Les résultats tombent. C'est à Sacha que revient la décision d'éliminer l'un de nous. Evidemment, je pense que cela se joue entre Percy et moi car on ne connait pas du tout le candidat. La sentence tombe: Percy. J'esquisse une moue peu satisfaite parce que cette élimination est encore trop injuste à mon goût, mais c'est le jeu, on doit s'y plier et sourire. Se soumettre. J'attends mon tour pour dire au revoir, le prenant dans mes bras une dernière fois en espérant qu'il ne nous zappera pas trop vite une fois en liberté. Je dois m'occuper de Paloma maintenant, je pense que cela ne risque pas d'être facile à gérer. « Paloma » j'esquisse mais la jeune femme est déjà dehors. Enfin, elle n'est plus sous mes yeux. Cela indique une mauvaise fin de soirée en perspective, c'est clair. Je lance un simple regard en biais à Mallaury avant d'hausser les épaules pour m'excuser. J'attends presque son accord tacite pour le laisser puis je me rappelle qu'il serait bien incapable de me forcer à rester avec lui, et m'empêcher de rejoindre l'espagnole. Ma main se libère délicatement de la sienne et je lui fais un léger signe du menton pour m'excuser une nouvelle fois avant de fuir le plateau à la recherche de la demoiselle. Mes mains agrippent les pans de ma robe que je remonte légèrement pour m'assurer des mouvements plus amples, plus rapides. Je tente de suivre comme je peux cette silhouette que je vois fuir à l'extérieur. Je retire rapidement mes chaussures à talons que j'abandonne sur la route, tant pis, de toute façon, elles sont à la production. Je suis presque obligée de courir dernière elle pour ne pas me laisser distancer. Mes cheveux fouettent mon visage lorsque j’accélère le pas. On traverse la forêt, ma robe s'accroche parfois, mais je continue, le souffle court par manque d'exercice quotidien pour arriver sur la plage, mes pieds foulent le sable glacé en cette nuit. Paloma s'arrête non loin de l'eau. Je lui laisse deux secondes de solitude, le temps de calmer ma respiration anarchique. Je m'approche d'elle, glissant mes frêles doigts entre les siens, m'imposant. Ce n'est pas la première fois, ni la dernière. « T'es en colère ? » je demande de ma voix cristalline, mes prunelles rivées sur l'horizon bien sombre qui nous fait fasse désormais.

Sa main ne lâche pas celle de Percy quand l'heure des résultats sonne et Paloma sent son coeur battre follement dans sa poitrine. Il cogne du poing comme un fou contre sa cage thoracique et y'en faudrait pas beaucoup pour qu'il la perce et s'échappe mollement sur le sol. Sauf qu'en fait, il loupe un battement puis un deuxième quand les événements s'enchaînent trop vite pour lui. Y'a une égalité. Une égalité entre cinq personnes, entre tout le monde en fait sauf Sacha qui doit départager. Paloma fronce les sourcisl alors que ses doigts se referment nerveusement autour de ceux de Percy qu'elle sent déjà s'éloigner, s'échapper. Elle tombe de haut, l'espagnole. Elle s'attendait pas à ce genre de revirement et encore moins à ce qu'on fasse choisir un nominé au lieu d'eux, tous les candidats. Mais ça lui apprendra à ne rien avoir lu du contrat, des règles, des petits caractères, l'esprit trop embrumé par d'autres problèmes pour ça. C'est la fin. Paloma essaye bien de fixer douloureusement Sacha comme si son regard perçant avait le pouvoir de l'influencer, de le supplier, de le foudroyer, peu importe. Mais c'est con, ils sont pas proches, il lui doit rien à elle et ses yeux de félin docile. Encore moins quand elle a nominé son Lou. Sauf que si Lou était sorti ce soir, elle s'en serait voulu, parce qu'elle est comme ça. Elle a rien contre Lou, elle le connaît pas c'est différent. Sacha n'aime pas Percy et il regrettera pas son choix. Elle l'entend prononcer son nom et ça retentit comme une déflagration en elle. Une éruption volcanique qui monte et se prépare à jeter de la lave partout. Elle est déçue. Elle est triste. Mais elle est surtout en colère face à une décision qu'elle trouve injuste, arbitraire. C'est pas le public qu'a mis Percy dehors, c'est pas le public qui veut plus le voir, qui a décidé qu'il avait fait son temps et ça rend la décision amère. Paloma sent une marée de sel grimper à ses pupilles mais elle les chasse, elle ferme les paupières et les contient pendant qu'il l'étreint. Elle noue ses bras autour de son cou et s'y accroche comme si elle pouvait le retenir. Elle est là, mais elle est ailleurs, elle entend ce que Percy lui dit mais ça bourdonne dans ses oreilles, ça bourdonne à ses tempes, et elle peut pas répondre parce que y'a un désert dans sa gorge. Alors Paloma hoche la tête, docile, même si elle est pas certaine d'y arriver. Elle niche son visage au creux de sa nuque et espère que le temps s'arrêtera un peu. Juste un peu, juste de quoi lui laisser réaliser, accepter. Sauf que non, tout continue et déjà les autres se pressent pour lui dire au revoir alors elle s'écarte non sans avoir gratifié son cou de baisers tendres, beaucoup plus doux que la colère qui l'oppresse. Paloma elle veut pas comprendre, elle refuse d'accepter, elle en a juste marre ce soir en fait. Alors elle le regarde partir et elle se barre dans la direction opposée. Elle se barre loin de ce plateau qui l'emmerde, loin de la lumière, de l'agitation, et de ces résultats qui la narguent encore à trôner sur un écran géant. Elle salue personne, elle voit personne, elle entend personne pas même les paroles de Percy qui résonnent en elle et lui demandent de pas faire ça, de pas s'isoler. Elle a besoin de ça, Paloma. D'être seule, de se canaliser, de pas exploser et offrir un spectacle encore plus affligeant que la tristesse enchaînée à elle comme un boulet à sa cheville. Personne ne se doute du potentiel de sa colère tapie dans l'ombre, du condensé de toutes les déceptions essuyées, de toutes les frustrations, de tous les mots qu'elle a jamais dits et de ceux qu'elle a encaissés. Et ce marasme, il remonte parfois quand ça va pas, il remonte, il menace de l'inonder et elle le maintient à l'intérieur comme ça. En restant seule, en essayant de se calmer, de retenir l'explosion nucléaire qui la ferait s'éparpiller aux quatre vents encore un peu. Mais c'est dur. Paloma se rend compte trop tard, dans la forêt, qu'elle a pas encore eu le réflexe de piquer de quoi se renverser le coeur une bonne fois pour toutes mais elle a pas l'habitude de boire alors forcément, elle y pense pas et ça l'énerve. Ca l'énerve et même quand elle arrive sur la plage, même quand elle laisse ses talons s'échouer sur le sable pour que les vagues viennent lécher sa peau nue ça l'apaise pas. La mer a toujours un effet positif sur elle, généralement mais pas ce soir. Même la nuit étoilée est quelconque. Paloma expire longuement pour essayer de se maîtriser, pour retrouver la bulle de douceur cotonneuse qui l'enveloppe constamment sauf qu'elle s'est fait la malle ce soir. Les doigts qui s'accrochent aux siens lui arrachent un mouvement de recul qui dure pas, juste un instant et qui se tempèrent quand ses yeux voilés d'une dureté peu commune reconnaissent Clémentine. Sa main se referme maladroitement sur la sienne et elle se rend compte qu'elle en tremblerait presque d'indignation. C'est ridicule. C'est ridicule mais elle y peut rien. Elle le fait pas exprès, de tout prendre à coeur. Elle le prend, et c'est tout. « C'est dégueulasse » Elle répond à côté mais sa voix qui tranche l'air est plus parlante que ses mots. « C'est vraiment dégueulasse » qu'elle répète sur l'exact même ton. « C'est un système pourri, j'espère que ceux qui ont balancé du fric en votant pour lui arrêteront de regarder » Paloma a du mal avec l'injustice. C'est son côté défenseuse de la veuve et de l'orphelin qui ressort souvent, comme quand elle avait voulu négocier avec Alix pour se manger un seau d'eau glacée sur la gueule à la place de Gaëtane qui lui apparaissait si frêle, si timide. Ca la révolte. Bien sûr, que ce soit Percy n'aide en rien, ça ne fait qu'agiter encore plus ses sentiments mais la vérité c'est que ça l'aurait indignée, peu importe l'issue. Là, l'issue, elle l'achève, c'est tout.

Je sens la colère qui émane de Paloma, elle transpire l'énervement depuis j'imagine la fin du prime. Je m'attendais bizarrement à ce qu'elle me repousse mais je préfère vivre dans l'idée qu'elle serait bien incapable de me faire ça. Et puis, elle n'a pas le droit. J'imagine que désormais je suis la personne la plus apte à tout me prendre dans la gueule. Je veux bien absorber ses maux, ses peurs, ses coups de gueule, ses peines. Dans un sens, je suis un peu là pour cela, il faut bien qu'une "amie" ou alors, peut importe ce que nous sommes, serve à cela. On doit se soutenir parce qu'au fond, elle fait partie des rares personnes sur lesquelles je peux encore m'appuyer sans être déçue à la fin. Alors je veux être là pour elle. Je suis un peu maladroite, je l'avoue, mais le coeur est là. C'est le principal pour moi. « Un jeu n'est pas forcément juste » je me contente de dire sans vouloir poursuivre sur cette voie parce que cela ne risque pas de l'aider si je décide d'aller dans son sens bien que je pense la même chose qu'elle. J'ai aussi envie de lui dire que c'est dégueulasse, que ça n'a pas de sens mais cela ne sert plus à rien parce que c'est trop tard. Alors je me contente de l'écouter avec une certaine attention, pressant ses doigts de temps parce que je ne peux pas mieux faire pour elle. Je pourrais lui demander de relativiser mais cela ne servirait à rien parce que Paloma est bien capable de tout, sauf de cela. Elle se laisse attendre par tout. Elle est à 100% présente, parfois je l'envie, et dans des moments comme cela, non. Je me contente de vouloir me projeter pour occulter ce moment, de penser que cela a beau être décevant comme élimination, on reverra surement Percy à l'extérieur, enfin, Paloma en a déjà plus la garantie que moi. Je me raccroche à cela. Je laisse expulser un simple soupir d'entre mes lèvres avant de pivoter légèrement ma tête vers la demoiselle. Ne sachant quoi faire, je me sens tellement inutile la plupart du temps ici. « On va se baigner ?» je lui demande de ma voix cristalline sans croiser pour autant son regard brillant. Parce qu'il faut bien se changer les idées, que je n'ai pas envie de me morfondre une fois de plus sur un départ qui va nous créer un manque, une fois de plus, toujours. J'en ai marre d'accumuler les primes désagréable depuis un mois, c'est épuisant. C'est surement très égoïste de ma part mais bon je suis comme ça. Je lâche délicatement sa main pour qu'elle retrouve sa liberté et j'avance de quelques pas dans le sable qui commence à se faire humide. Les vagues commencent à lécher mes pieds, je n'ai même pas froid, je soulève inutilement les pans de ma robe pour qu'ils échappent à la flotte mais cela ne servira à rien.

Paloma ne parvient pas à décolérer et en fait, elle croit qu'elle essaye même pas. Elle n'a pas vraiment envie de s'apaiser, se calmer, se canaliser. Ça voudrait dire baisser les bras et puis accepter une issue méprisable et c'est pas son genre. Elle sait pourtant qu'elle peut rien faire pour changer les choses, qu'elle est impuissante mais loin de la calmer ce constat renforce davantage le noeud coulant qui s'enserre autour de son cou de cygne. Heureusement c'est Clémentine qui la rejoint, pas quelqu'un qu'elle connaît à peine ou dont la présence pourrait nourrir sa rancoeur électrique. Sacha par exemple. Elle a jamais rien eu contre lui, avant maintenant. Vraiment rien. Elle reconnaît qu'ils sont pas très proches, que leur partenariat n'est pas le plus soudé et qu'il n'égale pas celui qu'elle partageait avec Jaheim mais jamais elle a ressenti quoi que ce soit de négatif envers lui. Et puis c'est son partenaire, ça implique une certaine loyauté et elle joue le jeu. Mais ce soir, Paloma aurait pu lui sauter à la gorge si elle était restée plus longtemps sur ce plateau bruyant. Elle lui en veut d'avoir viré Percy tout en sachant qu'elle est injuste de lui en vouloir autant. Après tout, elle a mis Lou sur la sellette, elle aussi avec le cadeau empoisonné d'Isaac. Sauf qu'elle l'a remis entre les mains du public elle lui a pas porté le coup de grâce et ça fait toute la différence. A la place de Sacha, elle aurait pas pu faire ça, Paloma en est persuadée. C'est une faiblesse, elle le reconnaît mais c'est ce qu'elle est ; faible. Elle aurait jamais pu prendre une telle décision sur ses épaules trop frêles mais si c'est pour voir partir Percy, elle aurait préféré se briser ses épaules de verre et éliminer quelqu'un d'autre. Clémentine ose dire qu'un jeu n'est pas forcément juste et elle sent son sang ne faire qu'un tour. Elle a pas le droit de dire ça, on s'en fout qu'un jeu ne soit pas juste, ça rentre pas en ligne de compte. C'est pas parce que c'est normal ou commun que ça rend la situation moins dégueulasse ou plus facile à accepter. C'est un regard de matou sauvage que Paloma rive sur Clémentine après sa réplique. Elle la regarde en bien d'un air un peu courroucée et sa réplique se fait pas attendre. « Ses règles devraient l'être. » Ça fuse, c'est pas forcément réfléchi ou pertinent, c'est les émotions qui s'expriment, pas la raison. Paloma n'arrive pas à passer outre l'élimination de Percy parce que y'a pas un instant où elle a douté de son retour. Elle savait qu'il était soutenu, qu'il reviendrait, que c'était acté et elle est tombée de haut. Elle a dévalé la tête la première pour venir s'éclater sur un trottoir et ça fait mal. Parce qu'elle est pas stupide, elle sait bien qu'à l'intérieur tout est décuplé, différent. On vit plus vite, plus fort, tout s'accélère et elle a peur qu'à l'extérieur, ça soit différent. Que la beauté de l'instant soir réduite en poussière par l'autel de la vie quotidienne et que les sentiments se dégonflent comme un ballon de baudruche, privés de l'ambiance du nid. Paloma a confiance dans les siens, dans leur constance et leur intensité. Eprouver, c'est son truc. C'est l'un des seuls trucs qu'elle sait faire tout le temps. Mais la réciproque est pas nécessairement vraie et ça lui fait peur, de laisser l'équivalent d'un fossé aussi profond entre Percy et elle. Elle pourrait l'dire à Clémentine, elle craint pas de lui parler mais ses dents sont serrées tellement fort que rien ne sort. Rien de plus que son souffle qui peine à se frayer un chemin. Clémi propose de se baigner et Paloma hoche la tête. P'têtre que l'eau va laver sa colère, la noyer sous des marées de sel et éteindre le feu qui la ronge et menace de crever sa peau. P'têtre. Ou p'têtre pas mais ça la dérange pas d'essayer. Ses yeux flamboyants suivent du regard Clémentine qui s'enfonce dans l'eau avec sa robe trop longue pour ça et Paloma choisit de retirer la sienne. Elle la dézippe, la laisse glisser jusqu'au sol et balance un coup de pied rageur pour éloigner le tissu coloré de ses jambes filaires. Elle frissonne, par instinct, et s'enfonce à son tour dans l'eau, libérée de l'étreinte de ses vêtements qui lui colleraient à la peau. Paloma dépasse Clémentine et dès qu'elle le peut elle permet à ses jambes de se dérober sous elle, de plus la porter. Elle aimerait couler à pic sous le poids de ce qui l'oppresse mais en fait elle flotte. C'est la loi de la physique. Elle reste un moment comme ça, à flotter sur le dos dans un simulacre de planche, les yeux rivés sur la voûte céleste qui parvient même pas à l'émouvoir. D'habitude son immensité la touche et lui arrache un sentiment d'infini. Mais pas ce soir. Elle s'en fout. Paloma se redresse pour s'enfoncer sous l'eau noire et fraîche. Elle immerge son visage, ses cheveux, son corps entier et attend. Elle voudrait hurler, crier en laissant l'eau estomper sa rage mais elle fait rien. Elle se contente de rester sous l'eau opaque et sombre qui dessine des ombres devant ses yeux. Elle reste là jusqu'à sentir ses poumons la brûler et alors elle remonte pour regagner Clémentine en quelques brasses. Paloma a le maquillage qui coule et doit ressembler à rien de plus joli qu'un brouillon, un tableau raté sur lequel un artiste mécontent aurait jeté d'la flotte dans un accès de colère mal contenue. Mais elle s'en fout. « Tu penses que c'est vrai, ce qu'on partage ici ? Que ça va pas s'évaporer à la sortie et juste disparaître ? » Elle a conscience d'évoluer dans un cocon, Paloma. Et quand on sort du nid normalement c'est pour prendre son envol. Et s'éloigner.