Je m'étais mise aussitôt sur mes gongs, après tout, n'étais-je pas ce genre de fille limite hystérique qui avait pour habitude de s'énerver rapidement. Il tenta de s'excuser, j'en dis autant, mais en silence. A présent, n'étais-ce pas entre Matthew et Deirdre que la conversation tournait. Il l'avait qualifiée de bizarre, elle avait renchéri en lui demandant presque pourquoi. Leur tournant le dos, je fouillais dans les placards pour en sortir quelques bonbons au chocolat, un régal, je posais le paquet entre nous et m'en servit d'un que je mangeais avec délectation, c'était magique ce que notre cerveau pouvait nous décrire juste pour un morceau de chocolat ... N'aimant pour autant pas le fait que l'on juge les gens et qu'on se bagarre, j'amenais la conversation sur tout autre chose « Sinon, que faites vous dans la vie? » N'étions nous pas là pour apprendre à connaitre ceux qui nous entourait, quoi de mieux que de leur poser des questions des plus banales sur leur vie avant Fake Lover

Deirdre vit bien le malaise de Matthew, mais elle fût bien incapable de le comprendre. Ce qu'il avait dit à son sujet était sans conséquence, tout du moins à ses yeux, et elle n'avait pas vu la réaction d'Alice comme un signe soudain d'hostilité à l'égard du jeune homme. D'ailleurs, si elle l'avait considéré comme tel, sans doute aurait-elle dû frôler la reconnaissance, alors qu'il n'en fût rien. Au contraire, Deirdre demeura plongée dans son monde jusqu'au cou, là où elle déposa sa main sur celle de Matthew, comme dans l'espoir qu'il cesse de se décomposer sous ses yeux, désemparé. « On me dit souvent que si quelqu'un a des réponses à mes questions... ce quelqu'un est fou. » D'un sourire qui voulut supposer une certaine complicité (certainement), Deirdre tapota doucement la main de Matthew avant de reprendre sa tasse de café, et d'en avaler quelques longues gorgées. Ceci devait bien avoir, quelque part, une connotation humoristique, sauf que c'était la pure et simple vérité. Dans sa vie de tous les jours, Deirdre n'avait jamais rencontré qu'une poignée d'individus susceptibles de marcher dans ses pas avec une aisance sibylline, presque mystique. Et la question d'Alice vint confirmer qu'ils appartenaient tous trois à des mondes très différents, dont les frontières étaient plus tangibles que jamais. Tant et si bien que la jeune irlandaise sembla broyer les mots derrière ses lèvres closes, comme pour recomposer une réponse satisfaisante, une réponse bienséance. Sauf qu'elle en fût encore et toujours bien incapable. « Je ne sais pas. Je ne comprends pas ce que j'y fais. » Elle adressa un regard serein à une Alice qui n'attendait rien qu'une profession. Oui mais Deirdre voyait bien au-delà. Comme d'accoutumée. Désespérante.

Bien entendu, Deirdre donna une réponse toute farfelue quand à ma réponse, j'en étais satisfaite,après tout, je ne leur avait pas demandé leur métier, mais bel et bien ce qu'ils faisaient dans la vie. Nous pouvions seulement aimer ou bien s'acharner, ou comme Matthew, se contenter du formel et répondre que l'on était pompier, j'aimais ! « On ne sait pas nous même ce que nous y faisons, de cette vie. On ne fait que subir voilà tout » Je mangeais un nouveau morceau de chocolat, j'étais de ces filles qui aimaient manger n'importe quoi, je ne faisais pas attention à ma ligne, mais heureusement pour moi, je n'étais pas si grosse que cela. « J'écris ... Je suis étudiante en journalisme et, j'écris. C'est mon monde à moi. » J'avais donné cette réponse à Matthew, ne sachant pas si elle convenait réellement à Deirdre

Deirdre fût d'accord pour dire qu'elle subissait sa vie, ou plutôt que sa vie la subissait. Comme elle l'avait dit à l'occasion de son casting, elle avait le sentiment persistant (et coutumier) d'avoir toujours marché sur la frontière de sa vie sans jamais y être entrée. Cependant, l'œil de la petite irlandaise s'éclaira nouvellement. Il était pompier, et elle étudiait le journalisme. Mais Alice écrivait, elle insista même sur ce point. Pendant quelques secondes, Deirdre sonda le fond de sa tasse, comme bien pensive devant une réponse pourtant limpide, et plus encore. « Pourquoi tu ne fais pas qu'écrire ? » Les yeux de la poupée se posèrent doucement sur Alice. Sa question avait une raison d'être, en tous les cas dans son esprit. Matthew était pompier. C'était simple. Même quelqu'un comme Deirdre pouvait le comprendre. Mais Alice... Mais elle-même. A y penser, Deirdre conçut avec plus d'exactitude où la jeune femme avait voulu en venir. En quelques sortes. « Je... De la médecine légale. Des corps froids. Des visages tranquilles. Des vérités sourdes et abstraites. C'est mon monde. » Et elle conclut avec une certaine malice dans le regard. « Je ne pourrais pas être pompier ou journaliste, moi. Non... je ne peux pas. » Elle les scruta tour à tour.

Deirdre me posa la question qui tue, juste ça « Pourquoi tu ne fais pas qu'écrire ? » J'y avais bien évidemment songé, mais la vie était un chatiment si dur, il nous fallait survivre, payer, payer, payer, chose que je tentais alors de lui expliquer « Le jour où je pourrais me permettre de vivre dans mes rêves, de m'évader comme je le fais, sans cesse, alors je ne ferais qu'écrire » Et puis, le métier de journaliste me passionnée, de nature très curieuse, j'aimais fouiner pour trouver un scoop, j'aimais ces sujets d'actualités qui fâchent. C'est alors qu'elle nous dévoila son monde à elle, Deirdre en devenait que plus fascinante, totalement étrange, je l'aimais d'ores et déjà. Elle avoua ne pas pouvoir être pompier ou journaliste, je souris. Puis Matthew se leva, me tirant de ma rêverie, il nous dis « Je vous laisse » Il accompagna cette phrase d'un simple clin d'oeil que je ne compris pas, je lui dis un signe de la main, dommage, j'aurais aimé apprendre à le connaitre plus, je ne comprenais pas pourquoi il partait mais je ne tentais pas de le retenir, après tout, il était libre de ses faits et gestes. Me tournant vers Deirdre « Nous voilà seules » Chose qui ne me déplaisait guère, bien au contraire.

Si Deirdre hocha la tête, elle ne comprit guère qu'Alice ne se permit pas de vivre ses rêves, qu'importe l'argent et sa valeur dérisoire. Non, elle ne le comprit pas. Car Deirdre, non contente de percevoir le monde de ses yeux troublés, était une profonde idéaliste, croyant fermement que, la fin justifiant les moyens, tout était toujours possible. Comme elle le répétait souvent, elle refusait qu'on crut quelqu'un incapable de faire quelque chose. On lui avait pourtant objecté, souvent, que vouloir voler n'y suffisait pas, elle persistait : si vous y croyiez vraiment, qu'importe le monde, disait-elle, vous voleriez. Folle ou innocente, c'était une idéaliste, voilà tout. Aussi fût-il pénible de la sortir de ses songes quand Matthew les laissa. Elle le vit à peine s'échapper, pour tout dire, et ne revint à la réalité que lorsqu'Alice conclut à leur solitude. Étrangement et sans raison apparence, cela fit sourire la jeune irlandaise. « Tu écrirais pour moi ? » Demande bien incongrue, il fallait en convenir, mais ce détail n'effleura guère la fragile poupée qui, encore une fois, s'entêta. « Pas beaucoup. Juste un peu. Quelques mots. » Quoi. Comment. Où. Autant de questions que Deirdre ne se posait pas. Non, elle avait juste envie de quelques mots. C'est tout.

Chacun avait ses priorités dans la vie, après avoir pleinement vécu, sans se soucier du lendemain, je m'étais réveillée un beau matin, songeant à mon avenir, serait-il toujours fait de fêtes ? D'oublies continuels, non, j'en avais assez d'oublier, j'avais commencé à écrire, pour me souvenir, tout simplement. J'avais beau être jeune, belle et souriante, ça n'avait pas toujours été le cas, mon adolescence fut des plus terrible, je ne me souviens même plus avoir eu une enfance, marquée, j'avais vécu dans l'ignorance la plus belle. Deirdre semblait comme revenu dans le présent, du moins, juste un peu, elle me posa une question qui me fit sourire « Tu écrirais pour moi ? » J'ouvris la bouche, aucun son n'en sorti, pourquoi? Je n'en savais à vrai dire rien. Personne ne m'avait jamais lu, j'écrivais pour moi même, jamais pour les autres « Pas beaucoup. Juste un peu. Quelques mots. » Je regardais alors son doux visage, elle était belle, vraiment. Je pourrais tout faire pour cette belle et mystérieuse jeune femme, mais pourrais-je écrire? Mes mots n'en serait que trop faibles ... « Mes mots ne te méritent pas .. » Je détournais le visage, elle me changeait complètement. D'ordinaire prévenante, entreprenante, joyeuse, coquette, spontanée, elle me rendait si prisonnière