher, mais non. Je suis restée, le cul sur le sable et l'air de plus en plus frais contre ma peau. Tout ce que j'ai envie de faire, c'est de regarder les astres briller au dessus de ma tête jusqu'à ce qu'ils disparaissent à nouveau pour laisser place au grand roi brûlant. Je ne sais pas trop ce qui me prend, j'ai toujours été nulle en pour repérer les constellations et en fait, je crois que j'aime même pas regarder les étoiles, ça me fait penser à trop de trucs nuls. Je décide donc finalement de changer de position. Je me retourne, présentant mon dos à la mer, je baisse la tête vers le sable et je commence à y dessiner des formes irrégulières du bout des doigts. J'ai le menton coincé dans la paume de ma main, mon coude tenant en équilibre précaire sur ma cuisse. Puis quand j'en ai marre de faire du grand n'importe quoi, je regarde devant moi d'un air totalement absent même quand Alistair s'invite dans mon champ de vision. Il faut qu'il vienne presque écraser mon horrible oeuvre d'art pour que je remarque sa présence. Je lève alors le nez pour le regarder un instant. « Tu crois que c'est normal d'être déjà fatigué de la vie, à nos âges ? » Je lui demande lentement et d'un air très sérieux. Bon, faut dire aussi que je me posais déjà la question il y a dix ans, hm. « Au fait, t'as quel âge ? » Je me rends compte que je sais même pas. J'ignore l'âge de beaucoup de monde ici. J'ignore beaucoup de chose sur beaucoup de monde, en fait, même après deux mois d'aventure. Je me sens vraiment à la ramasse. Ils doivent tous se connaître et moi je sais rien sur personne. Enfin, est-ce que c'est seulement important, finalement ? J'en suis pas si sûre au fond, mais bon, je vois pas non plus ce qu'il y a de mal à savoir.

Il est presque vingt-deux heures et il sent la fatigue prendre le dessus. Pour autant, il est trop tôt pour se coucher, une bonne majorité du nid est encore éveillée. Et lui, malheureusement, il fait un blocage total sur le fait qu’on puisse le surprendre durant son sommeil. Sommeil bien trop capricieux et qui après l’avoir privé de ses bienfaits pendant plusieurs jours, reprend le dessus. Il faut qu’elle reste éveillé, ou alors qu’il s’échoue dans le coin d’une pièce, mais il n’est pas sûr qu’il bénéficiera d’une vraie tranquillité avant d’être certain que tout le monde a fermé l’œil. Alors il prend le chemin des extérieurs, l’air frais ayant la capacité de le fatiguer autant que le réveiller et il espère bien que c’est la seconde option qui sera la bonne. Il marche une bonne dizaine de minutes, mais ses paupières se font de plus en plus lourdes bien qu’il ne soit pas à deux doigts de s’écrouler par terre et de piquer un somme, là, au milieu de la forêt. Il décide de prendre le chemin de la plage, pour profiter de l’eau fraiche et passer celle-ci sur son visage. Dans l’immédiat, c’est la seule chose susceptible de le réveiller un peu. Mais alors qu’il se croyait seul, il a la surprise de découvrir une silhouette qui semble s’amuser dans le sable, tel un gamin. Ça l’intrigue, suffisamment pour qu’il décide de percer le mystère en s’approchant, puisqu’il ne voit pas grand-chose compte tenu de l’heure. Il reconnait finalement Jessica. Elle n’a pas l’air au meilleure de sa forme et la question qu’elle lui pose confirme cette hypothèse. Il n’a pas vraiment le temps de répondre qu’elle lui demande son âge. « Vingt-huit ans, aussi. » S’il se souvient bien de leur dernière rencontre, lorsqu’elle avait balancé toutes sortes d’informations sur elle pour satisfaire sa curiosité à lui, elle a bien vingt-huit ans. Enfin, il n’est pas à l’abri d’une erreur, dans quel cas il compte sur elle pour le corriger. « Et pour répondre à ta question, non, je ne pense pas que ce soit normal. Enfin, dans l’imaginaire collectif. » Il reprend ensuite, parce qu’il ne va tout de même pas ignorer sa question plus longtemps. Il ne pense en effet pas que cela soit normal, mais c’est en se basant sur les clichés de la société, car chacun est libre de mener sa vie comme il l’entend. Si Jessica est déjà fatiguée de la sienne, c’est son choix. « On est supposé profiter de la vie et ne jamais s’ennuyer entre la vingtaine et la trentaine, il parait. » Il parait, oui, parce que lui n’a jamais eu l’occasion de profiter de la vie, alors il ne se base que sur ce qu’il a pu voir ou entendre autour de lui et non sur sa propre expérience. « Tu profites de la vie, toi ? » Il lance, un peu par hasard, car jusqu’ici il la voyait comme une fille qui profite de la vie justement, mais si ça se trouve, il a faux depuis le début. « Ou tu nous fais juste une petite déprime passagère ? » Il termine, au cas où elle répondrait par l’affirmative à sa première question, il lui faudrait bien savoir pourquoi elle a tenu ce genre de propos.

Alistair doit sans doute se dire que ma question sort de nulle part, et c'est un peu le cas, en effet. Elle m'est passée par la tête et je la lui ai posée sans trop me soucier de comment il pourrait l'interpréter, ni de savoir son âge, d'ailleurs. Disons que j'ai une idée, mais que je ne suis pas vraiment sûre de moi. Il répond d'abord à cette seconde question et dit avoir vingt-huit ans. Je hoche la tête l'air de dire que je m'en doutais, puisque c'est l'âge que je lui aurais donné, à quelques années près peut-être. Je me doutais aussi un peu de sa réponse à ma première question. Non, ce n'est pas normal d'être déjà fatigué par la vie quand on est aussi jeune que nous, du moins, dans l'imaginaire collectif. « Hm. » Je fais l'air un peu dans le flou et pas vraiment convaincu, même si quelque part, ce doit être la vérité. On ne peut pas déjà être épuisé par nos pauvres petits existence, aussi brèves que des secondes à l'échelle de l'Humanité, il est sensé nous rester encore tellement de temps à passer sur terre, de choses à faire, on est jeune, on doit en profiter, on pourra se sentir vieux et fatigué par une vie bien remplie quand on sera âgés et tout ridés. Mes prunelles s'accrochent un instant aux lèvres d'Alistair que j'écoute parler d'une oreille pourtant pas si attentive que ça, puisque mon esprit s'autorise de petites escapades sans jamais rien demander. « Il parait... » Je fais écho au brun avant que celui-ci ne me demande si je profite de la vie, moi. Je hausse les épaules pour toute réponse. A vrai dire, là tout de suite, je n'en sais trop rien. Je dois sans doute nous faire une petite déprime passagère comme il en vient à le suggérer. « Juste une petite déprime passagère. » Je souris légèrement, répétant à nouveau les mots du candidat sans me soucier d'apporter quoi que ce soit de neuf à notre conversation. Puis je m'allonge sur le sable, calant mes mains derrière ma tête, le nez vers les étoiles, mes yeux se posant sur quelques unes d'entre elles. « On dirait pas comme ça, mais la vie est courte quand même. » Tellement, trop, beaucoup trop. Je pourrais mourir demain. Si ça se trouve c'est la dernière fois que j'ai l'occasion de voir un ciel étoilé, de parler à quelqu'un avec le bruit des vagues en fond sonore, de m'allonger sur le sable froid à cette heure de la soirée. Il se pourrait aussi que je vive très longtemps, mais je n'arriverais sans doute jamais à m'enlever de la tête le fait que je vais forcément mourir un jour et alors ce sera la fin. On peut penser qu'il est beaucoup trop tôt pour qu'une fille comme moi commence à penser à ses choses-là, mais je crois que tout le monde y pense, au moins un peu, de temps en temps, même si on ne s'en rend pas forcément compte. C'est tellement omniprésent, finalement. Ça m'en fait même soupirer, bien que ce ne soit d'aucune utilité.

La question de Jessica le surprend, c’est une évidence qui doit probablement se lire sur son visage. En fait, ça le surprend qu’elle lui pose cette question à lui, alors qu’on ne peut pas vraiment dire qu’il soit le plus apte à répondre à son interrogation. Non, ça se saurait s’il était du genre à profiter de la vie et à savourer celle-ci. Alors, il sait d’avance que peu importe la réponse que Jessica attend, elle n’obtiendra rien d’optimiste de sa part. Il répond d’abord à sa seconde question, lui indiquant qu’il a le même âge qu’elle, vingt-huit ans. Ensuite, il se décide à lui dire que non, il ne pense pas que ce soit normal d’être fatigué de la vie à leur âge, surtout que l’imaginaire collectif insiste sur le fait qu’ils devraient plutôt s’amuser et profiter de celle-ci. D’ailleurs, est-ce qu’elle profite de la vie, Jessica ? Il ne sait pas trop, le haussement d’épaules qu’elle lui donne comme réponse ne l’aiguille pas vraiment. Il interprète cela comme une réponse mitigée, elle en profite, mais peut-être pas assez à son goût ou pas comme elle le voudrait. Enfin, il ne compte pas lui demander plus de précisions, il voit bien qu’elle n’a pas l’air d’humeur à parler. C’est pour cela qu’il lui demande si elle fait une petite déprime passagère. Elle acquiesce en répétant simplement ses mots. « Et, hm, tu veux en parler ? » Il est un peu hésitant, parce qu’il n’est jamais certain que son aide soit appréciée. Pourtant, ça ne l’a jamais dérangé d’écouter, du moment qu’il n’a pas à parler. Alors oui, si elle a envie d’en discuter, et bien il l’écoutera. Il l’observe s’allonger sur le sable tandis qu’elle déclare que la vie est courte. « Il parait. » Dit-il en faisant écho aux précédentes paroles de Jessica. Oui, il parait que la vie est courte, du moins c’est ce qu’il lit souvent à gauche et à droite, même si lui n’est pas du même avis. « Je la trouve longue, en fait. » Encore une fois, l’optimisme à toute épreuve d’Alistair revient en force. Mais c’est la vérité, il trouve cette vie beaucoup trop longue. Peut-être parce que contrairement à d’autres, il n’a aucun but, aucun espoir de la voir s’améliorer et qu’il se contente de traîner sa carcasse en jurant à Peter qu’il est capable de l’affronter, cette vie, et que le fait de respirer le même air que ceux qui le considèrent comme un enfoiré est le meilleur moyen d’en profiter. Même s’il n’en profite pas du tout, cela doit se lire sur son visage. Finalement, sans demander à Jessica, il s’autorise à prendre place à ses côtés, optant pour la même position qu’elle, face aux étoiles. Ils ne sont pas obligés de parler, lui n’a jamais forcé qui que ce soit à parler. Mais il est vrai que plonger son regard dans les étoiles, c’est quelque chose qui le calme et il ne dirait pas non dans l’immédiat. Mais si sa présence est refusée, qu’il voit qu’il dérange Jessica, il fera demi-tour, ce n’est pas un problème.

Oui, je crois que je déprime un peu ce soir. Mais Alistair ne devrait vraiment pas s'inquiéter pour moi, c'est trois fois rien, c'est pas si grave, c'est passager, ça va passer. Je le sais parce que ça m'arrive plus souvent qu'on pourrait le penser. Moi je souris souvent, j'accorde un peu trop d'importance aux apparences, je fais une montagne de pas grand chose parce que je préfère porter de l'importance à ce qui n'en a pas plutôt qu'à ce qui en a vraiment, c'est plus simple comme ça, je trouve. Mais forcément, à un moment, les trucs importants pointent le bout de leur nez pour me rappeler qu'ils existent, et puis ils retournent se cacher dans un coin de mon esprit pour quelques temps, et c'est toujours comme ça. Alors ça va. Est-ce que je veux en parler. « Non. Enfin je sais pas si je peux. » Il se pourrait que ça ait un rapport avec mon secret et je ne suis pas suicidaire comme Jaheim, je n'ai aucune envie de foutre mon aventure en l'air pour un coup de blues débile. C'est même pas dur de tenir sa langue, j'en parle pas souvent, c'est pas aujourd'hui que je vais m'y mettre. « Mais merci. » De proposer, même si c'est peut-être juste pour faire le type qui s'intéresse alors que pas du tout en réalité. Moi en tout cas, je trouve la vie trop courte, c'est la seule chose que je trouve à dire, et c'est déjà beaucoup. Mais lui contrairement à moi, il la trouve longue. Il décide alors de s'installer à mes côtés, dans la même position que moi, le nez dans les étoiles. « Ah oui ? » Autrement dit : pourquoi. Il doit bien y avoir une raison à ça, mais je comprendrais qu'il veuille pas m'en parler. Après tout, c'est moi qui ai décliné sa proposition en premier tout à l'heure, il pourrait très bien en faire autant. « Moi, tu vois, j'ai l'impression que mon horizon est complètement bouché, je sais pas bien où je vais mais c'est comme si je voyais déjà la ligne d'arrivée à quelques mètres devant moi, je peux ralentir mais je peux plus reculer. » Oui, la vie est une course à la mort, t'arrives au bout, tu t'écroules de fatigue et c'est fini. « Et... Ça me fait sacrément flipper. » On dirait pas pourtant, vu que je dis ça en souriant mais c'est vrai. J'ai peur de la mort, de la fin, même si normalement je devrais avoir le temps de me faire à l'idée que je suis pas éternelle. Sauf que j'ai l'impression que j'aurais pas le temps et que même si je l'avais, je m'y ferais jamais. Déjà que j'ai du mal à l'accepter quand il s'agit des autres.

Il ne connait pas beaucoup la jeune femme, mais il est tout de même conscient que quelque chose ne va pas. Elle n’est pas forcément la personne la plus souriante ici, mais elle est dans la moyenne, alors il comprend vite que quelque chose la travaille. Et visiblement, c’est sa vie, ou plutôt le fait qu’elle est déjà fatiguée de celle-ci. C’est un peu tôt, en effet, pour penser ainsi, mais il est mal placé pour la juger si elle s’en tient à cette idée. C’est juste une petite déprime passagère, selon elle. Est-ce qu’elle veut en parler ? Il sait qu’il ne donne pas l’impression d’être quelqu’un à l’écoute des autres, mais il sait l’être, pourtant. D’ailleurs, il ne lui aurait pas proposé si ça l’emmerdait ou s’il ne savait pas écouter. Disons que c’est la seule chose qu’il peut offrir, à défaut de paroles réconfortantes. Mais non, elle ne veut pas. Pas parce qu’elle n’en a pas envie – bien que ce soit possible, aussi – simplement elle ne sait pas si elle peut. « D’accord. » Il dit simplement, avant qu’elle sous-entende que c’est gentil de proposer. Il pince simplement les lèvres, tentative ratée d’esquisser un sourire. Il préfère prendre place à ses côtés, sans même demander s’il dérange. Mais au fil du temps, il commence à sentir que sa présence n’est plus voulue, alors il s’en ira au moment voulu. Il s’allonge aussi sur le sable, plongent ses prunelles dans le ciel. La vie lui parait courte, à Jessica. C’est tout le contraire d’Alistair qui la trouve particulièrement longue, lui. Il comprend à la réflexion de la jeune femme qu’il faudrait qu’il soit un peu plus précis. « Je n’aime pas ma vie, ça aide pas. » Il déclare, histoire de lui donner un semblant de réponse même s’il a conscience que ce n’est pas très précis. Enfin, ça se saurait s’il était du genre à s’épancher sur sa vie dès qu’on lui pose une question, il fait toujours autant attention à ne pas en dire trop, même si ça signifie ne pas en dire assez, aux yeux des autres. Jessica, elle, trouve la vie courte et elle ne tarde pas à se lancer dans une explication. Elle use de métaphore, mais il a saisi l’idée. Et c’est presque déprimant comme constat, cette histoire de ligne d’arrivée à quelques mètres devant elle qu’elle se verra contrainte tôt ou tard de franchir. C’est ce qui va arriver à tout le monde, c’est inévitable, certains acceptent cette issue avec plus de facilité que d’autres. Jessica, elle, ça la fait flipper comme elle finit par lui avouer. Il tourne la tête, quittant le ciel des yeux pour poser son regard sur Jessica. Elle affiche un sourire, malgré ses paroles, c’est presque perturbant. Il ne sait pas vraiment quoi dire, lui-même n’ayant pas cette peur irrationnelle de la mort, mais attendant presque avec impatience que celle-ci vienne frapper à sa porte. « Tu ne devrais pas t’inquiéter de ça, t’es encore jeune. » Il finit par dire, tentant tant bien que mal de la rassurer. Mais en vérité, il ignore tout d’elle, peut-être qu’elle a des raisons de penser ainsi, peut-être pas. Quoi qu’il en soit, à moins qu’elle soit atteinte d’une grave maladie – mais il ne lui semble pas, ou alors elle cache très bien les choses – elle n’a pas de raison de penser à la mort, du moins pas maintenant alors que sa vie n’est qu’à son commencement. C’est triste comme constat, tout de même. Enfin, c’est triste pour elle. Il n’ajoute rien de plus, il sait qu’il n’est pas vraiment doué avec les mots, alors il préfère lui offrir sa présence, c’est déjà beaucoup venant de sa part. Peut-être que c’est une mauvaise idée, peut-être qu’elle n’en veut pas, mais c’est jamais bon signe de rester seul avec ses pensées quand une petite déprime se fait sentir.