La mine du jeune homme tira un rien de surprise à une Deirdre toujours au sommet de son naturel. « Oh, tu voulais... » Son regard gagna l'autre jeune femme, avant d'en revenir à lui. « Je suis désolée. » Elle l'avait avoué avec beaucoup de sincérité, c'en était même absurde. Ce n'était là qu'une réaction pour témoigner de son habitude à compromettre les plaisanteries entre gens bien de ce monde. Bien entendu, elle ne le faisait jamais exprès, mais il semblait que ces situations se succédaient inlassablement, comme elle était bien incapable d'apprendre de ses erreurs. Honnêtement, elle considérait que ce n'était guère de sa culpabilité si elle ne concevait pas toujours les rouages qui les liaient les uns aux autres. En tous les cas, elle ravala rapidement l'incident, invitée qu'elle le fût par la jeune femme. Elle prit donc naturellement place, étrangement encline à partager son petit-déjeuner avec deux personnes qu'elle avait maladroitement interrompus. « Oui, treize couples... La symbolique des nombres est parfois très paradoxale. Mais tu peux simplement dire ce que tu penses, tu sais, ajouta-t-elle à l'adresse du jeune homme. Je sens ces choses-là. » Elle hochait doucement la tête en parlant, parce qu'elle était bien consciemment convaincue qu'il n'était pas aussi enchanté que pouvait l'être leur camarade. C'était vrai pour lui comme c'était vrai pour une majeure partie des gens que Deirdre rencontrait. « Je peux tout de même te demander un café ?... les nuits sont courtes ici. Sans sel, s'il te plait. » Dans le monde normal, cela serait sûrement une plaisanterie. Mais vu le sérieux que Deirdre affichait... elle en craignait vraiment la possibilité.

J'espérais grandement qu'il ne l'avais pas fais exprès, je bus la fin de ma tasse de café et regardais Matthew discuter des couples du Titanic avec Deirdre. J'ajoutais donc ma couche personnelle « J'ai des ancêtres qui ont voyagé sur le Titanic ... » J'avais un air rêveur, comme quelque chose de carrément bizarre. On m'avait raconté cette histoire, à mon tour je m'en ventais, c'était ainsi. « Je peux tout de même te demander un café ?... les nuits sont courtes ici. Sans sel, s'il te plait. » J'émis un petit rire étouffé et répondis à Deirdre et Matthew « Si je pouvais également en avoir un ... Ton sel par contre, gardes le pour une autre farce .. » Je fis un clin d'oeil à Matthew, je levais et servis un café pour chacun d'entre nous avant de revenir près de la table et de leur donner une tasse « Nous voilà servi .. »

« J'aurais aimé être là, ce 15 avril (oui, elle parlait bien du naufrage en lui-même) ce devait être si... chaotique. » Comme à son habitude, Deirdre ne sembla pas véritablement s'adresser à quelqu'un d'autre qu'elle-même. Pourtant, elle réagissait bien à la révélation d'Alice, qui venait tout juste d'affirmer avoir eu des aïeux à bord du fameux paquebot. Cela forgea une certaine espérance chez la poupée de chiffons. Quant à Matthew - car c'était ainsi qu'il s'appelait, il fit froide impression à une Deirdre avoisinant d'ores et déjà des sommets de perplexité. Il ne fallait pas s'imaginer que cela eut véritablement compter dans l'esprit de la jeune irlandaise, mais elle notait avec une certaine application la manière dont les uns et les autres s'accordaient à la considérer. « Je suis... une fille, répondit-elle à Matthew. Je crois. » Elle leva vers lui son regard d'infante de l'aliénation. Elle était très sérieuse. « Deirdre, souffla-t-elle. » Car c'était là ce qu'il souhaitait savoir, finalement. En revanche, elle remercia la tasse servie par les bons soins d'Alice du bout des lèvres. « Vous êtes déjà tombés amoureux ? » Oui, il allait falloir s'y habituer, Deirdre ne composait jamais des questions convenues et attendues. D'autant qu'elle les scruta avec beaucoup d'intérêt.

Elle se présenta, avoua avoir eu le rêve d'être à bord du paquebot, je souris, c'était moi même mon cas. Je les écoutais parler, Matthew sorti une idiotie quand au prénom de la jeune fille, je n'avais même pas fait attention aux noms des chambres, pour moi c'était chambre 1 et chambre 2, point. Je siflotais tout mon café lorsqu'elle nous demandais si nous étions déjà tombé amoureux, Matthew répondit le premier par un oui, je réfléchis un instant, tout petit instant puisque je connaissais déjà la réponse : « Non .. Après tout, qu'est ce que l'amour au final? Qui sait ce que l'on peut ressentir? Non, l'amour n'existe pas, je suis jamais tombée amoureuse » C'était là ma vision des choses, qu'on l'accepte .. ou pas

Matthew ne connaissait pas Deirdre. Deirdre, le personnage mythologique. Et la jeune irlandaise l'en scruta avec une certaine intensité dans le regard. Le monde lui semblait bien curieux quelques fois. « Une femme. Une belle femme. Morte. Par amour. » Pendant quelques secondes, un sourire vint incendier ses lèvres pour s'éteindre tout aussi vite. « Cruel amour. Stupide amour. » Ces détails semblaient désormais sans importance, mais cela ne fût jamais qu'un semblant de transition qu'elle n'avait pas même cherché à sa propre question ; étaient-ils déjà tombés amoureux ? Matthew, lui, sembla trouver que la réponse allait de soi. « Ce n'est pas si évident. » Et Alice vint l'appuyer en ce sens. Elle, elle affirmait n'être jamais tombée amoureuse. Elle alla même plus loin, considérant que l'amour n'existait pas. « Tu as aimé comme... tu aimes le café ? interrogea-t-elle Matthew. » Je puis vous assurer qu'elle était parfaitement sérieuse. « Que s'est-il passé ? poursuivit-elle sans chercher à mesure l'indiscrétion. Tu as mis du sel où il fallait du sucre ? »

Ma vision des choses n'avait rien de triste, en fait, je n'avais jamais connu d'autres choses que de l'ennivrance, de l'extase, ça avait été passionnel, romantique, charnel, mais seul mon corps tout entier avant vécu, pas mon coeur. Aimer était pour moi une sorte de souffrance, un sujet délicat à poser, des questions trop compliquées, trop casse tête. je me bronchais pas lorsque Deirdre ouvrit de nouveau la bouche, elle me plaisait énormément, je la regardais déjà avec une passion délicieuse, elle était si mystérieuse, si étrange, elle était une femme qui me plaisait, une femme qui ferait parti de moi, elle était merveilleuse. C'est donc suspendue à ses lèvres que je me trouvais, elle avait ce charme qu'on ne connaissait pas ailleurs, elle était ce dont j'avais toujours cherché, je ne savais pas si c'était un homme ou une femme, aujourd'hui j'étais sûre que la perfection était Deirdre. Matthew vint casser le mythe en lançant un ; « Tu es vraiment vraiment bizarre toi » Je sortis de ma rêverie, de mon amour, je tournais le regard vers le jeune homme et lui demandais « Qu'est ce que la bizarrerie ... pour toi? » On avait pas le droit de juger les gens, on avait pas le droit de qualifier un être de bizarre, qu'elle était cette définition, après tout ?

Comme Matthew vint avouer qu'il la trouvait bizarre (ce qui, au demeurant, n'était pas une nouvelle mais bel et bien une constatation que tout à chacun devait faire au moins une fois au cours de sa vie), Deirdre baissa doucement les yeux, sans qu'aucun air coupable ne se dessina sur ses traits. Oh, non, elle n'avait pas honte, d'autant que c'était un qualificatif qui revenait très souvent. En vérité, ce devait même être son second prénom. Deirdre Bizarre O'Delly. Et Alice renchérit aussi sec, sans que la jeune irlandaise n'ait eu le temps de plaider coupable - bien que ce ne fût qu'une façon de parler. « C'était une question indiscrète, c'est ça ? dit-elle tout de même. » Alors que, bien sûr, l'idée qu'il ait mis du sel là où il aurait fallu du sucre ne semblait pas le moins du monde offenser Deirdre. Le problème était aussi que rien, ou presque, ne semblait capable de l'offenser. Lui eut-on dit que c'était bien le Soleil qui tournait autour de la Terre qu'elle n'aurait pas cherché à démentir, sans pour autant le croire. Souvent, elle était simplement arrangeante. Ou plus simplement indifférente. Et comme le fil de la conversation semblait lui avoir échappé, elle s'enfonça dans la dégustation de son café, dont elle avala goulûment une gorgée.