Gio ne veut pas se vanter, mais il est devenu un pro à être un aveugle à temps partiel. Hier il s'est cogné à moins de dix objets et certains c'étaient des trucs qu'il pouvait pas voir venir, genre quelqu'un qui avait pas refermé un placard en hauteur et il s'est pris la porte dans la gueule. Aujourd'hui il a décidé de faire un truc un peu con, ou tout du moins idiot, au mieux potentiellement dangereux. À vrai dire, depuis qu'il n'y voit plus (volontairement), il se rend compte qu'il a développé un nouveau rapport avec son corps. C'est un peu difficile à expliquer mais il est beaucoup plus conscient de la portée de ses gestes depuis qu'il risque de renverser un verre à chaque fois qu'il tend la main trop vite. Dire qu'il est plus prudent serait un euphémisme mais il se sent aussi plus serein, il y a dans cette lenteur d'exécution quelque chose de cathartique qui l'apaise autant qu'elle le tourmente. Tout ça pour dire qu'il a décidé de tenter de faire un peu de gymnastique parce que la mémoire musculaire n'a rien à voir avec la vue, à vrai dire le toucher serait presque plus important parce qu'il a l'habitude -ou l'avait plutôt- de faire ce qu'ils appellent dans le jargon des blind landings, où il atterrissait sans voir le sol et donc devait faire confiance parfaitement à ses sensations.  Est-ce que Gio va tenter des skills complexes ? Certainement pas, il n'est pas idiot au point de risquer de se briser la nuque, mais il veut quand même tester ses sensations maintenant qu'il est privé d'un sens majeur. Il commence par se mettre en position de grand écart et s'étirer avant de se redresser. Pour commencer doucement il décide d'effectuer une press to japanese handstand qui est une figure pour laquelle il a toujours été doué. Malheureusement avant même d'arriver au point d'équilibre il s'étale sur le dos. « Outch. » C'est moins facile qu'il ne le pensait, il n'a pas le regard fixé sur un point précis du sol et n'a donc pas la possibilité de centrer son corps autour de ce point. Il décide malgré tout de recommencer et après une seconde d'équilibre se retrouve dans la même position quand il entend quelque chose comme un rire. « Ouais, ouais, j'sais bien, j'suis rouillé. » dit-il à l'attention de la personne qui est témoin de son franc succès. Il ne sait pas encore de qui il s'agit mais ça ne saurait tarder.

Cristopher lui répond et Gio tourne la tête en direction d'où provient le bruit. Il dit que ce serait dommage mais au fond Gio se dit qu'il est le genre de personne qui ne ferait pas d'objection pour marcher au dessus de son cadavre si ça lui fait une personne de moins à éliminer pour arriver en finale. Compétiteur un jour, compétiteur toujours.« Nous les jeunes on a pas les os aussi fragiles que toi, l'ostéoporose ça commence pas à vingt-trois ans. Puis j'ai un peu d'entraînement. » dit-il en se mettant en grand écart sans aucune difficulté, histoire de prouver qu'il sait un peu de quoi il parle malgré ses deux précédents échecs. Il taquine Cristopher mais c'est de bonne guerre. Il lui mentionne la possibilité que des gens se mettent à reproduire son expérience à l'extérieur et Gio ne sait pas pourquoi il trouve qu'il y a dans son ton un truc presque moqueur. « Non, j'y avais pas pensé... Mais bon, si ça fait bouger les choses pour la cause de la cécité et que plus de gens sont conscients de ce que ça représente de vivre sans y voir, ça serait peut-être pas plus mal. » Parce que clairement les voyants sont pas conscients de leurs privilèges. « Jusqu'à dimanche. » répond-il d'un ton égal, pas très sûr de pourquoi Cristopher veut minimiser les choses en parlant de « petite expérience » comme s'il faisait un truc idiot. Et puis son aîné lui parle d'Anouchka et demande si César et lui se la partagent, ce que Gio trouve mi-drôle mi-répugnant comme suggestion. « C'est marrant, j'me souvenais pas que t'étais aussi cru. Est-ce que c'est de ne pas y voir qui me donne un super-pouvoir ou juste toi qui te lâches ? » demande-t-il avec un sourire en coin. Cristopher est de ces gens que Gio ne sait pas toujours comment aborder, parce qu'il le trouve tantôt super sympa, tantôt irritant et dans la provocation. Ne pas savoir sur quel pied danser avec les gens le met toujours un peu mal à l'aise. « J'peux faire une expérience et me mettre dans ta peau à la sortie ? J'prends pas les rhumatismes mais j'prends l'compte en banque. À moins que tu aies peur que ça inspire des gens... » suggère-t-il emballé à l'idée de jouir de la fortune que Cristopher a amassé. Qu'est-ce que c'est quand on est riche quelques dizaines de milliers d'euros en plus ou en moins ?

« Désolé, j'pensais pas que tu te sentirais attaqué, ce n'était qu'une petite blague. Tu crois que c'est parce que t'es vieux que t'es sensible sur le sujet ? » continue-t-il avec un petit rire. Franchement il y a pas de quoi en faire tout un drame et que Cristopher se dise attaqué par si peu le fait s'interroger sur la possibilité que sous cette carapace de muscles savamment entretenus, ne se cacherait pas une âme sensible au fond. « J'ai jamais dit que je pensais ça facile, j'veux juste avoir une expérience même si elle est superficielle de ce qu'on ressent et pas simplement un pressentiment. » explique-t-il en haussant les épaules. Si Cristopher ne veut pas entendre son raisonnement, ce n'est pas très grave, Gio ne cherche vraiment pas à lui faire dire que c'est une idée en or. C'est pas dans ses gênes à Gio de chercher l'approbation à tout prix, il a eu le feu vert de César, c'est un peu le seul dont l'avis comptait pour le coup. « J'suis bien d'accord. » fait Gio au sujet de préférer perdre ses deux jambes que la vue. Le truc, c'est que lui il a passé quatre jours sans y voir avant de dire ça, il n'est pas un expert en la matière, loin de là, mais il sait qu'il aurait un mal de chien à se faire à l'idée que cet état est permanent. Cristopher lui, il juge a priori et Gio ne lui souhaite que ça, de ne pas avoir à faire l'expérience de la cécité ou du handicap. Mais pour avoir eu le fémur cassé et avoir été incapable de marcher pendant plus de trois mois, Gio est convaincu que ça serait moins difficile à vivre. « J'suis sûr qu'il sera ravi de l'apprendre. » dit-il sans vraiment savoir quoi dire de plus, c'est pas comme si Cristopher était le compas moral de l'aventure et qu'on attendait de lui qu'il décerne des récompenses... « Honnêtement, si César a trouvé l'idée bonne, que tu penses que c'est stupide et dangereux ça me passe un peu par-dessus la tête. » admet Gio d'un ton neutre. Il ne veut pas se montrer méprisant parce que Cristopher a le droit d'avoir son opinion, que cette opinion revienne à dire de Gio qu'il est stupide et inconscient lui semble cependant un peu démesuré. Si César lui avait dit être mal à l'aise avec l'idée, Gio n'aurait jamais osé faire quoi que ce soit... mais ce n'est pas le cas. Et comme Gio accorde plus de valeur à l'opinion de César -qui est aveugle et enthousiaste face à sa démarche- qu'à celle de Cristopher -qui est voyant et n'a donc pas vraiment son mot à dire sur le sujet- il doit bien avouer que ça l'atteint pas des masses. « Ça doit être ça ouais. » rétorque Gio avec un petit rire qui laisse entendre qu'il n'est pas convaincu que le trop peu de temps qu'ils passent ensemble est la raison de son étonnement. Mais c'est quand Cristopher lui lance qu'il ne le croit pas familier avec le concept de travailler dur que Gio s'étouffe presque. Il ne sait pas d'où vient cette pique, mais il n'est pas sûr que Cristopher ait vraiment conscience de la bourde qu'il a pu dire. C'est pas très grave, Gio va pas être offensé pour si peu, il est capable de mettre son égo de côté, mais il est vraiment curieux de comprendre le raisonnement derrière le ton, un tantinet condescendant, de son camarade. « J'adorerais que tu éclaires ma lanterne quant à ce qui te fait dire que je ne sais pas ce que ça signifie de travailler dur. » fait Gio, un peu surpris. S'il y a bien quelque chose qu'on ne peut pas lui reprocher c'est pourtant d'être bosseur. De sa carrière de gymnaste stoppée brusquement à cause des blessures à ses brillantes études à côté qu'il finance lui-même en bossant à côté, Gio ne sait pas ce qui peut faire croire à Cristopher qu'il est fainéant. Ou du moins qu'être propriétaire de boîtes de nuit est un travail plus dur que le reste. « Si j'avais des millions sur mon compte j'serais probablement pas dans une émission de télé-réalité parce que bon, j'suis en partie là pour l'argent et j'imagine que toi t'en as rien à foutre. Donc j'commencerais par réaliser mes projets, aider mon meilleur ami à monter sa boîte, payer pour les études de mes sœurs, finir les miennes sans avoir à prendre un petit boulot qui me plaît pas particulièrement à côté. Puis j'm'achèterai un appart plus grand et à Londres, histoire de pouvoir y déménager sans problème parce qu'il y a plus de boulot là bas que sur ma petite île... Honnêtement c'est un peu difficile à imaginer l'impact que ça a sur une vie. » répond-il en haussant les épaules. Parce que des millions c'est à la fois énormément et pas tant que ça, quand on voit le prix d'un grand appartement en plein cœur de Londres, c'est même facile de dépenser des millions en une journée. Alors évidemment dans les faits, ça bouleverserait son mode de vie, mais il ne sait pas exactement combien de temps de telles sommes peuvent permettre à quelqu'un de mener la grande vie. « Elle te manque ta vie à l'extérieur ? » questionne Gio qui peut imaginer que lorsqu'on est habitué à un certain train de vie, passer à une colocation à 24 au départ, doit être un choc.

Cristopher se dit déçu par l'humour de Gio et Gio peut le comprendre, le public l'a nommé Plus Drôle Candidat du casting et pourtant Gio n'a jamais prétendu être un comique. Il l'a même annoncé durant les castings. « J'ai toujours dit que j'étais très bon public mais que j'étais pas drôle, crois-moi j'étais le premier surpris de recevoir un award pour ça. » Ça en dit aussi assez long sur le reste des candidats que Gio ait été nommé le plus drôle, ça voudrait dire que les autres sont encore moins drôles que lui, mais il ne peut pas le dire parce que lui les trouve drôle. Mais il est vraiment très bon public, donc il lui semble tous drôle. Cristopher semble abdiqué quand Gio lui dit que César est d'accord et ça lui convient. Il a vraiment pas à cœur de continuer à s'expliquer sur ses motivations et compagnie. Par contre quand Cristopher dit que la présence de Gio veut dire qu'il ne sait pas ce que veut dire travailler dur, Gio est un peu laissé dans l'incompréhension.« Ma présence ici... donc personne ne faisant partie du casting n'a d'ambition ou c'est un truc qui m'est réservé ? » demande-t-il. Ce serait pas très juste de la part de Cristopher de réserver ce jugement pour Gio uniquement mais il a peut-être une bonne raison pour trouver que les autres sont très ambitieux et lui un mec sans avenir. Ceci dit, il peut comprendre que le fait qu'il ait mis ses études en pause pendant un an puisse faire croire à Cristopher qu'il manque d'ambition, mais bon, il va pas s'excuser de vouloir profiter d'un peu de sa jeunesse. « Si, si j'ai mis mes études en pause pendant un an pour voyager. J'ai aussi passé dix ans de ma vie enfermé dans un gymnase sept heures par jour pour une carrière qui m'a été volée par mon propre corps... J'ai pas eu d'enfance, ni d'adolescence pour un avenir que j'peux pas avoir. » explique-t-il. Et même s'il ne donne pas l'impression à Cristopher d'avoir de très grandes ambitions, Gio ne sait pas quoi dire. Il a jamais prétendu vouloir devenir Président d'un pays comme Ziyan, ou d'être un grand homme d'affaire comme Cristopher, ou même le meilleur violoniste d'un orchestre célèbre comme Karla. « On peut pas tous être des barons du monde de la nuit. » dit-il en souriant. Cristopher serait dans la merde si tout le monde avait cette ambition, ça lui ferait une tonne de compétition. Il peut être surpris par le choix de Gio de finir ses études même s'il était multimillionnaire, mais à ses yeux c'est la cerise sur le gâteau. Il n'aurait pas à sacrifier du temps dans un rayon poissonnerie pour payer ses études et en plus de ça il pourrait travailler ? Jackpot. « Oui, tu sais peut-être pas ça à mon sujet, mais je finis toujours ce que je commence. J'vais pas m'arrêter d'étudier alors que j'ai même pas deux ans à faire pour obtenir mon Master parce que j'ai de l'argent. C'est même encore mieux, si j'avais des millions, j'aurais pas besoin de m'inquiéter et j'pourrais les finir sans me préoccuper de comment les financer. » Quant à ce qu'il étudie, la réponse lui vient sans même qu'il ait à réfléchir : « J'fais des études pour devenir directeur des ressources humaines dans des grandes entreprises. » Il épargne à Cristopher le fait qu'il veut faire ce job pour pouvoir rendre les méthodes d'embauches plus honnêtes, parce que c'est clairement pas le genre de choses que Cristopher trouvera respectable, lui il doit embaucher des gens canons pour vendre plus d'alcool dans ses boîtes. « J'dirais pas que j'en ai marre, mais j'avoue que j'ai vraiment hâte de revoir mes amis et ma famille. » admet-il quand Cristopher lui demande s'il n'en a pas marre de voir toujours les mêmes visages, il ne relève pas la petite plaisanterie comme quoi, c'est la raison pour laquelle il porte un masque sur ses yeux. « J'peux te confier un truc ? J'avais pas d'indices sur toi, mais au début de l'aventure j'étais sûr que t'étais le père d'Anouchka. » dit-il en rigolant. Il ne sait pas exactement ce qui lui a fait penser ça, mais il trouvait que ça tenait bien la route, surtout quand Anouchka s'est dénudée devant lui et que Cristopher ne s'est pas jeté sur elle. Ça serait un peu étonnant de promouvoir l'inceste à la télé.

« Me voilà rassuré ! » rétorque-t-il alors que Cristopher est déjà en train de faire une blague sur son âge parce qu'il anticipe une réponse de Gio qui serait assez typique. « J'suis sûr que vous aviez d'autres opportunités. » dit-il, parce que bon, ils n'avaient pas la téléréalité, ils n'avaient pas non plus la technologie mais Gio ne doute pas qu'ils avaient d'autres moyens d'occuper leur temps, surtout quand on est jeune et qu'on travaille dans le milieu de la nuit, ça doit être facile de perdre le nord et de faire la fête plus que de raison. C'est presque admirable que dès son plus jeune âge, Cristopher n'ait jamais perdu son objectif de vue. « C'est de devoir tirer un trait sur des objectifs qu'on a nourri pendant des années et qui étaient à portée de main qui est le plus dur. M'enfin, c'est pas comme si j'avais eu beaucoup le choix. C'était soit pleurer sur mon propre sort, soit continuer d'avancer. » explique-t-il en haussant les épaules. Gio n'est pas du genre à s'apitoyer sur son sort éternellement et à baisser les bras, bien sûr il aurait pu persister et signer mais rater l'opportunité de participer aux Jeux Olympiques de la Jeunesse alors que c'était sa dernière chance avant d'entrer dans les catégories adultes parce qu'il était cloué au lit pour trois mois avec encore deux à trois mois de rééducation à la clé, a signé la fin de sa possible carrière. Et puis voir la personne qui l'a remplacé dans son équipe, ce garçon qui était plus jeune, foutu Giarnni, -qui avait des programmes moins compliqués que lui, qui était objectivement moins bon- gagner la médaille d'or au concours général, au sol et au saut de cheval ça a achevé de le convaincre. « À qui l'dis-tu ! En plus on passe toujours pour les grands méchants de la boîte... » maugrée-t-il un peu amer. Ça le dérange pas, à proprement parlé, de faire un job que les gens voient souvent d'un mauvais œil, mais ça l'agace que des directives qui viennent d'en haut empêchent souvent de bons DRH de faire leur boulot de la manière la plus juste qui soit. « J'en doute pas, j'pense pas qu'on puisse avoir une entreprise vraiment florissante si on a pas des employés qui sont heureux de venir bosser. » confirme-t-il. Il a pas vraiment une grande expérience du monde de l'entreprise, en dehors de ses petits-boulots, tout ce qu'il connaît des grandes compagnies c'est ce qu'il a vu durant ses stages et il n'a pas toujours aimé ce qu'il voyait. Des conditions de recrutement ultra-élitistes qui privilégient souvent des hommes parce qu'ils représentent moins de risques d'absence, embaucher plus de personnes caucasiennes que de couleurs parce qu'ils inspirent plus confiance et font plus de chiffres dans des jobs qui demandent de l'interaction avec d'autres personnes. La réaction de Cristopher n'est pas la plus convaincante, peut-être que c'est juste parce que Gio ne voit pas son air surpris ou même outré, mais le ton de sa voix n'est pas aussi facile à lire que ce que Gio l'aurait aimé. « J't'entends pas dire que c'est pas ton secret ! » note Gio avec un petit rire. C'est pas tellement qu'il veut un démenti, mais entendre Cristopher dire qu'il n'est pas le père d'Anouchka ça lui donnerait une certaine assurance et si Cristopher s'avérait vraiment être le père d'Anouchka, au moins Gio saurait à quoi s'en tenir. Il comprend bien que Cristopher ne pourrait pas lui dire qu'il avait raison même si c'était le cas, mais c'est toujours appréciable de savoir que sa théorie est infondée. « J'sais pas, j'me suis dit que ça serait drôle que toi ou Richard soyez venus pour rencontrer un enfant illégitime ou un truc du genre et comme tu parlais russe et que tu lui as pas sauté dessus quand elle s'est mise à poil devant toi, j'me suis dit « pourquoi pas ? ». Mais bon, j'ai pas eu d'indices pour corroborer cette idée donc... » il n'a pas agi, laisse-t-il entendre. C'est un peu dommage que tout le monde soit pas aussi investi que lui dans la chasse aux secrets, ou du moins pas aussi visiblement investi et c'est encore plus dommage que ceux qui sont motivés n'aient pas l'opportunité d'enquêter pleinement par manque d'indices.