« Je te prends quand tu veux au laser quest ! » Cette déclaration, faite à la légère bien qu'avec un bon gros lot de conviction, Ranja l'a proférée mardi. Voilà que vendredi pointe déjà le bout de son nez et elle est prête à montrer de quoi elle est capable. Ils ont fait le trajet ensemble et n'ont pas discuté pendant la marche, parce que Ranja se concentrait et surtout parce qu'elle avait besoin que l'ambiance légèrement solennelle s'impose, qu'il y ait une tension électrique dans l'air. Histoire de motiver Lamine à donner un peu de lui-même. Elle a écouté sa présentation avec beaucoup d'attention, l'a visionnée deux ou trois fois. Il ne paraît pas être du genre physique, plus cérébral. Et par cérébral, Ranja entend bien sûr qu'il n'a jamais touché un vrai flingue mais qu'il en a manipulé des tonnes sur console. « Je te préviens, je suis une pro. » lâche-t-elle finalement, tranchant dans le tissu fin du silence à grand coup de hache. Ou de rayon laser. Elle préfère le préciser, histoire qu'il sache à quoi il a décidé de se confronter. Parce que bon avec ses jambes de presque un mètre et sa taille de guêpe il pourrait avoir tendance à la sous-estimer alors qu'elle ne demande qu'à prouver qu'elle vaut largement n'importe quel mec du nid quand il s'agit de manier une arme, même inoffensive. « Enfin, pas au laser quest, ça j'en ai jamais fait, mais avec mon père on pratique le tir à la carabine et je touche ma cible dans quatre-vingt-dix pour cent des tirs. T'es prêt à te faire botter l'cul par une princesse ? » précise-t-elle pas sûre que ça le rassure ou que ça l'inquiète. La chasse c'est une pratique que son père lui a fait découvrir quand elle avait sept ans, à douze ans elle tirait ses premières cartouches, à seize ans elle obtenait un permis et depuis elle tire et s'entraîne à être toujours plus précise. No big deal. Une fois dans la salle de préparation, elle enfile l'équipement de l'équipe bleue. Laissant le rouge à Lamine. Le rouge étant plus foncé il se voit moins facilement, c'est un avantage pour lui, preuve s'il en est qu'elle est confiante et qu'elle ne veut pas qu'on lui donne la victoire facile parce qu'elle est une femme. Même si en y réfléchissant bien, c'est un jeu et Lamine ne doit pas avoir l'habitude de perdre. « Prêt ? » lance-t-elle tout sourire avant de s'engouffrer dans la noirceur de la salle de jeu.

S'il y a bien un reproche qu'on ne peut pas faire à Ranja c'est qu'elle n'est ni susceptible, ni rancunière. L'humour avec elle ça passe toujours, sauf quand il y a un vrai reproche sexiste en dessous, un truc latent vraiment méprisant sur elle ou sur les gens auxquels accorde de la valeur. Toucher les gens dans leur nature profonde c'est idiot, ça n'a pas de sens. Quand elle a entendu Ziggy faire un commentaire sur la peau d'Imma, elle l'aurait frappé. Mais ce n'est pas sa place. Alors quand Lamine la taquine sur ses racines nordiques, Ranja ne se sent pas offensée le moins du monde et elle compte bien le corriger, parce que mettre les gens sur la voie de la vérité c'est un peu son mantra à Ranja. « Humour d'une fille qui a un flingue à la maison et un abonnement dans une salle de tir. » mutine-t-elle en épiant la réaction de Lamine. Faut pas croire que sa petite tête d'ange, ses grands perles céruléennes et sa taille fine. Ranja c'est une dure à cuire, une vraie de vraie, pas tatouée mais c'est tout comme. « Mon père n'a pas besoin de faire quoique ce soit, je suis capable de te mettre une fessée déculottée sans son aide. » Et elle y prendra un plaisir non dissimulé que ce soit dit. Ses petits lobes fessiers et son égo d'homme viril vont en prendre un coup c'est sûr. Une fois dans le noir quasi-absolu, seulement éclairés par les dessins sur les murs qui sont faits à la lumière phosphorescente, ils n'ont plus que leurs instincts pour alliés. Ranja croit en ses instincts de tueuses, elle évite un laser rouge de justesse et souffle. Peut-être qu'elle l'a sous-estimé, peut-être que son entraînement sur jeu vidéo lui vaut en fait une espèce d'expérience. Et quand il piaille, elle éclate de rire, bien cachée et n'ayant aucunement peur de trahir une position qu'elle va abandonner dans quelques secondes. « Tu vises comme un borgne myope Lamine ! Rends-toi avant de te rendre ridicule ! » Elle part en courant de l'autre côté de la salle hagarde aux lumières rouges qui symbolisent Lamine. Du coin de l'oeil elle repère un mouvement et laisse partir un tir de sommation. Elle ne vise pas vraiment, c'est plus une façon de le faire se replier pendant qu'elle reprend une position plus élevée. « C'est pas en te cachant que tu vas gagner, Call of Duty t'a pas appris ça ? » lance-t-elle en appuyant sur sa gâchette en direction des lumières. S'il ne bouge pas, s'il préfère répondre à sa provocation, elle devrait marquer un premier point.

L'adrénaline circule dans son organisme et booste ses capacités analytiques tout en faisant battre son palpitant plus vite que nécessaire. L'obscurité exerce une pression sur la conscience, même chez ceux qui n'ont pas peur du noir, tous les sens en alerte, Ranja écoute, étudie les jeux de lumières qui prennent place désespérément à la recherche des néons rouge de Lamine. Quand il lâche sa remarque sur son entêtement à se battre pour la victoire, elle ne peut pas s'empêcher de rire. « Tu vas le regretter ! » crie-t-elle avant de continuer à se cacher, bouger rapidement et réfléchir à un moyen de le prendre à revers. C'est alors qu'elle se pense correctement cachée qu'elle se fait toucher par un tir de Lamine. « Fait chier. » marmonne-t-elle une fois que le laser touche son équipement le désactivant pendant trois secondes, les lumières de son équipement s'éteignent pendant qu'il est hors service et elle en profite pour se mettre dans la meilleure des positions possibles pour rendre la monnaie de sa pièce au joyeux luron qui tire au hasard et atteint sa cible quand même. Il s'est arrêté de bougé, comme s'il était lui même étonné d'avoir atteint sa cible. Son arrogance va lui coûter cher. La lumière de son équipement se rallume et elle tire deux coups consécutifs, atteignant Lamine au torse. Pile dans le foie, parfait, le second tir est inutile mais elle s'en fiche, le but était de l'atteindre et c'est fait. « J'espère que ce coup t'apprendra à pas rester à découvert ! » l'avertit-elle en se barrant en courant. Dans le noir elle cherche l'endroit parfait pour attendre la contre-attaque quand, ne voyant pas une marche -vraisemblablement placée là par erreur- elle s'effondre et s'envole dans une tentative désespérée de se rattraper, causant plus de dégâts que de bénéfice puisqu'elle finit par s'écraser contre un mur avant de mordre le plancher. « Aïe, putain de merde, fait chier. » Elle s'est foulée la cheville ou quelque chose, sa jambe la lance, ses côtes sont endolories par le choc lui arrache une quinte de toux pendant qu'elle essaye de se relever. Mais quelle merde !

Le bâtard prend avantage de sa chute. Ranja ne peut pas lui en vouloir, elle comprend son désespoir à marquer des points pendant qu'il le peut, elle comprend bien qu'il a peur de perdre et que cette irrépressible sensation de se faire mettre une fessée par une fille le pousse à agir de façon déloyale. « La team'familya ? C'est quoi ça ? UN GROUPE DE GOSSES ? » lâche-t-elle rageuse se demandant bien quel genre de groupe il peut fréquenter pour avoir un nom aussi enfantin. En se relevant et rampant vers un mur histoire d'être un minimum planquée, Ranja réfléchit à ce qu'elle pourrait faire pour prendre un avantage malgré la douleur dans sa cheville. Il profite de son moment de faiblesse pour se moquer d'elle en ressortant le conseil qu'elle lui a prodigué... Quel petit enfoiré. « Speaking word of wisdom I see ! » répond une Ranja narquoise et déterminée à lui faire ravaler ses mots, expression d'une confiance en lui nourrie par un ego démesuré qui n'a pas lieu d'être puisqu'il profite d'une chute pour marquer un misérable point. « Il va voir qui se rend ridicule... » marmonne-t-elle dans sa barbe inexistante. Remise sur pieds elle clopine avec un peu de difficulté jusqu'à la première porte qu'elle voit et s'engouffre dedans. C'est l'escalier qui mène à l'étage du dessus, parfait. Sa cheville la lance un peu mais elle est chaude alors la douleur n'est pas insurmontable, un peu de glace et le tour sera joué. Du premier étage elle peut voir Lamine caché dans un coin, probablement en train d'établir une stratégie pour la prendre à revers pendant qu'il ne se doute pas qu'elle est au dessus de lui. Elle n'aurait jamais pensé à monter à l'étage, parce que les occasions de passer une minute à regarder le plafond sont rares. Afin que les lumières de son costume ne la trahissent pas Ranja s'accroupit, prenant son temps alors que Lamine semble s'impatienter à l'étage du dessous. Elle sécurise le tir, bloque la cible et appuie sur la gâchette et marque. « BOUYAAAA ! » hurle-t-elle en se mettant en vue pendant une seconde avant de repartir se planquer. Elle l'a eu et maintenant elle l'a attiré à l'étage parce que seule une partie de l'étage est accessible aux tirs venant du rez-de-chaussée et qu'elle s'est mise hors de portée. Le tout c'est de réussir à l'avoir dès qu'il met un pied sur le sol mi-vitreux mi-bétonné du premier étage. Alors en position, à quelques mètres de la porte, en diagonale, elle tâte la gâchette en attendant de voir une lumière rouge pointer le bout de son nez.