C'est comme un vice. Cette façon qu'à mon corps de me mener dans des endroits dont l’existence m'est inconnue. Et ce soir encore, alors que je flâne tranquillement dans les allées du quartier Aubanel, mon esprit s'égare, mes jambes s'animent et me conduisent jusqu'au souterrains et, plus précisément, jusqu'aux caves à vin. Si c'est une coïncidence, je n'en suis pas sûr. Je n'ai pas bu une goûte d'alcool depuis dimanche soir et j'ai la nette impression que mon corps réclame sa dose comme si j'étais un alcoolique. Ce que je ne suis pas. Enfin, c'est ce qu'ils disent tous. J'ai simplement prit l'habitude de faire la fête, de boire et qui plus est, de bien tenir l'alcool et ce changement brutal de situation et d'hygiène de vie perturbe mon petit corps. L'odeur est âcre, je grimace. Ça sent la vieille pierre mélangée au vin là dedans, une odeur qui ne m'est pas du tout familière à laquelle il faut que je m'habitue. L'alcool, je me le fais servir dans des jolies coupes. Je ne vais pas le chercher à la cave, moi. C'est bon pour les vieux ces choses là. Néanmoins, comme la bibliothèque, l'épicerie et le lavoir avant ça, j'inspecte les lieux, imprègne chaque détail comme si je visitais un pays lointain, frôles les tonneaux de mes doigts et puis, je m'affale devant l'un d'eux. Le sol est froid, un peu humide, mon jean risque de tout absorber mais tant pis. Cette ambiance est fascinante et ce calme est pesant. J'ai l'impression de m'entendre penser, c'est déconcertant. Et puis, comme si elle m'avait entendu, comme si nous étions connecté, j'entre-aperçois une silhouette descendre à pas de velours les escalier qui la mènent aux caves et donc à moi. J'attends, silencieux. Je suis plutôt du genre discret, moi. Enfin, si on veut. J'attends encore un peu jusqu'à distinguer entièrement la dite silhouette et puis, je me racle la gorge. Elle sursaute, se retourne et me voit. Et je la distingue enfin.« C'était pas dans l'intention de te faire peur.. euh.. désolé. » d'habitude, je ne m'excuse pas. Mais je sais pas, cette ambiance me file en un sens la chaire de poule. Je ne suis pas une mauviette, loin de là, j'ai vu bien pire qu'une cave mais.. je sais pas. C'est difficile à décrire. « T'es la fille en couple avec le mec en couple c'est ça ? » le dit mec qui, le jour du prime a embrassé son mec à pleine bouche, j'ai envie d'ajouter. Mais je me tais et j'attends. La situation est cocasse je trouve.

J'suis pas du genre à être discret alors, quand je la vois sursauter et porter la main à son coeur, je me dis que je ne suis pas si nul que ça, finalement. Et que je devrais peut-être m'entraîner sur le sujet. Je reste assis, les genoux relevés et les coudes posés sur ceux-ci et je la dévisage, un instant tandis que sa voix résonne dans la cave. « C'est pas grave ... C'est juste que je pensais être la seule à venir ici à des heures pareilles. Puis, c'est pas franchement l'endroit le plus rassurant que je connaisse. » C'est vrai, c'est endroit n'est finalement pas le mieux choisit pour un moment de solitude. « Mais il est parfait pour que personne ne vienne nous chercher. » je réponds du tac au tac de ma voix rauque en manque de clopes. J'aimerais en sortir une mais j'ai oublié mon paquet dans un autre jogging, ou un jean. Je ne sais pas trop en fait. Tout ce que je sais, c'est que j'ai vraiment besoin de penser à autre chose qu'à une clope. Et apparemment, je suis en bonne compagnie puisque Sïana est un moulin à parole. J'en souris, sereinement, franchement et je l'invite à venir s’asseoir près de moi. Et pourquoi pas, à boire un peu de vin ensembles. Ça me fera peut-être passer cette envie de fumer qui me ronge. « tu m'as démasquée. J'suis la nana qui est certaine de ne pas se taper son partenaire durant l'émission. De un, parce qu'il est gay et de deux, parce que son mec l'accompagne. » je ris franchement, tandis qu'elle continue son monologue qui m'amuse, vraiment. Cette fille tombe pile au bon moment, merci Dieu, merci Cupidon, merci peut-importe. « Enfin, de toute façon je suis pas là pour ça. » j'arque un sourcil intrigué et, avant que nous n'embrayons sur quelque chose de totalement différent, ma voix s'élève. « Tu es là pour quoi ? » je demande calmement. C'est une question comme une autre, pour apprendre à la connaître. Cette fille m'est bien sympathique pour le peu de mots qu'elle a prononcé. « D'ailleurs, je m'appelle Sïana. » Je plante mes yeux dans les siens, un large sourire affiché sur mon visage. « Sympa le prénom. C'est de quelle origine ? Moi c'est Arès, d'ailleurs. » Tout en lui disant ça, je me relève, attrape deux verres posés sur un des tonneaux et lui en tend un. « Autant faire connaissance devant un bon verre de vin. » je continue tout en versant le liquide dans nos verres respectifs.

« J'suis là pour défendre mon secret principalement. Il signifie beaucoup pour moi et c'est ça qui m'amène dans un jeu comme Fake Lover. Mais laisse-moi te retourner la question, qu'est-ce qui t'a mené jusqu'ici ? » Ok, je note ça au fond de ma tête. Me souvenir que le secret de Sïana de doit certainement pas être quelque chose de facile. Enfin, on verra bien, je n'ai pas tellement la tête à être enquêteur cette nuit. Surtout que ce tonneaux de vin me fait vraiment de l'oeil. Je prends quand même le temps de lui répondre, c'est la moindre des choses et puis, ma réponse est plutôt clair, nette et précise. « Pour le fric. Mes parents en ont pas mal mais j'veux pas dépendre d'eux encore pendant dix ans. J'veux en avoir aussi et en faire ce que je veux. » C'est aussi simple que cela. Je ne cherche pas à tomber amoureux, je n'ai jamais connu ça l'amour, de toute façon. Je ne cherche pas la notoriété (quoique), tout ce que je veux moi, c'est voyager. Visiter le plus de pays possible, me lier à tous les gens que je rencontrerai, avoir des connaissances partout, prendre des photos de tout et rien, enseigner le français aux plus démunis bref, j'ai envie de voir. C'est aussi simple que ça. Ca se résume à un seul et unique verbe. Et pourtant, ça signifie beaucoup. Je m'assieds, deux verres de vin dans la main, je lui tend le sien et, pendant qu'elle continue à se présenter, à me parler d'elle et j'adore ça, je trempe mes lèvres dans ce qui semble être du rosé. Un bon rosé sucré comme je les aime. Je m'invente oenologue. « En réalité, c'est le prénom Anaïs mais en sens inverse. Je connais pas la véritable origine de Sïana puisque mon père me l'a toujours expliqué de cette façon. » Ma tête fait volte face et je la regarde un moment. Je n'aurais jamais pensé à ça. Je l'imaginais venir d'un pays où le soleil ne se couche pratiquement jamais et où la chaleur est pesante. « Mais Arès, j'aime beaucoup également ... Tu avais donc des parents fanatiques de la mythologie grecque j'imagine. Ou quelque chose comme ça. » Sa voix résonne encore dans la cave et mon rire la rejoint. Si elle savait. « Et t'as jamais essayé de chercher ? » je réponds à sa première question, réellement curieux et avide de connaissances. Ma question est tout à fait anodine. Au fond, Anaïs à l'envers, c'est pas une explication. Pour moi, en tout cas. « Je dirais plutôt qu'ils sont barges de mythologie. Ils sont archéologues, en fait. Je t'épargne les détails. » je termine sur cette note et j'avale une gorgée de rosé qui me réchauffe le gosier. Cette nuit n'est pas si pourrie, finalement.

J'ai l'impression que cette nuit vire aux confessions intimes autour d'un verre de vin. Elle me répond du tac au tac, comme si j'étais son meilleur ami, ou un psy et je fais de même. Et finalement je me dis que cette citation qui dit que parler à un inconnu est parfois beaucoup plus facile, est vraie. Je me sens en confiance, je n'ai pas peur de dire les mots, de choquer. Il m'arrive parfois de me retenir, de ne pas dire les choses, d'être un hypocrite. Fasse à Sïana, je n'en ai pas envie. Elle m'inspire confiance et me donne envie de me dévoiler, de sortir ce que j'ai au fond de moi qui me torture, que j'ai envie de crier. « Ma mère s'appelait Anaïs, ça c'est hébraïque, elle n'a pas survécu à ma naissance. Alors mon père a voulu lui faire une sorte d'hommage je suppose. » Ok, ça c'est fort. Je crois que je n'arriverai pas à la cheville de cette déclaration. Je bloque, mon regard se perd dans le noir et je laisse passer un long moment avant de me tourner et la regarder. « Il a eu raison. C'est vraiment beau comme prénom, Sïana. » J'aime pas les moments comme ceux-ci. Je ne sais jamais quoi dire et, finalement, mes réponses sont pitoyables. Elles ne réconfortent pas, elle ne servent à rien, en somme. « Et je suis certain que tu lui ressembles. » j'ajoute, un peu malgré moi. Les mots sortent tout seul, je ne les contrôle pas. Et j'aimerais me taire, ne plus rien dire et boire mon verre d'une seule traite. « Et toi, t'es dans le même délire ? T'es archéologue aussi ou bien tu te destines à tout autre chose ? » J'avale une gorgée de vin et je ris, un instant. Cette vision de moi en archéologue est plutôt tordante. Ca me paraît tellement impossible. « Ils vivent archéologie, mangent archéologie, dorment archéologie, de quoi être dégoûté. Et ils s'en sont vite rendus compte alors je suis un peu le paria de la famille. » Je laisse passer un instant, le temps d'avaler une dernière gorgée de rosée. « Alors ils me laissent bouffer leur sous dans des voyages. Pour moins me voir. Et moi c'est ça ma came, voyager. Donc j'en profite. » Je suis juste pas aimé, voilà tout.

« t'inquiète pas, j'suis pas là pour faire pleurer dans les chaumières. Alors y a pas besoin qu'on se sente mal à l'aise suite à ce que je viens de te dire hein. J'en ai vraiment pas envie. Et puis, je l'ai pas connue et c'est pas moi qui ai le plus souffert de son départ. » « Ouais.» j'ajoute simplement pour qu'elle sache que j'ai compris. J'ai rien à ajouter de plus même si je trouve cette situation plutôt triste. Je fais pitié avec mes problème d'enfant pourri gâté - d'argent seulement, pas d'amour. Et je lui parle néanmoins de tout ça. De tout ce que je ressens. De la haine que j'éprouve envers mes parents. Du besoin que j'ai eu d'être aimé - bien qu'il ai disparu aujourd'hui. J'aurais aimé qu'ils laissent de côté leur boulot et qu'ils s'occupent un peu plus de nous. J'aurais aimé qu'ils nous aiment comme des parents sont sensé aimer leurs enfants. Qu'ils ne nous laissent pas nous élever seuls. J'aurais aimé être aimé. Et peut-être que là, je me serais intéressé à l'archéologie. Pour moi, c'est cette foutue passion qui a détruit ma famille. C'est pour ça que je la hais autant. Je noie tout ça dans mon verre de vin que j'avale d'une traite. Quand ça va pas, je n'apprécie pas le vin. Je le bois simplement afin d'être saoul et oublier quelques heures mes problèmes. Je me resserre un verre, plein. « Ils sont idiots, sans vouloir être méchante hein, mais je vois pas ce qu'il y a de mal à être soit-même et à sortir du moule. » « T'inquiètes, je les ai traités de bien plus que simples idiots.. » je réponds, un sourire espiègle aux lèvres. J'aime pas parler de moi, de mes problèmes. J'aime pas me plaindre et j'aime pas ceux qui se plaignent. Ceux qui pensent avoir tous les soucis du monde. « Pff, ils savent pas ce qu'ils perdent tes parents ! J'suis sûr que t'es un gars trop cool et tout. Ils s'en rendront compte trop tard tu sais. » J'avale d'une traite mon verre, en espérant qu'il fasse rapidement effet. Je n'ai pas mangé ce soir, le tout devrait monter assez vite. Je souris, timidement. « Pas sûr. Qu'il s'en rendent compte, je veux dire. Parce que ouais, j'suis un mec cool, moi. » je lui réponds, mutin. « On fait un jeu ? » J'ai envie de jouer, d'arrêter de me lamenter et de profiter du moment et du vin qui coule à flot.